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lundi 29 septembre 2014

La déesse des mouches à feu

Avec ce premier roman, Geneviève Pettersen insuffle au roman d’apprentissage un certain parfum de terroir – ou plutôt de néoterroir. Comme son mari Samuel Archibald, la romancière a en effet choisi d’ancrer son personnage dans un lieu ciblé, à savoir le Saguenay, plus précisément en 1996, l’année du déluge. Dans une langue parlée volontiers rêche, débordante de régionalismes qui pourront déstabiliser certains lecteurs, mais finissent par devenir aplats de couleur locale, Pettersen trace le portrait d’une jeunesse pas tant désenchantée qu’en constante recherche de liberté, prête à tous les excès (mescaline, alcool, relations sexuelles) pour parvenir à se définir.

Pour se fondre dans le sillage du personnage principal Catherine, qui lit Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée, comme d’autres feuillettent des revues pour adolescentes, il faut pratiquer un certain lâcher-prise : ne pas buter sur les termes qui nous échappent et viser la compréhension globale, se fondre dans l’oralité du texte, accepter de se laisser raconter une histoire puissante, qui trouve un écho chez l’adulte, même si de prime abord il peut avoir l’impression de ne pas entièrement s’y reconnaître.

Ici, le beau et le laid se côtoient, les filles et les garçons se confrontent, le grunge se superpose au bruit des multiples véhicules (pick-up, bus, ski-doo) et au martèlement des pas. On a l’impression de lire un journal intime – mieux de l’entendre –, ce qui ajoute une authenticité réelle au propos. Avec une force indéniable, la vie bat, la langue s’émancipe, l’arc narratif se tend et le rythme se bouscule, au fur et à mesure qu’approche le terrible dénouement.


dimanche 28 septembre 2014

Changer le monde

Oui, c'est une pub, mais on l'oublie volontiers si on se laisse porter...
Changer le monde... un geste à la fois! Il faut encore y croire, non?

jeudi 25 septembre 2014

City Life

La SMCQ lance sa 49e saison demain soir par un concert-événement gratuit, dans laquelle la ville de New York jouera un rôle essentiel, avec la présentation de l'oeuvre-phare de Steve Reich, City Life. Créée en 1995, cette partition dense, mais toujours parfaitement intelligible, utilise les bruits de la ville de New York (portières que l'on claque, klaxons, sirènes de pompiers, sonorités du port, échanges radio, etc.) comme soutien rythmique, le spectateur ressentant la ville de l'intérieur, comme s'il y déambulait.

Deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux pianos, un quatuor à cordes et une contrebasse se joignent aux deux claviers d'échantillons (tout est produit en live ici), ajoutant une dimension très organique au propos, véritable « documentaire musical », relecture moderne (presque postmoderniste) de la symphonie à programme, qui pousse l'auditeur à réfléchir presque malgré lui aux phénomènes de la pollution (d'abord sonore ici, mais qui peut englober par extension celle atmosphérique), mais aussi aux problèmes liés à la cohabitation dans une mégapole, notamment la violence.

L'interprétation de la pièce sera rehaussée par la projection d'images de Jérôme Bosc, tournées avec un caméscope lors d'un voyage en touriste à New York. Le vidéaste animera d'ailleurs une activité participative pré-concert dès 19 h 15 qui explorera un motif de City Life, ceux présents devenant véritablement part prenant de l'oeuvre, en reproduisant des bruits de la ville, notamment en claquant des mains, en actionnant des stylos ou en déchirant du papier.


Le concert comprend également la reprise de Solaris de Walter Boudreau, une oeuvre atmosphérique créée en mai dernier par le NEM, qui sera cette fois dirigée par le compositeur (et directeur artistique de la SMCQ) lui-même. En ouverture de concert, on pourra découvrir le (malheureusement) toujours pertinent (près de 30 ans après sa première) premier mouvement de la pièce Out d'Alain Thibault, « God's Greatest Gift », construit autour d'une citation extrait d'un discours télévisé de Ronald Reagan sur l'avortement ("God's greatest gift is human life"). Le tout sera également présentée avec soutien vidéo.

Demain, 20 h, Salle Pierre-Mercure (activité pré-concert à 19 h 15). Plus d'info ici...

mercredi 24 septembre 2014

Nabucco: quand la distribution sauve la mise

Le jeune Verdi a écrit Nabucco alors que la Lombardie et la Vénétie étaient sous le joug autrichien. Difficile donc de ne pas établir de parallèles entre la résistance des Italiens et celle des Hébreux aux mains des Babyloniens dans le Jérusalem du 6esiècle avant notre ère.
La mise en scène de Thaddeus Strassberger (qui signe aussi des décors en trompe-l’œil qui souhaitent sans doute évoquer ceux de la création à La Scala, mais alourdissent inutilement l’espace), reprise à Montréal par Leigh Holman, offre d’entrée de jeu les clés pour comprendre les allusions, en installant des loges côté jardin, dans lesquelles président en robes et habits de soirée les dignitaires autrichiens, escortés par quelques soldats en faction. Le choix ne prendra toutefois son sens que deux heures quarante plus tard, lors des saluts et de l’attendu bis du « Va pensiero ».
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mardi 23 septembre 2014

Being at home with Claude

Avec une affiche stellaire réunissant dans un même huis-clos Benoit McGinnis et Marc Béland, un texte puissant qui n'a rien perdu de son mordant et de son lyrisme en 30 ans (même si les événements décrits, en 1967, ont quand même pris de l'âge), les attentes étaient grandes pour cette reprise de Being at home with Claude de René-Daniel Dubois. Peut-être trop?

Photo: Yves Renaud
Pourtant, Benoit McGinnis est irréprochable dans le rôle d'Yves, le prostitué qui a tué Claude, non pas un client parmi tant d'autres, mais l'homme dont il est fou amoureux. On oublie Lothaire Bluteau, Roy Dupuis. Il nous amène avec adresse dans cette zone d'ombre, un peu trouble, là où les frontières entre le bien et le mal sont flouées. Ne peut-on pas comprendre ou accepter une seconde (du moins en littérature ou au théâtre) ce meurtre, quand le coupable a choisi non pas de se venger d'un amour déçu, mais de préserver toute la pureté de celui-ci?

Le monologue d'une vingtaine de minutes de McGinnis dans lequel Yves tente enfin de justifier son acte, après s'être braqué d'emblée, arrive bien sûr dans la deuxième moitié de la pièce, mais la mise en scène minimaliste de Frédéric Blanchette semble dépouiller le texte d'une certaine corporalité. Les mouvements sont réduits (le monologue se fait presque entièrement dos au mur côté jardin), le personnage du greffier semble inutile, celui du policier manque un peu de substance (comme si Béland avait eu peur d'éclipser McGinnis, ce qui aurait été de toute façon impossible), ne joue que sur le registre de l'impatience, de l'incompréhension. On prend du temps avant de comprendre les tenants et les aboutissants de ce duel, qui aurait pu se révéler plus implacable.

Une fois que tout a été dit, il était absolument inutile (et coûteux) d'offrir une représentation graphique gratuite d'un cadavre gisant sur le plancher d'une cuisine maculée de sang. Le spectateur se sera déjà fait sa propre image de la scène de crime et aurait sans doute préféré rester dans le domaine de la suggestion.

Au TNM jusqu'au 11 octobre.

lundi 22 septembre 2014

Jean-Philippe Sylvestre : dépasser la virtuosité

Virtuosité : un mot à double tranchant, devenu presque galvaudé au fil des ans. Des premiers concerts de Liszt aux olympiades pianistiques où tout un chacun tente de jouer une œuvre pyrotechnique plus vite que son compétiteur, le concept a malheureusement été déformé. On souhaitera peut-être se rappeler ici que le terme vient de l'italien virtuoso, du latin virtuosus, dérivé de virtus qui veut dire « compétence, virilité, excellence ». Nulle part, il n’est fait mention de vitesse, de puissance ou de nombre de notes à la seconde.

Osant presque prendre l’expression à contrepied, le pianiste québécois Jean-Philippe Sylvestre a choisi d’intituler son premier disque, lancé jeudi le 25 septembre lors d’un concert gratuit ouvert à tous (19 h au Conservatoire de musique de Montréal), Virtuosités. Avec un s, car il en existe bien sûr plus d’une. Celui que Yannick Nézet-Séguin a salué comme un « poète du piano » cherchait un thème qui sortirait des sentiers battus. « J’ai toujours aimé la virtuosité et j’ai eu envie de tout mettre sur un même disque », explique-t-il en entrevue, ses mains semblant incapables de rester immobiles plus de quelques secondes. On a ainsi aussi bien droit aux redoutables notes répétées du « Scarbo » extrait de Gaspard de la nuit de Ravel qu’à la vélocité des sonates de Scarlatti ou au contrôle de tout le bras requis pour interpréter des Études de Chopin. Pourtant, Sylvestre ne cherche en aucun cas l’esbroufe, à devenir superhéros de la technique pianistique. « Il y a moyen d’exprimer quelque chose de complexe ici, d’inclure l’art dans la virtuosité. »

samedi 20 septembre 2014

Quintette pour cordes sensibles: soirée de filles


Avec un titre comme Quintette pour cordes sensibles, on attend une œuvre à la musicalité affichée, qui joue sur le contrepoint, les leitmotive, les sommets successifs d’émotion. Malgré une conception sonore organique de Mykalle Bielinski et une mise en scène de Kathleen Aubert maximisant les attributs de la petite salle du Centre Segal, le texte de Sophie Gemme manque pourtant parfois légèrement de direction.

Les cinq mouvements distincts annoncés se fractionnent eux-mêmes en une série de tableaux qui souvent suscitent le rire (le segment pendant lequel les amies analysent la signification des émoticônes transmises par l’amoureux potentiel et celui sur les one-night stands demeurent savoureux), mais sont peut-être plus pertinents quand ils font réfléchir. On y abordera le sujet des peurs (audacieux de traiter des chambres à gaz dans un centre communautaire juif), de la perception corporelle (un peu trop grassement souligné), des différences (à travers une promenade au musée dans laquelle un handicapé joue un rôle-clé), de la contraception, de l’avortement. Une écriture assurément féminine, mais pas foncièrement féministe, écho intéressant à la pièce Euphorie de Marie-Noëlle Doucet-Paquin, présentée au Fringe cette année. 

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jeudi 18 septembre 2014

Nombreux seront nos ennemis : travestissement d’œuvre

Unique et posthume recueil de la poète Geneviève Desrosiers, Nombreux seront nos ennemis est un objet devenu culte, que l’on jalouse, auquel on revient de temps en temps, que l’on offre aux amis quand on réussit à en dénicher un exemplaire dans une bouquinerie.
L’écriture de la jeune femme, fauchée en 1996 à l’âge de 26 ans, après une chute d’un balcon lors d’une soirée chez son ami le peintre Serge Lemoyne, demeure d’une rare puissance et dénote une réelle clairvoyance. Si son écriture part du ventre et duje (« Vingt-trois je pour une centaine de lignes. Ma foi le compte y est… »), elle se veut toujours inclusive, tournée vers l’autre, englobante, comme « Nous », devenu poème phare.
Comment réussir à transmettre sur scène les multiples facettes du travail de Desrosiers, qui avait abordé la composition dramatique avec Denise Boucher et étudiait en arts visuels à l’UQÀM? La production pluridisciplinaire mise en scène par Hanna Abd El Nour n’offre certes pas de réponse cohérente.
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Je ne saurais trop vous recommander la lecture du recueil.

mercredi 17 septembre 2014

Albert Théière

Certains personnages nous laissent indifférents, d’autres nous séduisent en quelques secondes; Albert Théière, le héros de la première bande dessinée éponyme de Matthieu Goyer, est assurément de ceux-là. Albert a mené jusqu’ici une vie en apparence sans remous, adoptant une routine métro-boulot-dodo semblable à celles de milliers d’autres, mais un jour, lors d’un rendez-vous chez l’optométriste, il doit accepter l’évidence. « Comment vous dire? Il semblerait que votre nez soit posé à l’envers. » Douloureusement touché par cette annonce, Albert se convainc que son appendice nasal inusité – qui l’empêche de porter des lunettes qui amélioreraient sans aucun doute sa vision du monde qui l’entoure – est sans nul doute responsable de la médiocrité de sa vie et de sa terrible timidité envers la gente féminine. Albert se cloître donc chez lui pendant trois semaines, en compagnie de son chat Boulette et de multiples boîtes de soupe (mais sans ouvre-boîte!), le temps de pouvoir se faire pousser une moustache digne de son idole Hercule Poirot, qui attirerait assurément autrement l’attention sur lui.

Volontiers minimaliste, ce premier album de Matthieu Goyer laisse toute la place au lecteur, qui se glisse aisément dans les cases en noir et blanc, avec une forte impression d’épier les moindres gestes de cet attachant antihéros, dont la route croisera notamment celle d’un jeune homme à la chevelure pour le moins inusitée et qui l’aidera à comprendre qu’il n’est pas le seul à disposer d’un physique atypique.

Nous avons tous eu maille à partir avec le regard que les autres posent sur nous – ou que nous croyons posé sur nous – et c’est sans doute pourquoi ce conte charmant saura plaire aussi bien aux jeunes qu’aux moins jeunes. Si les premiers aimeront suivre Albert pas à pas dans son périple, leurs aînés se délecteront des multiples clins d’œil disposés çà et là par l’auteur et refermeront le livre le sourire aux lèvres, avec une envie folle de le relire ou de l’offrir.



Albert Théière, de Matthieu Goyer from Les éditions de Ta Mère on Vimeo.

mardi 16 septembre 2014

Himmelweg: théâtre de l'ombre

Photo: Maxime Côté
L’histoire ayant inspiré la pièce de Juan Mayorga demeure des plus étonnantes : une supercherie énorme, monstrueuse, visant à faire croire que Theresiendstadt (et par extension sans doute tous les autres camps de concentration mis sur pied pendant la Deuxième Guerre mondiale) était en fait une colonie juive.
En juin 1944, les autorités nazies permettent à Maurice Rossel, envoyé du comité international de la Croix-Rouge, de visiter les lieux. De faux magasins et une synagogue ont été installés, la surpopulation contrée par la déportation de nombreuses personnes à Auschwitz. Les adultes s’affairent, les enfants semblent jouer normalement, on présente même l’opéra Brundibar. Rossel n’y verra que du feu, mais ne se remettra jamais entièrement d’avoir été floué de la sorte.
Écrite en 2003, Himmelweg – Le chemin du ciel (terme utilisé pour évoquer le passage suspendu qui reliait la gare à « l’infirmerie ») propose au spectateur de se glisser dans la peau de Rossel, que ce soit en 1944 lors de sa visite ou aujourd’hui, alors qu’il réalise toute l’ampleur de la supercherie.
En nous amenant de l’autre côté du miroir, la pièce offre aussi un étonnant regard sur le théâtre Ici, tout le monde joue : les habitants de la « ville » qui ont répété pendant des heures afin d’apprendre ces textes qui les sauveront peut-être de la mort (« Tant que nous sommes ici, nous ne sommes pas dans ce train. »), le commandant du camp qui cite à tout propos les grands du théâtre, Gershom (devenu Gottfried et « promu » maire de la ville) le metteur en scène de cette production à très grand déploiement, Rossel lui-même qui croit pouvoir anticiper les réactions du commandant. « Ce qu’il faut, c’est le mettre en confiance, faire du théâtre. »
Vous avez jusqu'au 3 octobre pour vous glisser en salle. Ne ratez pas votre chance!

lundi 15 septembre 2014

Méandre: la violence comme matériau

Rien ne remplace l'expérience acquise en processus de création, quand un petit groupe d'étudiants peut mener un spectacle des premières esquisses à la complétion, surtout quand ces artistes sont encadrés par des professeurs et un metteur en piste de talent, dans ce cas-ci le chorégraphe Edgar Zendejas. Présenté les 12 et 13 septembre, Méandre se voulait la consécration de 300 heures de travail de la part de cette cohorte de sept circassiens aux habiletés complémentaires.

Inspiré du film Le labyrinthe de Pan, le spectacle joue la juxtaposition des univers: l'un réel, l'autre imaginaire. Il se veut aussi une réflexion sur la violence, qu'elle soit dirigée vers les autres ou soi-même. « C'est la peur qui vous fait avancer », rappelle d'ailleurs un des interprètes, qui interpelle les spectateurs en leur renvoyant au visage cette propension à contempler avec une joie perverse - la Schattenfreude - les explosions de violence et les malheurs faits à autrui.

Le spectacle fait preuve d'une belle cohérence, pour quiconque acceptera de redéfinir le pacte entre interprètes de cirque et spectateur. Ici, pas de moment « wow » (même si plusieurs prouesses sont à saluer) ou de rires francs, très peu d'instants où déposer des applaudissements. (On sentait d'ailleurs l'inconfort de certains spectateurs, pas nécessairement prêts à lâcher prise.) Edgar Zendejas a tissé une trame de numéros s’intégrant les uns aux autres, unis par un fil narratif cohérent, même pour ceux qui n'ont pas vu le film (dont je suis). On côtoie faunes et divinités de la forêt, les hommes se battent pour l'amour d'une femme, le groupe s'allie ou se ligue contre un individu, on réfléchit à la guerre et à la violence, les numéros de cirque remplaçant les trois épreuves que la protagoniste du film doit vaincre. On a droit ici à un véritable Gesamtkunstwerk, la musique plus atmosphérique que narrative soutenant le propos de bout en bout sans s'insurger en récit parallèle.

On saluera l'inventivité du numéro de main à main sur monocycle (Ronan Duée et Dorian Lechaux), la créativité de transposer un trapèze en carillon, l'intelligence de se servir des sangles aériennes pour transformer un des protagonistes en marionnette et le magnétisme absolument renversant de Guillaume Paquin qui offre un numéro inoubliable de corde lisse et brûle la scène même quand il agit comme rôle de soutien, à travers une corporalité particulièrement expressive.

Geneviève Petttersen recrue de septembre

« On écrit toujours à partir de soi, alors même si on invente complètement un univers, notre propre histoire se manifestera toujours à travers lui. Je l’ai dit, j’écris beaucoup à partir de ce que j’ai vécu ou entendu. […] En même temps, il est rare que je dresse un portrait fidèle de ce qui s’est passé ou de ce qui m’a été conté. Je transforme tellement tout que ce que je raconte n’appartient plus qu’au livre. On me demande souvent si Catherine, le personnage principal de La déesse des mouches à feu, c’est moi. À cette question, je réponds que Catherine, ce n’est pas moi. Par contre, ça aurait très bien pu être moi. » Voilà le rôle que l’autobiographie joue dans le premier roman de Geneviève Pettersen, notre Recrue ce mois-ci. Rimbaud l’avait déjà compris avec son « Je est un autre », Philippe Lejeune et Serge Doubrovsky redéfiniraient le pacte de l’autofiction des années plus tard. Ici, il est plutôt de tracer d’un arrêt sur image, dans le Chicoutimi-Nord de 1996 plus précisément, alors qu’une jeune adolescente de 14 ans cherche à se définir autrement.

Il n’y a pas si longtemps encore, plusieurs considéraient les premiers romans comme un mal nécessaire (« Il faut bien commencer quelque part » auraient-ils peut-être soupiré), mais la donne a assurément changé au cours des dernières années, au grand plaisir des collaborateurs de La Recrue du mois. Anaïs Barbeau-Lavalette (qui signait elle-même d’ailleurs un premier roman, Je voudrais qu’on m’efface, en 2010) a tout de suite saisi la puissance de l’imaginaire de notre Recrue et adaptera le roman au cinéma. L’aventure ne fait donc que commencer…

Même si c’est la rentrée, nous avons choisi de prolonger un peu cet été qui nous a vaguement échappé en vous proposant deux titres qui traitent du voyage en repêchage. Dans Un vélo dans la tête de Mathieu Meunier, on suit l’auteur lors d’un périple mémorable le long de la Côte Ouest. La mer de Cocagne d’Alain Boucher se veut plutôt « un rare ouvrage de littérature maritime québécoise, qui emportera les navigatrices et navigateurs de corps et de cœur à la découverte du Saint-Laurent de 1541 ». L’histoire est aussi au rendez-vous dans Le neveu d’Hitler de Bob Martin, que ce dernier qualifie d’ailleurs de « roman et plus ». Lame crépuscule, un intense premier recueil de poésie de Marie-Paule Grimaldi et Albert Théière, une adorable bande dessinée de Matthieu Goyer, complètent l’offre.


Bonne découverte!

dimanche 14 septembre 2014

Smooth Criminal

Oui, les puristes grinceront des dents. Le vilain mot de crossover sera peut-être même prononcé. Au diable les étiquettes!



Vous aimerez aussi sans doute leur relecture de Smells Like Teen Spirit...

vendredi 12 septembre 2014

City: histoires parallèles

J'ai lu tout Baricco et si je peux en quelques phrases retrouver le fil de plusieurs de ses romans, City avait semble-t-il disparu de ma mémoire au fil des ans. Je me rappelais tout au plus d'une histoire touffue, à plusieurs niveaux, de dédales. Un souvenir d'ambiance plutôt que de contenu dirons-nous. Quelques jours avant d'aller voir l'adaptation de Magalie Morin et de la metteure en scène Christel Marchand, j'ai donc sorti mon exemplaire de ma bibliothèque. Je l'ai feuilleté, me disant que, non, finalement, je préférais retrouver la voix si particulière de Baricco à travers le montage que les deux complices en tireraient, curieuse de savoir comment elles pourraient traiter les histoires parallèles, mais surtout les langues différentes qui les soutiennent. 

Dans le roman, on peine au début à passer d'une histoire à l'autre - même si, d'emblée on s'attache au duo improbable formé de Gould, le génie-enfant, et de Shatzy, qui deviendra sa gouvernante. Une scénographie intelligente, qui délimite diverses aires de jeu, permet de faciliter d'emblée la compréhension. Pourtant, il ne faut jamais oublier que, même lorsqu'ils sont dans un même lieu, les personnages restent d'une certaine façon blindés les uns aux autres, comme si chacun était un quartier - ou même une ville - à part entière. 

Difficile ici d'adhérer d'emblée à la proposition de Paul Ahmarani en Gould, peut-être trop adulte physiquement pour être entièrement convaincant. Oui, il adopte des tics autistes. Oui, il occulte toute sentimentalité de son vocabulaire. Christel Marchand explique en entrevue que, même si la nature exacte de la condition de Gould n'est jamais entièrement clarifiée dans le livre, elle a choisi de doter le personnage du syndrome d'Asperger. Ces individus sont souvent férocement intelligents, mais peinent à assimiler les codes sociaux (une simple poignée de main doit être intégrée dans le lexique comportemental par exemple), mais ne sont en général pas des êtres entièrement refermés sur eux-mêmes. Narcissiques parfois, comme Glenn Gould (le nom du personnage ne relève certainement pas du hasard, Baricco ayant d'abord œuvré comme musicologue), mais pas nécessairement inatteignables ou refermés sur leur corporalité.

Heureusement, en contrepoint, il faut noter la présence lumineuse, absolument ensorcelante, de Geneviève Beaudet en Shatzy. On sent d'emblée à travers son jeu l'empathie qu'elle peut entretenir pour son prochain, la réelle tendresse (mâtinée à un moment d'une certaine ambiguïté) qu'elle éprouve pour ce futur Nobel prisonnier d'un corps d'adolescent. Si l'imaginaire de Gould, qui se promène avec Diesel et Poomerang (Gabriel Doré et Paul-Patrick Hébert, efficaces), alter égos qui peuvent aussi se lire comme des projections de tous les marginaux qui hantent nos cités, est certes difficile à cerner par moments, celui de Shatzy et de son western (par moments plus proche du conte philosophique que du western-spaghetti) dispose certes d'un pouvoir plus attractif. Avec un plaisir presque coupable (malgré le statisme des scènes), on a envie de retrouver Closingtown, de voir le temps s'arrêter.

Il faut cependant admettre que la proposition perd parfois le spectateur dans ses méandres et qu'il aurait peut-être fallu éliminer certaines ellipses ou transmettre certaines informations autrement (grâce à l'écran peut-être, au potentiel non maximisé). Pourtant, quand on ouvre de nouveau le livre, on retrouve l'essence du propos, l'habileté des dialogues, la délicatesse de certains passages narratifs, la musicalité inhérente de la langue de Baricco, son amour des personnages improbables (son dernier-né, Mr Gwyn, fait assurément partie de ceux-là). Tout est là et pourtant pas tout à fait. On a l'impression que quelque chose nous échappe. City ferait-il partie de ces ouvrages que l'on pourrait considérer inadaptables? En même temps, on saisit parfaitement pourquoi on a souhaité relever le pari. On a hâte de voir quel univers improbable abordera la jeune compagnie le Théâtre des obnubilés de Nicole (le TON) la prochaine fois.

Jusqu'au 27 septembre sur la scène principale du Prospero.


jeudi 11 septembre 2014

La solitude d’un acteur de peep-show avant son entrée en scène

Le titre (d'une longueur un peu démesurée) peut décourager le curieux, qui imaginera un spectacle cru. Le propos de ce texte de Paul Van Mulder (qui incarne aussi le narrateur, seul en scène, dans une scénographie dépouillée) est pourtant ailleurs. Oui, le personnage se sert de son membre viril et d'une plastie sans doute avantageuse comme outils de travail. Oui, il sera question de performance, des partenaires de travail, des aléas du métier (l'homme lui aussi peut devenir objet), des miroirs derrière lesquels se dissimulent les spectateurs qui l'examinent sous chaque couture, se comparent, se désolent ou se consolent.
Il sera surtout question de dignité humaine, de rêves déchus. Comment peut-on retrouver l'essence de cet enfant blond qui courait sans souci sur la plage ou s'imaginer roi d'un jardin rempli des plus belles fleurs quand, quinze minutes par heure, on doit bander et assurer, en cette ère où la sexualité est devenue banalisée, mais surtout que le consommateur demeure roi, qu'il se présente d'abord comme un fan ou plus tard comme un abuseur pathologique.

D'une voix douce, le sourire aux lèvres, comme s'il nous confiait des choses sans importance, Van Mulder nous invite à découvrir un homme attachant, au fond semblable à des milliers d'autres, qui ne sait plus tout à fait comment canaliser sa souffrance, sa solitude, autant de manques qui le mèneront à la violence, d'abord lorsqu'il pense consoler une pauvre fille éplorée qui « chasse » dans un bar gay, puis quand il ne peut faire autrement que de sauver sa peau dans une situation malsaine.

Il pratique le sexe au quotidien, mais pourrait être caissier, professeur, retraité, n'importe quel individu qui doit contempler (sans jamais pouvoir entièrement l'accepter) la possibilité qu'il pourrait mourir sans argent, « la bouche ouverte sans que personne n'intervienne ». Une peur brute, viscérale, qui au fond n'a rien à voir avec le corps (de toute façon, celui-ci, un jour, ne sera plus d'aucun secours), mais avec l'âme. 

Un premier texte à la fois puissant et pudique, bien défendu par Paul Van Mulder, qui continue de hanter une fois sorti du théâtre.

Jusqu'au 20 septembre dans la salle intime du Prospero.

mardi 9 septembre 2014

L'album multicolore

« L’écrivain dans une famille, c’est celui par qui le scandale peut arriver. Chez nous, pas de meurtre, ni inceste, ni fraude, ni argent blanchi et déposé dans des paradis fiscaux. Seulement la vie, la vie qui laisse des cicatrices qu’on ne souhaite pas rouvrir. Impossible d’écrire si on ne s’aventure pas au cœur de ce qui nous a fait. J’ai toujours avancé comme une funambule sur le fil de la poésie. » 
Après le décès de sa mère, Louise Dupré décide de lui offrir un tombeau littéraire. Connaissant la verve poétique de l'auteure, on aurait pu s'attendre à une série d'aphorismes délicatement ciselés, de poèmes en vers libres ou de scènes toutes en demi-teintes. Elle a plutôt choisi de traiter de cette femme qu'elle a aimée de façon volontairement non balisée, comme si les souvenirs se déposaient l'un derrière l'autre, pas nécessairement de façon chronologique.

Le texte n'est pas tant alourdi par la nostalgie qu'imprégné d'une tendresse certaine, pour cette femme qui a souhaité le meilleur pour ses enfants, qui ne souhaitait pas être déracinée, même (surtout) à la fin de sa vie et qui, en adoptant un parti pris d'indépendance intellectuelle a permis à sa fille de trouver sa voie - sa voix.

On sort de la lecture avec l'impression d'avoir entrevu ce qu'a pu être cette femme, comme si on la fréquentait de loin en loin, qu'on la croisait à l'épicerie, au parc, conscient que le reste doit demeurer secret, que l'intime n'a pas besoin d'être dévoilé sur la place publique pour être perçu, compris et en réalisant que ce portrait fragmenté nous renvoie presque naturellement à l'image, forcément un peu trafiquée, que nous avons de notre mère, de notre père, qu'ils soient encore parmi nous ou disparus.

Merci à Topinambulle qui m'a offert ce livre lors de notre dernier swap.


samedi 6 septembre 2014

The Graduate: un distinct parfum de nostalgie

Que l’on ait vu le film une fois il y a des décennies ou ne le connaisse qu’à travers des extraits, tout le monde a un souvenir, plus ou moins diffus, de The Graduate et des éblouissants débuts au grand écran de Dustin Hoffman. Difficile, donc, de ne pas superposer sa propre vision de cette histoire emblématique à celle du metteur en scène, Andrew Shaver.
La production qui ouvre la saison du Centre Segal possède d’indéniables qualités : prestance exemplaire des acteurs ayant hérité de rôles de soutien (Graham Cuthbertson se révèle désopilant en réceptionniste d’hôtel), nouvelles chansons originales de Justin Rutledge et Matthew Barber particulièrement réussies qui prolongent l’essence des classiques de Simon and Garfunkel, scénographie astucieuse de James Lavoie qui favorise les transparences et intègre de nombreuses références à l’iconographie du film (dont l’aquarium et la croix lumineuse de l’église), projections intelligentes de George Allister et Patrick Andrew Boivin, costumes d’époque de Susana Vera qui, là aussi, font référence à des éléments du film (slip de Mrs. Robinson, pompons couvrant les seins de la stripteaseuse).
Pour lire le reste de ma critique, passez chez Jeu...
Jusqu'au 21 septembre au Centre Segal.

vendredi 5 septembre 2014

Le Noshow: essentiel

Le Noshow avait fait parler de lui lors de son passage au FTA, certes, mais rien ne nous prépare exactement à l'expérience unique qui sera vécue. Le concept de base est simple: permettre au spectateur de réaliser ce qui se cache derrière le prix d'un billet de spectacle et réfléchir à la condition d'artiste. Première étape: cocher sur un feuillet (dans l'isoloir) le montant que l'on est prêt à débourser. (Impossible de proposer un chiffre entre deux.) Après avoir payé à un guichet dont la vitre a été couverte d'un drap noir (histoire de ne pouvoir identifier les plus radins), on reçoit un billet anonyme.

Quand on entre dans la salle de l'Espace libre, on constate que la scénographie se résumera à une longue table de conférence (un praticable couvert de tissu noir), sur laquelle sont disposés des micros. Sept chaises pour les sept acteurs qui espèrent participer à la représentation car, oui, les recettes décideront de combien resteront. Mercredi soir, 1908 $ avaient été recueillis (une moyenne de 18,71 $ par spectateur), montant duquel il fallait retirer les frais de service de la billetterie (280,50 $), les salaires des régisseurs (500 $), les frais réguliers (300 $). Recette à verser aux acteurs au final: 615,52 $, donc de quoi donc payer trois acteurs (à 200 $ chacun). Une nouvelle collecte est organisée dans la salle, qui permettra l'ajout d'un quatrième participant. Les sept comparses se rendent ensuite dans une des loges et chacun disposera d'une minute pour vendre sa salade et attirer sympathie, intérêt ou fou rire (parfois les trois en même temps) du public. Un vote impitoyable suit (chaque spectateur textera ses quatre numéros « gagnants ») et trois acteurs retrouveront la tente installée dans le petit parc non loin du théâtre. Un léger malaise s'installe (on voudrait tous pouvoir les sauver), mais l'art ne naît-il pas nécessairement de la contrainte? À l'heure où les gouvernements sabrent allègrement dans les subventions aux arts (mais continuent de disperser leurs largesses dans d'autres domaines), est-il encore possible de compter sur le soutien de quiconque à part soi?

La production adopte la formule de l'assemblée générale, avec points à l'ordre du jour se voyant rayés d'un large trait rouge sur l'écran de projection quand l'acteur qui devait aborder le sujet n'a pas été retenu. Parfois, un autre prendra la relève et improvisera un résumé. À d'autres moments, on accepte que le portrait ne pourra jamais entièrement être présenté. À travers une série de numéros hautement performatifs, livrés de façon impeccable, le spectateur est invité à passer de l'autre côté du miroir (ou les artistes présents dans la salle, à se rappeler que, non, ils ne sont pas seuls à ramer dans la tempête). François Bernier répétera par exemple l'une des scènes de L'affiche de Philippe Ducros avec une spectatrice choisie au hasard dans la salle (plutôt convaincante, d'ailleurs), une dame dans la rangée derrière moi recevra un appel des trois « oubliés » (que l'on suit de temps en temps grâce à une caméra) qui, même s'ils n'ont pas le droit d'être sur scène, aimeraient être certains que leur geste de grève tournante n'a pas été vain. Florence Longpré livrera un discours de remerciement d'anthologie, qui égratignera au passage parents n'ayant pas compris la nécessité de soutenir leur fille et professeurs ayant décidé de profiter de son innocence. Hubert Lemire nous racontera comment il a dû se prendre un petit boulot de transcription légale et accepté un jour de remplacer son frère avocat lors d'une comparution. Quand on choisit de pratiquer un tel métier, malgré les écueils rencontrés, doit-on continuer de s'acharner?

Le Noshow pose les vraies questions, refuse les réponses toutes faites, mais surtout d'adopter un ton misérabiliste ou moralisateur. On réfléchit, certes. On s'arrête un instant et on se dit que, non, cela n'a aucun sens. On rit beaucoup aussi, grâce à un dosage particulièrement bien calibré de comédie et de drame. Aucun cynisme ici. Une volonté plutôt de rappeler au public ce qui fait la beauté - la nécessité surtout - du théâtre. À ne pas rater!

Jusqu'au 13 septembre à Espace libre

mercredi 3 septembre 2014

Les variations Burroughs

Il y a de ces livres qui vous prennent par les sentiments, presque de façon subversive, sans que l'on réalise entièrement sur le coup que l'on est en train de faire une rencontre, réelle, avec une plume unique, aux couleurs chatoyantes. Les variations Burroughs est l'un de ceux-ci. 

Récit de vie, récit d'écriture, ce livre de Sylvie Nicolas plonge au cœur même du geste, de sa naissance, de ses premiers balbutiements. Quand commence-t-on? Pourquoi ne peut-on pas s'empêcher de le faire? Une femme écrit, se raconte, évoque son passé, ses frères, sa mère et sa grand-mère, un amour déçu, autour duquel s'articule ces « variations », thème jamais entièrement énoncé (comme celui des Variations Enigma d'Elgar), tout comme reste volontairement floue la figure mythique de William Burroughs, spécialiste du cut-up (technique que Sylvie Nicolas maîtrise assurément), accusé de l'homicide involontaire de sa femme.

L'auteure possède un indéniable souffle poétique, une sensibilité souvent musicale, une façon de traiter les images de façon magistrale. Malgré la tristesse que l'on perçoit en filigrane (décès, départs, arrachements), il se veut surtout un immense hommage à la vie, à ces instants faits de presque riens (comme cette valise qui contenait tant d'inutiles trésors jadis) qui, au bout du compte, sont les seuls qui comptent.

« Si j’en avais eu la force, je t’aurais confié que l’écriture est en moi comme une enfant infirme, maintenue dans l’obscurité. Elle ne sait pas marcher. Ne sait pas parler. Elle est aveugle, sourde et muette. Sans destinée. Sans chemin. Elle craint ce qui l’entoure, se cambre, se rebelle, s’effondre. Elle est sauvage, animale, captive d’elle-même. Si elle était un personnage, elle serait Helen Keller. Elle avance à tâtons, se cogne partout, hurle, renverse ce qu’elle touche, fracasse ce qui l’entoure, se débat et retourne se blottir sous une table ou dans un coin. »

Lu dans le cadre de Québec en septembre, à suivre chez Karine...