Photo: Paolo Roversi |
Toujours
perclus de tics, adossé dans sa chaise et le corps courbé sur l'instrument, le
regard un peu vague quand il entre en scène, David Fray continue d'évoquer physiquement
Glenn Gould, mais la ressemblance s'arrête là, le pianiste français privilégiant une
approche disons plutôt romantique des œuvres de Bach – comme les aurait relues
Busoni par exemple. (Il ne faut sans doute pas se surprendre que Fray ait
choisi Nun komm, der Heiden Heiland de Bach-Busoni en bis.) La sonorité se veut certes plus
orchestrale que fidèle à celle du clavecin, mais cela ne choque en rien, tant
la compréhension des multiples strates du texte relève de l'évidence. La nature
percussive de l'instrument disparaît au profit d'un traitement des couleurs, des
passages de la Toccate en mi mineur rappelant indéniablement
certains des gestes de l'opéra baroque. On regrettera tout au plus que la
dernière section de la même toccate ait été un peu trop traversée par la
pédale, nous privant en partie du plaisir purement digital que l'on souhaiterait
associé au genre.
Dans
la Partita en mi mineur, dont le
premier mouvement devenait de façon assez habile prolongement de l’esprit de la
toccate qui l’avait précédée, le musicien a fait preuve d’un véritable travail
d’orfèvre sur le phrasé, la résolution de chacune des tensions harmoniques se révélant
parfaitement contrôlées. L’élément de danse inhérent à chacun des segments demeurait
très présent, même si la courante (comme celle de la Partita en do mineur d’ailleurs) s’est trouvée bousculée
à la limite de l’intelligibilité. Alors qu’il avait su démontrer une poésie
étonnante dans tous les passages pianissimo
– souvent sublimes de beauté retenue –, Fray ne m’a curieusement pas convaincue
dans ses Sarabandes, la douleur poignante du texte étant occultée par une
impression de vouloir rester sciemment en retrait de la charge émotive du
texte.
Après
une Toccate en do mineur réussie,
particulièrement dans la dernière section, l’interprète français a opté pour
quelques choix de tempos intrigants dans la « Sinfonia » de la Partita
de même tonalité. Refusant une opposition tranchée entre l’introduction et la
première section (qui devenaient ainsi plus complémentaires que contrastantes),
il a ensuite explosé dans la troisième section, laissant l’auditeur à bout de
souffle. Si l’ensemble semblait se tenir d’un seul montant dans la première
partie, cette fois, on avait parfois l’impression de rentrer et de sortir de la
Partita, certains choix séduisant franchement (magnifique travail sur le « Cappricio »
notamment) et d’autres paraissant plus tirés par les cheveux. Ayant moi-même
travaillé cette Partita, j’admets d’emblée des vues disons plus arrêtées sur
certaines articulations ou nuances. Néanmoins, même quand certaines décisions
ne me convainquaient pas, j’avais la certitude d’être mise en face d’une
véritable interprétation, m’ayant permis de concevoir autrement certains des
rouages de l’œuvre.
Trop
peu d'artistes aujourd’hui nous questionnent de la sorte quand nous allons au
concert; je continuerai de suivre le parcours atypique de David Fray avec
attention.
Le programme du concert proposé hier à Montréal, donné l'année dernière à Budapest.
Je l'ai justement vu et écouté hier, dans le même programme, sur la chaîne musicale Mezzo. Une interprétation qui ne m'a pas laissée indifférente, comme une relecture de "mon" Bach... Je ne dirais pas que j'ai été tout à fait convaincue, mais c'est peut-être à cause de l'image du pianiste, qui "parasitait" un peu ma réception de la musique (trop de gros plans sur son visage crispé, ses doigts tremblants). Je vais écouter un enregistrement pour me faire une idée plus objective...
RépondreSupprimerDéjà, la vidéo que j'ai inclus n'a que la partition qui défile à l'écran. C'est en effet moins parasitant.
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