J'ai dû mener une bonne vie puisque j'ai lu coup sur coup trois excellents livres, dont je vous parlerai peu à peu. Il faut dire que j'ai un peu de difficulté à me poser récemment, ayant accepté un contrat d'intérim pour trois semaines. (Je n'aurais pas dû, mais, bon, il est trop tard pour reculer, maintenant, je vais m'assumer comme une grande.) Mais au fil des jours, ces livres ont continué de m'habiter, pour une raison ou une autre, ce qui est signe que la lecture a été fertile.
Premier en lice, Le sixième crime de Sébastien Fritsch. Il faut d'abord que j'explique qu'il y a une histoire derrière cette lecture. En effet, ce livre m'a été remis en main propre par Sébastien et il l'a dédicacé devant moi, un soir frisquet de juin (j'aurais aussi bien pu écrire octobre ou novembre, considérant la météo ce jour-là), alors que je passais un 24 heures éclair à Lyon. Je possède le statut enviable (et que je revendique) de première lectrice québécoise de l'auteur, puisque son premier roman, Le mariage d'Anne d'Orval, avait traversé l'Atlantique dans les bagages d'un couple ami venu prendre part à un mariage à Montréal avant de m'être remis. Depuis, j'ai appris à mieux connaître Sébastien et, forcément, ma lecture ne peut qu'en être teintée (et, au fond, c'est tant mieux).
Le sixième crime a été identifié par l'éditeur « policier » et je trouve bien dommage cette nécessité d'apposer une étiquette sur un produit parce que, ici à tout le moins, elle nous fait faire fausse route. (« Thriller psychologique », par exemple, m'aurait semblé plus approprié, même si pas entièrement concluant non plus.) Oui, d'accord, l'un des personnages de cette histoire est un policier, le commandant Jérôme Babalnic, qui enquête sur cinq crimes particulièrement crapuleux, inspirés par les livres de Jacob Lieberman, auteur qui semble s'être évaporé un bon matin. Notre policier, dangereusement cultivé, au langage particulièrement recherché (on est loin des privés de série B), est venu questionner Lex, « le » grand écrivain de la deuxième moitié du XXe siècle, qui vit entièrement reclus. Après un bon souper, les langues se délient et il révèle que, oui, il n'est autre que le mystérieux Lieberman. On plonge alors dans un intense huis-clos entre Lex, complètement déconnecté de la réalité (il n'a lu aucun livre publié dans les dernières décennies) et assailli de manies d'écriture fascinantes, et Babalnic, d'un prosaïsme néanmoins teinté d'épicurisme et de curiosité artistique. S'engage alors un curieux duel entre les deux protagonistes qui, malgré le danger imminent, ne semblent n'avoir d'autres armes que les mots. Babalnic les utilise pour tenter de mieux saisir la situation et le personnage de l'écrivain tandis que Lex tour à tour les assène pour déstabiliser son adversaire ou mieux transmettre l'univers si particulier d'un être dont les mots écrits sont devenus ni plus ni moins les seuls compagnons.
C'est d'ailleurs quand il est question de littérature que le livre est le plus percutant et non pas dans la « résolution du problème » (le whodunit des Anglais). Dans ce passage, par exemple, Lex explique qui était Lieberman : « L'idée qui me guidait à l'époque, était que l'on n'écrit pas bien sans faire un peu de mal. À soi et au lecteur. C'est un risque, certes, un risque de ne pas plaire; et j'en sais quelque chose. Mais écrire est de toute façon un risque. Alors, lire doit en être un de même. L'écrivain n'est pas là pour servir du lait sucré. Sinon, qu'en reste-t-il ensuite: rien! Avalez n'importe quoi après cela, même un simple verre d'eau, et le goût disparaîtra de votre bouche. Mes pages étaient d'une toute autre saveur: envenimées d'épices, nourries de feu, engorgées de tanins âpres et épais, ruisselantes de substances consistantes, qu'elles fussent moelleuses ou coriaces, et qui s'unissaient harmonieusement pour révéler un goût unique car inconnu. Le goût de la mort peut-être; à côté duquel le plus voluptueux des vins paraît une eau de source. » (p. 77)
Pour moi, le livre n'aurait rien perdu en profondeur par exemple si un journaliste s'était présenté au domaine pour mieux cerner les motivations de l'auteur, au contraire (déformation professionnelle, vous me direz peut-être). En appliquant les « codes » du roman policier et, en me rappelant combien Sébastien Fritsch avait été habile à dissimuler des informations dans son premier roman, je cherchais des indices cachés à chaque tourne de page, ce qui freinait par moment mon plaisir de lecture (ce qu'une étiquette peut faire!).
Le style est maîtrisé, imagé, particulièrement sensible (notamment quand il évoque la mystérieuse pianiste) mais a une légère tendance à s'étaler un peu indûment dans les deux premiers tiers puis à nous laisser pantelant dans la dernière section. J'avais d'ailleurs fait la même remarque au sujet du Mariage d'Anne d'Orval mais cette cassure de rythme m'a semblé plus difficile à assumer dans ce cas-ci, l'ouvrage ne comportant que 133 pages. Mais je n'ai certes pas boudé mon plaisir puisque, au fil des révélations, on comprend que, malgré toute l'attention portée aux détails, on s'est fait avoir comme un débutant et que les pièges n'étaient pas du tout disposés là où on les cherchait (ne comptez pas sur moi pour vous révéler les punchs). Encore une fois ici, Sébastien Fritsch confirme qu'il est un deus ex machina diablement efficace...
Les avis, tous positifs, de Florinette, Michel et Antigone.
C'est un livre que j'ai bien le goût de lire depuis un moment, surtout si les punches sont difficile à prévoir! Un autre avis positif... ça sent la dépense, ça!!
RépondreSupprimerJe lis régulièrement le blog de Sébastien et j'ai dans l'idée de me procurer ce livre bientôt. Je suis contente de lire ton avis à ce sujet!
RépondreSupprimerBonjour, je viens enfin de faire un billet sur ce livre que je l'ai lu il y a déjà presque deux mois. Ce n'est pass mal du tout. L'intrigue est originale et l'écriture est fluide. Au bout du compte, c'est plus psychologique que policier. Bonne journée.
RépondreSupprimerMoi aussi, dédicacé par l'auteur lui-même !! Et une belle surprise de lecture !!
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