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jeudi 29 novembre 2007

Triumvirat

Il y a trois hommes dans ma vie de musicienne, trois compositeurs qui me séduisent depuis des années, trois artistes complets qui m'inspirent: Mozart, Schumann et Debussy. Bien sûr, je les ai trompés à l'occasion avec d'autres, au fil des ans, des oeuvres, des états d'âme. Comme tous les pianistes, j'ai eu mon béguin Chopin, très adolescent. J'ai fini par m'en lasser, l'ai délaissé puis y suis revenue, par choix, par conviction. Plus récemment, il y a eu Beethoven, surtout ses sonates. Je l'avais tant boudée quand j'étais plus jeune, par dépit, par envie, peut-être. Assez récemment, j'ai accepté d'entendre ce qu'il avait à me confier, mieux, de l'écouter, de le faire mien. Il y a eu Bach aussi, un autre amoureux éternel d'une certaine façon qui m'édifie à chaque fois que je le joue, qui réussit à tout me faire oublier, par peur de déraper, de rater un joyau. Je l'apprécie énormément mais lui et moi, ce n'est pas fusionnel. Il y a eu Satie aussi, qui me fait rire aux éclats à tout propos, que j'adore croiser au détour d'une phrase elliptique inscrite au coeur d'une partition, dont la fluidité m'enchante, toujours un peu à côté de la plaque. Il y a eu Stravinski aussi mais, ça, ça ne compte pas vraiment, je l'apprécie en auditrice, pas en interprète (je n'ai encore jamais osé me frotter à la version piano de Petrouchka).

Mais je reste profondément attachée à mes trois amours. J'ai déjà expliqué ici ma connivence avec Mozart, dès la première semaine de ce blogue. Si Mozart m’a d’abord été révélé par sa vie (que j'écoutais avec ferveur grâce à mon disque de la collection Le petit ménestrel), j’ai plongé dans la musique de Schumann tête première, bien avant de connaître Eusebius, Florestan, Raro, les Compagnons de David, les Philistins, Clara. L’Album pour la jeunesse a succédé, dès ma deuxième année d’apprentissage, à ma méthode de débutants. Je n’ai qu’à prendre ma partition pour me replonger plusieurs années en arrière. La couverture, où trône encore mon nom écrit en lettres enfantines, est en deux sections rapiécées; les pages sont jaunies. Sur certaines se retrouvent des doigtés. Dès qu’une des pièces était terminée, une autre était aussitôt amorcée. Plus tard dans mon apprentissage, j’ai découvert la Romance en fa dièse majeur (fallait-il que je trouve l’œuvre belle pour me persuader de jouer une œuvre avec six dièses à la clé et toutes ces altérations accidentelles!) puis de nombreuses Novelettes. À 17 ans, ce sera la révélation du Quintette avec piano alors que, lors d’un séjour de trois semaines en camp musical, je fais de la lecture à vue avec un quatuor à cordes. Ce sera un coup de foudre irrévocable, une de ces œuvres qui marque une vie et qui, chaque fois que je l’entends, continue de m’interpeller comme si c’était la première (mon rêve reste de l’interpréter au concert, ne serait-ce qu’une fois…). Il ne faut pas non plus oublier les Dichterliebe (L’amour du poète), un sommet inatteignable, le Carnaval, que j’ai interprété lors de mon récital de fin de maîtrise, et les Papillons.

J'ai réalisé ce soir que, au fond, ces trois êtres m'interpellent profondément peut-être en grande partie parce qu'ils ont tous trois dansé une valse-hésitation entre musique et écriture. Mozart a signé plus de 1000 lettres, parfois ludiques, parfois déchirantes. On y retrouve des critiques musicales absolument cinglantes (on peut imaginer qu'il n'avait que peu de respect pour les petites musiques et les musiciens qui les produisaient), d'autres qui témoignent de son enthousiasme. Schumann possède une grande maîtrise non seulement du langage musical mais aussi littéraire. Ses articles dans la Neue Zeitschrift für Musik sont des pièces d’anthologie, d’une grande finesse, que la journaliste en moi ne peut qu’admirer. Ses hésitations, alors que jeune adulte, il oscille entre la musique et la littérature, me parlent aussi éloquemment que sa musique. « J’ai maudit le destin. Mais maintenant que je puis méditer sur tout cela, j’embrasse toutes choses dans leur ensemble et je reconnais clairement que le Destin a bien fait ce qu’il a fait. Je n’étais qu’une vague bouillonnante et je m’écriais : “Pourquoi faut-il justement que ce soit moi qui soit ainsi déchiré par la tempête?” Mais la tempête se calma et les flots retrouvèrent leur limpidité. Je vis alors que cette poussière qui recouvrait le sable lumineux avait été entraînée, et pourtant elle demeurait en suspens sur le sol lumineux. Des certitudes et des idées sur la vie prirent corps en moi; je vis alors que j’étais devenu plus clair pour moi. » (La Vie du chasseur, 1826) Debussy a signé sous le pseudonyme de Monsieur Croche des textes particulièrement incisifs mais qui démontrent néanmoins sa profonde compréhension du médium. Lui qui avait souhaité être peintre et avait tâté un peu de la poésie ne pouvait que se sentir interpellé par l'impressionnisme et le surréalisme, ces mouvements qui rêvaient d’une fusion des arts. Il désirait abolir les barrières du langage pour en faire ressortir les correspondances. « Mais, sapristi, la musique, c’est du rêve dont on écarte les voiles! Ce n’est même pas l’expression du sentiment, c’est le sentiment lui-même », s’insurgeait-il d’ailleurs dans une lettre datée du 9 septembre 1892. Union des arts, des genres, des publics, des époques... Pas si surprenant qu'ils continuent de combler mon petit côté idéaliste...

Pour vous laisser en musique, le premier mouvement du Quintette de Schumann:

3 commentaires:

  1. "Kresileriana" et les "Phantasiestücke" sont les cycles que j'ai probablement le plus joués dans ma vie...Ensuite viennent les "Préludes" de Debussy...Deux mondes apparemment si éloignés. Je me suis toujours demandé s'ils étaient apparentés d'une certaine façon parce qu'ils m'ont moi aussi interpellé tous deux de façon toute spéciale. Je n'ai pas trouvé la réponse...

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  2. je les aime passionnément tous les trois aussi. Mozart, tendresse et ferveur melées et son absolue sincérité, Schumann, la passion et les changements d'humeur, Debussy, pour la création d'atmosphères et le coté visionnaire, la poésie.

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  3. Cette connivence entre nous s'explique peut-être bien par là aussi...
    Je me méfie toujours des musiciens qui me disent qu'ils n'aiment pas Mozart ou Schumann. Souvent, ils ont peur de faire face à leurs émotions dans la « vraie » vie...

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