Contrairement à il y a quatre ans où j'avais avalé le concours comme on dévore un repas fastueux, presque jusqu'à l'indigestion, je suis restée relativement en retrait des premières épreuves, préférant la flexibilité de la technologie à l'écoute en salle, sauf à deux reprises. Pourtant, je me suis dit qu'en finale, je serais dans la salle, histoire de ne pas laisser mon esprit dériver lors d'une écoute radiophonique. (Difficile dans une maison dans laquelle on ne vit pas seule de s'isoler entièrement...)
La première soirée s'amorçait hier avec le candidat canadien Sergei Saratovsky (né en Russie, il étudie depuis quelques années dans l'Ouest canadien), qui avait offert en demi-finale un assez réussi Gaspard de la nuit et un rafraîchissant Butterflies and Bobcats de David McIntyre. Dans son « Empereur » de Beethoven (qui, clin d'œil du hasard, était joué presque simultanément dans la Salle Wilfrid-Pelletier par Till Fellner et l'OSM), Saratovsky a connu quelques flottements rythmiques et des imprécisions suffisamment fâcheuses pour que la lecture du premier mouvement en soit vaguement entachée. Les gestes amples, un peu caricaturaux, avec lesquels il arrachait ses accords, n'ajoutaient pas non plus quoi que ce soit à la qualité du son ou même au plaisir du spectacle. S'il a démontré le moelleux de son toucher et une belle fluidité des double-croches dans le deuxième mouvement, il n'a pas su porter le souffle suffisamment loin pour en extraire le lyrisme sublime de ces pages. On cherchait une direction, un sens, une profondeur, à tout ça. Le troisième mouvement a été lancé avec une belle énergie mais à laquelle manquait le caractère dansant inhérent à la partition. Là aussi, on aurait souhaité un peu plus de liberté dans le geste musical et dans l'attitude.
L'Américaine Sarah Daneshpour s'est ensuite avancée avec confiance, sous les bravos déjà conquis du public, qui attendait goulûment le célébrissime Concerto de Tchaïkovski. L'Orchestre métropolitain du Grand Montréal a clairement démontré ici quelques lacunes. Si les cordes étaient le plus souvent somptueuses dans les fortissimo, le synchronisme des pizzicati était déficient. Les vents n'ont certes pas ébloui, une trompette rentrant faux une mesure avant le temps (on ne parle quand même pas de musique contemporaine, ici!), la justesse d'intonation en général laissant grandement à désirer. Malgré les embûches semées sur son parcours par l'orchestre, la candidate s'est avérée d'une solidité exemplaire mais dénuée d'une certaine poésie. Les accents étaient le plus souvent percussifs (je l'aurais mieux imaginé dans Prokofiev), elle travaille très fort pour extraire le matériau de la masse, pousse le son dans les accords. Son deuxième mouvement était bien éloignée de la rêverie proposée par Tchaïkovski le mélodiste. Dans le dernier mouvement, les phrases manquaient de direction et on sentait, là aussi, un souci de s'arrêter à chaque incise du discours musical plutôt que de transmettre les subtilités inhérentes à la longue phrase.
Le Japonais Masataka Takada m'avait horripilée en demi-finale, jouant deux Scarlatti presque kitsch de contorsions et des Estampes de Debussy suffisamment incohérentes pour que je considère quitter son récital en plein milieu, avant la Sonate en si mineur de Liszt (mieux réussie). Je cherche encore ce que le jury a cru déceler dans son jeu. Il avait décidé de jouer le tout pour le tout en finale, proposant le particulièrement casse-cou Deuxième Concerto de Prokofiev. Malgré ses airs et grimaces franchement exagérés et ses cheveux dignes d'un Ken asiatique, il a su nous énoncer les thèmes du premier mouvement avec un certain lyrisme et a démontré une solidité exceptionnelle dans la cadence foudroyante. J'aurais souhaité un deuxième mouvement plus sardonique, presque machiavélique, moins propre et parfait. Les traits du troisième mouvement, si parfois un peu aseptisés, ont été présentés avec une remarquable fluidité et une belle précision de l'articulation. Sera-ce assez pour convaincre le jury? Souhaitons que non. De grandes choses pourraient être accomplies par la jeune candidate arménienne ce soir, Nareh Arghamanyan, dont le sens de l'architecture et la poésie ont ébloui jusqu'ici.
Pour vous démontrer que toute écoute est question de perception, vous pouvez lire ici les critiques de Claude Gingras de La Presse et Christophe Huss du Devoir qui, tous deux, encensent Sarah Daneshpour.
On peut suivre le dernier segment de finale ce soir à 19 h 30 (heure de Montréal) sur Espace musique et CBC Radio Two ou sur le site Internet de Radio-Canada.
J'ai écouté Takada dans son quart de finale et j'avais été bien surprise de le voir passer en demi-finale, ça ne m'avait pas du tout touchée. (Wow, quel argument de poids comparativement à ton analyse!!!; ) J'espère que tu me pardonneras ça!)
RépondreSupprimerQuant à Daneshpour, a-t-elle joué la première ballade de Chopin dans la compétition? J'avais "bien aimé" cette pièce, sans que ce soit ma version préférée... mais bon, je suis tellement vendue concernant cette oeuvre que j'aimerais à peu près n'importe quoi!