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jeudi 11 avril 2013

Rencontres virtuoses

Andrew Wan et Jonathan Crow
Il y a des centaines de concerts que l'on oublie presque aussitôt. Heureusement, parfois, de trop rares soirées nous rappellent la beauté - et la nécessité - de l'expérience de concert. Le programme généreux, particulièrement bien équilibré, présenté lundi soir par Andrew Wan et Jonathan Crow à la Chapelle historique du Bon-Pasteur fait sans aucun doute partie de cette seconde catégorie. Violonistes exceptionnels aux parcours similaires, premiers violons de l'OSM et du Toronto Symphony Orchestra (Jonathan Crow a occupé le même poste à l'OSM également), membres du Nouveau Quatuor Orford, les artistes ont su démontré en quelques phrases à peine l'ampleur de leur complicité.Justesse, articulation, phrasé, respiration, intention : tout avait été réfléchi. Aucun dérapage, aucune incohérence, et tout cela avec le plaisir communicatif du partage musical, de la transmission de l'essence des partitions, qu'elles aient étaient écrites dans les années 1930 ou en 2013, le concert comprenant des créations de Michael Oesterle et Maxime McKinley.
Michael Osterle

Le programme misait sur la multiplicité du genre. Qui eût cru que deux instruments identiques, habitués de surcroit à se mêler dans une masse orchestrale, puissent démontrer une personnalité aussi vibrante, une fois juxtaposés? Les instruments semblaient se métamorphoser d'un compositeur à l'autre. Du violon plus folklorique de Bartók, nous sommes passés au registre atmosphérique de Rocking Mirror Daybreak de Takemitsu, page qui arrête le temps, nous forçant à apprivoiser le langage autrement, non pas en tant qu'élément narratif ou directionnel, mais simplement contemplatif. Michael Oesterle est ensuite venu mettre sa pièce en contexte, ne s'attardant pas à sa structure ou même à la théorie des graphes au cœur même de ses Eulerian Dances, mais en revisitant des souvenirs de duos de Bartók justement, joués avec son professeur, et de sa toute première œuvre, écrite pour la formation. Un détour par l'émotion ressentie, plutôt que par l'analyse, qui n'a pas empêché de tracer certains prolongements avec le Bartók (l'aspect rythmique de la deuxième section du deuxième mouvement par exemple) ou le Takemitsu (la fin du premier mouvement, valse dont la pulsation semble se dissoudre, élément repris dans le finale). Si le travail instrumental était en partie articulé autour d'un certain déphasage, toujours organique cependant, les deux solistes demeuraient intimement liés dans cette démonstration mathématique, en rien désincarnée. La première partie s'est terminée par le collage décalé de Schnittke, Moz-Art, souvent jouissif.

Maxime McKinley

En une belle symétrie, la deuxième s'amorçait par des duos de Bério, pédagogiques eux aussi, dédiés à des amis, autant de façons pour le musicien en herbe de se frotter au langage contemporain. Sept proximités de Maxime McKinley jouait ensuite avec le concept même du pareil/pas pareil. Et si les deux instruments représentaient deux humains,en apparence semblables, pourtant uniques? « Qu'est-ce que c'est que le monde, examiné, pratiqué et vécu à partir de la différence et non pas de l'identité? », demande Alain Badiou dans Éloge de l'amour. Les deux violons tantôt se rapprochent, tantôt s'éloignent. Dans « Unisson », la pulsation donne la mesure de l'écart grandissant, alors que dans « Antiphonie », l'opposition entre pizzicato et legato permet instantanément de cerner les deux personnalités. « Diaphonie », dans laquelle les deux musiciens, soudés par le rythme, une respiration commune, mais complémentaires au niveau des registres, semble redéfinir l'équation 1 + 1 = 1.  « Contrepoint » met en scène un Jonathan Crow presque obsessif retravaillant un motif, pendant qu'Andrew Wan multiplie les montées de doubles cordes. « Hétérophonie » mise de nouveau sur une certaine tendresse entre les deux, « Mélodie accompagnée » évoque la collaboration, avant que « Hoquet » ne mène la pièce vers un apex explosif de virtuosité.

Le concert se terminait en un arc parfait (la première œuvre du programme aaynt été composée en 1931, la dernière en 1932) sur l’exigeante, mais essentielle Sonate pour deux violons de Prokofiev, pierre angulaire du répertoire, impeccablement rendue elle aussi. Un bonbon a été offert en guise de rappel, clin d’œil au Schnittke, un arrangement du célèbre Rondo alla turca.  Malgré les horaires surchargés des deux violonistes, on ne peut que souhaiter que ce programme parte en tournée. Rarement un récital se sera révélé aussi gratifiant à tous les plans.

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