« Les gens conservaient leurs livres, songea-t-elle, non pas parce qu’ils avaient le projet de les relire, mais bien parce que ces objets étaient les dépositaires de leur passé – la texture du moi à une époque et à un endroit donnés, chaque volume une fraction d’un intellect, que l’ouvrage ait été aimé ou détesté, ou qu’il ait provoqué un vaste dodo dès la page quarante. Les gens avaient beau être prisonniers de leur tête, ils passaient leur vie à tenter de s’échapper de cette pièce close. C’est pour cette raison qu’ils avaient des enfants et souhaitaient posséder un lopin de terre; c’est aussi pour cette raison que, après un long voyage, rien ne valait la sensation de retrouver son lit. »J'avais adoré le premier roman de Tom Rachman, Les imperfectionnistes, opus particulièrement brillant qui nous plongeait dans l'effervescence d'une salle de rédaction. Impossible donc de ne pas jeter un coup d’œil à celui-ci, malgré une couverture plus ou moins attrayante.
Aucun doute, on reconnaît la plume incisive de Rachman, qui adopte de nouveau une narration fragmentée qui nous fait passer au fil des chapitres en 1988, 1999 (au moment charnière du basculement vers l'an 2000) et 2011. Le passé de Tooly, une sympathique et lunatique libraire, se révèle par à-coups - parfois même par coups d'éclat -, nous fait voyager à Bangkok, à New York, au Pays de Galles, en Irlande, en Italie. Ballottée d'un lieu à l'autre, incapable d'établir des liens affectifs durables (parents et adultes signifiants dans sa vie n'ont certes pas prêché par l'exemple), elle cherche à se réinventer aussi bien qu'à se retrouver.
On a parfois l'impression que Rachman a visé trop grand ici, en choisissant d'intégrer de multitudes de réflexions philosophiques et politiques à la narration (déjà non linéaire) et en multipliant les lieux (ce qu'on retrouvait aussi dans son livre précédent). S'il faut parfois s'accrocher pour ne pas décrocher de ce roman de plus de 600 pages, le charme opère en grande partie grâce à une galerie de personnages plus grands que nature, auxquels on s'attache malgré leurs - nombreux - travers.
4 commentaires:
Ouf... je ne sais pas si j'ai l'énergie pour ça en ce moment... peut-être un jour!
Hum je l'ai feuilleté à la bibliothèque. À la lumière de ton billet, j'hésite.
Karine: Il faut indéniablement une disponibilité d'esprit. J'ai failli moi-même lâché la lecture en cours de route, lisant d'autres livres entre (ce que je ne fais pas habituellement), mais avais suffisamment envie de savoir ce qui était arrivé à Tooly pour y revenir.
Suzanne: Je l'ai emprunté à la bibliothèque aussi, ce qui rend moins coupable le cas échéant de passer son tour après quelques dizaines de pages si ça ne clique pas.
Je pense qu'il y a aussi quelque chose avec la traduction... Plusieurs fois, en cours de lecture, je me suis dit que plusieurs des segments me hérisseraient moins s'ils avaient été en anglais. J'ai souvent "entendu" l'anglais derrière le français, ce qui n'est pas nécessairement bon signe.
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