Hier soir, salle Pollack, moment de ressourcement pour la pédagogue et la pianiste en moi. Menahem Pressler, fringant comme un jeune homme malgré ses 86 ans, donnait une classe de maître à trois étudiants chanceux de la Faculté de musique de l'Université McGill. Il y a quelques semaines, j'avais eu le plaisir de l'interviewer et il soulignait que les étudiants n’avaient pas besoin de vouloir l’impressionner : « Je veux les ouvrir à certaines réalités, leur offrir le maximum de pistes d’inspiration. Ce n’est pas toujours facile de régler certains détails précis sur le champ. Pourtant, si la classe de maître se déroule bien, vous sortirez de l’expérience un meilleur interprète. C’est là mon but avoué, certainement pas de marquer un point ou de dévaloriser l’étudiant. » Il faut quand même bien admettre que de jouer pour Pressler, mythique pianiste du Beaux-Arts Trio (formation qui s'est retirée en pleine gloire il y a un peu plus d'an), pédagogue couru depuis 54 ans, ce doit être légèrement intimidant. (Je le sais, je l'ai fait il y a une quinzaine d'années lors d'une semaine de classes de maître estivale.) Pourtant, il le clame haut et fort sur son site Internet : « Mes élèves sont comme mes enfants. Je les aime et je tiens à eux. Je pense à eux constamment et je veux les voir réussir. »
Alors, hier soir, de quoi a-t-il été surtout question? D'incontournables, certes, mais toujours présentés avec l'humour bien particulier de Pressler. Le respect du texte d'abord: « Vous devriez être fusillée! » a-t-il dit en éclatant de rire quand une des étudiantes a joué une nuance fautive. Il a ensuite caressé le cahier des sonates de Beethoven et dit: « La partition est notre bible! » Il a aussi insisté sur l'importance d'une pulsation constante à plusieurs reprises pendant la soirée, ce qui a par exemple permis aux auditeurs d'entendre la différence entre un prélude de Chopin plutôt mièvre et la même page interprétée correctement. Surtout, comme dans mon souvenir, il a parlé de respiration, de complétion des phrases, d'articulation, de transmission, concepts que j'intègre quotidiennement à mon enseignement, en partie grâce à lui.
En entrevue, il m'avait aussi confié qu'il n'y avait pas de « recette » à l'enseignement: « Vous devez maintenir un enseignement toujours frais, réagir, mais essentiellement transmettre la connaissance et surtout l’amour de la musique. En tant qu’interprète, vous n’avez pas besoin de vous mettre en valeur, de prouver que vous êtes meilleur qu’un autre, simplement rendre la musique belle parce que vous l’aimez tellement. Il y a tant de façons d’y parvenir. » En rentrant, je me sentais inspirée, pleine d'énergie, je me serais jetée dans l'opus 110 ou les Préludes de Chopin sur le champ. (J'ai eu pitié de mes voisins.) Parfois, on a besoin d'une seule étincelle pour raviver un feu.
c'est aussi ce que disait Montaigne, "enseigner (...) c'est allumer un feu"
RépondreSupprimerbeaucoup de choses de ce que tu (! ;-)) dis sur Menahem Pressler sont valables pour toutes les matières, n'est-ce pas
Oui,absolument! Pour moi, l'enseignement n'est pas qu'un boulot, c'est un apostolat. Mais tant de profs sont blasés et/ou semblent s'être vidés de leur substance en cours de carrière, c'est triste. Mais il faut continuer de vouloir allumer des feux, sinon, le monde dans lequel vivra la prochaine génération sera bien trop triste! :) (Bon, ça y est, je m'enflamme toute seule!!!)
RépondreSupprimeren effet ;-)
RépondreSupprimeret j'ai peur, vu qu'il est question chez nous de travailler bientôt jusqu'à 65, voire 67 ans, de ne plus avoir à cet âge-là l'énergie nécessaire pour enthousiasmer mes foules ;-)
je ne suis pas Menahem Pressler
Je comprends très bien comment enseigner dans le système scolaire actuel peut être grugeant. Après moins d'un an à donner une classe de journalisme, j'étais épuisée par la non-écoute et le je-m'en-foutisme des élèves. (Heureusement, quelques exceptions me rendaient la vie plus facile certains jours.) Je préfère de beaucoup l'enseignement individualisé ou en petits groupes ou encore l'enseignement aux adultes, plus « convaincus ».
RépondreSupprimerC'est peut-être bien pour ça que Pressler peut encore enseigner avec le même enthousiasme à son âge. Je reste persuadée qu'il mourra en pleine gloire, soit sur scène ou au milieu d'un cours. La musique est vraiment toute sa vie.
Il n'est pas à négliger que maître Pressler a la chance d'enseigner à des presque professionnels. Ça aide certainement à garder la flamme, car le petit de 7 ans qui est dans mon cours parce que ses parents en ont décidé ainsi... lui, il a un bon pouvoir d'extinction de tous mes feux!
RépondreSupprimerOui, c'est vrai... mais, parfois, même le petit de 7 ans réussit à raviver un feu. Tout dépend des semaines et des personnalités d'élèves.
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