Je m'en voudrais de ne pas revenir quelques instants sur le dernier concert de la 15e saison du Quatuor Molinari, consacré vendredi dernier à deux pages du compositeur Denis Gougeon: Jeux de cordes et la création d'Ah quelle beauté.
Une fois de plus, le Molinari a démontré maîtrise remarquable du texte, précision des articulations et surtout, une conception commune de l’œuvre, que ce soit au niveau des inspirations, des intentions ou de la subtilité de l'interprétation. Dans Jeux de cordes, datant de 1996, les quatre complices ont su mettre en lumière le côté tantôt ludique, tantôt plus introspectif, toujours original de la partition. Le compositeur y évite les poncifs associés au genre et travaille tour à tour sur les oppositions et les accents, sur les harmoniques (dans ce deuxième mouvement, on a l'impression très vive que les cordes deviennent un instrument à vent hybride, cousin de l'harmonium), puis décline par deux des cellules modales, la première s'enroulant sur elle-même, la seconde propulsant le langage vers l'avant. « Chant », envoutante cantilène qui juxtapose une mélodie d'une simplicité désarmante, traitée de façon translucide par le premier violon jouant en harmoniques artificielles se déployant avec le soutien du non-vibrato du deuxième violon, le tout soutenu par la pulsation du violoncelle et les arpégés de l'alto, reste une page d'une rare émotion. Dans « Jeu d'imitation », clins d’œil au langage contrapuntique baroque, les entrées des voix se sont révélées toujours parfaitement définies.
En deuxième partie du concert, Ah quelle beauté abordait un tout autre registre, en proposant un jumelage entre les univers de la poésie et de la musique. « J'ai voulu être à l'écoute de chaque texte pour en laisser remonter à la surface la musique intérieure », explique le compositeur dans sa note de programme.
Quelques secondes sur scène à peine ont suffi pour que le public ne tombe irrévocablement sous le charme de Danièle Panneton qui, avec un seul regard, un geste, une utilisation d'accessoire en apparence banal, peut tout transmettre et habite la scène comme bien peu savent le faire. Les textes de Schwitters deviennent ainsi de véritables bijoux mordants, tant l'énumération en apparence aléatoire de « Chiffres » que les jeux d'échos rythmiques avec le quatuor de « What a Beauty » et « Ah quelle beauté ». Dans « À sa maîtresse » (« Mignonne, allons voir si la rose... ») de Ronsard, elle propose trois déclinaisons entièrement différentes du texte, entre arrogance de la jeunesse se traduisant par des rires de gorge, désabusement de l'âge mûr et délire de marâtre, la musique de Gougeon se transformant au fil des apparentes redites. En déposant simplement sa veste sur ses épaules, elle donne l'impression dans « Quand vous serez bien vieille » d'arborer d'un seul coup une trentaine d'années de plus.
La complémentarité entre comédienne et quatuor a été des plus probantes dans « Recueillement » et « De profundis clamavi » de Baudelaire. Dans le premier, Gougeon joue sur la concentration du son, tout en proposant un traitement musical qui magnifie certains vers (par exemple, « Sois sage ma douleur » qui laisse cette dernière exploser aux cordes), Un parfum de cimetière se dégage du second, les silences devenant prégnants, tant chez les musiciens que chez la comédienne. (Saluons ici l'habile jeu d'éclairage et la mise en espace de Suzanne Lantagne.) « Les Pâques à New York » reste un instant d'une troublante intensité, le texte désespéré de Cendras trouvant non pas un prolongement, mais un détournement dans le traitement musical. La musique raconte ici une autre histoire, de solitude certes, mais surtout d'élévation spirituelle. On aurait souhaité deux ou trois secondes de silence de plus, histoire de laisser texte et partition se stratifier avant d'entamer « Ça », morceau de bravoure, coup de gueule jouissif contre le matérialisme de Danièle Panneton, une page haletante, presque délirante, très ancrée rythmiquement, qui laisse l'auditeur pantois.
Souhaitons que nous aurons l'occasion de réentendre cet objet hybride inspiré très bientôt, peut-être lors de prochaines éditions du FTA ou du FIL?
En effet, Lucie, un grand soir. On ne peut mieux décrire la soirée que tu le fais. La performance était impeccable et sans prétention. La salle écoutait dans le plus grand silence (quoique... une audience exempte de toux n'existe pas) ou participait en laissant surgir quelques éclats de rire à l'occasion. Soirée mémorable. J'y retournerais bien pour savourer une fois de plus.
RépondreSupprimerJe te ramène la prochaine fois :)
RépondreSupprimerje les écoutais sur France inter il y a peu... juste avant une cession de festival en France.
RépondreSupprimerTu as entendu le Molinari en France? C'est super... Dans quoi? Je le leur dirai :)
RépondreSupprimer