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mercredi 26 novembre 2014

Franchir la mare

Je prends l'avion pour l'Europe demain soir et ai l'impression de courir un marathon... Au programme: cinq jours à Bruxelles et cinq à Paris. Je ferai le plein de visite de musées (dont celui des instruments de musique bien sûr!), de concerts (musique contemporaine, classique, la comédie musicale An American in Paris au Châtelet) et de théâtre, alors que je mettrai les pieds pour la première fois à la Comédie-Française, pour voir l'adaptation d'Olivier Meyrou (qui avait collaboré au spectacle Acrobates présenté au Festival Montréal Complètement Cirque l'été dernier) de La petite fille aux allumettes d'Andersen, un auteur que j'aime énormément. Et puis, il y aura tous ces amis que je croiserai dans l'une ou l'autre de ces capitales...

Je pars avec tout au plus deux ou trois livres dans mes valises (hormis mes guides et cartes), histoire de pouvoir en rapporter d'autres. À bientôt!

 

dimanche 23 novembre 2014

Avant la retraite: suffocant

« Ce qu'on ne peut perdre, c'est le souvenir. » Avant la retraite, texte massue de Thomas Bernhard est présenté ces jours-ci au Théâtre Prospero. Une histoire d'horreur ordinaire, dans laquelle on découvre un frère et deux sœurs qui, comme tous les 7 octobre, s'apprêtent à célébrer l'anniversaire d'Himmler.

Le texte a eu l'effet d'une bombe lors de sa création en 1979 et l'on comprend aisément pourquoi. Profondément politique, il jette un regard sans concessions sur la montée - ou le maintien diront certains - du national-socialisme en Autriche. Ici, la culture ne sauve de rien, comme en témoigne le piano à queue déglingué au cœur de la scénographie de Geneviève Lizotte ou les remontrances de Vera à sa sœur invalide qui l'« empêche » d'aller au concert et au théâtre (ou plutôt d'y être vue). « Chacun son costume, chacun son rôle » et la vie pourra continuer, un jour de plus, une année encore, même si elle est synonyme de subversion et de haine la plus létale.

Égaux à eux-mêmes, Gabriel Arcand, Violette Chauveau et Marie-France Lambert tirent adroitement leur épingle du jeu et réussissent à ne pas se perdre dans les méandres parfois sinueux du texte. Histoire de faciliter une meilleure réception du propos, certaines coupes supplémentaires auraient sans doute dû être envisagées par la metteure en scène Catherine Vidal dont la relecture du Grand cahier (un autre texte parfois à la limite du supportable) m'avait pourtant envoûtée. Peut-être a-t-elle sciemment choisi de nous servir l'horreur jusqu'à ce que celle-ci nous étouffe.

Jusqu'au 13 décembre au Prospero.

vendredi 21 novembre 2014

Opus: oeuvre maîtresse

On m’avait vanté la proposition de la troupe australienne Circa et du Quatuor Debussy, articulée autour de trois quatuors de Chostakovitch. Je m’attendais à être séduite, mais pas à ce point, car en effet, dans Opus, tout s’articule parfaitement.

Contrairement à la plupart des spectacles de cirque, la musique ne fait pas que soutenir les prouesses. Elle les inspire; mieux, elle les justifie. Absolument rien de gratuit ici : chaque geste naît de la musique de Chostakovitch, de son univers, de l’ère soviétique au cours de laquelle il a cherché à s’émanciper des diktats, à transformer des musiques patriotiques en critiques grinçantes de la société, à décrier la guerre, à pleurer les purges. Autant d’émotions brutes qu’il confie de façon intime dans ses quatuors, moins scrutés par Staline et ses sbires que sa musique symphonique.

D’entrée de jeu, la chute dramatique du numéro de sangles nous invite à plonger dans cette musique exigeante, à laisser la force des images nous envahir. Impossible de contempler les pyramides humaines sans penser aux structures érigées, les numéros dans lesquels les acrobates se propulsent dans de multiples directions les mains dans le dos au peuple soviétique qui, les mains liées par la doctrine aussi bien que par les rafles, continue d’avancer, d’être déporté – image forte que ces corps roulant sur eux-mêmes pour servir de rails –, de compter ses morts (moment bouleversant quand un des interprètes récupère trois corps tombés au combat).

Photo: Justin Nicholas
Adroitement, quand le public atteint peut-être un certain point de saturation, le ton change, la chorégraphie devient plus ludique, athlétique. L’étincelle de vie plus forte que l’impulsion de mort, toujours… Traitant le spectacle comme une grande œuvre musicale, Yaron Lifschitz intègre des rappels, réexposition de motifs visuels qui se superposent à une nouvelle partition. On retrouve le trapèze (le premier trapéziste servant d’ailleurs de soutien à la seconde), les cerceaux, les cascades, les pyramides… On reconnaît la signature musicale – ici également visuelle – de Chostakovitch, son DSCH. Une façon de rappeler qu’Opus est un tout, une seule et même œuvre, une seule et même parole au fond.

Les membres du Quatuor Debussy livrent une interprétation absolument saisissante des quatuors – qui donne envie de se plonger dans leur intégrale en six disques –, interagissent avec les acrobates, qu’ils offrent leur chant déchirant à une trapéziste ou soient forcés de jouer les yeux bandés. Rarement pourra-t-on voir un spectacle aussi cohérent, aussi réfléchi jusque dans ces moindres gestes.


À voir absolument d’ici au 26 novembre à la TOHU! 

jeudi 20 novembre 2014

Bianco su bianco: l'éther des souvenirs

Il y a déjà vingt ans de cela, Daniele Finzi Pasca nous avait séduits avec Icaro, théâtre de l’intime pour un spectateur privilégié qui devient complice de cette fable inclassable sur l’amitié et la maladie.
On a retrouvé cette touche magique, cette volonté de pratiquer le « théâtre de la caresse », ce parti-pris de jeter un regard sur les choses à partir des coulisses, dans les productions signées pour le Cirque Éloize (tout particulièrement Rain et La nebbia), le Cirque du Soleil ou son projet Donka; une lettre à Tchekhov. 
Avec Bianco su bianco, Finzi Pasca souhaitait revenir aux origines, à la plus simple expression. Il s’inspire une fois encore d’instants volés pour tisser un canevas lâche sur lequel il dessine à traits légers, en blanc : celui de la neige, de la forêt d’ampoules (détournement de celle qui illuminait la cérémonie de clôture des Jeux de Sotchi), des hôpitaux, de l’absence, des souvenirs qui nous fuient dès qu’on les conjure. Le blanc des clowns aussi, qui peuvent se permettre d’aborder, l’air de ne pas y toucher, la violence, la maladie, la mort, mais surtout le doute. Doit-on se méfier de la gentillesse des gens quand on porte sur le corps la marque des blessures intentées? Peut-on s’ouvrir à l’amour? Est-il encore possible de vivre sa vie sans se faire broyer par la soif de pouvoir des autres?

mardi 18 novembre 2014

L'éveil: tableaux d'une émancipation

L’éveil du corps, de la conscience, du désir, des rêves, d’un certain sens de la communauté… L’éveil, collaboration du Fils d’Adrien danse et Les enfants terribles, ratisse large et ne fait pas nécessairement mouche à tout coup. Juxtaposant danse (une chorégraphie d’Harold Rhéaume), textes (Steve Gagnon et Marie-Josée Bastien) et projections vidéo, le spectacle suggère plutôt qu’il exprime, à travers une série de chapitres qui fractionnent le propos et freinent de temps à autre la fluidité de l’ensemble.


On a sans doute souhaité ici tenir compte la capacité de rétention parfois volatile des adolescents dans cette adaptation très libre de L’éveil du printemps de Wedekind, qui traite essentiellement de la difficulté de laisser derrière soi son enfance. La scène où le jeune homme part s’installer en appartement et réalise en descendant de la voiture que, lui aussi, s’ennuiera de sa mère, reste un moment fort du spectacle, mais il risque d’interpeller plus directement l’adulte qui a déjà fait le deuil de sa jeunesse – peut-être lui-même parent – que le public cible (qui n’avait pu s’empêcher de ricaner, siffler et commenter à voix haute quand un baiser a été échangé sur scène quelques instants auparavant).

Pour lire le reste de ma critique, passez chez Jeu...

Présenté dans le cadre du Festival Coups de théâtre. Programmation ici...

samedi 15 novembre 2014

Continuer d'y croire

À quelques jours de l’ouverture de la 37e édition du Salon du livre de Montréal (qui se tiendra du 19 au 24 novembre), difficile de se réjouir. Oui, bien sûr, des centaines d’auteurs sont attendus, désireux d’établir un contact direct avec leurs lecteurs. Les gros noms y côtoieront nombre de primoromanciers, dont notre Recrue ce mois-ci, François Racine, auteur de Truculence, qui sera en séance de signatures jeudi le 19 en soirée et samedi le 22 en fin d’après-midi. Mais il y aura un grand absent, La courte échelle, le populaire éditeur jeunesse (qui ne néglige pas pour autant la littérature pour adultes), qui a dû récemment se mettre sous la loi de la protection de la faillite.

Au moment d’écrire ces lignes, on ne sait toujours pas si un acheteur sérieux pourra sauver la mise. Malgré les remous suscités, les prises de position tranchées, nombre de livres restent prisonniers sous scellés et, bien sûr, les auteurs ne sont pas payés, la Loi fédérale sur la faillite et l’insolvabilité ayant préséance sur la loi provinciale sur le statut professionnel des artistes. Les auteurs risquent donc non seulement de ne pas recevoir leurs cachets, mais – plus grave encore – de perdre le contrôle de leurs œuvres, les droits pouvant passer aux mains des racheteurs potentiels. « Le développement culturel du Québec n’a pas à subir de telles dérives juridiques, notre indépendance politique et culturelle est la seule façon d’en assurer durablement la pérennité », soulignait par voie de communiqué Mario Beaulieu, chef du Bloc québécois.

Malgré la grogne, il faut continuer de croire en la vitalité de la littérature québécoise et en son indiscutable nécessité. C’est avec plaisir que nous retrouvons deux anciennes Recrues, Stéphanie Pelletier qui, après un recueil de nouvelles primé nous propose son premier roman Dagaz, ainsi que Anna Raymonde Gazaille qui nous revient avec Déni, une nouvelle aventure du sympathique inspecteur Paul Morel. Tout comme dans Truculence, la route joue un rôle essentiel dans Go West Gloria de Sarah Rocheville. Le nain de Francine Brunet vous fera plutôt plonger dans un univers baroque avec sa galerie de personnages plus colorés les uns que les autres. Notre duplex d’Éléonore Létourneau établit quant à lui des parallèles avec le monde du cinéma, Barcarolle de Fabrice Amchin (catégorie Hors-Québec) avec la musique.

« La langue française, c’est une question de vie ou de mort, ici, c’est qui nous sommes en tant que peuple. Il faut la défendre toujours, il faut savoir que chaque fois que l’anglais gagne du terrain, c’est un peu de nous qui se perd, savoir que chaque raccourci angléfié, chaque paresse et chaque statut facebookien dans la grosse langue dominante de l’Autre omniprésent (pour vouloir faire universel, bien de son temps, pour rejoindre le plus grand nombre, etcétéra), chaque Oh my God! lancé (plus capable de l’entendre, cel’-là), chaque incapacité à dire notre réel dans notre langue à nous, c’est une abdication, c’est une défaite. […] Bref, il faut résister. Pas le choix », nous rappelle François Racine dans ses réponses à notre questionnaire. À bon entendeur, salut!

Vous pouvez lire le numéro courant de La Recrue du mois ici...

vendredi 14 novembre 2014

Vous pouvez maintenant me suivre sur...

... eh oui, après avoir été narguée des centaines de fois au fil des ans, j'ai enfin accepté d'offrir une page FB à Clavier bien tempéré... J'y déposerai le matériel du blogue, mais aussi partagerai articles intéressants, événements culturels, coups de cœur - et peut-être de gueule qui sait... Certaines entrées seront publiques, d'autres réservées aux amis.

C'est par ici...

Hamlet as told by The Tiger Lilies: une relecture brillante

Hamlet occupe une place à part pour moi dans le corpus shakespearien. Oui, bien sûr, Roméo et Juliette déborde de vers que l'on aime se remettre en bouche, La tempête reste une merveilleuse mise en abyme du théâtre... La liste est longue certes, mais au milieu de ces bijoux que l'on se plaît à voir traduits, adaptés, montés de façon parfois extravagante, Hamlet fonctionne presque à tout coup, à condition d'avoir un acteur magnétique dans le rôle-titre (on se souviendra de Benoit McGinnis au TNM récemment) et une Ophélie aérienne, qui peut idéalement plonger dans des profondeurs insoupçonnées pendant la scène de la folie. 

Le metteur en scène Martin Tulinius du Théâtre République (qui nous vient de Copenhague) dispose assurément d'un Hamlet de rêve avec Caspar Phillipson, plus grand que nature quand drapé dans sa folie, mais réussissant néanmoins à établir un rapport d'une rare intimité avec le public, notamment dans l'extrait du célèbre monologue « To be or not to be ». (Le choix d'allumer les lumières dans la salle à ce moment précis, assez audacieuse, fonctionne d'ailleurs à merveille.) L'Ophélie de Nanna Trouver Koppel relève quant à elle d'une esthétique très nouveau cirque, qu'elle devienne fildefériste sur son lit, dorme enlacée à Hamlet en apesanteur ou marche sur les flots avant d'y sombrer. Les autres personnages (résumés ici à Gertrude, Claudius, Laërte et Polonius) n'auraient pas déparé quant à eux une production déjantée de L'opéra de quatre sous de Brecht, tout comme la musique de Martyn Jaque, tributaire de Kurt Weill, avec quelques accents klezmer, 

Entouré de ses deux impassibles comparses des Tiger Lilies (Adrian Stout aux cordes et à la scie, Mike Pickering aux percussions), Jaque et sa voix si particulière de falsetto deviennent maîtres du jeu, ultimes manipulateurs de l'action, commentant plutôt qu'annonçant l'action, permettant au spectateur de se concentrer alors sur les visuels souvent très puissants contenus dans cette vision plus onirique que franchement noire de la pièce de Shakespeare.

Les puristes espérant réentendre certaines tirades seront peut-être déçus. Pourtant, la relecture de Martin Tulinius reprend tous les moments charnières de la pièce, suggère plutôt qu'elle n'impose, malgré quelques images fracassantes, alors que la scénographie s'effondre littéralement - au ralenti - sur les protagonistes ou que la pièce dans la pièce devienne immense théâtre de marionnettes, soulignant à gros traits l'impossibilité pour les protagonistes d'échapper à leur destin.

À voir impérativement (si votre maîtrise de l'anglais est suffisante), d'ici au 18 novembre à la Cinquième Salle.
Énorme coup de cœur pour la pièce Release me, qui accompagne les derniers instants d'Ophélie, que l'on peut entendre ici.

jeudi 13 novembre 2014

Vollmond

Un énorme merci à Danse danse qui a convaincu le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch de faire un détour par Montréal (après 30 ans d'absence!) avec son spectacle Vollmond, dans lequel l'eau joue un rôle essentiel, mais aussi les liens souvent troubles qui unissent hommes et femmes. 

Impossible pour vous de vous glisser en salle (j'ai acheté mon billet il y a presque un an!), mais voici tout de même un large extrait du spectacle (dont plusieurs extraits ont été intégrés dans le magique Pina de Wim Wenders).


Pina Bausch - Vollmond par MickeyKuyo

mercredi 12 novembre 2014

Génération: 20 ans déjà

Le temps passe sans que l'on s'en rende compte! Difficile de croire que Génération, projet de l'ECM+ soutenant les jeunes compositeurs canadiens, fête cette année son 20e anniversaire! Une grande tournée canadienne est prévue et s'arrêtera dans neuf villes canadiennes dont Montréal demain soir, 19 h 30 à la Salle de concert du Conservatoire de musique de Montréal

On pourra y entendre des créations de Marie-Pierre Brasset, Alec Hall, Evelin Ramon et Anthony Tan. À l'occasion de cette tournée, l’ECM+ lancera officiellement le disque Magister Ludi du compositeur canadien Gordon Fitzell, qui fut de la première tournée Génération en 2000 et le livre Génération, 20 ans (1994-2014).


mardi 11 novembre 2014

Composition Machine

Cinq pièces, trois compositeurs aux esthétiques différentes, une soirée consacrée à la percussion et à une « musique machinale » selon le texte de présentation. La répétition des rythmes utilisés pourrait en effet suggérer une certaine mécanisation, une déshumanisation. Il n'en était pourtant hier soir dans l'interprétation forte, toujours parfaitement calibrée, qu'en a donnée Sandra Joseph, pigiste ayant notamment fait partie du réputé ensemble Sixtrum, hier soir au Centre Segal.

Le programme paraissait exigeant sur papier: deux pièces d'Erik Griswold, deux de Mark Applebaum et un classique du compositeur sud-africain Kevin Volans, She Who Sleeps with a Small Blanket (datant de 1985), un sommet de virtuosité. Présenté adroitement, grâce à une répartition des instruments dans l'espace et un travail soigné d'éclairage, le tout se lisait comme une pièce en cinq tableaux, aux esthétiques complémentaires, offrant aux spectateurs un panorama attrayant de cette famille d'instruments aux possibilités presque infinies. 

Le programme s'ouvrait sur Switch (1991) de Griswold, un tour de force pour l'interprète qui doit maîtriser de multiples variantes de trois contre quatre à une vitesse plus qu'audacieuse sur trois instruments. Spill (2007) du même compositeur nous plonge plutôt dans la contemplation, alors que 20 kg de grains de riz sont déversés dans un entonnoir de métal, différents objets (laissés au gré du musicien) permettant d'obtenir des sonorités différentes, presque chamaniques par moments. Sandra Joseph a ainsi utilisé plats de céramique et de métal, mais aussi certains instruments de percussion, offrant des textures inusitées, mais aussi une mise en abyme plutôt réussie. 

Aphasia de Mark Applebaum reste le moment fort de la soirée. Conçue pour un « chanteur » qui ne produira au final aucun son, la pièce souhaite évoquer la paralysie qui nous saisit quand nous cherchons à nous exprimer. L'interprète s'assoit sur une chaise et doit reproduire une série de gestes de tous les jours chorégraphiés (ouvrir une porte, parler au téléphone, démarrer la voiture, etc.) qui se superposent sur une trame sonore composée de centaines d'échantillons vocaux transformés en une étrange langue des signes inventée. L'interprète doit donc mémoriser chaque petit geste de cette partition de neuf minutes et ensuite travailler les enchaînements à la seconde (parfois moins) près. Joseph a donné une interprétation impeccable ici, avec une aisance que plusieurs danseurs et acteurs lui auraient enviée (même le compositeur), ses mains se révélant d'une expressivité remarquable.

Composition Machine # 1 d'Applebaum a été créé en Oregon par Terry Longshore il y a moins de deux semaines. Co-commande de 62 percussionnistes, la pièce joue sur les codes du genre. Côté jardin, une partition dessinée prend d'abord vie selon des codes établis par l'interprète lui-même, avant d'être froissée et de retrouver une série d'objets sur une table couverte de papier au centre de la scène. Ceux-ci seront déplacés selon une série de formules rythmiques données, avant que l'interprète ne dessine la silhouette des objets puis joue la nouvelle « partition » côté cour, puis la roule proprement avant de la remettre sur le premier lutrin, créant l'illusion d'une pièce qui pourrait être reprise en boucle. Un clin d’œil amusant au geste de création lui-même.

Dédiée exclusivement aux tambours, She Who Sleeps with a Small Blanket se termine toutefois sur une coda au marimba, proposée ici en enregistrement, ce qui permet à Sandra Joseph de se fondre dans le noir tout en restant encore quelques instants présente, autre utilisation efficace de la dramaturgie. 

Il ne reste qu'à espérer que le programme qui plaira autant aux aficionados de musique contemporaine qu'aux néophytes soit présenté de nouveau dans un avenir rapproché, peut-être dans le circuit des Maisons de la culture. Ces cinquante quelque minutes m'ont paru passer à vitesse grand V.

On peut en apprendre plus et entendre les cinq pièces du concert (par d'autres interprètes) en suivant les liens suivants.

lundi 10 novembre 2014

Un Barbier décoiffant

Bien sûr, Le barbier de Séville de Rossini reste l'un des opéras les plus aimés du répertoire: airs accrocheurs, trame narrative toute en légèreté (ici, les intrigues règnent en maître et tout est bien qui finit bien) et personnage principal des plus attachants. Après avoir renversé dans le rôle du condamné dans Dead Man Walking au printemps 2013, Étienne Dupuis incarne un Figaro fantasque à souhait, charmeur et charmant, bien décidé à ne pas se laisser damner le pion. Le metteur en scène Oriol Tomas joue fort d'ailleurs habilement la carte de la proximité avec le public, le baryton poussant ses premières notes de la salle, sollicitant même des applaudissements quand il met les pieds sur la scène.

Si un bon Barbier exige une personnalité forte pour incarner Figaro, il doit aussi pouvoir compter sur une distribution d'une belle polyvalence, aussi à l'aise dans le travail de filigrane (les traits de doubles-croches pouvant se révéler difficiles à transmettre avec toute la légèreté souhaité) que dans une certaine physicalité du jeu. Le ténor roumain Bogdan Mihai se révèle irrésistible en Almaviva. Il démontre à la fois sa maîtrise vocale (avec ses aigus jamais métalliques et une facilité déconcertante dans l'ornementation) et ses indéniables dons d'acteur, particulièrement quand il se déguise en professeur de musique et nous fait un numéro de « air clavecin » des plus mémorables. Carlo Lepore en Bartolo et Paolo Pecchioli font eux aussi des débuts montréalais convaincants. La mezzo-soprano espagnole Carol Garcia campe une Rosina éloquente sur le plan vocal, mais se révèle un peu plus statique que ses comparses sur scène. 

Effervescente, la mise en scène d'Oriol Thomas multiplie les clins d’œil. Têtes à coiffer dotées d'une moustache de Movember (l'Opéra de Montréal s'étant associé au mouvement), salaire que l'on reçoit comme une hostie, assistantes de Figaro qui dansent aussi bien le cancan que le gogo, parapluies qui deviennent accessoires inusitées, air de la calomnie traité comme un véritable « show de boucane », public captif qui s'endort quand il doit écouter de l'opéra (impossible pour ceux dans la salle de ronfler une seule seconde pendant la soirée), fausses chorégraphies de flamenco, tout est calculé au quart de tour. Des costumes bien pensés de Robert Prévost revus par Joyce Gauthier  (qui font tous référence sauf celui de Rosina à la traditionnelle enseigne du barbier) et une scénographie astucieuse (la maison se dépliant ou se refermant au fil des scènes, grâce aux « assistantes » du Barbier), elle aussi de Robert Prévost (revue par Guy Neveu) complètent ce tableau réjouissant.

Il reste encore quelques places pour les représentations des 11, 13, 15 et de la supplémentaire du 17. 

vendredi 7 novembre 2014

Je ne suis jamais en retard: le nouveau visage du féminisme

Sept auteures - certaines dramaturges ou comédiennes, d'autres poètes -, six interprètes, une metteure en scène, une équipe de soutien entièrement constituée de collaboratrices. Aucun doute ici: Je ne suis jamais en retard se veut un objet théâtral aussi bien que social qui se décline au féminin pluriel, qui donne « le sentiment d'avoir dit nous pour la première fois ».

Pas de volonté ici de dégager une parole commune, mais plutôt de proposer une mosaïque d'interprétations, d'interrogations de ce que le fait féminin est devenu en 2014. Si on n'a plus besoin de brûler son soutien-gorge sur la place publique pour se faire entendre, il faut tout de même admettre que rien n'est encore gagné. Parité salariale toujours pas atteinte, plafond de verre en apparence impossible à fracasser, métiers qui restent difficilement accessibles aux femmes: comment souhaiter se reposer sur des acquis quand tant reste à accomplir?

Serions-nous en manque de paroles féminines fortes, de celles qui ébranlent les certitudes? Aucunement. Du moins, si l'on se fie au collage de dialogues et de monologues mis en scène par Markita Boies qui, avec Lise Roy (auteure, interprète et initiatrice du projet) avaient souhaité souligné en 2011 les 25 ans de la mythique Nef des sorcières à la Grande Bibliothèque. Que les auteures aient 30 ou 70 ans importent peu: elles disposent d'un langage commun, dans laquelle la femme peut être militante, mais aussi mère, amante, femme de parole, de conviction. Elle peut être politicienne et défendre le droit des jeunes filles un peu partout dans le monde (« Flamenco » de Lise Roy, dont la chute donne froid dans le dos), religieuse défroquée qui s'interroge sur la montée du fanatisme religieux (« Les vendeurs du paradis » de Nicole Lacelle, aux traits peut-être un peu trop appuyés), femme de ménage qui s'insurge contre les étiquettes qu'on lui appose (« Une femme, quand 'est p'us fourrable; tu fais quoi avec ça? ») et écoute des cantates de Bach (un texte puissant de Marie-Ève Gagnon, particulièrement bien rendu par Danièle Panneton), actrice dans la soixantaine n'ayant rien perdu du mordant de ses vingt ans (Louise Bombardier auteure et interprète qui se moque joyeusement d'elle-même), mère devant faire le deuil d'un enfant (un texte déchirant de Dominick Parenteau-Lebeuf qui aurait peut-être requis une appropriation autre du registre émotif de Noémie Godin-Vigneau), femme qui découvre que l'amour de son « mari » n'est pas exempt de violence (Émilie Gilbert a démontré toute l'étendue de sa palette dans un très beau texte de Marilyn Perreault).

Personne ne criera, on chantera, on dansera même. Toutefois, tout au long, on aura l'impression de percevoir un grondement diffus, le martèlement des talons qui s'impatientent, le feu qui continue de brûler sous la glace, qui finira par faire exploser les digues.

« Il y a des chemins que nous suivons sans savoir où ils nous mèneront. Il y a des hommes que nous suivons sans savoir où ils nous mèneront. Les mères, grands-mères, tantes et grandes sœurs disent un jour aux petites filles: "Fais attention aux Johnny, aux pirates et aux mauvais garçons." Mais les petites filles leur répliquent: "Je suis grande, indépendante, le féminisme a poussé dans mon pays, j'en ai mangé les fruits, je saurai dire non quand le danger se pointera à l'horizon." » (Marilyne Perreault, « Eldoradore-moi », Je ne suis jamais en retard)

Jusqu'au 29 novembre au Théâtre d'Aujourd'hui. 

mercredi 5 novembre 2014

Oh Lord: réjouissant

La production éponyme de Projet Bocal avait beaucoup fait jaser en mars 2013 et les attentes se voulaient relativement élevées pour ce deuxième spectacle visant une réappropriation inusitée du terroir.
Beaucoup de tons de terre déjà dans un décor kitsch à souhait dans lequel se côtoient murs ajourés, pelisses, troncs d’arbre devenant sièges et panaches assemblés en lustre. Beaucoup moins dans les costumes, tantôt extravagants (chapeau à Elen Ewing qui signe aussi le décor et accessoires pour ces têtes de Kenora, Antoine et de la Femme-roche), tantôt franchement country, mais surtout les textes, mordants et incisifs.
À travers une série de saynètes ciselées et de chansons interprétées avec brio, Sonia Cordeau, Simon Lacroix, Raphaëlle Lalande et leur complice musical Yves Morin racontent, déforment, multiplient les clins d’œil.
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Vis-à-vis

J'avais beaucoup aimé son travail sur les appartements de New York il y a quelques années, revoici Gail Albert Halaban à Paris cette fois... Ses photos n'optent pas pour un voyeurisme gratuit, mais démontrent plutôt une grande tendresse pour ses sujets, ses semblables.


Gail Albert Halaban - VIS A VIS from Boaz Halaban on Vimeo.

lundi 3 novembre 2014

Cuisine et confessions: à la fortune du pot

La cuisine : pôle d’attraction de toute maison, lieu des rassemblements, des confidences. Pour sa 13e production, les Sept doigts de la main ont décidé d’y élire domicile, mais surtout de convier le public à la fête, de façon directe dans certains cas.
En effet, alors que spectateurs s’assoient, les neuf acrobates entrent en contact avec eux, parlent un peu de leur parcours, attrapent quelques bribes de vie, qui seront partagées au microphone.
Pendant la représentation elle-même, une chanceuse deviendra flamme d’un soir et pourra goûter l’omelette parfaite constituée d’œufs, d’oignons, de poivrons… et d’amour. La recette était assurément au point vendredi, Stéphanie se prêtant au jeu avec un naturel confondant. Un peu plus tard, le soufflé retombera un peu mollement alors que trois inconnus convoqués sur scène auront bien du mal à briser la glace autour d’une coupelle d’olives. Côté disparition du quatrième mur, le déambulatoire proposé en prélude d’Intersection en juillet aura selon moi mieux fonctionné, tout comme la tension de l’arc narratif, un peu en dents de scie.
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