La musique et l’écriture ont été de tout temps les deux pôles de la vie créatrice de l'auteure. Ce site se veut donc un hommage à la musique (particulièrement classique) et à la littérature, mais aussi au théâtre et aux autres manifestations artistiques.
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lundi 29 décembre 2008
Les adolescents troglodytes
De retour dans mon modeste home, après quelques jours passés dans l'effervescence. Trop de bruit, de cris, mais heureusement, quelques instants volés, ici et là, pour lire. Dans mon sac à livres très mince (je me doutais bien que le niveau de concentration ne pourrait être maximal), j'avais glissé deux livres aux couvertures blanches, comme la neige qui est malheureusement presque entièrement disparue: Le récital de Nicolas Gilbert, notre recrue de janvier (dont je vous reparlerai bientôt) mais aussi, Les adolescents troglodytes d'Emmanuelle Pagano, un cadeau de Seb qui l'avait adoré et en avait parlé avec infiniment de poésie ici, qui attendait patiemment dans ma PAL depuis juin.
Dès les premières pages, j'ai été happée par cet univers à la fois sombre et lumineux, désertique et profondément habité, non pas uniquement par ces habitants du plateau ardéchois mais surtout de l'intérieur, grâce au ton de la narratrice, entre confidence et poème en prose. « Je m'arrête là, parce que j'ai besoin du lac et de l'ombre pour me souvenir, pleurnicher sur ma mémoire comme une vieille. La mémoire, il faut la laver et la remplir tous les jours. » (p. 17) Ces adolescents troglodytes (i.e. qui séjournent dans des excavations naturelles ou artificielles), on s'y attache, mieux, on les comprend, les ressent instantanément. En questionnement, en mutation, en marge de leur corps, ils nous rappellent ceux que nous avons été à une autre époque, ceux qui se nichent au cœur de nous encore aujourd'hui. Ils nous rappellent aussi la solitude à laquelle nous devons tous faire face, l'intolérance, la sainte manie d'apposer des étiquettes à tout ce qui nous est plus ou moins étranger.
Celle qui nous raconte leur quotidien, c'est Adèle, chauffeure du car scolaire qui les mène, par monts, par vaux, par vent, par tempête, à l'école, au lycée, au collège. Adèle, elle aussi, éternelle adolescente, en mue. Au fil des pages, on comprend que les liens qui l'unissent à son propre corps ont d'abord été troubles, douloureux, avant d'être acceptés, assumés. Elle, avant, était lui, incapable de faire face aux muscles qui se mettent à saillir, à cette absence de poitrine, à ces jeux rudes qu'elle ne comprend pas.
Avec une délicatesse exemplaire, jamais complaisante, à petites touches, Emmanuelle Pagano nous raconte la façon dont Adèle s'est affranchie des limites du corps qui lui avait été dévolu par erreur. Elle bascule du masculin au féminin, selon qu'est narré un épisode récent ou de ce passé impossible à nier, avec dextérité, avec tendresse. Jamais elle ne tombe dans le voyeurisme et pourtant, elle ne cache rien, des hésitations, de la douleur, des élancements, des joies, de la tendresse qu'Adèle éprouve pour ses « petits » qu'elle suit avec attention tous les jours, mais aussi des coups dans le bas-ventre quand on est balayé par la vague de l'amour. « Je ne me rappelle pas ce que je lui ai répondu à côté samedi, mais je sais que mes mots sont tombés par terre, et que ça l'a fait rire. Il était beau dans son rire et son gilet. » (p. 111) À travers cette métamorphose, presque métaphore, elle évoque ce qu'être femme englobe comme contradictions. « J'ai su dans la douleur que ne pas avoir d'enfant, c'est ça, être une femme. Ce n'est pas avoir un enfant. Être mère c'est perdre un enfant, porter ce caveau où s'accrocheront les frères et sœurs. J'ai eu mal là, avec un savoir cru, violent, j'ai eu mal à cette alvéole mortuaire, celle de ma mère, celle d'où je viens. » (p. 139)
« Le jour est bleu à s'ouvrir les plis du ciel. Il fait si beau et si froid que l'air se gerce par endroits, nous paraît impénétrable. Il va bien falloir passer dedans, pourtant. » (p. 166) Parfois, un livre nous attend, patiemment, jusqu'à ce qu'on soit prêt à le recevoir. Celui-ci est l'un de ceux-là. Merci Seb!
De rien, Lucie. C'est un bonheur de voir qu'il t'a tant plu. C'était un peu un pari, parce que ni le sujet ni le ton ne sont vraiment "classiques", alors je suis ravi que cette lecture t'ait touchée. Et, en plus, tu en parles si bien.
RépondreSupprimerSeb: tu sais combien j'aime les partages... :-)
RépondreSupprimerJ'ai entendu beaucoup de bien sur celui-ci! C'est certain que si je le croise un jour en librairie, il va rejoindre ma pile!
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