Pages

vendredi 22 août 2008

Réversibilité

Peut-on retrouver une complicité perdue six ans auparavant, y croire suffisamment pour repartir à zéro? C'est ce qu'Émilien, poète parisien, tente de faire. Plaquant tout derrière lui, il s'envole vers Montréal, dans l'espoir de retrouver Julie, pianiste québécoise qu'il a fréquentée jadis, d'abord comme amie puis comme amante avant qu'un malentendu - sa peur de l'engagement - ne mette fin à une relation qui comblait deux esprits troublés. Par un astucieux mécanisme de miroirs, Claude Vaillancourt comble, au gré de 13 chapitres (dont plusieurs sont dédoublés en renversé), le gouffre entre la quête de la perfection musicale de Julie ou ses relations incomplètes ou alambiquées et le jeu de piste dans lequel est plongé Émilien. En débarquant à Montréal, il tente de retrouver Julie dans le bottin téléphonique, tâche des plus ardus considérant le patronyme de Julie: Tremblay. Au fil des jours, il s'approprie la ville, sa nouvelle vie, s'attache à une autre Julie (mais surtout pas trop profondément, Émilien est un spécialiste de la valse-hésitation).

J'ai aimé retrouver Paris tel que présenté par Vaillancourt qui évite les lieux communs (dans les deux sens du terme) et jette un regard presque amoureux sur la ville. Certaines digressions auraient pu être évitées (les apartés sur le Rwanda et sur le livre La fête au bouc de Mario Vargas Llosa, par exemple, échos l'un de l'autre bien sûr) et certaines références un peu pointues à la poésie française surréaliste (rappelons que Vaillancourt est professeur de littérature et a participé à plusieurs ouvrages collectifs sur le sujet) ou certaines généralités sur la perception qu'ont les Français de l'Amérique. Néanmoins, j'ai beaucoup aimé le ton du roman, sa facture et la façon sensible dont l'auteur parle de musique, de l'intérieur.

« Encore aujourd'hui, Émilien envie aux musiciens leur pouvoir immédiat de séduction. Il envie le fait qu'en musique, on confonde le message et le messager, qu'on accorde à l'interprète la même capacité de fasciner, de transmettre un plaisir vif et intense, qui découle d'abord et avant tout de la beauté de la musique. » (p. 102)
ou encore
« Mais en musique, pensait-elle, on ne peut rien cacher, et c'est par la musique qu'elle éprouva la sensation d'une chute, d'un curieux vertige, avec le mal que cela provoque, alors qu'elle avait cru que rien ne devait changer, que Reinhardt, solide comme le roc, simple, franc, rythmait ses amours avec la régularité d'un métronome. »
(p. 189)

5 commentaires:

  1. Le thème me tente beaucoup! Je l'ai noté avant même que tu en parles en détails, dans ton billet d'hier! Et myyyy god, trouver une Julie Tremblay... c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin!!!

    RépondreSupprimer
  2. L'histoire résumée ainsi me rappelle étrangement une histoire vécue, étrangement similaire... Elle, pianiste, française. Lui, Québécois, bohème, en visites fréquentes à Paris. Ils se sont rencontrés au jardin du Luxembourg. Elle attendait l'heure d'aller au concert. Lui en cherchait un en plein air... Quelques années de relation épisodique, cahotique et difficile. Une chicane les avait séparés, puis ils s'étaient rapprochés, une dernière fois, pour ne plus jamais se revoir. C'était il y a six ans...
    Depuis, elle a quitté la France pour vivre au Québec.
    Après quelques années de silence, il a tenté de la retrouver, suivant ses traces sur Internet. Il l'a retrouvée mais elle l'a rejeté...

    RépondreSupprimer
  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  4. Karine: oui, j'ai tout à fait pensé à toi en lisant ce livre!

    Marie: parfois, la réalité dépasse la fiction... À moins que tu ne te sois confiée à Claude Vaillancourt! ;-) (Dans le livre aussi, elle dit non à la fin.)

    RépondreSupprimer
  5. Je ne me souviens pas m'être confiée à Claude Vaillancourt, à moins que ce ne soit un pseudonyme...

    RépondreSupprimer