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mercredi 30 avril 2014

La poupée de Kokoschka

Alors qu'il a 26 ans, Oska Kokoschka tombe amoureux fou d'Alma Mahler, de sept ans son aînée, qui vient de perdre son mari. Une idylle s'amorce, qui ne durera que deux ou trois ans, ponctuée par séparations et retrouvailles tumultueuses. Le peintre produira alors certaines de ses plus belles pièces, porté par l'amour qu'il porte à sa muse. Celle-ci devait malheureusement lui préférer l'architecte Walter Gropius, qu'elle fréquentait déjà à l'époque de son mariage avec Gustav Mahler. Perclus de chagrin, Kokoschka commande à Hermine Moss, costumière de théâtre, une marionnette grandeur nature, représentation aussi réaliste que ce peut de son amour perdu. Complètement investie dans le projet, sans doute éprise du peintre, Hermine confectionnera aussi une réplique du peintre et de Reisl, sa servante. 
L'histoire est connue des amateurs de Kokoschka et aurait pu ne demeurer qu'une curiosité. Dans son premier roman La poupée de Kokoschka, réédité récemment chez Héliotrope, l'auteure Hélène Frédérick s'inspire de celle-ci pour tisser un étrange portrait en demi-teintes de cette Hermine dont on sait au fond si peu de choses, mais aussi d'une époque. Si, au départ, dans ce journal auquel elle se confie, elle ne relate que certaines des grandes lignes de son projet, elle finit par s'y révéler entièrement, évoquant sa sœur, ses amis, revenant sur son passé, alors qu'elle était elle-même la poupée d'hommes qui payaient pour ses services.  
L'auteure a su fort habilement doser ce périple d'Hermine à l'intérieur d'elle-même. Si au début, elle adopte un ton presque clinique (il ne faudra pas se laisser rebuter par ces passages), elle le modulera au fur et à mesure, menant la protagoniste tantôt vers une jalousie qui la consumera par moment, tantôt vers un certain désabusement, par rapport au projet lui-même, mais surtout à cette Première guerre mondiale qui sème la désolation sur son passage. Intercalés entre les bribes de récit d'Hermine, certains tableaux et dessins de Kokoschka prennent vie, le sujet parlant au peintre, tentant de s'extraire de ce rôle de faire-valoir, de marionnette qui suscite l'inspiration.Cela donne lieu à un superbe jeu de poupées-gigogne, qui nous questionne sur le rôle que chacun joue dans la vie des autres.
« Je deviens ainsi votre marionnette, la seule "vraie" poupée de l’histoire, celle que l’on manipule pour créer illusion, pour combler un vide, ou du moins temporairement l’oublier. Temporairement. Voilà toute la valeur que vous m’accordez. » 
Je lirai assurément le deuxième roman de l'auteure, Forêt contraire, paru ces jours-ci, dans un registre tout à fait différent.


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