Ce matin, je me suis réveillée dans un nouveau lieu. Le tourbillon des derniers jours m'a évidemment empêchée de lire plus de quelques pages éparses, mais ma bibliothèque est déjà placée, voilà l'essentiel, non? Certains amis venus m'aider hier ont un peu froncé les sourcils quand ils ont constaté que ma PAL s'étalait sur deux rayons complets. (Non, elle n'est pas classée, tout le reste, si!) Il faut bien admettre qu'avant, elle était un peu mieux dissimulée, car éparpillée en plus d'un lieu... Mais l'été, c'est fait pour jouer... et lire, non?
J'ai cherché ce que j'écouterais comme première pièce pour vérifier si j'avais bien connecté mes haut-parleurs d'ordinateur (j'ai réussi du premier coup, mauvaises langues). Le vainqueur a été Carlos Paredes, découvert lors du spectacle de nanodanse Dance & Cry, je que je partage avec vous ici...
La musique et l’écriture ont été de tout temps les deux pôles de la vie créatrice de l'auteure. Ce site se veut donc un hommage à la musique (particulièrement classique) et à la littérature, mais aussi au théâtre et aux autres manifestations artistiques.
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samedi 29 juin 2013
mardi 25 juin 2013
Passagers de la tourmente
« Viscéral serait le bon mot pour décrire l'univers de Passagers de la tourmente », annonçait la quatrième de couverture. Pour toutes les fois où on raconte n'importe quoi (ou brûle un punch) dans l'espoir de séduire le lecteur, cette phrase représente l'essence même du recueil d'Anne Peyrouse. `
Viscéral comme dans viscères, pas seulement au sens métaphysique du terme, car quelques nouvelles décrivent les moindres palpitations et tourments du corps de l'intérieur. Au fil des pages, on sent la sueur, les odeurs putrides, les bouleversements intestinaux ou psychologiques, on se fait jeter quelques pulsions en plein visage. Parfois, on a envie de détourner le regard, de se pincer le nez, mais certaines des images sont suffisamment puissantes pour qu'on s'accroche encore, qu'on veuille découvrir un autre univers, parfois d'une affligeante banalité, parfois chargé d'une certaine poésie.
Un recueil rempli d'aspérités, mais qui ne s'oublie certainement pas une fois le livre fermé.
Viscéral comme dans viscères, pas seulement au sens métaphysique du terme, car quelques nouvelles décrivent les moindres palpitations et tourments du corps de l'intérieur. Au fil des pages, on sent la sueur, les odeurs putrides, les bouleversements intestinaux ou psychologiques, on se fait jeter quelques pulsions en plein visage. Parfois, on a envie de détourner le regard, de se pincer le nez, mais certaines des images sont suffisamment puissantes pour qu'on s'accroche encore, qu'on veuille découvrir un autre univers, parfois d'une affligeante banalité, parfois chargé d'une certaine poésie.
« Blanche déraison qu'il possède et dépossède... On blanchit de l'argent, mais pas ses mains et son âme. On jette de la chaux sur les victimes des génocides pour éviter les odeurs fortes de putréfactions. Le sperme des violeurs est blanc. Leurs enfants doivent naître comme l'exige notre bon pape blanc inviolé. Les faibles sentent toujours plus fort, moins distingués, que les riches; ils n'ont pas la blancheur des désinfectants. »La galerie de personnages se révèle souvent particulièrement originale. On y découvre une grand-mère qui n'en peut plus de supporter l'apathie de son énorme petit-fils (« Porte close », impitoyable), un client qui fantasme rare quand il se rend chez le coiffeur (« Coconut Dandy », savoureux), une préposée qui s'attache à une patiente que tous considèrent dingue (« Alice », doux-amer, qui propose trois fins différentes), des grands-parents bouchers qui ne mènent pas une vie totalement ordinaire (« Sans l'ombre d'un doute, c'est permis », raconté avec une belle tendresse par la petite-fille). Certaines se veulent aussi de véritables petites bombes, comme « Le roman du désir », extrêmement troublant, ou « Mouvement à trois », qui pose un regard différent sur les questions africaines, mon coup de cœur (coup au cœur plutôt) incontestable.
Un recueil rempli d'aspérités, mais qui ne s'oublie certainement pas une fois le livre fermé.
dimanche 23 juin 2013
Chien de fusil
Elle était l'une des deux invitées de l'émission de juin réalisée en collaboration avec CKCU.
Alexie Morin signe un très beau premier recueil, dans lequel la nature, mais aussi l'exclusion jouent un rôle essentiel. On y entend les craquements des arbres, le tumulte des cours d'eau, le bouillonnement intérieur. Quelques citations en partage...« Il attend des mots qui dépassent la pensée, l’assaillent et forcent leur chemin hors de lui, loin, en paroles si importantes qu’il se laisserait démembrer, arracher les doigts, les dents, sinon ça ne vaut pas le coup. »
« Nous volons. Notre ombre glisse sur la terre comme une coulée de lave. Notre ombre s’agrandit et recouvre la terre de sa guérison. Je regarde en même temps les arbres morts et les toitures trouées. Nous volons. Nous recouvrons le ciel d’amour et de mort. Sur la terre s’étend l’ombre de sa guérison. »
« Ça cesse comme ça a commencé. Je supporte un autre jour avec toi, mais je n'y arriverai plus très longtemps, on ne peut rester si près d'une telle magie sans se laisser contaminer, ça fait trop peur et je ne veux pas mourir. »
vendredi 21 juin 2013
Des notes et des mots: le swap!
Aujourd'hui, fête de la musique en Europe (bien malheureusement pas au Québec, même nous sommes en pleines Francofolies), c'est le temps de révéler le contenu des paquets de swap. Contrepoint obligé ici: quelques hiiiiiiiii! et haaaaaaaaa! bien placés.
D'abord, Lali et moi avons un peu triché. Nous n'avons pas fait confiance à Postes Canada... ou plutôt avons préféré investir le montant astronomique du port dans un petit paquet de plus. Nous avons profité d'un concert conjoint du Quatuor Bozzini et de Wandelweiser pour nous échanger nos paquets, mais avons refusé de les ouvrir sur le champ, histoire de respecter tout de même quelques règles du base du swap. Fourbue après la journée, j'ai déposé le paquet sur mon bureau et suis allée me coucher, me disant que mon petit déjeuner serait quand même bien agréable, paquet-cadeau oblige! Voici donc ce que cela donnait. avant que mes menottes ne s'en emparent (avec délicatesse tout de même).
Puis, une fois le contenu déposé sur mon piano à queue. (Les photos sont cliquables.)
Côté lecture, Lali a souhaité me faire découvrir un de ses auteurs chouchous, Mia Couto, avec L'accordeur de silences. Elle a aussi bien visé avec le coffret de Thomas Hellman dédié à Roland Giguère (mettant en musique plusieurs textes du poète), car cela fait plusieurs fois que je le prends en librairie et le dépose, me disant que, non, ce n'était pas raisonnable. Côté musique, elle n'a pas eu à chercher bien loin sans doute pour m'offrir la compilation 2013 de Nuits d'Afrique, elle et moi ayant passé des instants mémorables au Festival l'année dernière et nous nous prévoyons déjà quelques soirées là-bas en juillet. (Je portais d'ailleurs un des bracelets que j'avais achetés dans le souk installé sur les lieux!)
Il y a aussi bien sûr ces petits extras qui font toute la différence: un joli savon, un thé Prince Vladimir de Kusmi (mélange de thés noirs de Chine aromatisé agrumes, vanille et épices), un mignon marque-page qui vient du Vermont et une tablette mémo pour mon nouveau frigo (ou la laisserai-je trainer sur mon bureau? L'avenir nous le dira!) qui vient du Maine (on est international ou on ne l'est pas!).
Merci à Lali et à Anne, la gentille organisatrice de ce swap!
Bonne fête de la musique aux amis européens!
D'abord, Lali et moi avons un peu triché. Nous n'avons pas fait confiance à Postes Canada... ou plutôt avons préféré investir le montant astronomique du port dans un petit paquet de plus. Nous avons profité d'un concert conjoint du Quatuor Bozzini et de Wandelweiser pour nous échanger nos paquets, mais avons refusé de les ouvrir sur le champ, histoire de respecter tout de même quelques règles du base du swap. Fourbue après la journée, j'ai déposé le paquet sur mon bureau et suis allée me coucher, me disant que mon petit déjeuner serait quand même bien agréable, paquet-cadeau oblige! Voici donc ce que cela donnait. avant que mes menottes ne s'en emparent (avec délicatesse tout de même).
Puis, une fois le contenu déposé sur mon piano à queue. (Les photos sont cliquables.)
Il y a aussi bien sûr ces petits extras qui font toute la différence: un joli savon, un thé Prince Vladimir de Kusmi (mélange de thés noirs de Chine aromatisé agrumes, vanille et épices), un mignon marque-page qui vient du Vermont et une tablette mémo pour mon nouveau frigo (ou la laisserai-je trainer sur mon bureau? L'avenir nous le dira!) qui vient du Maine (on est international ou on ne l'est pas!).
Merci à Lali et à Anne, la gentille organisatrice de ce swap!
Bonne fête de la musique aux amis européens!
mercredi 19 juin 2013
À boire!
Le collectif des 5 coins du globe avait pris un petit repos, le temps que deux de ses membres fassent quelques clichés au Brésil. Nous avons remis ça avec une photo de notre boisson nationale. C'est par ici...
À la fin de la soirée, cela aurait aussi pu donner cette composition. S'cusez-la!
À la fin de la soirée, cela aurait aussi pu donner cette composition. S'cusez-la!
mardi 18 juin 2013
Wandelweiser et Quatuor Bozzini: faire parler le silence
Wandelweiser... un groupe, une esthétique, une façon unique de penser la musique. Que le mot Wandelweiser juxtapose changement et sagesse n'est certes pas fortuit. Ici, les compositeurs mettent la main à la pâte et se révèlent aussi interprètes. Plutôt que d'accepter l'isolation inhérente au métier, ils décident d'unir leurs forces, leurs points de vue, et offrent à tout coup une expérience déstabilisante, pourtant toujours parfait cohérente et organique. Le compositeur autrichien Radu Malfatti décrit d'ailleurs cette musique comme une « évaluation » et une « intégration » du silence/de silences, une réaction au « tapis de sons se déroulant à l’infini ». L'auditeur doit accepter de laisser ses attentes de tensions devant automatiquement connaître une résolution dans un espace-temps à des années-lumière de ce que les membres de Wandelweiser proposent.
Toujours à l'avant-garde, le Quatuor Bozzini s'est uni au collectif international pour offrir un weekend immersif, pendant lequel quelques chanceux ont pu apprivoiser l'électro de Manfred Werder et Antoine Beuger confortablement installés sur des matelas vendredi et les curieux profiter de trois concerts en rafale samedi, se réapproprier l'essentiel Christian Wolff dimanche et découvrir des pages du Canadien Daniel Brandes (une commande pour les deux ensembles juxtaposés), de l'Allemand Thomas Stiegler et de l'Autrichien Radu Malfatti.
A tenuous "we" de Daniel Brandes se veut une page de poésie minimaliste, qui donne à l'auditeur le sentiment de contempler un paysage tellurique, en apparence statique, mais pourtant en constante évolution. Une impression d'assister à la naissance du monde, dans un calme intérieur presque impossible à atteindre ici, les bruits de portes et les échos de la bruyante salle du bar de la Casa del popolo venant constamment troubler ces instants suspendus.
Treibgut (Épave) de Thomas Stiegler, pour violon et violoncelle, transpose en musique une subtile oscillation, presque hypnotique, alors que Gelbe Birne III (Poire jaune III, pour violon, clarinette et violoncelle) relève de la nature morte sonore. On s'attarde sur les reflets du son, sur le miroitement, par moments incapable d'appréhender le moment où le son devient silence. De format plus ambitieux, Gelbe Birne VI pour quatuor à cordes naît d'un unisson, duquel s'extirpe l'un ou l'autre des instruments, sur lequel s'érigera éventuellement une structure qui semble disparaître aussitôt ses formes clairement esquissées, les instruments à cordes donnant l'impression de se transformer en instruments à vents à la fin, avant que le frottement des archets sur les chevalets ne se dissolve entièrement dans le néant. Und. Ging. Außen. Vorüber (Et. Suis parti. À l'extérieur. Au-delà de) m'a rappelé un peu Kurt Schwitters. Trois voix, l'une chuchotée, l'autre chantée, la troisième scandée (chaque mot, la plupart d'une syllabe, se déclinant en une pulsation), se juxtaposent, s'entremêlent, finissent par se dissocier après l'intervention de trois radios, l'oreille se trouvant d'une certaine façon suffisamment « nettoyée » pour enfin reconnaître les mots de cette improbable et presque dadaïste liste.
L'après-entracte était consacré à l’œuvre au long cours du tromboniste et compositeur Radu Malfatti, éminence grise du Wandelweiser, Darenootodesuka, une cinquantaine de minutes de travail sur le silence plutôt que sur la musique, à l'image du 4'33'' de Cage par instants, particulièrement envoutant. On aurait ici souhaité des chaises plus confortables, l'immobilité étant de mise si l'on souhaitait ne pas trop ajouter de strates sonores au silence, déjà amplement troublé par le vrombissement du système de climatisation et les multiples autres scories. Les musiciens semblaient totalement habités par ces longs moments suspendus, pourtant non dépourvus de façon paradoxale de direction. À aucun moment, des applaudissements intempestifs ont été retenus, les spectateurs, devenus participants, semblant fondre leurs respirations les unes dans les autres.
Un programme exigeant, mais profondément stimulant.
Toujours à l'avant-garde, le Quatuor Bozzini s'est uni au collectif international pour offrir un weekend immersif, pendant lequel quelques chanceux ont pu apprivoiser l'électro de Manfred Werder et Antoine Beuger confortablement installés sur des matelas vendredi et les curieux profiter de trois concerts en rafale samedi, se réapproprier l'essentiel Christian Wolff dimanche et découvrir des pages du Canadien Daniel Brandes (une commande pour les deux ensembles juxtaposés), de l'Allemand Thomas Stiegler et de l'Autrichien Radu Malfatti.
A tenuous "we" de Daniel Brandes se veut une page de poésie minimaliste, qui donne à l'auditeur le sentiment de contempler un paysage tellurique, en apparence statique, mais pourtant en constante évolution. Une impression d'assister à la naissance du monde, dans un calme intérieur presque impossible à atteindre ici, les bruits de portes et les échos de la bruyante salle du bar de la Casa del popolo venant constamment troubler ces instants suspendus.
Treibgut (Épave) de Thomas Stiegler, pour violon et violoncelle, transpose en musique une subtile oscillation, presque hypnotique, alors que Gelbe Birne III (Poire jaune III, pour violon, clarinette et violoncelle) relève de la nature morte sonore. On s'attarde sur les reflets du son, sur le miroitement, par moments incapable d'appréhender le moment où le son devient silence. De format plus ambitieux, Gelbe Birne VI pour quatuor à cordes naît d'un unisson, duquel s'extirpe l'un ou l'autre des instruments, sur lequel s'érigera éventuellement une structure qui semble disparaître aussitôt ses formes clairement esquissées, les instruments à cordes donnant l'impression de se transformer en instruments à vents à la fin, avant que le frottement des archets sur les chevalets ne se dissolve entièrement dans le néant. Und. Ging. Außen. Vorüber (Et. Suis parti. À l'extérieur. Au-delà de) m'a rappelé un peu Kurt Schwitters. Trois voix, l'une chuchotée, l'autre chantée, la troisième scandée (chaque mot, la plupart d'une syllabe, se déclinant en une pulsation), se juxtaposent, s'entremêlent, finissent par se dissocier après l'intervention de trois radios, l'oreille se trouvant d'une certaine façon suffisamment « nettoyée » pour enfin reconnaître les mots de cette improbable et presque dadaïste liste.
L'après-entracte était consacré à l’œuvre au long cours du tromboniste et compositeur Radu Malfatti, éminence grise du Wandelweiser, Darenootodesuka, une cinquantaine de minutes de travail sur le silence plutôt que sur la musique, à l'image du 4'33'' de Cage par instants, particulièrement envoutant. On aurait ici souhaité des chaises plus confortables, l'immobilité étant de mise si l'on souhaitait ne pas trop ajouter de strates sonores au silence, déjà amplement troublé par le vrombissement du système de climatisation et les multiples autres scories. Les musiciens semblaient totalement habités par ces longs moments suspendus, pourtant non dépourvus de façon paradoxale de direction. À aucun moment, des applaudissements intempestifs ont été retenus, les spectateurs, devenus participants, semblant fondre leurs respirations les unes dans les autres.
Un programme exigeant, mais profondément stimulant.
lundi 17 juin 2013
Sept jours sur le fleuve
« Un bon livre est le plectre qui fait vibrer nos lyres, qui le reste du temps sont silencieuses. Il n’est pas rare que nous attribuions l’intérêt qui appartient à la suite non écrite que nous lui donnons au corps écrit et, partant, sans vie de l’œuvre. Cette suite est la partie indispensable de tous les livres. » (p. 417)
J'ai découvert Henry David Thoreau il y a plusieurs années, à travers des extraits de son Journal, dans un très beau livre illustré (que j'ai emprunté à la bibliothèque, mais jamais retrouvé en librairie), publié aux Éditions Pierre Terrail. Je me suis ensuite plongée dans La désobéissance civile (devenu d'une troublante pertinence lors du Printemps érable), puis Walden ou la vie dans les bois et quelques essais isolés. Si j'avais en apparence délaissé la lecture de Thoreau, il continuait de m'accompagner. En visite au Massachusetts il y a quelques années, j'avais notamment visité avec une réelle émotion Walden Pound, un lieu assez magique, que se sont appropriés les habitants du coin, qui s'y baignent, y font du canot, y pêchent, y joggent, y piqueniquent... Récemment, j'ai vu Les hivers de grâce, montage dramaturgique réalisé par Denis Lavalou à partir des écrits de Thoreau, et assisté à une des causeries organisées en périphérie de l'année Thoreau (sur laquelle je reviendrai d'ailleurs pour un numéro ultérieur de la revue Jeu).
Sept jours sur le fleuve vient tout juste d'être traduit en français, 160 ans après sa publication en anglais à compte d'auteur par Thoreau (qui a dû racheter 706 des 1000 exemplaires imprimés!). Le transcendantaliste américain y revient sur un voyage effectué en compagnie de son frère John, qui devait mourir peu après, sur les eaux de la Concord River et du fleuve Merrimack. On ne parle pas réellement ici d'un récit de voyage, car Thoreau y a travaillé une dizaine d'années après le fait, désireux sans doute de faire revivre autrement son frère adoré. S'il s'inspire des notes prises alors, l'auteur y intègre un journal de réflexions particulièrement touffu, ramassé de façon symbolique sur sept jours (en référence à la Genèse), dans lequel il s'interroge certes sur les liens qui unissent homme et Nature (il travaille d'ailleurs sur Walden alors qu'il peaufine ce texte), mais aussi sur ceux entretenus par l'homme avec un être suprême (il s'appuie aussi bien sur des références à la Bible qu'aux penseurs grecs, perses, chinois ou hindous), le créateur (particulièrement le poète) avec son œuvre, mais aussi l'homme avec ceux qui l'entourent. On y trouve notamment de merveilleuses pages sur l'amitié.
« Aussi sûrement que le crépuscule en mon dernier novembre me transportera dans le monde éthéré, en me rappelant le matin rubicond de la jeunesse, aussi sûrement que la dernière note de musique qui glissera dans mon oreille quasi sourde me fera oublier mon âge, en d’autres termes : aussi sûrement que les multiples influences de la nature perdureront pendant le temps de notre sur terre, mon Ami restera mon Ami et détournera un rayon de Dieu sur moi, et le temps élèvera, ornera et consacrer notre Amitié, comme les ruines des temples. Je t’aime, mon Ami, comme j’aime la nature, les oiseaux qui chantent, le charme chatoyant, le courant des rivières, le matin et le soir, l’hiver et l’été. » (p. 303)
Pour apprécier entièrement ce livre, il faut accepter d'adopter un rythme de lecture autre, les digressions et les références parfois très pointues s'y multipliant. On voudra peut-être le savourer en petites tranches de quelques pages, sur le bord d'un lac calme au petit matin ou du moins au milieu d'un espace-temps qui favorise pleine liberté d'esprit.
« Il y a deux classes d’hommes qu’on appelle poètes. Les uns cultivent la vie, les autres l’art – les premiers cherchent des alignements pour se nourrir, les seconds pour leur saveur ; les uns satisfont leur faim, les autres font plaisir à leur palais. Il existe deux types d’écriture, aussi noble et rare l’une que l’autre : dans le premier cas, l’écrivain a du génie ou de l’inspiration, dans le second, il a de l’intelligence et du goût, dans les interstices de l’inspiration. » (p. 398)
samedi 15 juin 2013
Joanna Gruda notre recrue
Peut-on encore trouver un angle différent pour traiter l’Holocauste de façon romanesque? Tant de géants s’y sont frottés – on peut penser ici au pape de l’autofiction Serge Doubrovsky, à Jorge Semprun ou à Georges Perec –; est-ce bien raisonnable en 2013 de tenter la chose? En inversant d’une certaine façon la donne, Joanna Gruda permet au lecteur de plonger de l’autre côté de l’horreur. Et si, plutôt que de décrire les charniers, on s’attardait à croquer le destin d’un gamin ayant survécu à la Deuxième Guerre mondiale, qui a regardé la mort dans les yeux, sans cligner, « parce qu’on a bien vu, avec le temps, que les bombardements, ça ne tuait que les autres »… Nos quatre collaboratrices ont cédé sans réserve au charme de cet enfant, père de la narratrice, qui signe ici un vibrant hommage. On ferme le livre, sourire aux lèvres, impatient de savoir quel genre d’adulte Julian deviendra. L’auteure proposera-t-elle éventuellement une suite? Pas à en croire cette réponse à l’une des interrogations de notre questionnaire. « Les nouvelles que j’ai écrites étaient toutes inventées, bien sûr, mais avec mes nouveaux romans, c’est la première fois que je dois inventer de toutes pièces quelque chose de plus long qu’un court récit de quelques pages. C’est enivrant. Et épeurant. »
Deni Y. Béchard, dont Vandal love avait connu une belle reconnaissance, s’inspire lui aussi de son père, ex-voleur de banque et hors-la-loi, dans son très dense deuxième roman, Remèdes pour la faim. En prolongement, vous pourrez traverser un autre mur, celui de l’univers carcéral. Pierre Ouellet vit derrière les barreaux depuis 1972, pour vols à main armée et tentative de meurtre. Il propose avec Barbelés un récit autobiographique dans lequel la littérature joue un rôle important.
Lauréate de plusieurs prix pour ses traductions (avec son complice Paul Gagné), Lori Saint-Martin aborde dans son premier roman, Les portes closes, le monde de la peinture et dissèque avec une rare dextérité l’usure du couple. Notre nouvelle collaboratrice Marie-Jeanne Leduc, à qui je souhaite la plus chaleureuse bienvenue, a beaucoup apprécié cette fugue à deux voix. Ceux qui aiment noter dans leur carnet des phrases ciselées voudront s’approprier sans tarder le très beau recueil de poésie Fondations d’Olyvier Leroux-Picard (magnifique objet de surcroit). La fin des classes est presque là. Si vous pensez offrir un cadeau à un(e) adolescent(e) de votre entourage, n’hésitez pas à lui glisser en douce La pomme de Justine de Valérie Harvey, une histoire d’amour pas tout à fait comme les autres. Bonne lecture!
Courez vite lire le numéro courant de La Recrue du mois ici...
vendredi 14 juin 2013
Faire siens les mots des autres
« Je relisais le dernier chapitre de ma traduction. C’était un moment de grâce, j’avais l’impression d’avoir réussi à sauvegarder l’autre langue dans ma propre langue, comme si rien d’essentiel n’en avait été perdu, ni les sonorités ni le rythme. » (Louise Dupré, La memoria)
Existe-t-il relation plus intime que celle entretenue par un lecteur avec le livre entre ses mains? Cette impression d’entendre la voix d’un ami, ce plaisir de se faire raconter une histoire, cette conviction qu’un texte changera notre vie, ne peuvent se révéler entièrement que si les nuances d’une langue sont parfaitement maîtrisées. Doit-on se priver de la découverte d’un auteur, par peur de ne pas saisir toutes les strates de sens? C’est ici qu’entrent en jeu les traducteurs, ces amoureux des mots qui les restituent autrement, qui les interprètent comme un musicien déchiffre une partition, sans jamais en trahir l’essence.
Le traducteur reste un passeur, un pont entre deux univers, deux voix, unies par un même désir viscéral de communication. Humble, il marche sur ce fil tendu entre des êtres qui ne se connaissent pas encore, mais s’espèrent, se devinent. Il révèle les mots de cet autre plutôt que les garder pour lui, partage l’émotion ressentie à la lecture d’une phrase, l’admiration pour le ciselé d’une figure de style, le sourire esquissé après un dialogue bien ficelé.
Certains parlent de la traduction comme d’une trahison; d’autres y voient avec raison une histoire d’amour. « J’aime quand vous me parlez en anglais. Ça me force à traduire les mots dans ma tête et j’ai l’impression d’échanger un long baiser avec un beau garçon », faisait dire à un de ses personnages Philippe Girard dans Le chapeau. Existe-t-il au fond un geste plus noble, plus désintéressé, que ce travail dans l’ombre, par simple volonté de diffuser un texte, de faire résonner une voix, de se laisser toucher par elle, afin qu’un propos circule, suscite la réflexion? Défi, responsabilité, mission; et si, au fond, la traduction offrait au lecteur et à une langue une double liberté?
(En recopiant dans mon fichier de citations celles que j'avais extraites du très beau livre de Louise Dupré, je me suis rappelée ce texte, écrit comme « examen » pour un contrat potentiel avec un organisme fédéral. J'ai eu envie de le partager ici. Je devais aussi le réduire à un texte de 500 caractères et un de 140 caractères ou moins, ère de l'instantané exige.
Un auteur, un lecteur; isolés par leurs langues respectives. Entre eux deux, un traducteur, travailleur de l’ombre, qui sculpte la lumière.)
mercredi 12 juin 2013
Minority Report
La science-fiction et moi, cela fait deux. J'ai jadis lu un Bob Morane avant d'abdiquer, n'ai jamais ouvert un livre d'Asimov, ai réussi à m'endormir au cinéma lors d'un épisode de Star Wars auquel on m'avait traînée, n'ai jamais vraiment compris le plaisir de lire des romans d'anticipation. Ce n'est pas faute de manquer d'imagination pourtant...
J'ai dû un peu réviser mes positions en prévision de la dernière rencontre de notre club de lecture (initié par cette chère Kikine), car la thématique était cette fois double: les BD Paul de Rabagliati (série que j'aime beaucoup) et la science-fiction ou fantasy. Hum... Qu'allais-je bien pouvoir lire? En faisant quelques recherches, j'ai appris que Philip K. Dick était considéré un maître du genre (un prix de science-fiction porte d'ailleurs son nom) et me suis dit que ce pourrait être un point de départ intéressant. En regardant la liste (impressionnante) de titres, j'ai réalisé que trois des récits de l'auteur américain avait été portés au cinéma et que l'une de celles-ci était Minority Report, rarissime film de science-fiction que j'ai non seulement vu au cinéma, mais revu avec plaisir sur DVD après. (On lui doit aussi Blade Runner, chef-d’œuvre du genre quand même, et Total Recall.)
Alors le verdict? Le style de Dick reste alerte, mais en même temps un peu daté. On parle quand même d'un texte écrit en 1956 et il faut bien admettre que la technologie a passablement évolué depuis. (Les ordinateurs à cartes poinçonnées font office de dinosaures ici.) On sent quand même encore planer l'ombre du Maccarthysme (ce qui n'est pas sans intérêt et malheureusement pas si daté que cela), tant dans la nouvelle éponyme que dans d'autres du recueil. Cela m'aura-t-il réconcilié avec le genre? Pas totalement, même s'il faut saluer la maîtrise incontestable de Souvenirs à vendre (l'adaptation - Total Recall - m'a semblé en comparaison plutôt fade). Cela m'a par contre confirmé que, pour toutes les fois où le film ne semble pas à la hauteur du livre, ici, Spielberg a réussi à transformer un récit finalement assez banal (hormis le concept même du Précrime, fascinant il faut l'admettre) en un objet cinématographique cohérent, aux multiples rebondissements. (Il faut sans doute saluer ici le travail des scénaristes, Scott Frank et Jon Cohen.)
J'ai dû un peu réviser mes positions en prévision de la dernière rencontre de notre club de lecture (initié par cette chère Kikine), car la thématique était cette fois double: les BD Paul de Rabagliati (série que j'aime beaucoup) et la science-fiction ou fantasy. Hum... Qu'allais-je bien pouvoir lire? En faisant quelques recherches, j'ai appris que Philip K. Dick était considéré un maître du genre (un prix de science-fiction porte d'ailleurs son nom) et me suis dit que ce pourrait être un point de départ intéressant. En regardant la liste (impressionnante) de titres, j'ai réalisé que trois des récits de l'auteur américain avait été portés au cinéma et que l'une de celles-ci était Minority Report, rarissime film de science-fiction que j'ai non seulement vu au cinéma, mais revu avec plaisir sur DVD après. (On lui doit aussi Blade Runner, chef-d’œuvre du genre quand même, et Total Recall.)
Alors le verdict? Le style de Dick reste alerte, mais en même temps un peu daté. On parle quand même d'un texte écrit en 1956 et il faut bien admettre que la technologie a passablement évolué depuis. (Les ordinateurs à cartes poinçonnées font office de dinosaures ici.) On sent quand même encore planer l'ombre du Maccarthysme (ce qui n'est pas sans intérêt et malheureusement pas si daté que cela), tant dans la nouvelle éponyme que dans d'autres du recueil. Cela m'aura-t-il réconcilié avec le genre? Pas totalement, même s'il faut saluer la maîtrise incontestable de Souvenirs à vendre (l'adaptation - Total Recall - m'a semblé en comparaison plutôt fade). Cela m'a par contre confirmé que, pour toutes les fois où le film ne semble pas à la hauteur du livre, ici, Spielberg a réussi à transformer un récit finalement assez banal (hormis le concept même du Précrime, fascinant il faut l'admettre) en un objet cinématographique cohérent, aux multiples rebondissements. (Il faut sans doute saluer ici le travail des scénaristes, Scott Frank et Jon Cohen.)
lundi 10 juin 2013
Se mettre dans l'eau chaude
Cette semaine, Espace libre et sa rue adjacente connaissent un lifting total, se transformant en spa (je l'admets, les bains-tourbillon disposés sur Coupal m'ont fait regretter d'avoir choisi le forfait « sec » plutôt que « mouillé »). Qui dit spa pense « bien-être », mais ici, de façon assez subversive comme plusieurs des initiatives de l'Action Terroriste Socialement Acceptable (ATSA), on aborde plutôt le bien-être mental et social. Doit-on se priver d'un instant de bonheur individuel si cela ne contribue en rien à notre bien-être collectif? Voilà une question troublante, que l'on se pose sans doute de temps en temps, mais à laquelle on appose rarement une réponse cohérente.
Une certaine effervescence anime les participants à ce Spa libre, il faut l'admettre. On sourit aux préposés qui nous remettent une robe de chambre, une carte avec notre numéro (qui nous permettra de prendre une consommation si désiré sans avoir à dissimuler des billets dans notre bikini), une interjection plastifiée. On se dévêt, en maillot ou en « mou », dispose nos effets dans un sac qui sera déposé dans un casier barré. On note un numéro d'identification sur notre poignet gauche.
On se presse vers le hall d'entrée de la salle, avec ces 80 autres qui ont répondu à l'appel, après avoir pris soin de remplir un questionnaire « bien-être » (sur place ou en ligne) plutôt intéressant. On retrouve quelques amis, on rigole un peu, pas encore nerveusement. Les portes s'ouvrent et nous sommes invités à enlever nos chaussures et à nous trouver un endroit sur le tapis. Un clocher d'église est disposé comme une ogive au plafond de la salle. Mylène Roy, notre prof de yoga pour la soirée, tente d'abaisser nos battements cardiaques, tâche quasi impossible, un colonel d'armée désabusé nous houspillant copieusement en contrepoint. On finit par se joindre au groupe, tentant quelques positions plus ou moins improbables. Là aussi, impossible de lâcher prise car, à chaque fois que l'on porte les yeux sur l'écran devant, on se retrouve confronté à des scènes de pauvreté, de torture, de violence, dont la puissance a malheureusement été émoussée à force d'avoir été bombardées au téléjournal. Au deuxième niveau, un trader (Jean-François Nadeau) donne ses ordres pour des rachats d'actions, une masseuse (Geneviève Rochette) décrit le dos de son patient comme la carte d'une Afrique dévastée.
On nous dirige ensuite vers le sauna sec (pour ceux qui ne sont pas en maillot) ou la douche (pour les autres, qui portent le carré rouge, clin d’œil amusant, au revers de leur robe de chambre blanche). Le malaise s'installe alors franchement. Il fait chaud, on manque d'air, les lumières rouges au plafond rendent le tout férocement glauque et nous sommes bombardés de voix inintelligibles. On se met alors à regarder son poignet, « tatoué » d'une lettre et d'un chiffre et on se dit que les instants avant de mettre les pieds dans la chambre à gaz devaient ressembler à cela. Une dame enceinte près de moi a commencé à s'inquiéter. (Elle a été gentiment accompagnée dans un endroit plus frais.) À un moment, la porte s'ouvre et ceux en maillots ont été rafraîchis par des jets d'eau et une petite course autour de l'Espace libre. (La température était moins que tropicale samedi soir.)
On retrouve ensuite le confort relatif de la salle, les tapis ayant été remplacés par une chaise de sauveteur, un faux segment de piscine et un bain sur pattes. On entre alors dans le segment plus « social ». Des représentants de divers organismes (Greenpeace, Amnistie internationale, L'inconvéniant...) nous invitent à signer leurs pétitions. Geneviève Rochette réfléchit au bien-être collectif avant de se faire couler un bain (il ne restera plus d'eau, bien sûr), puis devient reporter et nous parle des raisons menant à une certaine apathie - pour ne pas dire à une apathie certaine - de la population, avant que le reportage ne s'interrompe, car on annonce un coup d'état, angle Fullum et Coupal. Jean-François Nadeau, juché sur la chaise de sauveteur, arrose gentiment quelques participants avec un fusil à eau et puis, il galvanise la foule, qui scande, dans un beau fouillis, les slogans remis à l'entrée (ou d'autres, impossible de décrypter le tout). Des mascottes serrent dans leurs bras quelques chanceux (j'ai eu droit à un câlin d'Anarchopanda - ou pandette dans ce cas-ci), des rafraichissements sont distribués. On nous invite ensuite à discuter avec nos voisins des gestes posés au quotidien pour atteindre le bonheur (individuel ou collectif).
Ce premier projet théâtral de l'ATSA demeure intéressant, mais reste pour l'instant un peu embryonnaire. Une fois la brèche ouverte, le malaise installé, une autre intervention plus « musclée » m'aurait semblé nécessaire pour que l'opération puisse se révéler entièrement efficace. On aurait par exemple pu « forcer » la parole en faisant passer un micro dans le groupe. (Si notre petit groupe a discuté du « thème imposé » pendant une minute ou deux, il faut bien admettre que rien de particulièrement concluant n'en est sorti.) On aurait pu également proposer un dernier segment théâtral qui aurait pu mener ceux présents à poser des gestes concrets.
Je suis sortie d'Espace libre certes habitée par ce qui venait de se passer, mais avec l'impression d'avoir dû quitter avant la fin. N'empêche, je rêverais de voir le tout présenté comme événement gratuit d'un quelconque festival, histoire de ratisser plus large. Et puis, je dois bien admettre que, le lendemain matin, quand j'ai vu à mon poignet le numéro qui m'avait été assigné (F52), cela m'a de nouveau donné froid dans le dos. En frottant un peu, il est disparu en quelques secondes; d'autres en portent encore, sans pouvoir jamais l'oublier.
Une certaine effervescence anime les participants à ce Spa libre, il faut l'admettre. On sourit aux préposés qui nous remettent une robe de chambre, une carte avec notre numéro (qui nous permettra de prendre une consommation si désiré sans avoir à dissimuler des billets dans notre bikini), une interjection plastifiée. On se dévêt, en maillot ou en « mou », dispose nos effets dans un sac qui sera déposé dans un casier barré. On note un numéro d'identification sur notre poignet gauche.
Crédit photos : Aurélie Jouan |
Crédit photos : Aurélie Jouan |
Crédit photos : Aurélie Jouan |
Ce premier projet théâtral de l'ATSA demeure intéressant, mais reste pour l'instant un peu embryonnaire. Une fois la brèche ouverte, le malaise installé, une autre intervention plus « musclée » m'aurait semblé nécessaire pour que l'opération puisse se révéler entièrement efficace. On aurait par exemple pu « forcer » la parole en faisant passer un micro dans le groupe. (Si notre petit groupe a discuté du « thème imposé » pendant une minute ou deux, il faut bien admettre que rien de particulièrement concluant n'en est sorti.) On aurait pu également proposer un dernier segment théâtral qui aurait pu mener ceux présents à poser des gestes concrets.
Je suis sortie d'Espace libre certes habitée par ce qui venait de se passer, mais avec l'impression d'avoir dû quitter avant la fin. N'empêche, je rêverais de voir le tout présenté comme événement gratuit d'un quelconque festival, histoire de ratisser plus large. Et puis, je dois bien admettre que, le lendemain matin, quand j'ai vu à mon poignet le numéro qui m'avait été assigné (F52), cela m'a de nouveau donné froid dans le dos. En frottant un peu, il est disparu en quelques secondes; d'autres en portent encore, sans pouvoir jamais l'oublier.
jeudi 6 juin 2013
La magie de la musique
« Le sentiment que j’ai de la vie est un sentiment musical – la musique, comme chacun sait, accomplissant ce prodige de disparaître dans le même temps où elle apparaît. » (Christian Bobin, Autoportrait au radiateur)
J'ai joué dans toutes sortes de circonstances dans ma vie: dans des cocktails mondains quand personne (ou presque) n'écoute, pour les enfants qui attendaient à l'arrière-scène lors du 50e anniversaire de mon école primaire (les adultes étant trop occupés à échanger des souvenirs sans doute), lors de mariages, en récitals privés, menant un(e) ami(e) aux larmes, dans des concerts d'élèves, dans des concours plus ou moins importants, en tant qu'accompagnatrice (pianiste collaboratrice plutôt), à quatre-mains, à deux pianos, dans un musée... Rien de comparable encore à l'expérience de jouer dans une église, sur un clavier électronique, lors de l'accueil de parents, amis et connaissances, pendant l'heure et quart précédant les funérailles du père de quatre de mes anciens élèves, fauché en quelques mois par un cancer fulgurant, à 46 ans.
Le matin, je suis partie en métro avec 4 ou 5 kilos de partitions sur le dos: quelques pages classiques, mais surtout de la pop, le père étant guitariste amateur, fervent amateur notamment des Beatles et des groupes anglais des années 1960 et 1970. Quand j'ai parlé à la mère dimanche des détails techniques, j'entendais à l'arrière-plan deux des filles, l'une chantant, l'autre l'accompagnant au piano. Cela faisait semble-t-il une heure et demie qu'elles épluchaient une anthologie des Beatles (arrangée pour piano facile) que je leur avais dénichée il y a quelques années. J'ai réalisé combien j'étais bénie d'avoir pu leur transmettre la grammaire et la syntaxe du langage universel.
L'émotion était bien sûr à son comble. On ne quitte pas cette vie de la même façon dans la force de l'âge que lorsque centenaire. L'église était aussi bondée qu'à la messe de minuit, l'homme, l'un des plus gentils et intègres que j'aie jamais rencontrés, en ayant visiblement touché des centaines d'autres. Je revoyais les enfants pour la première fois depuis un an, si dignes dans leurs vêtements sombres. Un instant, j'ai craint de ne pas avoir assez de bras, d'amour, pour les envelopper tous.
Je suis rentrée et me suis assise derrière le clavier, à moins d'un mètre de la photo du défunt, posée sur un chevalet. Lui pourrait m'entendre parfaitement, me souffler à l'oreille peut-être ce que j'allais jouer. J'ai interprété Bach, Satie, puis me suis laissée porter, parfois par les demandes spéciales des enfants. Tous sont venus à un moment ou l'autre près du piano, même si deux ont maintenant changé d'instrument. La puce, que j'ai connue même avant sa naissance, s'est plantée pendant de longues minutes à mes côtés, parfaitement attentive. Le garçon est venu s'informer à un moment si je ne m'« ennuyais pas trop » et a tourné mes pages. La troisième s'est assise dans la première rangée avec ses amies, pour discuter en musique sans doute. L'aînée me raconterait après la cérémonie qu'elle avait commencé à apprendre Stairway to Heaven, mais n'avait pas eu le temps de se rendre jusqu'au bout avant que... La mère aussi a pris le temps de respirer quelques minutes, dans le calme, alors que je jouais Smile de Charlie Chaplin. Nos regards se sont croisés quelques secondes, un sourire spontané est né. La musique, une fois encore, démontrait sa toute-puissance.
Merci à Jules de nous avoir réunis. Merci aux proches qui, à distance, m'ont accompagnée en pensée pendant ces instants d'une rare intensité. Merci la musique, langue maternelle, langue universelle. Merci la vie, même quand tu sembles un peu chiche.
« La mort n’éteint pas la musique, n’éteint pas les roses, n’éteint pas les livres, n’éteint rien. » (Christian Bobin, Un assassin blanc comme neige)
mardi 4 juin 2013
What bloody man is that : variations énigmatiques
Qualifié par la metteure en scène Angela Konrad d’opérette trash (l’appellation anglaise punk operetta me semble plus juste), What bloody man is that
se révèle un objet foisonnant, qui intègre aussi bien la physicalité de
Grotowski que le théâtre de la cruauté d’Artaud ou la distanciation de
Brecht, auteur que la metteure en scène allemande, maintenant installée à
Montréal, a monté et démonté à quelques reprises. Il est d’ailleurs
essentiellement question ici de déconstruction, de réinterprétation d’un
mythe, geste qui s’inscrit dans la lignée d’Heiner Müller. Les
personnages de Macbeth et de Lady Macbeth font maintenant suffisamment
partie de l’imaginaire collectif pour qu’Angela Konrad puisse se servir
du couple comme d’un thème jamais entendu dans son intégralité,
néanmoins intelligible, sur lequel elle érige une structure narrative
cohérente entre théâtre, comédie musicale, cabaret, spoken word, cirque
et cinéma parfois porno.
Pour lire le reste de ma critique...
Pour lire le reste de ma critique...
lundi 3 juin 2013
Farewell Montreal : avant de te dire adieu
Imaginez une fête à laquelle un copain vous aurait conviés. Vous ne
connaissez pas les hôtes, Chad Dembski et Dustin Harvey. Vous savez tout
au plus que le premier habite à Montréal, le second à Halifax. Vous
avez peut-être mal noté l’heure ou l’adresse, avez été surpris par le
déluge. Vous arrivez une fois qu’il ne reste que quelques invités. Des
ballons rouges jonchent le sol, les rubans collés au plafond manquent un
peu de vigueur. Plus personne ne danse. Les derniers fêtards se sont
assis, autour d’une table ou sinon sur le tapis du salon. Vous vous
joignez à eux, un peu incertain, pourtant confiant.
Vous regardez l’écran et apercevez Chad et Dustin vous faisant de grands signes d’au revoir. Vous ne pouvez vous empêcher de sourire, vous imaginant les réflexions que se passent les passants. Et puis, le ton bascule. Une première question est posée, en musique. Comment dites-vous au revoir? Par une caresse, un baiser, une accolade? L’interrogation s’immisce en vous, doucement. Chad vous propose ensuite des enregistrements, réalisés aux quatre coins de la ville, boîtes noires qui contiennent des parcelles de vie montréalaise, qu’il dispose aux quatre points cardinaux. On se perd dans cette polyphonie de voix, qui finit par servir de trame de fond à un autre texte. « Why do you live where you live?» (Pourquoi habites-tu là où tu habites?)
Vous pouvez lire la suite de ma critique sur le site de la revue Jeu...
Vous regardez l’écran et apercevez Chad et Dustin vous faisant de grands signes d’au revoir. Vous ne pouvez vous empêcher de sourire, vous imaginant les réflexions que se passent les passants. Et puis, le ton bascule. Une première question est posée, en musique. Comment dites-vous au revoir? Par une caresse, un baiser, une accolade? L’interrogation s’immisce en vous, doucement. Chad vous propose ensuite des enregistrements, réalisés aux quatre coins de la ville, boîtes noires qui contiennent des parcelles de vie montréalaise, qu’il dispose aux quatre points cardinaux. On se perd dans cette polyphonie de voix, qui finit par servir de trame de fond à un autre texte. « Why do you live where you live?» (Pourquoi habites-tu là où tu habites?)
Vous pouvez lire la suite de ma critique sur le site de la revue Jeu...
samedi 1 juin 2013
L'homme atlantique: déconstruire, dit-il
Pour Marguerite Duras, l’amour meurt avant même qu’il ne naisse. La rencontre entre un homme et une femme est condamnée dès le premier geste, le premier baiser, le premier regard, ce même regard qui s’inscrit au cœur de son œuvre, qui détaille, implacable, qui découpe, en autant de plans fixes à apprivoiser autrement, qui dissèque, scalpel qui arrache et aseptise les sentiments. Le rendez-vous entre Christian Lapointe et l’auteure iconoclaste, au contraire, semblait prédestiné. Le metteur en scène propose une lecture envoutante de cet étonnant diptyque, formé de La maladie de la mort et de L’homme atlantique, deux propos complémentaires qui, en distanciant de façon consciente le spectateur, le prend en otage un instant, mais lui offre les clés pour pénétrer à l’intérieur du sens. « Jusqu’à cette nuit-là vous n’aviez pas compris comment on pouvait ignorer ce que voient les yeux, ce que touchent les mains, ce que touche le corps. Vous découvrez cette ignorance. »