La voie de la facilité n’est certes pas celle choisie par Patrice Lessard avec ce premier roman touffu, dans lequel le lecteur doit accepter de se perdre, oublier les repères syntaxiques usuels, se plier autrement à la musique des mots, se laisser porter par le côté aléatoire et éphémère des rencontres. Si l’on a fréquenté un tant soit peu l’univers de Saramago, on acceptera sans doute plus facilement le lâcher-prise, le rythme imposé, la non-linéarité du propos. L’auteur lui-même fera quelques clins d’œil directs au géant portugais de la littérature (ainsi qu’à Pessoa) dans son récit.
« On ne le voit pas, dit Antoine, on ne peut pas dire qu’on le voit, ce mort n’a pas de visage pour nous. C’est vrai, mais ça ne veut pas dire que nous n’avons pas d’yeux, conclut Clara. On se serait cru dans un roman de Saramago. » (p. 15)Lessard propose au lecteur une quête protéiforme. En cherchant son téléphone perdu, Antoine tente de se forger une nouvelle identité mais aussi de retrouver le souvenir de Clara, retournée à Montréal, celle qu’il tente de susciter dans le regard, dans le corps de toutes les femmes qu’il croise, qu’il se rappelle avoir aimées, une nuit, un mois, une année.
Pendant qu’Antoine se perd dans les dédales de Lisbonne, il croise nombre de personnages plus ou moins étranges qui, eux aussi, tentent d’extraire un certain sens de leur vie, prêchant (parfois presque dans le désert, compte tenu de l’incompréhension de leurs semblables) pour convaincre les autres que leur vie vaut la peine d’être vécue puisqu’elle peut être narrée, qu’elle s’inscrit dans une certaine continuité, fut-ce cette dernière imprégnée de pans d’ombre.« Qu’est-ce tu fois là? demanda-t-elle, J’ai perdu un truc, répondit-il, elle dit, Ta femme? Il la trouva vraiment vache de le lui rappeler, il dit, Oui, c’est ça, ça me fait beaucoup de peine, toutes les autres femmes sont désormais pour moi totalement insignifiantes » (p. 115)
Lessard signe ici un premier roman audacieux et exigeant qui ne laissera pas le lecteur indifférent. Dans cette ère de relatif conformisme, on ne peut que saluer le geste et avoir hâte de découvrir comment il réussira à se redéfinir en tant qu’auteur dans un prochain ouvrage.« Depuis que je vis à Lisbonne, je parle beaucoup moins qu’avant, le silence m’est devenu une espèce d’idéal dans ce monde où tout le monde crie. Pour fuir l’aveuglement, pour trouver des réponses (qui le plus souvent n’existent pas) au marasme de leur vie, les gens sermonnent, cherchent à convaincre leurs semblables qu’ils ont raison, peut-être pour se convaincre eux-mêmes, et nous les suivons trop souvent en oubliant qu’en ne voient pas plus clair que nous. » (p. 259)
La couverture est belle... mais je ne suis pas sûre d'être attirée par ce livre !
RépondreSupprimerC'est assez particulier, c'est certain... Pour les amoureux de Lisbonne, peut-être!
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