Journée fertile en émotions hier mais surtout en énergie positive. En juillet dernier (n'était-ce pas plutôt avant-hier?), j'avais reçu une invitation d'une société chorale de l'Ouest de l'île, Sympholies vocales, pour donner une conférence pré-concert axée sur Mozart. Comment résister à l'appel de partager mon amour viscéral du compositeur avec d'autres? En plus de la conférence, j'avais aussi pour mission de présenter les oeuvres du concert et j'ai également proposé la rédaction de brèves notes de programme.
J'avais rencontré le choeur (j'ai d'abord écrit « coeur », geste que je m'explique sans peine) le 2 octobre dernier lors d'une présentation sur Mozart aux choristes, histoire de les convaincre de plonger dans cette folle aventure: travailler des oeuvres que plusieurs considéraient au-dessus de leurs moyens. Dès les premiers instants, j'ai été séduite par la connivence qui existait entre les membres du choeur dont plusieurs membres se revoyaient pour la première fois après les vacances estivales. Les formules de politesse semblaient inutiles, la joie de se revoir balayant tout.
Je retrouvais le choeur hier, lors de la générale d'abord. Une certaine fébrilité est déjà perceptible dans l'air, teintée d'une légère inquiétude. On n'aborde pas un tel répertoire sans crainte. Quelques choristes n'hésitent pas à me demander à la pause mon opinion « objective ». Nous, musiciens professionnels, habitués (mais s'habitue-t-on jamais?) à fréquenter les univers parfois intimidants des génies, aurions tout avantage à instiller cette crainte révérencieuse mêlée d'enthousiasme à notre lecture de ces oeuvres maîtresses. Malgré quelques problèmes de justesse occasionnels, l'énergie des choristes est palpable, les regards sont allumés, les sourires présents, on peut presque toucher du doigt le plaisir de faire de la musique ensemble, comme si c'était la première fois.
Après un aller-retour express vers la ville (merci à mon chauffeur, choriste entousiaste!), je retrouve les lieux, l'église St. Thomas à Becket, à l'architecture certes un peu inusitée mais néanmoins fort conviviale, l'église étant reliée d'un côté à la salle paroissiale (lieu de la conférence) et de l'autre au presbytère. La présidente du choeur m'avait annoncé qu'elle attendait tout au plus une soixantaine de personnes à la conférence pré-concert. Malgré l'heure hâtive (18 h 30), les gens se pressent, salués par un portier bien particulier, habillé en culotte aux genoux et redingote de l'époque mozartienne. Je livre ma présentation, devant une salle pleine, dans un silence quasi religieux. Des rires fusent de temps en temps, des soupirs ponctuent la lecture de certaines lettres de Mozart, l'émotion passe visiblement quand j'interprète au piano un extrait du « Laudate Dominum » des Vêpres solennelles d'un confesseur et de l'Ave Verum, joyaux incontestables, d'une perfection exceptionnelle. On sent le public prêt à découvrir les oeuvres, « pour vrai » et à se laisser emporter.
Je retrouve les choristes à l'« arrière-scène ». Le mot d'ordre: calme et relatif silence, histoire de protéger ces voix non professionnelles. Quelques instants avant d'entrer en scène, le choeur se retrouve, soudé, doigts entremêlés, cercle humain qui, les yeux fermés, se laisse guider par les indications prononcées d'une voix rassurante, sotto voce, par le chef de choeur, Yvan Sabourin. Il parle de respiration, de justesse, de projection mais surtout du plaisir de chanter ensemble, de partager avec le public leur amour du répertoire, de confiance. Mozart n'avait-il pas noté sur le livre d'or de son ami Gottfried von Jacquin le 11 avril 1787: « Ni intelligence élevée, ni imagination, ni toutes deux ensemble ne font le génie. Amour! Amour! Amour! Voici l'âme du génie! »
La première partie est teintée d'une certaine nervosité. Un dérapage potentiellement fatal dans les Nocturnes (justement écrits comme cadeau pour la famille von Jacquin) est rattrappé de main de maître par le chef. Juste avant la pause, on salue trois choristes, membres du choeur depuis 20 ans, visiblement touchées de l'attention. Pendant l'entracte, l'une des violonistes de l'orchestre de chambre divertit les choristes avec des extraits de mélodies connues tels le célèbrissime Czardas de Monti et même quelques reels québécois.
La deuxième partie sera toute autre. Tous ont visiblement décidé de travailler sans filet. Dès les premières notes de l'Ave verum, je ferme les yeux et me laisse envelopper par le son. Les chromatismes me font frémir, témoins discrets des tourments qui habitent Mozart, qui ne sait pas encore que son talent sera enfin reconu dans quelques mois (mais trop tard), lors des représentations de sa Flûte enchantée. Je tente de me rappeler l'époque où je faisais moi-même partie d'un choeur et fondais ma voix à celle des autres dans cette oeuvre sublime mais me laisse plutôt porter par l'émotion.
Les solistes rejoignent le choeur pour les Vêpres. Comment un Mozart brimé par l'austère Colloredo, révolté par son statut de domestique, a-t-il réussi à transcender sa hargne en une oeuvre aussi sublime et aussi achevée? Je jette un oeil vers le public, particulièrement attentif, visiblement touché. Les regards sont lumineux, parfois voilés (beaux moments d'intensité), les sourires s'esquissent. L'ombre de Mozart plane sur tous. La réponse est unanime, vibrante: le public se dresse d'un seul geste sur ses pieds, désireux de saluer le travail acharné des choristes mais aussi peut-être de rendre un hommage par-delà les siècles à ce génie créateur. Comment peut-on répéter ad nauseam que la musique classique se meurt, qu'elle n'est plus pertinente aujourd'hui?
Merci Sympholies vocales, merci Mozart, merci la musique d'avoir irrévocablement changé ma vie!
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