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lundi 16 février 2009

Polytechnique

On aura rarement assisté à une telle déferlante de prépapiers, entrevues, analyses, commentaires. Les débats pro ou contre se sont multipliés sur la place publique, ainsi que les interprétations les plus échevelées. Je cède rarement aux sirènes des blitz médiatiques mais, cette fois, j'avais besoin de constater de visu ce que le geste de Denis Villeneuve avait de cohérent ou de déplacé.

Le 6 décembre 1989 reste une date marquée dans ma mémoire, comme peut l'être le 11 septembre 2001. Je compte dans mon entourage immédiat plusieurs ingénieurs, tous diplômés de l'institution. J'ai joué en concert-midi là-bas une fois mais y ai retrouvé des amis à deux ou trois reprises, fascinée par cet univers à des lieues du mien. Dans ce monde foncièrement machiste, on fumait à la chaîne, on buvait dès l'heure du lunch une quantité phénoménale de bières, la sono était toujours poussée à fond et on se provoquait en duel à coups de calculatrice et d'énoncés mathématiques ou, pour les plus placides, de joutes d'échecs. Parmi les victimes de la tuerie, se retrouvaient la soeur d'un pianiste avec lequel j'avais fait mes premières armes au concert, ainsi que l'amie proche de celle qui deviendrait la marraine de ma fille. On ne parle donc pas ici de six degrés de séparation mais plutôt d'une zone de confort minimal et j'hésitais donc à me replonger dans ce passé plus ou moins lointain.

Dès les premières secondes du film, on bascule, le sourire se fige, les images ressurgissent. La photographie absolument magnifique enveloppe aussi bien les personnages qu'elle dénude l'âme du spectateur. Les dialogues restent minimaux, la folie, l'horreur, la douleur, se glissant subrepticement entre deux silences, deux pages d'une musique minimaliste de Benoit Charest, aux échos de Ketil Björnstadt. On assiste, pétrifié, aux événements, les yeux gonflés de larmes, le coeur, le corps alourdis par la puissance de la narration. Pourtant, Villeneuve a su s'arrêter aux limites de l'insoutenable et la direction des acteurs a été faite avec doigté. On lit facilement sur les visages la folie, la tendresse, la peur brute, le désespoir, l'incompréhension, l'impossibilité de revenir en arrière.

Le film réussira-t-il à être catharsis pour une génération et leçon d'histoire pour une autre? J'ai rarement perçu un silence aussi épais dans une salle de cinéma. Quand le film s'est terminé - sur une note à la fois déchirante et optimiste -, les gestes des spectateurs étaient mesurés, lourds du poids des images reçues, des réflexions qu'elles suscitent. J'admets avoir eu de la difficulté à reprendre pied dans la réalité une fois la porte de la salle de projection franchie. Si l'on accepte la définition de l'art comme synonyme de questionnements, de bouleversements, de gestes qui modifient éventuellement la trajectoire du spectateur, de l'auditeur, Polytechnique est une réussite. Néanmoins, tous ne seront peut-être pas prêts à y faire face.

7 commentaires:

  1. Je sens que je fais partie de celles qui ne sont pas prêtes à ça, même si j'étais quand même loin de la tragédie... Contente de voir que c'est réussi.

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  2. J'étais bébé lorsque la tragédie s'est produite, alors l'évènement est plutôt loin moi. En ce sens j'aurais adoré voir ce film au cinéma, pour mieux comprendre ce qui s'est passé. La bande-annonce donne des frissons et me donne l'impression d'un très bon film, comme ton commentaire. J'essaierai certainement de le voir à mon retour.

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  3. Pardonne-moi, je n'ai lu que ton premier paragraphe, je vais y revenir mercredi car, c'est demain que j'y vais.

    J'ai entendu une grande quantité de personnes en parler d'une manière élogieuse autant que respectueuse, ça sent même le chef d'oeuvre dans le genre.

    Je te lirai et te laisserai mes impressions à mon retour.

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  4. Ça y est, il est vu. Je l'ai vu.

    L'appréhension était grande.
    J'évite les suspenses denses habituellement, tu sais, ceux qui font tout pour exacerber ton appréhension, ta peur, ton frisson d'horreur avant que ne se pointe la bête, le dégueulasse, le sang. Alors dès que ça commence à tourner, c'est le feeling du suspense sans que le cinéaste fasse exprès, c'est en toi que tu puises, dans tes souvenirs. Et tu pleures avant même de voir du triste. Juste de voir la Vie qui palpite avant, et les larmes coulent d'elles-mêmes. En tout cas, les miennes, c'est ce qu'elles ont décidé de faire.

    Une approche toute en dignité, en sobriété, rien de pire en fait, parce que ça rentre encore plus dans le corps émotif.

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  5. Karine: ce n'est pas pour tout le monde et il faut assumer son geste quand on y va

    Maxime: je suis allée avec mon fils et il a eu une vision très différente de moi du film mais néanmoins positive

    Venise: c'est tout à fait ça! Et je ne pense pas qu'il y ait quelqu'un qui soit assez vieux pour se rappeler de la tragédie qui n'ait pas laissé couler quelques larmes.

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  6. Sur un sujet similaire le film "Elephant" de Gus von Sant est également très bon (et très prenant).

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  7. Papageno: alors, tu as aimé Elephant? Les critiques ne semblent pas avoir apprécié outre-mesure (mais ça ne veut rien dire, bien sûr). Je finirai bien par le visionner.

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