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lundi 11 mai 2015

The Tashme Project: The Living Archives

 « Shikata ga nai »... On ne peut rien y changer. Une expression qui résume comment les Japonais ont pu se résigner à être sous la tutelle américaine après la Deuxième guerre mondiale, mais aussi à accepter les camps de détention installés en Colombie-Britannique. Une page d'histoire canadienne peu glorieuse, trop peu souvent évoquée dans les cours offerts au secondaire, que j'ai découverte il y a quelques années quand est venu le moment d'écrire des notes de programme pour le concert  « Mystères du Japon » de l'OSM 

Dès le début, les Canadiens d’origine japonaise, qu’ils soient Issei ou Nissei – leurs enfants, nés ici –, ont malheureusement été victimes de discrimination massive. On leur refuse le droit de vote et même l’exercice de certaines professions libérales, la possibilité d’œuvrer dans la fonction publique ou de devenir enseignants. La Deuxième Guerre mondiale détruira la communauté japonaise de la Colombie-Britannique. Douze semaines après l’offensive japonaise contre Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, le gouvernement fédéral invoque la Loi des mesures de guerre pour ordonner le déplacement de tous les Canadiens d’origine japonaise résidant à moins de 160 km de la côte du Pacifique. En 1942, plus de 20 000 hommes, femmes et enfants – dont  75 % possèdent la nationalité canadienne! – sont envoyés dans des camps de détention en Colombie-Britannique ou dans des fermes maraîchères en Alberta et au Manitoba. Au cours des trois années qui suivront, toutes leurs propriétés seront liquidées et, en 1945, les Canadiens d’origine japonaise devront choisir entre la déportation ou la dispersion à l’Est des Rocheuses, choix endossé par la majorité, qui s’établira en Ontario, au Québec et dans les Prairies.

Parmi les camps, on retrouve celui de Tashme, au centre de ce projet conjoint de Julie Tamiko Manning et Matt Miwa, à la fois auteurs et interprètes. Devoir de mémoire ici et non représailles. Nécessité de mieux comprendre leurs racines, comment leurs grands-parents et leurs contemporains ont pu vivre cet internement. Plus de 80 heures d'entrevues ont été réalisées, desquelles ils ont extrait la matière d'un spectacle de 90 minutes dans lequel ils se mettent eux-mêmes en scène, mais qui donnent aussi une voix à des dizaines de survivants. 

Aucune lourdeur inutile ici cependant. Certes, on revient sur quelques événements essentiels (comme la vente ou le don des objets de famille avant que des familles entières ne doivent quitter leur logis, le fait que rien n'identifie le lieu aujourd'hui, recyclé en station de villégiature, les excuses et réparations du gouvernement Mulroney), mais une bonne dose d'humour et une réelle tendresse pour tous ces aînés qui ont accepté de se confier ont été instillés. Tantôt eux-mêmes, tantôt dizaines de personnages (certains particulièrement savoureux), Manning et Miwa évoquent par exemple l'effervescence des jeux d'enfants dans les camps, le sens accru de la communauté, les conditions difficiles (notamment la morsure constante du froid), les difficultés rencontrées par les Canadiens-japonais après Tashme. Le tout est ponctué de gestes du quotidien: la préparation du thé ou des boules de riz, le pliage de grues en origami, lien unissant Manning à son grand-père, même s'ils ne partageaient pas une même langue.

Cette pièce de docu-théâtre est adroitement soutenue par la scénographie de James Lavoie et Laurence Mongeau, les éclairages de David Perrault Ninacs et les vidéos de George Allister et Patrick Andrew Boivin (qui signe aussi la trame sonore). Projetées sur des surfaces réfléchissantes, celles-ci donnant une autre voix à ces survivants. Sans surprise, compte tenu de la nature du propos, la mise en scène de Mieko Ouchi joue la carte de la sobriété. On aurait sans doute pu éviter le recours à répétition au geste d'allumer l'enregistreur du cellulaire et le traitement un peu trop semblable de certains « personnages » (qui finissent par perdre un peu de leur unicité), mais cela n'enlève rien à la pertinence de la démarche et au fini du rendu.


The Tashme Project: The Living Archives- Trailer from Julie Tamiko Manning on Vimeo.

Au MAI jusqu'au 17 mai seulement.

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