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jeudi 29 novembre 2012

Le dernier hiver

Berthe a 94 ans et elle se dit qu'elle aimerait bien célébrer son prochain anniversaire en grande pompe, avec un festin digne de celui de Babette, mais qu'elle ne passera peut-être pas l'hiver, saison qui dure la moitié de l'année, dérèglements climatiques obliques, en 2045. Ne disposant plus de l'énergie ni de la volonté pour regarder vers l'avant, elle contemple sa vie, par petites touches impressionnistes: ses premiers émois amoureux, ses tribulations d'universitaire, ses questionnements. Elle revient sur certains auteurs qu'elle a lus, qu'elle a aimés, sur la fracture de la guerre et les attaques sauvages dont Bagdad reste pour elle l’emblème.
Je détournais la tête et m’enfonçais dans le monde romanesque de Baricco qui me dévoilait ce que je m’évertuais à fuir en le lisant. « On lit, écrivait-il, pour ne pas lever les yeux vers la fenêtre, voilà la vérité. » Cette phrase, je l’ai toujours, à l’encre verte délavée, transcrite au dos d’une carte postale montrant un souk de Bagdad. 
Elle évoque surtout son grand amour, Vivian, qui a bouleversé sa vie avant de l'ancrer dans un quotidien partagé, incluant une définition élargie de la maternité, de l'accompagnement parfois impuissant de trajectoires qui semblent nous échapper.
Toucher un corps de femme me ramenait à celui de Vivian, au vide de ma vie sans son corps près du mien. Il n’y avait rien à faire contre mon chagrin et ma tristesse. Seulement attendre que cela fasse moins mal, que la douleur prenne moins de place.
Les souvenirs de Berthe auraient pu devenir accumulation de redondances, radotages de grand-mère gâteuse, amoncellements de clichés vaguement surannés. Il n'en est rien. Louise Auger signe plutôt ici un livre dense qui ne bascule pourtant jamais dans la lourdeur, qui aborde avec discrétion mais fougue certains thèmes sociaux (l'homosexualité, les familles non traditionnelles, les grossesses adolescentes...), mais surtout nous rappelle qu'une vie, peu importe sa durée, demeure au fond une succession de petits instants, précieux jalons non pas du temps qui passe, mais de l'amour (peu importe la forme qu'il adopte) qui reste.


lundi 26 novembre 2012

Danser a capella

Quelques semaines après la sortie de son deuxième roman Javotte, Simon Boulerice revient à ses premières amours, le théâtre, et propose Danser a capella, sept monologues, non conçus comme une entité, mais qui, assemblés, entrent en résonance étonnante, comme autant de notes d'une gamme un peu disjonctée. Une fois encore, on y retrouve des personnages d'enfants qui n'ont pas su (ou voulu) grandir: Ambroise qui, hier, rêvait d'attirer l'attention en saignant du nez et qui, aujourd'hui, est prêt à toutes les bassesses pour que quelqu'un l'aime, ne serait-ce qu'un instant, Julie qui, pour être invitée à l'émission Parcelles de soleil, va jusqu'à perdre la vue, cette coureuse en talons hauts qui pète les plombs au fil d'arrivée, déchirée par son amour à sens unique ou encore Gloria, qui a toujours rêvé de patiner sur sa chanson-thème (hit de Laura Branigan) et détourne la représentation annuelle de la crèche vivante de son quartier. Il y a aussi Simon, alter ego de l'auteur qui plonge ici dans l'autofiction, celui qui a toujours aimé danser, qui évoque sa mue catastrophique à l'église, à l'âge où Whitney Houston réalise malgré elle que sa voie est tracée, le même (14 ans) qu'avait Mozart quand il a recopié de mémoire le Miserere d'Allegri, entendu à la Chapelle Sixtine.

« Un jour, en avril 1770, un homme emmena son fils de quatorze ans à la chapelle Sixtine. On  y chantait le célèbre Miserere, de Gregorio Allegri. L’enfant était ému. Il retenait chaque note, et chaque silence. Toute la musique se gravait dans sa tête. Le soir, il note de mémoire la partition complète du Miserere d’Allegri. Quelques années plus tard, on perdit les partitions originales d’Allegri. On n’eut pas d’autres choix que d’avoir recourt au garçon qui avait tout noté de mémoire. On utilisa ses partitions pour que l’œuvre d’Allegri ne sombre pas dans l’oubli. Ce garçon s’appelait Wolfgang Amadeus Mozart. »
Tout au long du recueil, la musique sert de pulsation, de moteur, d'élément déclencheur, qui mène le protagoniste à poser des gestes extrêmes, à briller, ne serait-ce qu'une seconde, au firmament des stars. Qu'il danse tout son saoul lors d'une soirée d'Halloween en écoutant son iPod Shuffle pendant que les autres se meuvent au rythme d'une autre pièce, qu'il se laisse renverser par la beauté pure du geste en regardant Margie Gillis, qu'il pleure du sang en écoutant All I want for Christmas is you de Mariah Carey importe peu au fond. Le lecteur adopte spontanément les personnages car, n'avons-nous pas tous eu l'impression, un jour ou l'autre, d'être les seuls à danser (avancer, penser) sur un rythme autre?

On peut entendre Simon Boulerice dans un extrait du monologue « Danser a cappella » ici...

vendredi 23 novembre 2012

Vivre avec le cancer: deux points de vue

En serions-nous enfin arrivés au moment de briser l'ultime tabou: celui de parler de la maladie de façon autrement que clinique ou sinon à mots couverts? Peut-on transformer un combat contre le cancer en objet littéraire? Peut-on s'exprimer sur le sujet aussi douloureux sans tomber dans l’apitoiement ou que le lecteur se précipite sur la sortie de secours la plus proche (refermer le livre au plus vite)? Quelques livres récents semblent vouloir le prouver en tout cas.

Quelques semaines après avoir lu Les doigts croisés de Jocelyn Lanouette (recrue d'octobre) qui, après quelques cabrioles langagières et diversions sur des voies de traverse, nous force à contempler la maladie en face (et, ce faisant, nous insuffle un remarquable souffle de vie), je me suis plongée coup sur coup dans deux ouvrages dans lesquels les auteures évoquent leur combat contre le cancer du cerveau.

Le premier, Soleil en tête, reprend certains billets du blogue de Julie Gravel-Richard, écrits il y a bientôt cinq ans (retravaillés pour les besoins de l'ouvrage). Ceux-ci nous permettent de la suivre au quotidien, lors de rounds de chimiothérapie qui laissent souvent KO, de ses recherches en ligne pour mieux comprendre sa maladie, de quelques confrontations avec des médecins. On y apprend beaucoup sur la maladie (qui n'a toujours pas malheureusement rendu  les armes, Julie devant encore une fois se plier à une série de traitements); patients aussi bien qu'accompagnants y trouveront sans doute nombre de réponses à leurs questions. L'objet pourtant possède une portée universelle quand l'auteure fait le décompte de ses petits bonheurs, histoire de se (et nous) prouver que la vie n'est au fond qu'une succession de ces gestes infimes, en apparence anodins, jalons qui ponctuent nos vies de façon bien plus pertinente que ces prétendus accomplissements.


Avec Testament, son premier roman (La recrue du mois y reviendra bientôt), Vickie Gendreau propose un objet littéraire protéiforme, qui multiplie les ruptures de ton, les interlocuteurs, les genres littéraires (du journal extime/autofiction au poème en passant par certaines réflexions sur la littérature). On s'interroge parfois à savoir où se situe la (très) fine ligne entre littérature et exhibitionnisme.  
« Je suis cette littérature, la littérature honteuse et pleine de regrets. J’ai les paupières cochonnées d’avoir trop souvent fermé les yeux, d’avoir eu trop souvent à le faire. »  
Toutefois, on suit la jeune auteure jusqu'au bout, que ce soit dans des clubs de danseuses plus ou moins mal famés, dans les chambres crades, dans les arcanes de ses souvenirs d'enfance. On sourit en décryptant les références post-modernes cinématographiques des documents transmis à son entourage, on se dit qu'avec une telle amie, fille, sœur, il doit être impossible de dormir au gaz. 
« Tout est impératif maintenant dans ma vie. C’est probablement la dernière peine d’amour que je vis. Ça fait mal les dernières fois, c’est vulgaire la vie. » 

Pourra-t-elle aller ailleurs avec son prochain roman, nous convaincre qu'elle possède une vraie voix? On le souhaite.


mercredi 21 novembre 2012

Musiques de Cassandra Miller

Je m'en voudrais de ne pas revenir sur le concert présenté lundi dernier au Lion d'Or par Les salons de l'Ombre Jaune, mettant en lumière deux œuvres de la compositrice Cassandra Miller, L'été deux mille douze (une création) et Bel canto, pièce lauréate du Prix Jules-Léger du Conseil des Arts du Canada (musique de chambre).

photo : Amy Horvey, 2011
Cassandra Miller possède une voix distincte. Sa musique laisse une part non négligeable de liberté aux interprètes (pour s'en convaincre, on peut regarder une des partitions de Bel canto ici), mais à aucun moment, l'auditeur n'a l'impression d'être témoin d'une improvisation, les choix interprétatifs restant encadrés. Ce qui est le plus troublant peut-être est la façon dont les deux pièces entendues happent de façon presque viscérale. On résiste à peine au tout début, le temps d'apprivoiser un langage, et puis on se retrouve plongé en soi ou encore dans un état de quasi transe, comme si on se lovait au cœur même du son.

Ainsi, déjà, au milieu du premier des six mouvements de L'été deux mille douze, les harmonies modales rappelant par moments les chants gaéliques ou celtiques maximisaient un certain état de nostalgie qui ont fait surgir en moi certaines images plus ou moins refoulées des manifestations du Printemps érable, émotions canalisées dans le deuxième mouvement par le martèlement des pas de la chanteuse, le lyrisme du violoncelle s'opposant au côté militaire du piccolo (Geneviève Déraspe, excellente, commanditaire de l’œuvre avec Marie-Annick Béliveau). On passe ensuite du tumulte au calme éthéré, avec des pages troublantes pour violoncelle et piano. Le violoncelle devient voix humaine, avec des inflexions parfois presque douloureuses. Yegor Dyachkov n'a rien perdu ici de son impressionnante musicalité. Dans son solo, Brigitte Poulin a su démontrer une remarquable délicatesse de toucher (que l'on a pu apprécier également en ouverture de programme dans l'atmosphérique Vertigo Beach de Nicole Lizée). Le cinquième mouvement maximisait les oppositions entre calme (voix et piano) et fièvre (violoncelle). Saluons ici le travail des éclairages de Jonas Bouchard qui mettait en relief certains déplacements ou postures des interprètes. Le dernier mouvement, jouissif, reprend un texte de Gaston Miron. Avec des dons d'actrice consommée (qu'elle démontrera également en deuxième partie, alors que ses deux lectures de « Vissi d'arte » de Tosca, l'une pour diva, l'autre pour ténor caractériel, encadrent Bel canto, qui reprend en partie la ligne mélodique de l'aria, mais de façon déstructurée), Marie-Annick Béliveau devient Miron, inflexions et interruptions dans le débit incluses.

Après la cérémonie officielle de remise du prix Jules-Léger, on a pu entendre l’œuvre lauréate, Bel canto, hommage ému à Maria Callas, pour deux ensembles (un trio de cordes et un quatuor formé d'une flûte, d'une clarinette, d'une guitare et de la chanteuse). Marie-Annick Béliveau nous emprisonne rapidement dans les filets de sa voix, qui finit par posséder un caractère incantatoire. Comme chez Scelsi, la pulsation cardiaque de l'auditeur, bercé ou hypnotisé, finit par s'abaisser, les repères par se dissoudre. Le temps semble s'effilocher, le son enveloppe, devient châle dans lequel se blottir, se souvenir, oublier. Une étonnante expérience de lâcher-prise musical.

On peut découvrir plusieurs œuvres de la compositrice sur son site, dont Bel canto, que j'ai réécouté avec plaisir deux fois déjà.

lundi 19 novembre 2012

Là-bas dans la plaine

« À Swift Current, l’hôtel où se trouve le bar Big I s’appelle Impérial. C’est une grande bâtisse au bas de la ville, dans Central Avenue. Derrière l’hôtel du côté de Railway Street, on voit, sur la voie ferrée, passer lentement les trains de marchandises aux wagons rouillés, ou on les voit attendre leur cargaison de blé ou de bétail. »

À Swift Current, la vie se vit à un rythme autre, celui des récoltes plus ou moins abondantes, des chinooks qui forcent les habitants à se cloitrer chez eux, de la saison de la chasse à laquelle il semble impossible de ne pas se plier, des diktats du calendrier scolaire, des soirs de week-end passés au bar à échanger histoires et parfois coups, des dimanches qui exigent une présence à l’église, du regard des autres qui s’immisce, toujours.

À Swift Current, certains ont leur bock attitré derrière le comptoir, d’autres se servent d’une boîte de sirop d’érable comme prétexte aux rencontres, d’autres ne font que passer, mais tous semblent posséder au creux d’eux-mêmes une certaine nostalgie, du français mal-aimé, d’une terre ancestrale jamais entièrement oubliée, d’un ailleurs dans lequel on tente de s’évader, un verre de bière, une tasse de café, un trajet en autobus ou en camion à la fois.

À Swift Current, on ressent d’abord l’impression troublante d’avoir été parachuté dans un autre lieu, une autre époque; on peine à en décortiquer les codes. En milieu de parcours, on comprend que cette accumulation de petits riens finit par ponctuer une vie. Quand on referme le livre, après une montée émotionnelle réussie (la dernière nouvelle, « Le mari de l’infirmière », se veut un voyage aussi bien dans l’imaginaire que dans le passé, dans l’art théâtral que dans la langue), on se dit qu’au fond, on aurait peut-être envie de s’y installer, le temps de panser quelques plaies, d’apprivoiser de nouveaux repères, que Vartan Hézaran nous raconte encore une histoire.

samedi 17 novembre 2012

Jésus, Cassandre et les demoiselles

Emmanuelle Cornu possède une écriture unique, tantôt scalpel, tantôt pinceau, qui demande à être apprivoisée. La galerie de personnages étonne de prime abord, laisse perplexe, provoque parfois le malaise, jusqu’à que l’on réalise que, au fond, ces personnages évoluant sur le fil très mince de la névrose, pourraient être un voisin, une amie, un parent, soi-même, que ces textes sont portés par un insolite souffle universel, contes pour enfants pas toujours sages qui nous permettent d’accepter nos tares à défaut de les annihiler. N’avons-nous pas tous, à un moment ou l’autre, ressenti la peur de l’abandon (« Tu vas revenir dans quelques minutes », la narratrice tremblant à l’idée que sa copine l’a quittée), une solitude trop lourde (« Cale sèche », magnifiquement ciselé), une incompréhension envers une cellule familiale dysfonctionnelle (« Deux gigantesques pointes de tarte », trio pour père instable, grand-mère envahissante et trait d’union dépassé)?

Emmanuelle Cornu découpe, expose, polit, fractionne encore une fois la trame narrative, isole l’instant, s’attarde au geste, avant de laisser les fragments nous exploser au visage, autant de parcelles de douleur (« Madame »), de beauté (« Reconnaître madame D. à la courbe de ses  mollets », portrait en demi-teintes, presque nostalgique), de quotidien (« L’exercice d’incendie », l’inquiétude latente de chacun se révélant dans ses interstices), d’étrangeté (« Killer Rabbits »). La nouvelle au titre improbable «Broche “vitrail de papillon (rouge grenat) ”, catalogue no 14, printemps-été, p. 302 », aux éclats fractionnés (tout comme « Le miroir de Jean-Yves », intéressante relecture du double), m’est apparu d’une certaine façon condensé du recueil et aurait peut-être mérité d’en devenir clé de voûte. 

La ritournelle se veut partie intrinsèque de cette écriture si particulière, impose au lecteur un rythme de lecture, refrain que l’on retrouve avec plaisir assez souvent, mais qui à d’autres agace (« Super bouchée » et ses répétitions presque intempestives du mot SUPER).

« Il était une fois Lysandre et son trop beau projet. Trop beau pour entrer dans une seule vie. Pour se matérialiser, se légitimer. Il était une fois Lysandre l’artiste. Et son travail. Et son cœur découpé en autant de tableaux. » Des semaines après la lecture, plusieurs de ces instants volés continuent d’habiter. L’auteure saura-t-elle trouver un autre souffle pour accompagner des personnages de roman? On le souhaite.



jeudi 15 novembre 2012

Mi-novembre

Quand vous parcourrez ces lignes, vous rentrerez peut-être, épuisés, de quelques heures passées au Salon du livre de Montréal. Aurez-vous patiemment attendu en ligne, au milieu d’une centaine d’autres fervents, dans l’espoir d’obtenir « la » signature? Vous ne m’y aurez probablement pas croisée, car je préfère de loin m’entretenir avec les nouveaux auteurs, souvent presque surpris que quelqu’un, quelque part, dans cet immense hall, les ait vraiment lus. Après tout, n’écrit-on pas d’abord pour l’autre?

Je le soulignais le mois dernier, le premier roman se porte bien au Québec. La nouvelle formule du Grand prix littéraire Archambault (qui sera décerné en janvier) mise maintenant uniquement sur les premiers titres. On y retrouve notamment le recueil de nouvelles de notre Recrue du mois, Emmanuelle Cornu, Jésus, Cassandre et les demoiselles, qui n’a laissé aucun de nos chroniqueurs indifférents. Elle sera d’ailleurs l’invitée de l’émission Actualités littéraires sur CKCU le mardi 20 novembre à 9 h 05 (en baladodiffusion presque aussitôt après). Elle y évoque les défis liés à la réalisation de ce recueil et échange avec Normand de Bellefeuille, son directeur littéraire; un rare regard « en coulisse ». Vous pouvez également l’entendre lire un extrait de son portrait de la troublante Madame D. « En quatrième secondaire, j’ai eu un coup de foudre pour la nouvelle grâce à madame Lefrançois – Madame D dans mon recueil, explique-t-elle dans le questionnaire. Ce prof a su trouver les mots qu’il fallait pour m’encourager à écrire et à persévérer. » Qui a dit que l’enseignement de la littérature ne changeait pas les vies?

Le livre lauréat du Prix Robert-Cliche, Hunter s’est laissé couler de Judi Quinn, fait partie lui aussi des titres recensés ce mois-ci. On avance souvent que l’on ne lit jamais le même livre. Nos deux collaboratrices, Maud Lemieux et Hélène Ferland, vous le constaterez, ont réagi de façon presque diamétralement opposée à ce roman inclassable.

Nous vous proposons également dans ce numéro plein à craquer sept  autres titres, dont Premiers soins, le premier recueil solo du slameur David Goudreault, Hop, une première BD adulte de Karine Gottot et Maxim Cyr, regard décapant sur le monde des hôpitaux, ainsi qu’un recueil de nouvelles publié chez Les Éditions du Blé, dépaysant séjour en Saskatchewan, Là-bas dans la plaine de Vartan Hézaran. Bonne lecture!

Découvrez le numéro ici...

mardi 13 novembre 2012

Mathieu Laca: mort ou vif

Il a à peine 30 ans, mais possède une rare maîtrise du médium, une culture artistique remarquable et une imagination absolument débridée. Faites vite, vous n'avez que jusqu'à dimanche pour le découvrir à la Galerie Modulum et vous approprier son univers à nul autre pareil. Son amour de Francis Bacon transparaît dans la façon dont il assemble ses toiles, les déstructure, y intègre l'élément qui perturbe la composition, déstabilise le spectateur.
Mathieu Laca: Francis Bacon

Dans ses autoportraits, le personnage est parfois traqué par une idée fixe, se dévoile dans un troublant moment volé, entre jouissance et agression, ou cherche à se définir en multipliant les regards qu'il pose sur lui-même. 

Mathieu Laca: Alter ego


La puissance de ses compositions, dans lesquelles le corps joue un rôle essentiel, n'a rien à envoyer à celle de Goya. (Il propose d'ailleurs une relecture de Saturne dévorant un de ces enfants, le visage du monstre occulté semblant d'une certaine façon repousser les limites même de cette violence sublimée.) Allégories, monstres déstructurés, hermaphrodite sans tête, on sort troublé de l'expérience, sans que jamais, étonnamment, la frontière du dégoût ne soit franchie.

Mathie Laca: Renaissance
Mathieu Laca propose aussi une remarquable galerie de portraits d'artistes célèbres, de Picasso à Riopelle, en passant par Tchaïkovski et Genet, deux toiles devant lesquelles je me suis longuement posée, avec lesquelles je serais bien repartie (le Tchaïkovski a été adopté par un autre connaisseur).  
Mathieu Laca: Tchaïkovski
Mathieu Laca: Genet
« Peindre le portrait d’un peintre est une forme de cannibalisme artistique, explique lui-même l'artiste. Non seulement vous vous appropriez l’apparence physique dudit peintre, mais, en imitant son style, vous pouvez jouer avec ses manies. Vous entrez alors dans un dialogue entre votre propre vocabulaire pictural et le sien. C’est la lutte de Jacob avec l’Ange. D’une certaine façon, vous aspirez son âme. Ceci ajoute tout un nouveau pan d’interprétation. » 
Mathieu Laca: Courbet
Sa série consacrée aux maîtres anciens, peinte avec les pigments et les techniques de l'époque, démontre hors de tout doute que nous avons affaire ici à un artiste en pleine possession de ses moyens, dont on continuera assurément de parler. À voir impérativement!

Vous pouvez découvrir ici le site consacré à l'exposition...

lundi 12 novembre 2012

Une étrange histoire d'amour

« Nous devons jouer notre vie à la première lecture, m’as-tu dit, et suivre la partition que le destin, chaque jour, nous met sous les yeux. » Tu m’as étreint, et tu as continué. « Vivre, au fond, n’est qu’une habitude sordide. Obligations, affections, devoirs. N’oublie pas : la vie est suspendue à un fil, mon petite Hannes. » 
Si je ne fréquente pas beaucoup les biographies (à part celles que je dois consulter quand je rédige des notes de programme), j'admets un penchant immodéré pour les textes qui traitent de musiciens ou nous permettent de connaître la musique de l'intérieur. Une étrange histoire d'amour se veut une relecture poétique de l'étrange triangle Johannes Brahms, Robert et Clara Schumann. Longue lettre de Brahms à Clara alors qu'il sent ses derniers instants venus et qu'elle a elle-même rendu son dernier souffle, le roman suppute, suggère, oriente, mais refuse de prendre entièrement  position. Et si, au fond, la passion de Clara et Johannes avait été de courte durée? Si l'ombre de Robert, interné, lui avait porté le coup fatal? Si Robert, parfaitement lucide, avait feint la folie pour empêcher sa femme de tomber dans les bras de son successeur en musique?

Luigi Guarnieri possède une plume habile, qui rend bien les demi-teintes de ce lien qui ne sera sans doute jamais élucidé. (Au fond, tant mieux, une histoire d'amour doit-elle nécessairement devenir publique parce qu'elle a été vécue par des artistes célèbres?) Il y évoque bien sûr la musique, qu'elle soit en gestation sur un manuscrit ou qu'elle devienne sublimée une fois entendue.
« J’étais enfoncé dans le fauteuil de velours cramoisi, visage anonyme et perdu parmi ceux de centaines de spectateurs, et pourtant il me semblait que tu ne jouais que pour moi, moi seul, et tes notes ne parlaient qu’à moi, qui fixais ta robe couleur d’encre, remarquais le rouge sur tes joues, et espérais te voir rester là pour toujours, clouée au tabouret, les yeux rivés sur la partition, un sourire grave à peine esquissé aux lèvres. » 

Il nous propose également une certaine peinture d'époque, articulée principalement autour de moments du quotidien plutôt que d'événements historiques. Il s'attarde par exemple à la relation du jeune Brahms (on oublie trop souvent que le compositeur n'a pas toujours été un vieux barbu ventripotent et ronchon) avec les enfants Schumann qui, chacun à sa façon, crient l'absence, du père aimé puis de la mère, toujours en tournée. Si, au début, les puristes se rebifferont peut-être un peu en découvrant les hypothèses avancées par Guarnieri (et les plus littéraires sur quelques étranges dissociations entre le je et le il, comme si Brahms parlait de lui à la troisième personne du singulier, choix improbable dans une lettre), ils finiront sans doute comme moi par se plier au rythme particulier de l'auteur, à la tendresse exacerbée qui déborde de ces pages, au respect qu'il porte à ses personnages, peut-être plus réels, plus incarnés dans cette fiction qu'ils ne l'ont jamais été dans les biographies traditionnelles. Cette étrange histoire d'amour n'a-t-elle pas permis à nombre de chefs-d’œuvre de voir le jour? Après tout, comme l'affirme fort joliment l'auteur, « … l’amour est-il autre chose qu’une musique jamais entendue? »

samedi 10 novembre 2012

Envoutant instrument

Les Ondes Martenot déstabilisent et apaisent à la fois, comme si l'instrument faisait vibrer une parcelle mal assumée de notre âme, l'emplit d'une nostalgie inconnue, l'« évide », comme l'avance d'ailleurs l'ondiste Suzanne Binet-Audet dans le documentaire Le Chant des ondes de Caroline Martel, présenté en première mondiale jeudi soir dans le cadre des RIDM. Comment son inventeur a-t-il pu insuffler cette vibrante parcelle d'humanité dans un instrument pourtant électronique? Mystère...

La réalisatrice Caroline Martel propose un voyage presque immersif, dans lequel la musique joue évidemment un rôle essentiel, ponctuant les instants atmosphériques de documents d'archive (fascinant de voir l'instrument démontré à la télévision d'alors ou d'entendre le disque promotionnel, son inventeur croyant que l'instrument deviendrait celui que tous rêveraient de posséder), de conversations avec des ondistes (comme celle en apparence impromptue entre les membres de l'Ensemble d’ondes de Montréal qui évoquent ce qui les a attirés dans l'instrument) ou encore avec Jean-Louis Martenot (fils de Maurice) ou Jeanloup Dierstein, « grand sorcier de la lutherie électronique », qui tente de mener l'instrument ailleurs.

Certains des échanges captés par la réalisatrice sont profondément touchants, comme lorsque l'on perçoit la pointe de nostalgie de Jean-Louis Martenot (qui n'ose accuser un père sans doute trop souvent absent) ou que Suzanne Binet-Audet rencontre Jonny Greenwood (du groupe Radiohead), sur scène, salle Wilfrid-Pelletier. « Je me sens comme si Elton John rencontrait Glenn Gould », résume-t-il. On saisit immédiatement l'envie presque viscérale de Binet-Audet à toucher les instruments de Greenwood, chaque instrument disposant d'un circuit légèrement différent, autant que cette révérence de Greenwood.

On sort de la salle sombre avec une envie presque viscérale de s'approprier l'instrument ou tout au moins de découvrir le répertoire que les compositeurs lui ont consacré. Un film à voir (reprise le 13 novembre à 21 h 15 à la Cinémathèque québécoise et diffusion en salles en janvier), mais surtout à ressentir!

Un site très complet est consacré au film, qui traite aussi bien de l'instrument et ses particularités que du répertoire entendu. À découvrir ici...



jeudi 8 novembre 2012

Génération 2012: pour la multiplicité des langages

L'ECM+ est en pleine tournée pan-canadienne cette semaine, histoire de faire découvrir aux publics de Banff, Calgary, Vancouver, Winnipeg, Montréal, Toronto, London et Ottawa les œuvres d'Annesley Black (Jenny's Last Rock, pour magnétophones et orchestre sur le thème du curling), Gabriel Dharmoo (Ninalvanjali, un hommage à son maître N. Govindarajan, mort en mai 2012), Marielle Groven (Animaris Currens Ventosa, inspirée des sculptures de Theo Jansen) et Riho Esko Maimets (Beatitude, concerto pour violon).

Vous pouvez lire mon article sur l'événement sur le site de Cette ville étrange ici...

Les Montréalais pourront découvrir les œuvres et rencontrer les quatre compositeurs demain soir, au Conservatoire, 19 h 30. Plus de détails...

mercredi 7 novembre 2012

Le chant des ondes

L'instrument est mystérieux à souhait même pour un musicien professionnel, laisse encore le quidam perplexe (comme j'ai pu le constater quand l'OSM a donné la Turangalîla de Messiaen l'année dernière et que mon voisin ne cessait de tenter d'expliquer l'instrument à celle qui l'accompagnait, sans se rendre compte que l'acoustique de la salle maximisait la transmission de son message). Demain, aux Rencontres internationales documentaire de Montréal, Le chant des ondes, un film de Caroline Martel retraçant le parcours étonnant de cet esprit sera présenté en première mondiale à l'Excentris. Une soirée festive, avec performances sur Ondes Martenot, est ensuite proposée à la Cinémathèque.

lundi 5 novembre 2012

Le torrent

Je n'avais pas remis les pieds dans un cinéma depuis mon blitz FFM et j'admets que j'avais très hâte de me retrouver en salle obscure et de me laisser happer par une histoire, surtout une transmission méticuleuse d'un classique de la littérature québécoise. J'avais bien sûr lu quelques pré-papiers dans lesquels le réalisateur Simon Lavoie expliquait la nécessité - et les difficultés - de monter ce film: « C'est un récit qui me colle à la peau, je suis lié à cette œuvre-là, confiait-il à La Presse. Quand j'ai découvert ce texte à l'adolescence, je me suis beaucoup identifié à François. » Il voit d'ailleurs dans ce texte une métaphore de notre société: « Mais peu à peu, j'ai compris qu'il y a là-dedans les schémas de notre imaginaire collectif qu'Anne Hébert avait pressentis. Pour moi, c'est presque un glossaire de la condition québécoise, comme une psychanalyse de la figure du Québécois. »

Pendant deux heures et demie, le film se déploie de façon organique. Si, au tout début, on peine à trouver nos repères, comme François qui ne sait plus tout à fait où il est ni ce qu'il vient de vivre, on apprivoise le récit par petites touches, par respirations (parfois hachurées). Le travail de scénarisation est exceptionnel et l'adaptation d'une fidélité presque maniaque. Pour m'en convaincre, j'ai lu la nouvelle hier et ai été soufflée quand j'ai réalisé la précision avec laquelle le moindre sous-texte et les plus subtils détails avait été transmis, que ce soit les traits physiques des personnages (la description des cheveux d'Amica, le front ravagé de la mère, la chevelure hirsute du vieux, la stature du colporteur), le côté indomptable du cheval Percival ou même la disposition physique des lieux. À peine Simon Lavoie a-t-il pris quelques (très légères) libertés lorsque certains éléments demeuraient flous dans le texte porteur d'Anne Hébert.
 « J'étais un enfant dépossédé du monde. Par le décret d'une volonté antérieure à la mienne, je devais renoncer à toute possession en cette vie. Je touchais au monde par fragments, ceux-là seuls qui m'étaient immédiatement indispensables, et enlevés aussitôt leur utilité terminée; le cahier que je devais ouvrir, pas même la table sur laquelle il se trouvait; le coin d'étable à nettoyer, non la poule qui se perchait sur la fenêtre; et jamais, jamais la campagne offerte par la fenêtre. Je voyais la grande main de ma mère quand elle se levait sur moi, mais je n'apercevais pas ma mère en entier, de pied en cap. J'avais seulement le sentiment de sa terrible grandeur qui me glaçait. »

Le traitement des images reste magnifique, particulièrement le dosage des éclairages, rarement éclatants, le plus souvent en demi-teintes, zones d'ombres, favorisant les ambiguïtés. En filigrane, le travail effectué sur le son se révèle d'une rare maîtrise. Jamais au cinéma québécois (et rarement ailleurs) n'ai-je été témoin d'une telle minutie dans le traitement des strates. Il n'est pas ici uniquement questionnement de la musique (bien conçue, de Normand Corbeil), mais de tout l'aspect sonore, des grondements aux sifflements, des craquements au bouillonnement du torrent, autant d'éléments essentiels pour entrer entièrement dans la psyché du personnage, qui doit apprivoiser la surdité.

Soulignons également le jeu des acteurs. Victor Andrés Trelles Turgeon, que j'avais remarqué dans Pour l'amour de Dieu de Micheline Lanctôt, a tout naturellement privilégié un jeu intense, tourné vers l'intérieur, physique (à quoi sert de dire quand tout autour de soi nous pousse à se taire?). Dominique Quesnel en marâtre d'une rare violence, réussit néanmoins à transmettre la fissure profonde que Claudine porte en elle. Cet enfant, qui la continue, elle lui voue au fond un amour féroce, qu'elle tente de mater à coup de corrections physiques et d'abus verbaux. Laurence Leboeuf campe quant à elle une Amica  (ainsi que, teinte en blonde, Claudine jeune, adroit clin d’œil du scénario) enjôleuse, source de rédemption aussi bien que de perte, lumière autant qu'ombre.

Un très grand film, tiré d'un texte puissant.

samedi 3 novembre 2012

L'automne du coeur

Découvert grâce à une nouvelle amie, un son unique, un travail presque poétique, une très belle plage (la deuxième sur l'album), qui exprime parfaitement en musique l'impression de suspension ressentie quand l'automne commence à perdre ses couleurs et devient nostalgie. (Les deux autres plages proposées sont tout autres, mais très intéressantes également.)

jeudi 1 novembre 2012

Traduire...

« Traduire un poème, c'est l'habiter avec une intensité qu'aucune lecture, pas même cent fois recommencée, ne saurait jamais offrir. Traduire, c'est pénétrer le système sanguin d'une œuvre, investir ses tissus, sonder sa moelle, explorer sa vitalité cellule par cellule. Il faut briser le texte et le détruire, puis à nouveau le reconstruire entièrement. Au cours d'un tel travail, on apprend autant sur soi que sur la poésie. » 

(Paul Auster, après avoir essayé de traduire Jacques Dupin dans sa jeunesse)

À la découverte du Québec: un nouveau challenge

Je suis toujours pro-littérature et culture québécoises, alors quand j'ai découvert ce challenge, qui s'étale jusqu'au 24 juin 2014 chez Sunflo, je n'ai pas songé une seconde à y résister.

On peut s'y inscrire en littérature (5 niveaux), culture québécoise (5 niveaux également) ou dans le combiné. Vous aurez sans doute déjà compris que j'ai choisi le combiné, visant le Patrick Senécal (plus haut niveau côté littérature (16 livres et plus) et le Xavier Dolan (13 à 16 articles) côté culture, simplement parce que le jeune cinéaste m'interpelle plus que le fondateur du Cirque du Soleil (niveau supérieur).

On peut encore s'inscrire ici...