Minimalisme, postminimalisme : il serait inutilement réducteur de résumer en ces deux seuls termes l’œuvre particulièrement fertile de Philip Glass, l’un des compositeurs américains contemporains les plus salués. On peut néanmoins tenter d’en extraire quelques grands axes principaux. Ainsi, la notion de temps doit être perçue de façon entièrement différente de celle entretenue habituellement, non plus comme une continuité mais plutôt une succession d’instants qui se jettent les uns dans les autres, sans relation de cause à effet. « Nous venions du théâtre expérimental et non d’un enseignement traditionnel que nous auraient inculqués de doctes professeurs : John Cage, Merce Cunningham, le Living Theatre, Grotowski et Genet étaient nos racines. L’idée d’un temps différent, d’une durée extensible, venait plus de Beckett que du raga indien », expliquait Glass dans Le Monde de la musique en septembre 1999. De plus, en choisissant de traiter le son de la façon la plus neutre possible, le compositeur transmet une volonté d’abandonner toute forme de raisonnement. En se laissant essentiellement guider par ses sensations, l’auditeur peut mieux percevoir l’extensibilité relative du temps, les chatoiements des cellules mélodiques. Celles-ci s’additionnent, se soustraient, donnent l’impression de se démultiplier, suscitant un état méditatif, l’oreille se laissant séduire par un univers tourbillonnant dénué de points d’ancrage, sans logique apparente, mais pourtant parfaitement naturel.
Dès ses années d’apprentissage à Paris, Glass a porté un intérêt marqué au cinéma de Cocteau. « J’ai d’abord vu les films de Cocteau quand je suis allée à Paris en 1954 pour étudier le français. J’avais 17 ans alors et le Paris que j’ai vu était le Paris de Cocteau. La vie de bohème que vous voyez dans Orphée, je l’ai connue, elle m’attirait, explique-t-il dans une entrevue avec Jonathan Cott. Ces personnages étaient les gens que je fréquentais. Je visitais les studios des peintres, appréciais leur travail, allais au bal des Beaux-Arts et restais éveillé toute la nuit. […] Il y avait une esthétique, un point de vue, une vision de la culture qui m’ont considérablement rejoint à l’adolescence et dans la vingtaine et qui ont germé en moi tout ce temps. Quand, au début des années 1990, j’ai finalement pu réaliser une version d’Orphée, je savais exactement ce que je voulais faire… comme je l’ai su pour La Belle et la bête. Ces deux œuvres sont des hommages à Cocteau, que je considère un artiste important du XXe siècle. »
Dans ce projet ambitieux d’opéra multimédia (daté de 1994), Glass a choisi d’occulter la trame sonore du film de Cocteau (musique et dialogues) pour y substituer une partition chantée à l’avant-scène, le film étant projeté en arrière-plan. Cette distanciation permet une relecture de l’allégorie de l’artiste puisant en son cœur même l’inspiration. « Le film traite de la transformation d’un être mi-bête, mi humain – ce que nous sommes tous – au stade de la noblesse de l’artiste, ce que deviendra la Bête en fin de parcours. Avant, la Bête sait qui elle est mais ne peut pas l’être. Et n’est-ce pas là l’état dans lequel nous sommes quand nous tentons d’aborder le processus créatif? Comment devenons-nous ce que nous sommes? Tous les artistes peuvent se sentir interpellés par cette question. » Comme Rossini avant lui, Glass se sert de l’ouverture de l’opéra pour y présenter les thèmes-clé de l’œuvre. L’arrangement pour orchestre à cordes présenté ici est signé Michael Riesman, pianiste, compositeur et chef d’orchestre, l’un des collaborateurs les plus précieux de Glass depuis 1974.
(Extrait des notes de pochette rédigées pour le disque Philip Glass: Portrait, étiquette Analekta)
J'ai toujours trouvé la musique de Glass à mourir d'ennui. Les harmonies sont d'une platitude absolue, les mélodies se résument à des bouts de gamme qui montent ou qui descendent... il y a tant de musiciens passionnants au XXe siècle dans tous les styles (y compris minimaliste), pourquoi celui-là connaît tant de succès ? Mystère !
RépondreSupprimerJe pense qu'il faut la laisser glisser sur soi pour pouvoir l'apprécier, la ressentir sans trop se poser de questions. Bien sûr, elle n'« élève » pas l'âme mais je pense que, de temps en temps, elle peut être intéressante.
RépondreSupprimerMais, bien sûr, tous les goûts sont dans la nature. L'autre jour, j'avais invité un élève au concert de musique contemporaine et après avoir entendu Ligeti et Prévost, il est parti à l'entracte! Pourtant, rien de si « difficile » selon moi.