Comment dire quand on doit le faire dans une langue étrangère, qui nous a été imposée par un peuple qui se dit « fondateur » quand il n'a fait que s'approprier une terre il y a quelques siècles de cela? Comment dire quand on a la jeune vingtaine, que l'on vient d'une réserve, élève seule son enfant, mais qu'on étudie chez les Blancs, écartelée peut-être entre ce que l'on est - ou croit être - et ce que l'on essaie de devenir?
« Derrière la blancheur de sa peau, elle est rouge de la tête aux pieds. Rouge, la couleur des tisons qui fuient, celle de la brunante aux chaleurs d’été et celle du sang qui coule de la fourrure des animaux chassés. »
On prend la parole autrement, à travers une série de tableaux, mi-réels, mi-imaginés. On détourne certaines structures lexicales pour qu'elle représente un peu mieux le rythme de la langue innue, peut-être. On montre le quotidien, parfois glauque, mais le filtre à travers la fiction (ou du moins une langue seconde), parce que, sinon, qui osera lire.
« J'ai inventé des vies. L'homme au tambour ne m'a jamais parlé de lui.... Il marmonnait une langue vieille, éloignée. J'ai prétendu tout connaître de lui. L'homme que j'ai inventé, je l'aimais. Et ces autres vies, je les ai embellies. Je voulais voir la beauté, je voulais la faire. Dénaturer les choses – je ne veux pas nommer ces choses – pour n'en voir que le tison qui brûle encore dans le cœur des premiers habitants. »
Imparfait peut-être - comme tous les premiers livres -, Kuessipan reste pourtant profondément émouvant car, derrière les clôtures arrachées, les maisons identiques plus ou moins entretenues, les problèmes de dépendance, les incompréhensions, il y a la vie qui continue de battre, ces couples qui se promettent l'un à l'autre - « un amour pur, sans contrainte légale. Un amour qui durera. » -, ces enfants qui naissent entourés d'amour, parfois inconscient, parfois presque désespéré, ce lien à la terre et aux ancêtres, ces vieux qui ont tout vu et qui pourraient être revenus de tout, mais dont le regard brille quand même encore. « Elle a des yeux d’Indienne qui ont tout vu, et qui s’étonnent de rire souvent. Un regard qui brûle. De l’intérieur, de l’existence. Tu vois, elle est belle. » Et puis, il y a cette voix, qui s'élève, puissante, subtile, qui cherche à transmettre, à rejoindre. Il sera encore temps d'éliminer quelques scories dans le prochain roman. Je ne serai sans doute pas la seule à l'attendre.
Ce premier roman m'interpelle et me tente beaucoup ! Je note de ce pas.
RépondreSupprimerMerci pour ta participation qui m'offre une belle découverte :)
Je pense qu'on peut le trouver assez facilement en France. Sinon, fais-moi signe! :)
RépondreSupprimerTu parles très bien de ce roman, dont j'avais beaucoup aimé l'écriture aussi.
RépondreSupprimerCe livre m'intéresse comme tous ceux qui concernent les amérindiens. Je le note donc.
RépondreSupprimerÀ bientôt Lucie
Le Papou
Anne: contente de savoir que ce livre a une vie de ton côté de l'océan aussi.
RépondreSupprimerLe Papou: je pense que tu sauras y être sensible. À bientôt! :)