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jeudi 8 août 2013

Sans toi, je n'aurais pas regardé si haut

« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » (Marcel Proust)

Le parc La Fontaine, une flâneuse, les saisons qui passent. On plonge dans le recueil de Denise Desautels en espérant peut-être reconnaître des lieux, une rangée d'arbres, les Leçons singulières de Michel Goulet, le plan d'eau, mais on réalise rapidement que le propos est ailleurs, que le texte se décline plutôt comme une série d'instants non pas volés, mais plutôt conservés précieusement dans la boîte à souvenirs, que le lieu vaguement mythique, traversé tant de fois au fil des ans, reste le cœur, le poumon de la poète, qu'il lui a servi aussi bien de témoin que de confident, de miroir que de révélateur, conjuguant - conjurant - passé et présent.

Sans toi, je n'aurais pas regardé si haut se lit comme une lettre au fils, lui qui n'a pas toujours pu - ou voulu - accepter la part plus sombre des textes de sa mère.
 « Déjà, petit adverbe dangereux, forcément incompatible avec le doute indispensable à l’espoir d’un étonnement. D’un futur qui fait écrire. La part lisse du déjà dit ne laissant aucune place à l’autre, la dynamique, la vertigineuse, celle qui soulève urgence et panique, et te concerne, quoi que tu en penses, malgré le ça ne me regarde pas qui de temps en temps me fixe, surgi du fond de ton regard. » 

Il se veut surtout un hommage au lieu qui a vu grandir l'auteure, au fil des ans, des coups bas de la vie (elle revient notamment sur la départ précipité de son amie chère, évoqué dans Tombeau de Lou), ainsi qu'aux auteurs lus à l'ombre d'un arbre, avec le clapotis de l'étang dans les oreilles, en jetant un coup d’œil plus ou moins distrait à la faune. 

« Je me souviens de m’être arrêtée quelque part le long de la piste cyclable pour lire les premières pages de Miniatures, balles perdues et autres désordres [de Monique Deland]; de m’être demandé si on pouvait survivre à ce qui nous hante. Tant de brasiers qui n’en finissent plus de brûler en nous. »
Le hasard - mais il n'y a pas de hasard - a voulu que je mette les pieds au Parc La Fontaine à trois reprises déjà cet été, après l'avoir négligé pendant plus d'un an, avec des amis de passage d'abord, mais aussi avec les membres du club de lecture il y a quelques jours, que j'ai retrouvés dans le très bel espace La Fontaine. J'étais encore imprégnée de ma lecture du recueil et, quand j'ai croisé les chaises de Michel Goulet, j'ai eu l'impression un instant de mêler mes pas rapides à ceux sans doute plus contemplatifs, de Denise Desautels. J'ai entendu de nouveau ce violoncelliste qui, il y a deux ans, jouait les Suites de Bach, en communion totale avec les lieux. Je me suis revue, les pieds dans l'eau, à rire avec un ami alors qu'un chien faisait la course avec les canards. Sur la terrasse, j'ai eu l'impression une seconde de l'y voir, vêtements foncés, petites lunettes rondes, avant de me laisser happer par la beauté solaire d'une femme à la chevelure rousse, en train de lire un livre de John Cage.

Les quelques photos incluses dans le recueil se sont superposées à ce que je voyais, aux espaces verts envahis par les marcheurs, les coureurs, un cours d'aérobie, à l'effervescence des conversations autour de la table sur le thème du voyage. J'ai réalisé qu'il était rare au fond qu'un recueil de poésie s'inscrive aussi naturellement dans le quotidien, le prolonge, le fasse résonner. Je sais que j'y reviendrai, que je me plongerai aussi dans les auteurs cités, que je chercherai à retrouver la voix si particulière de l'auteure ailleurs, autrement.

« Absolument rien à vider. À part mon cœur. Dont l'écriture - petit geste de survie devant le pouvoir disproportionné des monstres - s'est chargée, du moins en partie, se charge encore. Écriture que je souhaiterais tant - ça viendra peut-être - incendiaire à son tour. Dévastatrice. »

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