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jeudi 2 avril 2015

À travers la pared: percevoir autrement les murs

Présentée dans une première mouture dans une prison désaffectée de San Luis Potosi au Mexique, À travers la pared d'Élodie Lombardo (Les sœurs Schmutt) est une proposition des plus étonnantes, qui force le spectateur à réfléchir à la notion même d'enfermement. A-t-on besoin de murs physiques pour se sentir emprisonné, avoir l'impression de tourner en rond, de ne pas pouvoir s'exprimer, de ne pas savoir comment rejoindre l'autre ou le groupe?

Photo: Frédérick Duchesne
Comment peut-on suggérer cette impression d'oppression dans un espace entièrement ouvert tel la scène de l'Espace Go? Quand on entre dans la salle, on découvre des cellules lumineuses sur scène: six couleurs distinctes pour chacun des interprètes, auxquelles ont été associés de façon aléatoire les spectateurs à travers un carré de couleur sur le programme de soirée. Chaque danseur se met en mouvement, usant d'un vocabulaire chorégraphique distinct, qui l'identifiera plus ou moins tout au long du spectacle. La notion même du mur est déjà trafiquée, puisque, au fond, ce n'est pas tant le rectangle lumineux qui contient l'interprète que les spectateurs qui se sont massés autour de lui. Et si, au fond, nous construisons nos propres murs, ceux que nous érigeons autour de nous aussi bien que ceux avec lesquels nous nous protégeons des autres?
Photo: Frédérick Duchesne

Après quelques minutes de solos - impossible déjà de ne pas être conscient de la personnalité extrêmement magnétique de Pamela Grimaldo, qu'elle travaille dans l'intériorité la plus secrète ou l'explosion du geste -, les danseurs passent d'une cellule à l'autre, occupent tout l'espace, établissent des liens, forment des duos, certains articulés autour du soutien à l'autre (dont celui formé par Sarah Dell'ava, les yeux recouverts de pansements, et Christobal Barreto Heredia), d'autres teintés d'un certain élément de séduction. Certains spectateurs deviennent ensuite partie prenante de la chorégraphie, à travers un tour de cercle ou à travers des contacts (frôlements, échanges de paroles) avec les interprètes. Alterneront segments volontiers nostalgiques (comme cette évocation d'un lieu, autant par la parole que la musique) et plus ludiques (une déclinaison du jeu Un, deux, trois, soleil), instillant un état de doute de plus en plus insidieux chez le spectateur.

Photo: Frédérick Duchesne
Une fois que celui-ci a regagné son siège, il ne peut que poursuivre cette réflexion sur le voir et le refus de voir (toujours au moins un des interprètes quand ce n'est pas tous ont les yeux bandés), entre le soi et la collectivité, entre le passé et le présent (Eduardo Rocha évoquera notamment en gestes et en paroles des souvenirs d'enfance alors qu'il s'imaginait géant faisant trembler la ville), entre la lumière et l'ombre (magique interprétation dans le cercle de lumière de Grimaldo), entre l'ailleurs et l'ici aussi, grâce à des séquences vidéo poétiques, tournées au Mexique par Robin Pineda Gould, établissant un lien entre ce lien fantomatique et la nouvelle déclinaison du spectacle proposé à Montréal.

Si certains segments de la deuxième partie auraient pu être légèrement ramassés et un lieu peut-être plus industriel (j'ai pensé un instant à la la fonderie Darling ou même aux Ateliers Jean-Brillant) aurait sans doute mieux prolonger le souvenir de la prison de San Luis Potosi, la proposition demeure pertinente, surtout rendue avec autant de conviction par les six interprètes. « Mira me! » Un déchirant cri du cœur qui hante.

Du 1er au 4 et du 8 au 11 avril à l'Espace Go. Présenté par Danse Cité.


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