lundi 7 juillet 2008

La Quatorzième Valse

Depuis mon retour de voyage, j'ai (trop) peu lu de romans. Des rénovations massives à l'étage (et, pour la première semaine, un « retard » à rattraper côté boulot) m'ont empêchée d'avoir suffisamment d'espace mental pour me replonger dans ce livre entamé dans l'avion au retour (et, oui, acheté à Paris sur une pure impulsion). La Quatorzième Valse d'André Tubeuf, vous l'aurez deviné par le titre, est un roman musical. En fait, il est plus que cela puisque l'auteur (collaborateur de nombreuses publications classiques prestigieuses) signe ici ce que certains pourraient appeler une « biographie romancée ». En fait, non, le terme serait très mal choisi puisque Tubeuf se concentre exclusivement sur les dernières semaines de la vie du pianiste roumain Dinu Lipatti, décédé à l'âge de 33 ans en 1950.

Il se glisse dans l'esprit du pianiste qui partage avec nous ses pensées sur certaines des œuvres qu'il travaille mais aussi, bien sûr, sur la place qu'occupe la musique dans sa vie (mais aussi le silence), sur sa résignation face à ses forces vitales qui le fuient, sur son enthousiasme face à l'enregistrement de son mythique dernier opus, sur l'importance des « anges » (ces êtres chers qui nous entourent mais aussi ces presque inconnus qui nous aident à avancer). Impossible pour moi de dévorer ce livre puisque, entre chaque page, chaque phrase, je souhaitais m'arrêter, laisser décanter l'information, me laisser imprégner par la musique de Lipatti mais aussi celle des mots de Tubeuf qui privilégie ici une écriture légèrement surannée mais aussi précise qu'une phrase musicale parfaitement maîtrisée.

Au fil des pages, on avance toujours plus profondément dans la psyché de Lipatti (très peu d'information est disponible sur cet artiste immense et l'auteur a ici eu la part belle pour imaginer ces dernières semaines d'une vie consacrée à la musique). « J'ai trop joué dans ma tête, ces dernières semaines, à faire comme si les conditions de la vraie présence, en musique, pouvaient être changées. Ici, maintenant, on va retrouver la vérité première. Eux, vraiment présents, et moi, dans le cercle de craie. Indissociables. Comme un, pour le meilleur et pour le pire. Comparution. » (p. 133) Plus on se rapproche de l'essence de son être (fût-elle pure projection de l'esprit de Tubeuf), plus on entend les œuvres évoquées, notamment les transcriptions de chorals de Bach que Lipatti privilégiait comme rappel lors de ses concerts. « Ne serait-ce que pour eux je devrais y aller. Mais très au-delà d'eux, hors de ce lieu, hors de ce temps aussi, s'il m'en reste encore un peu, je voyais les vrais autres interlocuteurs, ceux qui au monde n'ont plus rien à faire qu'attendre, et entendre. Attendre de l'eau, entendre rien qu'un choral. Ceux pour qui je voudrais dévouer ce qui me reste d'énergie et de vie pour être à leur chevet, moi qui suis l'un d'eux mais, à la différence d'eux, détiens un peu de l'eau qui fait vivre. Disposer d'une sorte d'ubiquité, même s'il faut la payer de son propre corps, le temps d'un choral de Bach. Leur apporter la consolation dont je porte en moi-même le trop-plein, moi qui n'ai plus que ça au monde. » (p. 137) En nous rapprochant de la musique, de la vérité, en « traduisant le silence »André Tubeuf a réussi magistralement à restituer l'esprit de Lipatti. Après cette lecture, tout mot devient superflu, il faut laisser parler la musique. « La musique est la respiration de Dieu. Je ne sais pas, personne ne sait, si Dieu existe. Mais Il est musicien, cela je le sais. Et ça explique tant de choses qui restent des mystères: la tension et la dissension, et Babel, et la guerre. Et la douleur. Et l'harmonie. Et cette vibration, terrible et douce, jusqu'au dernier suspens, jusqu'au dernier soupir. Dieu traduit du silence. » (p. 152)

Je vous propose donc ici, prolongement naturel, un enregistrement de la transcription du choral « Jésus, que ma joie demeure » interprété peu de temps avant sa mort par Lipatti (repris deux fois sur le vidéo pour une raison mystérieuse) puis de la Sicilienne tirée de la Deuxième Sonate pour flûte.



Une autre critique du livre ici.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup la dernière citation... j'aime beaucoup l'idée que Dieu, même s'il n'existe pas, est musicien. Tout est dit. Il n'y a qu'à se taire...

Lucie a dit…

Merci pour ces précieux renseignements!