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mercredi 20 août 2014

Forêt contraire

J'avais beaucoup aimé La poupée de Kokoschka, premier roman d'Hélène Frédérick repris au printemps chez Héliotrope, attendais que son second, Forêt contraire, croise ma route (ou la recroise, car je l'ai manipulé plusieurs fois en librairie avant de céder).


À première vue, on pourrait avoir l'impression que les deux titres n'ont rien à voir et pourtant. Plus on avance dans Forêt contraire et plus on réalise que ces deux titres ne pouvaient qu'avoir été écrits par une même auteure, à la voix identifiable. Ils traitent tous les deux à un niveau ou à un autre d'identité (celle que l'on se forge soi-même), de féminité (prolongement direct de la réflexion sur l'identité), mais aussi de jeux de masque. Alors que, dans La poupée de Kokoschka, la costumière de théâtre Hermine entretient un curieux chassé-croisé avec le peintre Oska Kokoschka à travers des lettres volontiers ambiguës, dans Forêt contraire, la narratrice (dont on ne saura jamais le vrai nom) tentera d'articuler son passé autrement, notamment à travers des séances de jeu masqué (ici aussi, aux contours parfois flous) avec André, son voisin dans la forêt d'Inverness, jadis comédien, bienfaiteur aux motifs pas toujours désintéressés.
« Je pense aux hommes et aux femmes exigus, tiens, aux obtus, aux sans-angles, aux œillères, aux gens lisses, aux fantômes, aux absents dont il est si difficile de se défaire parce qu’ils ont pris les contours impalpables d’un nuage, les vaporeux, donc, ceux qui n’offrent aucune prise. »
L'écriture d'Hélène Frédérick s'est certes affinée. Alors que son premier roman (peut-être par sa nature biographique) misait sur certaines ruptures de ton (qui demandait au lecteur de s'accrocher), ici, tout semble étrangement fluide, naturel, organique même. De la même façon que l'on découvrirait une forêt inconnue, en étapes, on entre dans la psyché de celle qui deviendra Sophie (prénom que lui donnera André) d'abord avec réserve, puis mû par une réelle volonté de mieux comprendre cette jeune femme de 28 ans, entretenant un fascinant dialogue entre celle (ou celles?) qu'elle était avant, alors qu'elle accumulait les contrats peu payants à Paris.
« J’essaie de ne pas trop penser à elle – ce moi du passé. Oublier qu’on nous résume, partout tout le temps, à a des colonnes de chiffres et à leurs résultats. »
Sans doute parce qu'elle est elle-même déracinée (née au Québec, elle vit à Paris), l'auteure sait transmettre cette impression troublante de ne plus appartenir ni au sol natal sans jamais avoir pu entièrement s'enraciner dans le terreau adoptif. Elle possède surtout ce petit je ne sais quoi qui lui permet d'établir une complicité réelle avec le lecteur. Je continuerai assurément de la lire.
« Ce n’est pas le cœur c’est Je qui bat, je bats à petits coups réguliers, et je m’interroge : qu’arrive-t-on à glisser de si puissant dans un personnage fictif qu’il se mette à susciter en nous un désir de chair? On manipule l’argile de l’absence depuis si longtemps qu’on en obtient les formes d’un homme s’agitant, changeant, plus vivant qu’un homme. » 
En complément, une très belle entrevue de Guylaine Massoutre avec l'auteure, parue dans Le Devoir en mars dernier.

2 commentaires:

  1. J'ai découvert cette auteure grâce à toi, et vraiment, elle a une très belle plume. Merci Lucie !

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  2. J'ai hâte de connaître ton avis sur celui-ci!

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