Hier après-midi, je découvrais de nouveaux lieux, de nouveaux auditeurs. En tant qu'accompagnatrice d'un collègue saxophoniste, nous étions invités à donner un concert d'une heure dans une résidence de personnes âgées. Pas de chansons de Noël sirupeuses (à part deux « rappels », histoire de faire chanter tout le monde), pas d'easy listening, du vrai répertoire. Bach, Handel (des arrangements pour saxophone de sonates pour flûte, ce qui implique que je ne jouais pas dans la tonalité originale), Paule Maurice (des extraits - faute de temps - de ses superbes Tableaux de Provence), Mozart (un arrangement d'une pièce pour piano!) et Scaramouche de Milhaud, une pièce qui déménage pas mal, tant au saxo qu'au piano, mais vraiment contagieuse.
Plusieurs cas lourds dans la salle, entourés des bons soins de parents et de bénévoles attentionnés , un piano accordé mais clinquant avec une pédale qui aurait exigé que je porte des échasses, un lieu un peu surchauffé: nous étions plutôt loin de conditions idéales de concert. Pourtant... Deux mouvements de Handel à peine et la salle était entièrement subjuguée. (Après le concert, la responsable du centre nous expliquera qu'elle avait rarement senti ses patients aussi calmes et attentifs.) Oui, ils ont applaudi entre les mouvements. Aucune importance. Oui, certains ont dû être déplacés en cours de concert (notamment cette dame qui, après le dit Handel, trouvait, avec raison, que le son du saxophone était drôlement puissant). Quand Pierre a présenté Mozart et a demandé au groupe assemblé (une soixantaine de personnes peut-être) si tout le monde connaissait Mozart et qu'une dame a osé répondre, à voix haute: « Moi, je ne le connais pas! », j'ai été troublée. Je me suis dit que, dans quelques secondes, elle allait enfin faire connaissance avec lui et une douce chaleur m'a aussitôt envahie. Je me suis sentie privilégiée de pouvoir lui offrir, comme ça, un cadeau de Noël un peu hâtif.
Certains ne se sont pas gênés pour commenter entre les pièces, manifester leur joie, exploser que « C'était donc beau cette pièce-là! ». Il y avait là une atmosphère bon enfant qui justifiait sans contredit les heures de répétition, les jurons étouffés quand la ligne « de la mort » nous échappe encore (mais elle a été vaincue au concert, c'est l'essentiel!), le salaire symbolique. Après le concert, plusieurs sont restés pour nous parler, dont une pimpante dame de bientôt 106 ans, peut-être bien la plus en forme de tous ceux présents. Cette autre, dont le père était semble-t-il musicien, nous a expliqué que nous avions touché son âme, plus, qu'après le concert, elle était « toute âme ». Je suis partie, le cœur léger, me disant que, parfois (souvent), je fais un métier tellement gratifiant.
En complément, le grand Londeix dans le premier mouvement du Scaramouche, initialement composé pour deux pianos.
Ces matinées où j'ai joué dans des résidences pour personnes âgées resteront longtemps gravées dans ma mémoire. Il n'y a pas meilleur public, et très souvent, la profondeur qu'il dégage a quelque chose de si candidement émouvant qu'on se demande si ce ne sont pas eux qui nous font le cadeau de leur musique plutôt que l'inverse.
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