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vendredi 1 novembre 2013

Henri Michaux: Mouvements / Gymnopédies: noir sur blanc

Marie Chouinard propose ces jours-ci au Théâtre Maisonneuve deux œuvres complémentaires, qui jouent beaucoup sur les oppositions, entre noir et blanc, trame sonore tonitruante et musique planante, solos (qui parfois se superposent) et numéros de groupe. 

Henri Michaux: Mouvements se veut plutôt ludique. Des dessins abstraits qui peuvent évoquer par moments le test de Rorschach quand on se met à suranalyser, sont projetés sur une immense écran blanc. Les danseurs, vêtus de noir, comme s'ils avaient été entièrement trempés dans un pot d'encre (visage et mains non compris) attendent de chaque côté de la scène, devenue véritable aire de jeu. Chacun leur tour, en duo, en trio, en groupe, parfois uniforme, parfois superposition de gestes indépendants, ils s'avancent, frondeurs, jettent parfois un regard de défi à la projection, puis prennent la pose. Taches / taches pour obnubiler / pour rejeter / pour désabriter / pour instabiliser / pour renaître / pour raturer / pour clouer le bec à la mémoire / pour repartir.

Chaque dessin devient une mini-histoire, dont les héros sont souvent des animaux ou des oiseaux, parfois traqués. Le rythme est effréné, prolongement de la trame sonore explosive de Louis Dufort, qui n'avait certes pas besoin d'être crachée à volume maximal. Deux instants de répit bienvenus pour les tympans nous donnent à voir Carol Prieur, qui se glisse sous le tapis de danse, comme si elle se dissimulait sous la tranche du livre (belle idée), pour nous déclamer, d'une voix tout sauf nuancée, un extrait du poème de Michaux et à entendre une lecture sentie, théâtrale, de la postface de Michaux. 

Les oreilles et les yeux engourdis par tant de stimulations (on regarde le dessin de Michaux, on évalue l'intérêt de la relecture, parfois avec le sourire, autant d'instants volés très vite balayées par la prochaine offrande), on finit malheureusement par décrocher, relevant ici et là la façon dont Chouinard travestit un corps en y ajoutant des tissus noirs qui allongent les lignes ou la façon dont les cheveux qui s'agitent permet de retranscrire autrement un dessin. La fin, en négatif, les signes étant projetés blanc sur noir, les danseurs noyés par une lumière stroboscopique, mène néanmoins le spectateur vers un essentiel apex émotif.

Je te veux

Pendant l'entracte, on se demande comment l'oreille réussira à apprivoiser les harmonies statiques, vaguement planantes, des Trois Gymnopédies de Satie. Quand le rideau se lève, on est d'abord fasciné par la palette de gris, magnifiquement mise en valeurs par les éclairages d'Alain Lortie, danseurs et piano étant recouverts de tissus, comme si nous pénétrions dans une maison abandonnée ou dans le coffre-fort d'un musée. (La façon dont le piano était emballé m'a d'ailleurs rappelé l'installation Inflitration homogène pour piano à queue de Joseph Beuys.) Des corps nus s'extraient des housses, disparaissant deux par deux vers l'arrière-scène. Après avoir baigné quelques instants dans l'ouverture de Tristan et Isolde de Wagner (le lien avec Satie m'échappe ici), on plonge d'un seul coup dans la matière sonore de la pièce, les Trois Gymnopédies, interprétées par l'un ou l'autre des danseurs, avec quelques fausses notes, sans trop de relief, ce qui étrangement rend le tout plus humain, devient miroir de la fragilité de ces liens qui se tissent entre les couples qui évoluent sur scène, tant hétérosexuels qu'homosexuels (superbe duo d'hommes). Ici, la couleur chair prend assurément le dessus sur le noir, pourtant porté par les danseurs.

Les duos amoureux, tantôt érotiques, parfois vulgaires, se suivent, s'entrecroisent à des processions de groupes, l'apparition des bouffons au nez rouge, la juxtaposition de parades amoureuses entre hommes et femmes qui nous rapprochent du règne animal (clin d’œil indirect à la première proposition de la soirée). Les danseurs viennent saluer, on croit la soirée terminée. Certains se pressent vers la sortie, mais ils reviendront rapidement sur leurs pas, car il devient vite impossible de résister à cet immense post-scriptum volontiers cabotin, pendant lequel les danseurs se moquent aussi bien d'eux-mêmes que du langage chorégraphique, s'assoient au milieu du public, puis se lèvent pour applaudir de façon caricaturale quand ils ne se vautrent pas carrément sur les fauteuils en quelques poses incitant à la luxure. Sur scène, ils batifolent, se versent un verre, se mettent à fumer, dissertent dans le vide, trouvent de nouvelles utilités à un clavier électronique; le public rigole, avec l'impression d'avoir été invité à une représentation circassienne, se prend au jeu, devient partie intégrante du spectacle. 

Vous avez encore deux soirs pour vous glisser en salle...


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