Ce matin, à l'invitation d'un ami, j'ai assisté à un concert sons et brioches. Non, je ne parlerai pas en phrases pâmées de la musicalité de l'artiste, de sa présence scénique, de sa transcendance (pour ça, vous pouvez relire mes compte-rendus des concerts de Brendel ou Lupu). Au contraire. En fait, si j'avais eu à revêtir mon habit de critique (je l'ai remisé au vestiaire pour quelques jours), j'aurais été obligée de parler de ses légers blancs de mémoire, de m'attarder au manque de projection du son, à la rigidité de ses bras, à ses lacunes pianistiques perceptibles mais surtout à son manque d'abandon évident. Mais le propos est tout autre.
Cette pianiste (dont je tairai le nom parce que, heureusement, son histoire n'est pas unique) est en fait une pianiste amateure, dans le sens noble du terme, « qui aime », avec passion, de façon démesurée. En exposant pendant quelques minutes son parcours assez atypique tout de même, elle a d'ailleurs mentionné que, pour elle, la musique était une drogue (et elle a repris le terme plus qu'une fois). Comme plusieurs jeunes pianistes, elle a travaillé fort, participé à de nombreux concours, en a même remporté quelques-uns avant de bifurquer entièrement et d'opter pour une carrière d'analyste financière de haut vol (elle continue d'ailleurs d'exercer ce métier, en tant que consultante). Pendant 17 ans, elle a fait taire la petite voix qui devait bien lui rappeler périodiquement qu'elle était pianiste. (Je reste persuadée que l'on ne peut jamais entièrement faire taire cette fameuse petite voix, quoi qu'il arrive; quand on est musicien ou même artiste, on l'est pour la vie, je peux en témoigner.)
Et puis, un jour, elle en a eu assez sans doute de l'entendre la narguer: elle a cédé. Elle a réouvert ses cahiers, s'est assise au piano de nouveau pendant de longues heures, a essayé de rattraper le temps définitivement envolé (quoi qu'elle puisse faire à partir de maintenant, ces années sont irrémédiablement perdues et il faut l'accepter). Elle a fait retravailler des groupes de muscles sans doute oubliés (sans qu'il n'y paraisse, le piano est un instrument physique), a dû réapprivoiser ses réflexes de lecture (plus facile à dire qu'à faire), a eu à relever ses manches (je peux imaginer sans peine qu'elle a dû connaître des périodes de découragement) mais elle a continué, parce qu'elle ne pouvait pas faire autrement. Elle a monté un programme de concert (qui contient des lacunes mais le prochain sera sans doute plus équilibré, surtout si elle sait s'entourer de conseillers éclairés), l'a travaillé, l'a rodé, y a rêvé la nuit, y a cru, suffisamment pour oser le présenter en public (ce qui n'est pas rien, je peux vous l'affirmer sans hésiter) et a même participé à un concours de piano pour amateurs (elle s'est classée troisième).
Quand elle a expliqué son parcours, elle nous a confié qu'elle avait besoin de vivre en quatre dimensions (Non, elle ne nous a pas ensuite servi un truc psycho-pop!) et que, selon elle, le piano les englobait tous: la satisfaction intellectuelle (oui, la musique requiert une bonne dose d'intellect), l'élément émotif (évidemment), le côté purement physique (comme les sports, le piano peut certes libérer une certaine dose d'endorphine) et l'élan créatif (venant de quelqu'un qui travaille en finances, vous admettrez que cette conclusion a quelque chose de profondément rassurant). Elle a aussi confié qu'elle avait l'impression que nous vivions dans un monde de plus en plus violent (« Peut-être est-ce parce que je vieillis », s'est-elle presque excusée) et que de pouvoir côtoyer la beauté sur une base quotidienne la comblait à plus d'un niveau.
Nombre de mes collègues professionnels auraient vilipendé le concert de ce matin. Ils n'auraient rien compris de l'essentiel du propos (comme c'est souvent le cas). Le pouvoir de la musique réside ailleurs et c'est tant mieux. Moi, j'ai entendu son message (même si elle ne le sait pas) et je le laisse doucement décanter en moi.
La musique est avant tout un état d'esprit et d'être, avant d'être une "performance". Et avec ta sensibilité et ton ouverture, tu l'as fort bien compris...
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord avec le fond de ton propos. Tout à fait. Je veux te parler de la forme que j'ai trouvé sympathique. Ton dialogue.
RépondreSupprimerUn dialogue de toi avec tes parenthèses.
Bonsoir Michel,
RépondreSupprimertu ne saurais si bien dire... ce qui fait qu'un amateur peut émouvoir parfois plus qu'un professionnel dont la passion se serait malheureusement éteinte...ou qu'un professionnel clownesque à la Lang Lang...
@ A. Mateur ; Bravo ! Votre commentaire est pertinent et votre nom m'a déjoué ... une naissance à propos.
RépondreSupprimerMichel: merci de m'y avoir amenée!
RépondreSupprimerVenise: oui! c'est vrai, ce dialogue avec moi-même... j'ai peut-être abusé légèrement des parenthèses! ha! ha!
A. Mateur: bienvenue! Tu sais ce que je pense de M. Bang Bang! ;-)
A. Mateur: oui...Je suis souvent davantage touché par la sincérité et la ferveur d'un amateur que par la perfection souvent froide de certains professionnels...Quand on fait de la musique pour les vraies raisons (ou pour les mauvaises), ça ne ment pas!
RépondreSupprimerC'est rassurant d'entre cela Michel, donc je peux aspirer à jouer un peu plus en public ;0)
RépondreSupprimerAndré
Michel, je voulais bien sûr dire : "entendre", simple coquille à force de taper trop vite...
RépondreSupprimerA.
C'est très louable de ta part d'écouter l'âme d'une personne avant tout avec le savoir dont tu disposes. Tant de personnes ne peuvent s'exprimer vraiment, traumatisées par un soi-disant échec (encore faut-il par rapport à quoi?)alors que quelques mots, un regard différent peut les détendre et les ramener au centre qui est la musique elle-même?
RépondreSupprimerC'est beau de réaliser son rêve comme çà.
Tout ce que tu dis me parle très fortement. J'admire aussi la façon que tu as de laisser de côté le regard critique et professionnel pour ne voir que le sentiment, la passion, l'envie créatrice. En tant qu'amateur plus qu'amateur, quand je prend un instrument en mains, je recherche surtout cette passion, ce plaisir... et l'indulgence de ceux qui écoutent
RépondreSupprimer;0)
J'adore ce commentaire... je préfère 1000 fois le sentiment à la perfection (mais, bien entendu, je n'ai pas ta connaissance technique et musicale... c'Est plus facile!). Quand j'entends quelqu'un qui aime jouer, c'est rare que je n'aime pas.
RépondreSupprimerAu fait, qui est Lang Lang?
Karine: langlang.com
RépondreSupprimerL'un de ces pianistes chinois prodiges, produit de marketing, qui joue plus vite que son ombre mais manque selon moi de profondeur... mais c'est une vedette...
Merci pour la précision... son site ne veut pas s'ouvrir de chez moi... on va dire que c'est un signe du destin!!! ;)
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