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lundi 29 février 2016

Une belle surprise

Un spectacle peut susciter l’attente, un autre la surprise, Mérédith de Marie-Christine Lavallée par exemple, mis en scène par Jean-François Lapierre. Une de ces soirées où tout peut se passer, car au fond on n’a rien pris le temps d’imaginer.

Photo: Samuel Johnson
Mérédith est une femme comme tant d’autres au fond : bien mise, efficace, mais sans grande interaction avec son entourage. Elle fuit les conversations de bureau, tente de se fondre dans le décor, sans être entièrement asociale. Et puis, un soir, tout bascule. Elle entend des gargouillis dans sa cuvette, s’en rapproche, analyse ce qu’elle entend et en arrive à la conclusion que son bol de toilette est amoureux d’elle! Rien de moins…

Une telle prémisse nous mène spontanément vers l’univers d’Ionesco, mais cela n’a rien à y voir en réalité. Il est plutôt question de cette solitude vécue par tant d’entre nous. Parle-t-on ici d’une tare des grandes villes? Dans le monde virtuel dans lequel on vit, il est permis d’en douter… J’ai aussitôt fait le parallèle avec le film Her, cette histoire troublante - et touchante -, si contemporaine, dans lequel un jeune homme entretient une relation qu’il croit essentielle avec un ordinateur, jusqu’à ce qu’il découvre que cette « femme » idéale entretient des centaines de relations parallèles avec d’autres usagers.

Le propos est certes intéressant, mais Mérédith va plus loin. Le travail sur la langue de Lavallée se révèle particulièrement intéressant, l’auteure multipliant assonances et allitérations. J’ai d’ailleurs cru que j’avais affaire à une adaptation d’un texte européen, sans que cela ne sonne jamais faux. (On ne saurait trop pousser les intervenants à proposer le tout en Europe…) On se glisse avec grand plaisir dans ce texte, porté avec grand aplomb par Geneviève St Louis, qui transmet avec autant d’aisance rire franc (la sortie au bar de Mérédith est particulièrement bien amenée) que pincements de cœur. Une impression de complicité plus que de virtuosité se dégage de la chose.

Et si nous étions tous un peu Mérédith?


Petite salle du Prospero

vendredi 26 février 2016

Fusion réussie entre BD, théâtre et histoire dans Louis Riel

J’aime les propositions hybrides, qui font le pont entre les arts. On ne sait pas toujours dans quoi on se lance, mais quand la fusion entre les genres fonctionne, impossible d’y résister! C’est le cas de la bande dessinée théâtrale Louis Riel de Rustwerk Refinery mise en scène par Zach Fraser, inspirée du roman graphique Louis Riel : A Comic-Strip Biography, qui transforme le tout en objet théâtral cohérent, des dessins devenant des marionnettes traitées en un faux 2-D, mais dont les deux côtés sont utilisés, facilitant une impression de mouvement.

Il n’est pas tant question ici d’illusion (même si les interprètes sont vêtus de noir pour éviter toute distraction inutile), mais d’une autre façon de traiter tant les éléments visuels que l’information historique contenue dans la BD originale.

Les éléments plus didactiques sont traités avec finesse, humour (plusieurs scènes sont particulièrement savoureuses), sans que la véracité historique n’en souffre. Il serait tentant de classer cette production dans la catégorie « pédagogique » (et on souhaite une belle carrière au spectacle qui doit absolument tourner dans les écoles secondaires), mais elle va bien au-delà de la simple transmission d’informations, si intéressantes soient-elles. De façon ludique, on en apprend plus sur une page d’histoire que plusieurs ont sans doute occultée (s’ils l’ont même étudiée), mais on peut aussi appréhender l’objet théâtral de façon indépendante, celui-ci possédant de qualités indéniables.

Soulignons en terminant la fluidité avec lesquelles les artisans de la production passent du français à l’anglais (le sujet s’y prêtait tout particulièrement) et la très belle trame musicale de Tristan Capoccione, toujours subtilement traitée.


Présenté à La Chapelle jusqu’au 5 mars

lundi 22 février 2016

Race

Il y a toujours quelque chose de particulièrement jouissif dans la langue de Mamet. Race ne fait pas exception à la règle et suscitera je l'espère de nombreux questionnements chez le spectateur.

Chez Duceptte jusqu'au 26 mars

Ma critique audio est ici...

vendredi 19 février 2016

Les retrouvailles de Dutoit et d'Argerich

Une soirée magique, de celle à marquer d'une pierre blanche. Mes impressions en balado sur Soundcloud.

jeudi 18 février 2016

L'ignorance

Rendez-vous annuel devenu incontournable, les Laissés pour contes est placé cette fois sous le thème de l’ignorance, malheureusement toujours d’une rare actualité. Mise en scène par Patrick Renaud, celle quatrième édition se décline en six tableaux qui nous font passer de la légèreté exubérante de Conseil d’ami à  l’extrême violence de Rose nanane. Détail intéressant : la maternité (et la paternité) jouent un rôle-clé dans quatre des six textes. Hasard? Signe des temps?

Écrit et interprété par Alexandre Dubois, Conseils d’ami (proposé en segments, ce qui facilite les ajustements au décor) met en vedette un acteur qui tente de convaincre son amie (qu’il ne traite pas souvent comme telle) de ne pas tenter sa chance dans le milieu. Avec beaucoup d’humour, on voit défiler l’un après l’autre tous les clichés associés au genre.

La part d’ombre de Pierre Chamberland, également fondateur et directeur artistique, se veut une tranche de vie savoureuse, dans laquelle la narratrice exprime sa frustration par rapport au manque de disponibilité de son copain, qui travaille trop et ne trouve pas le temps de rénover le sous-sol sur terre battue de son triplex ou d’avoir des enfants. Brigitte Soucy démontre l’étendue de sa palette dans cette histoire de faux-semblants.
Photo: Jules Bédard

Dans Rose nanane de Pierre-Marc Drouin, Alphé Gagné interprète avec brio un personnage natif de Sorel qui, quelques jours avant de devenir père, se rappelle un événement de son adolescence, l’homophobie et la violence servant d’élément déclencheur. À donner froid dans le dos!

La grossesse de Jean-René Bérard semble de prime abord simple peinture de société - la comédienne Audrey Rancourt-Lessard se déplaçant au fil de l’histoire derrière un décor constitué des personnages principaux de l’histoire. (Si ces déplacements et multiples incarnations font d’abord sourire, ils finissent par alourdir un peu la transmission du texte, la comédienne devant prendre le temps à chaque scène de se glisser derrière le personnage ciblé.) On y rit beaucoup, avant que l’auteur ne tire le tapis de sous nos pas.

J’aurais donc dû de (et interprété par) Danielle Fichaud se veut le réquisitoire  d’une mère, féministe jusqu’à la moelle, qui cherche à comprendre comment sa fille, qu’elle croyait avoir si bien élevée, a pu se faire battre par son amoureux. Cela donne un texte dense, presque trop par moments (comme si l’auteure avait tenté de dresser un portrait le plus complet possible d’une époque en quelques minutes), qui laisse la mère face à un constat d’échec.

S’inspirant d’un fait divers dans lequel un handicapé mental s’était fait battre alors qu’il attendait l’autobus au métro Angrignon, Le mal des transports de Juliane Léveillé-Trudel (interprété avec une belle retenue par Jani Pronovost) suscite avec adresse le malaise et la réflexion. Auriez-vous osé venir en aide à ce jeune homme ou auriez-vous détourné le regard comme tous ceux présents?

Peut-on encore vivre en société, être capable d’établir des relations vraies? Pour y arriver, il faudra assurément beaucoup de courage, thème de la prochaine édition. On a déjà hâte!

D’ici au 21 janvier au Théâtre La Chapelle. Belle initiative : un recueil reprenant les textes est offert aux spectateurs à la sortie.

mercredi 17 février 2016

This is Opera: apprendre avec le sourire

J’ai découvert dans la dernière année seulement le plaisir - et la dépendance - que peut susciter le visionnement de séries télé, par le visionnement de Mozart in the Jungle, néanmoins lié à la musique classique, à classer dans la catégorie des « plaisirs coupables ». Je ne croyais pas cependant succomber de la même façon aux épisodes de This is Opera, une série documentaire espagnole créée, réalisée et animée par Ramon Gener.

Doté d’un indéniable charisme, ce polyglotte (ce qui lui permet de s’entretenir avec des spécialistes aussi bien espagnol qu’en anglais, en allemand, en italien ou en français) démystifie avec une aisance remarquable 15 thématiques par saison (2 tournées jusqu’ici, maintenant disponible en anglais) sans jamais tomber dans le populisme crasse.

Les informations que l’on pourrait considérer musicologiques (événements entourant la première de l’opéra, réception, analyse de motifs musicaux, etc.) côtoient des segments mettant en lumière des spécialistes des œuvres étudiés (historiens, interprètes, etc.) et d’autres auxquels prennent part des participants sans bagage particulier (des passants qui chantent les thèmes de Carmen sur une place, trois jeunes qui dessinent sur le Clair de lune de Debussy pour présenter la synesthésie, des étudiants de la réputé école de cinéma de Rome décortiquant les ressorts dramatiques de Tosca, un remix d’un air de Don Giovanni dans une discothèque branchée de Barcelone, etc.).

Jamais le ton ne tombe dans le dogmatisme, même s’il est évident que Genar maîtrise son sujet et s’entretient avec des spécialistes. (Les Montréalais retrouveront ainsi l’ancien directeur général du Musée des Beaux-Arts Guy Cogevel dans un segment sur l’impressionnisme.)

La série est tournée dans des décors souvent somptueux (la résidence de Salvator et Gala Dali pour l’épisode sur Tristan et Isolde par exemple), dans lesquels se glisse tout naturellement le Bösendorfer de Ramon Gener.

On aurait peut-être aimé des sous-titres quand on présente des extraits tirés de productions ou que l’émission sur Pelléas et Mélisande contienne plus d’extraits de l’opéra plutôt que des références à des pages plus « accessibles » de Debussy, mais rien qui n'ait entaché mon plaisir.  

Poursuivrai-je mon écoute de la première saison au fil des prochains jours? Absolument! 

Disponible en ligne.

lundi 1 février 2016

Doublé Dostoïevski

Le Groupe de la Veillé fête ses 40 ans cette saison et souligne le tout avec un doublé Dostoïevski dans les salles du Prospero, regards distincts, mais complémentaires, posé sur l’auteur russe (revisité à plusieurs reprises par la compagnie).

S’il semble à première vue impossible de lier esthétiquement Le joueur et L’homme du sous-sol (d’après Les carnets du sous-sol, texte revisité par Nicolas Coutlée dans son premier roman en 2014), on ne peut nier en les juxtaposant l’unicité de la voix de Dostoïevski et surtout son indéniable musicalité. La désespérance des personnages n’est jamais gratuite, servant de moteur à autre chose, témoigne de ses dons de conteur.

La mise en scène de Gregory Hlady du Joueur (et mise en mouvement de Jon Lachlan Stewart) représentation de tous les excès et fonctionne à merveille. Chaque geste, chaque intonation sont calibrés au millimètre près, en une chorégraphie qui transmet bien la frénésie du jeu, le tout campé dans un décor de Vladimir Kovalchuk et soutenu par une trame sonore constituée de pages du répertoire classique, Wagner y jouant un rôle non négligeable (alors que l’on aurait plutôt attendu Tchaïkovski, choix intéressant.)



Paul Ahmarani nous offre un Joueur en rien unidimensionnel, transmettant aussi bien son humiliation (par rapport à ses pertes au jeu et le dénigrement de la belle Paulina) qu’une étonnante résilience. Soulignons aussi le travail d’Évelyne Rompré et Danielle Proulx, même si chacun des acteurs a su tirer le maximum de la partition qui lui a été confiée.

Après avoir cédé à cette déferlante, changement de registre le lendemain avec L’homme du sous-sol, dans lequel Simon Pitaqaj s’entoure d’objets bricolés pour établir une complicité souvent palpable avec le spectateur, ce qui facilite un meilleur apprivoisement de ce texte très dense, qui s’apprivoise par petites touches (ce que les pauses musicales et les dialogues avec le public permettent).

Simon Pitaqaj semble presque possédé par le texte et on a vraiment l’impression que chaque choix de mise en scène se veut prolongement naturel d’une réflexion ou d’une émotion, donnant au tout un côté presque improvisé, comme si le spectateur faisait les mêmes constats que lui au fil des scènes.
© Alexandra Camara

Deux façons complémentaires de s’approprier la voix de Dostoïevski, qui donne envie de lire ou relire ses autres textes.