Je l’avoue d’emblée : comme Obélix, je suis tombée toute petite dans la potion magique. Si Mozart m’a d’abord été révélé par sa vie, j’ai plongé dans la musique de Schumann tête première, bien avant de connaître Eusebius, Florestan, Raro, les Compagnons de David, les Philistins, Clara. L’Album pour la jeunesse a succédé, dès ma deuxième année d’apprentissage, à ma méthode de débutants. Je n’ai qu’à prendre ma partition pour me replonger plusieurs années en arrière. La couverture, où trône encore mon nom écrit en lettres enfantines, est en deux sections rapiécées. Les pages sont jaunies. En page de garde, on retrouve mon écriture d’adulte qui déjà, au début de ma carrière de pédagogue, a jeté quelques grandes lignes sur l’oeuvre. Presque toutes les pièces de la première section sont marquées. Sur certaines se retrouvent des doigtés. Les titres ont été barbouillés d’un trait, pour être repris en français en grosses lettres. Dès qu’une des pièces (aujourd’hui, je dirais une de ces parcelles de poésie pure) était terminée, une autre était aussitôt amorcée.
Plus tard dans mon apprentissage, j’ai découvert la Romance en fa dièse majeur (fallait-il que je trouve l’oeuvre belle pour me persuader de jouer une oeuvre avec six dièses à la clé et toutes ces altérations accidentelles!) puis de nombreuses Novelettes. À 17 ans, ce sera la révélation du Quintette alors que, lors d’un séjour de trois semaines en camp musical, je fais de la lecture à vue avec un quatuor à cordes. Ce sera un coup de foudre irrévocable, une de ces oeuvres qui marque une vie et qui, chaque fois que je l’entends, continue de m’interpeller comme si c’était la première (mon rêve reste de l’interpréter au concert, ne serait-ce qu’une fois…). Il ne faut pas non plus oublier les Dichterliebe (L’amour du poète), un sommet inatteignable, le Carnaval, que j’ai interprété lors de mon récital de fin de maîtrise, les Papillons, la Fantaisie...
Avec les années, je me suis mise à lire sur Schumann et j’ai alors abordé sa vie, sa fièvre créatrice, ses personnalités multiples, son amour profond pour Clara, son soutien aux jeunes compositeurs, son sens critique particulièrement aiguisé. Ses articles dans la Neue Zeitschrift für Musik sont des pièces d’anthologie, d’une grande finesse, que la journaliste en moi ne peut qu’admirer. Ses hésitations, alors que jeune adulte, il oscille entre la musique et la littérature, me parlent aussi éloquemment que sa musique. Les lettres qu’il transmet à sa famille et à ses amis sont de véritables miniatures de la vie qui bat, ponctuées de petits événements du quotidien comme d’interrogations plus fondamentales. Son plaidoyer à Friedrick Wieck pour obtenir la main de Clara reste, aujourd’hui encore, criant d’actualité.
Son journal intime est aussi particulièrement significatif. Quand j’ai lu cette entrée datée de 1833(Schumann avait alors 23 ans), je n’ai pu m’empêcher de frissonner : «Dans la nuit du 17 au 18 octobre, il me vint tout à coup la plus effroyable pensée qu’un homme puisse avoir, et la plus terrible par laquelle le Ciel puisse punir : LA PENSÉE QUE JE PERDRAIS LA RAISON...» Quelle incroyable prescience de ce qui allait se passer… Celui qui doutait n’aurait probablement pas prédit que sa musique franchirait les ères et les modes. Pourtant, sa musique reste, entière, inaltérable, essentielle, comme la vie qui bat.
Ton billet me donne le goût de me plonger dans une bio de Schumann... et réécouter sa musique!
RépondreSupprimerKarine: tant mieux. On dénigre beaucoup Schumann qui n'est jamais assez ceci ou cela mais, moi, bon, peut-être parce que je suis pianiste, je l'aime quand même! :-)
RépondreSupprimerAh ! que ce billet arrive à point. En écoutant de la musique avec mon ami, tantôt, celui-ci m'a demandé de lui faire écouter la 2e Romance, oeuvre que je lui avais fait connaître l'an dernier.
RépondreSupprimerSchumann, c'est l'âme et le coeur épousant la magie.
De Schumann, j'aime surtout les lieder et les miniatures qu'il a écrit vers la fin de sa vie créatrice (pour hautbois et piano, clarinette et piano, alto et piano, etc). Et vous avez raison de saluer Schumann l'écrivain !
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