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jeudi 26 juillet 2007

Lectures de vacances

C'est avec une certaine fébrilité que je m'apprête à retrouver l'océan et une plage du New Jersey pour une petite semaine. Pour m'y préparer d'une certaine façon, je viens de terminer La tournée d'automne de Jacques Poulin, un écrivain qui maîtrise de façon remarquable la suspension du temps. Avec lui, les petits instants s'accumulent, joyaux du quotidien plutôt que grandes marées exaltantes. Si le fleuve est un peu moins présent dans ce livre que dans certains autres, on ressent néanmoins une sensation de calme quand on ferme le livre, qui relate une histoire d'amour toute en douceur et en tendresse entre le Chauffeur (d'un charmant bibliobus) et Marie, une Française. On est très loin des coups d'éclats retrouvés habituellement dans la littérature (je pense à ma lecture récente de Belle du Seigneur, où les amants déchus finissent par se déchirer jusqu'au sang avant se conclure un pacte de suicide) mais, parfois, une tasse de chocolat chaud soulage l'âme mieux qu'un cocktail explosif multicolore.
Dans mes valises, bien sûr, j'apporterai des livres (j'ai hésité à y glisser des partitions mais je me suis dit que je serais forte et résisterais vaillamment). Mon arrêt à la bibliothèque hier m'a permis de trouver Perdu le paradis de Cees Nooteboom (qui était dans mon calepin « à lire » depuis septembre), Tea-bag d'Henning Mankell (pas une aventure de Wallander), La belle épouvante de Robert Lalonde (son premier roman... la photo en quatrième de couverture est à faire craquer...). J'ai aussi emprunté Les Mémoires d'Hadrien de Yourcenar, après lecture du livre de Lalonde mais le format un peu impraticable (avec planches, photos) le destine plutôt à une lecture au retour. J'apporterai aussi bien sûr les livres que j'ai rassemblés lors de mes dernières visites en librairie (et bouquinerie), preque tous en poche (plus pratique dans le sac de plage!): Gertrude d'Herman Hesse, La voix d'alto de Richard Millet, Vamp de Christian Mistral, L'étrange contrée d'Ernest Hemingway (j'ai décidé de me cultiver et de comprendre pourquoi Jacques Poulin voue un tel amour à cet auteur) et deux petits Philippe Delerm, auteur que je n'ai pas encore lu mais dont on m'a beaucoup parlé (en bien): Paris l'instant (si je deviens nostalgique) et La bulle de Tiepolo. Je me doute bien que je ne lirai pas tous ces livres pendant la semaine, mais j'ai besoin d'avoir sous la main diverses inspirations, selon l'humeur, la température, la couleur de la mer...
Je vous retrouve très bientôt mais sentez-vous tout à fait libres de traîner chez moi même si je n'y suis pas. Mon chien monte la garde mais il vous laissera entrer sans peine.

mercredi 25 juillet 2007

Un jardin entouré de murailles

« Tout grand amour est un jardin entouré de murailles. » En 1957, Marguerite Yourcenar donne à Montréal une série de conférences. Bouleversée par les flots de la création qui l'assaillent, déroutée par ce nouvel environnement où l'on maltraite sa langue, tiraillée par la routine de son couple avec Grace Frick, elle décide de rentrer seule chez elle. À partir de cet événement fort peu documenté dans la vie de l'auteur, Robert Lalonde tisse un très joli roman, qui s'attarde aux relations de couple certes mais aussi aux affres de la création et aux beautés de la nature environnante. Loin de défigurer l'oeuvre d'une immense auteur (que, après lecture de cet ouvrage, je m'empresserai de mieux découvrir), il lui offre plutôt un vibrant hommage. Plus grande que nature, souvent impossible à vivre au quotidien mais profondément touchante, Marguerite (Marg pour Grace)devient, sous les doigts de Lalonde, un être profondément incarné, dans lequel on réussit à se reconnaître. Merci à Carole de m'avoir suggéré ce titre!

« Elle grimpa énergiquement l'escalier, poussée par le féroce désir d'en finir avec ce voyage, afin de l'apercevoir derrière elle, comme son long roman achevé, comme sa jeunesse si vite passée, ce jardin artificiellement fleuri de fruits d'or, où plus jamais ne reviendrait la saison de la tendresse et de l'effroi. Mais sa mémoire, sa mémoire des voyages, déjà lui laissait entrevoir la possibilité, là-bas, de quelque rencontre fortuite, de quelque contact anonyme et chaleureux, le sel d'un danger à courir, un émerveillement subit, le grand ciel d'octobre traversé par les oies sauvages, une collection d'îles au milieu d'un lac gelé; quelques bouts de bois mort, dont les yeux et le coeur sauraient s'emparer pour en faire de nouveau du feu. »

vendredi 20 juillet 2007

L'élégance du hérisson

Dès sa sortie, ce livre m'avait fait des clins d'oeil. De ci, de là, je croisais des critiques, toutes élogieuses, sur des blogues de lecture. Dans une salle d'attente de dentiste, il y a quelques semaines, je feuilletais distraitement un vieux Paris Match et un article était consacré au « sous-phénomène » L'élégance du hérisson (selon l'article, ce livre serait l'un des seuls à être sorti plus ou moins indemne du tsunami des Bienveillantes). Un ami m'en a parlé la semaine suivante avec emphase. Quand je l'ai trouvé à la bibliothèque, je n'ai donc pas résisté plus longtemps, je me suis dit que les signes étaient là, il suffisait de les accepter.

Ce livre se lit comme on savoure un thé accompagné de madeleines ou de financiers, avec délectation. Madame Michel (Renée) est concierge d'un immeuble chic et de bon goût. Elle est une intellectuelle, au sens noble du terme, mais elle croit nécessaire de se cacher et adopte donc le ton bourru, les vêtements informes et les habitudes prolétairiennes que l'on attend d'une femme de son statut. Son chat s'appelle Léon (comme Tolstoï, elle est fanatique de littérature russe), elle emprunte des livres savants à la bibliothèque, nous fait part de ses découvertes, partage son regard acéré mais jamais complaisant sur les habitants de son immeuble. Paloma a douze ans, une intelligence forcenée, et a décidé qu'elle avalerait une dose mortelle de somnifères le jour de ses treize ans et mettrait le feu à l'appartement... à moins qu'elle ne découvre d'ici là le sens profond du mouvement du monde. Elle note ses pensées dans un journal (présentés dans une typographie différente, pour facilité de lecture), critiques percutantes de la vie qui ne tourne pas rond, chez elle d'abord (son père est politicien, sa mère en analyse depuis dix ans, sa soeur semble une pimbêche de première) mais aussi dans le monde qui l'entoure. Arrive monsieur Ozu, un nouveau locataire raffiné qui perce presque immédiatement à jour la façade de Renée et devient l'ami de Paloma. Les trois s'uniront et transformeront irrévocablement la vie de leur entourage. La galerie de personnages est particulièrement attachante (Manuela, l'amie portugaise de Renée, est magnifique) et à la lecture, on ressent un peu le même genre d'émotion qu'avec Ensemble et c'est tout: une chaleur diffuse, une tendresse profonde, un lien plus intime face aux choses importantes de la vie: l'amitié, l'acceptation de l'autre, l'art comme nécessité plutôt que luxe. Muriel Barbery en profite en passant pour partager avec les lecteurs quelques belles réflexions sur la peinture, la littérature et la philosophie. On regrettera peut-être que certains passages deviennent un peu didactiques (la critique de la thèse de Colombe sur Guillaume d'Ockham par exemple) mais cela ne justifie pas que l'on boude son plaisir.

vendredi 13 juillet 2007

Merci la vie

Parfois, il y a de ces journées qui en valent tant d'autres. Mercredi fut l'une de ces journées où surprises agréables se sont multipliées. Le pianiste Michel Fournier m'annonce d'abord par courriel qu'il a tant aimé mon blogue qu'il a décidé de s'en ouvrir un lui aussi. Rafraîchissant et inspirant de constater combien ce nouveau « joujou » l'allumait. C'est vrai que les premières fois que l'on publie en ligne, une certaine effervescence nous anime (et, avouons-le, pas seulement la première fois)...
Un peu plus tard dans l'après-midi, un ami que je n'avais pas vu depuis plusieurs mois m'annonce qu'il descend le soir même à Montréal. Une rencontre est fixée et nous en profitons pour échanger et bouquiner... Le plaisir d'être deux à se faire part de ses derniers coups de coeur littéraires, à déambuler lentement, avec avidité, dans une librairie!
À mon retour à la maison, on me fait le message que l'une de mes étudiantes a tenté déjà par deux fois de me rejoindre. En plein été, période de relâche d'enseignement, cela devait donc signifier quelque chose de plutôt urgent. Elle venait de recevoir le jour même ses résultats d'examen de piano et tenait à m'en faire part. C'est une nouvelle dans ma classe (j'ai commencé à lui enseigner en novembre) mais elle est avancée et a vraiment beaucoup planché cette année pour se présenter à un examen qui était à la limite de ses aptitudes. Pendant tous ces mois, je l'ai soutenue, je l'ai poussée, j'ai essayé de l'ouvrir (son son était particulièrement rigide, pas vraiment dur mais sans expression), de l'inspirer. Bref, les dieux de la musique étaient avec elle le jour de l'examen, elle a obtenu d'excellents résultats. La juge n'a pas hésité à lui dire le jour même comment elle avait apprécié son bon travail et surtout son interprétation de la Rêverie de Debussy, oeuvre qu'elle s'est appropriée presque subitement, après m'avoir entendu la jouer pour elle (je ne savais plus quelles images utiliser pour libérer sa sonorité et l'ouvrir sur le monde du rêve). Je pouvais palper sa joie au téléphone, elle habituellement si réservée (ses parents sont particulièrement exigeants avec elle) et elle m'a remerciée chaleureusement plus d'une fois de lui avoir enseigné cette année. Des instants comme ceux-là, ce sont des moments précieux, de ceux que l'on glisse dans la boîte à souvenirs, à tendresses, pour les jours plus rudes où l'on s'interroge sur l'utilité de transmettre le goût de la musique à cette génération-ci...

mardi 10 juillet 2007

Commentaires de lecture accessibles

En réfléchissant à la requête de Venise (retrouver les commentaires de lecture plus facilement), j'ai bidouillé dans les fonctions de mon blogue et vous propose maintenant deux listes de lecture, une complète, l'autre des livres qui ont été commentés ici. Comme je refuse les diktats et que mon blogue est un produit hybride littérature et musique classique, j'ai fait le choix en ouvrant ce blogue de ne pas commenter chacune de mes lectures, préférant me concentrer sur mes coups de coeur (et parfois aussi, mes coups de gueule) ou sur un texte qui, selon moi, était suffisamment fort pour être partagé.
Venise, la chanceuse, est en grande préparation pour ces fameuses Correspondances d'Eastman, moment sans doute privilégié mais que, malheureusement, une fois de plus, je raterai pour cause de vacances. Je l'avoue, particulièrement cette année, j'étais presque frustrée que les réservations aient été faites pour cette semaine en particulier et ce, malgré la joie qui m'anime à la pensée de retrouver la mer. Pour connaître l'horaire de ces journées consacrées à la correspondance et à la littérature, c'est ici.

lundi 9 juillet 2007

Le grand sourd

Beethoven et moi, on ne peut pas parler d'un coup de foudre. Oui, bien sûr, toute jeune, j'ai travaillé le fameux (l'infâme?) Für Elise mais cela prendra ensuite quelques années avant que je n'ose me réattaquer à autre chose. Pendant trois années, j'ai eu le plaisir (hum!) de décortiquer son opus 2 no 1 dans le cadre des cours de matières théoriques du samedi matin. La première année, pour ne pas décourager personne, on s'était attaqué aux cadences. La deuxième, on avait poussé un peu la chose aux membres de phrase (à l'époque, on parlait encore de phrases « féminines » et « masculines » plutôt qu'interrogatives et conclusives!). On avait aussi décortiqué le menuet trio que la classe avait assimilé (avec brio je trouve... hum!) à l'autoroute des Laurentides. Le vendredi soir, le traffic est vers le Nord (importance à la main droite), le samedi dans les deux sens (deux mains égales), le dimanche vers le Sud (vous avez deviné, la main gauche est la vedette ici). Je dois dire que, même aujourd'hui, j'ai de la difficulté à regarder cette page de musique sans rire.
Mon professeur m'avait éventuellement fait travailler l'opus 90, considérée plus « accessible ». Pouvez-vous me chanter le thème du premier mouvement sans regarder votre partition? Moi non plus. Pas exactement une révélation, donc. Éventuellement, quelques années (et de multiples sonates de Mozart plus tard), j'ai eu le droit de m'attaquer à une « vraie » sonate, l'opus 110, l'avant-dernière. Ne l'ayant pas retravaillée depuis des lustres, j'ai eu le goût de m'y replonger il y a quelques jours, après qu'un ami m'en eût parlée. Quand même, quelle oeuvre!
Beethoven est devenu un géant, on y sent la transcendance, les déchirements de la souffrance mais surtout la grande force de caractère de cet homme immense. Comme toujours, avec un thème en apparence anodin, il édifie une cathédrale. L'Adagio ma non troppo du dernier mouvement est renversant, d'une douleur presque insupportable et pourtant, Beethoven, nous la rend si humaine. Quelques mots ponctuent ma partition dans ce mouvement: passion, doute, transcendance, pleurs. Quand la fugue s'amorce, c'est comme si une prière montait enfin jusqu'au ciel, comme si Beethoven avait accepté l'inévitable, la fin du parcours (quelques mois plus tard, il signera son ultime sonate). Après un retour du thème douloureux, Beethoven renverse le sujet de la fugue, qui devient aussi irréel qu'un mirage. Même s'il continue de nous édifier, cette fois-ci, le traitement du sujet nous ancre dans la profondeur de soi avant de nous mener avec subtilité vers l'apothéose, nous laissant pantelant et exalté à la fois.
Mon amour pour Beethoven s'est bâti lentement, comme il édifie ses oeuvres. Je me suis d'abord rebiffée, ai refusé d'admettre sa voix, ai boudé ses oeuvres parce qu'elles étaient trop « populaires ». Je n'avais pas encore compris les subtilités de son langage, la façon instinctive qu'il a de peaufiner un petit motif de trois notes et de le transformer en une statue magnifique, comment il réussit à tout exprimer dans ses mouvements lents mais n'hésite pas à le rejeter du revers de la main dans un éclat de rire dans ses scherzos déjantés, sa façon de s'ancrer dans la tonalité (sa fascination pour les motifs en accords!) pour ensuite tenter de la faire éclater, comme s'il voulait extraire un diamant d'un tas de roches. Avec le temps, j'ai souffert suffisamment pour ressentir ce qu'il me chuchotait toutes ces années à l'oreille, je me suis sentie suffisamment forte pour accepter son amour, son rire parfois tonitruant, ses inconstances, ses explorations, son essence.

samedi 7 juillet 2007

Ensemble et c'est tout

Une amie, complètement séduite par le livre, l'avait prêté à sa sortie à toutes ses connaissances ou presque. Quand elle me l'avait tendu, j'étais un peu sceptique, je l'avoue. J'ai appris à me méfier des bestsellers qui ne livrent pas toujours leurs promesses. Une fois plongée dedans, pourtant, j'avais été incapable de le lâcher. Le style n'était pas particulièrement joli (aucune phrase à noter dans un carnet de citations) mais l'atmosphère du récit était si tendre, si magique presque, qu'on aurait voulu ne pas avoir à refermer le livre. Quatre écorchés qui se retrouvent, sans se poser de questions, réunis par les hasards de la vie.

Je suis allée voir le film tiré du livre il y a quelques jours, avec cette même amie (juste retour des choses). Même si j'avais oublié quelques éléments narratifs depuis le temps (je ne me souvenais plus par exemple que Frank et Camille devenaient amants), dès les premiers instants, je me suis sentie plonger dans l'univers du roman, avec une rare efficacité. Les acteurs ont collaboré au projet avec une évidente complicité et un touchant professionalisme. Aucun n'a tenté de tirer la couverture pour se mettre en valeur, choisissant de se fondre dans cette histoire qui, au fond, ressemble à tant d'autres mais qui, en étant narrée de si brillante façon, devient une fable d'espoir. L'intensité du Frank de Guillaume Canet est renversante, la fragilité de la Camille d'Audrey Tautou attachante, le Philibert de Laurent Stocker, personnage si improbable, absolument craquant. La Paulette de Françoise Bertin nous interroge en passant sur le temps qui passe, trop vite, trop brutal (cette scène, magnifique, où Camille la baigne mais surtout, celle, sublime, où elle la peint, à peine vêtue d'un peignoir négligeamment ouvert). À s'approprier, qu'on ait lu ou non le livre.

Ici, l'avis d'Éric Simard, qui a vu le film le même jour que moi...
L'avis de Venise...

mercredi 4 juillet 2007

La paroissienne

Après plus d’un demi-million d’exemplaires vendus de ses romans - tous des best-sellers semble-t-il -, Denis Monette est l'un des auteurs québécois les plus lus. Qu'en dire, donc? Le sujet est assez « people » pour plaire à tous, ce qui explique possiblement l'engouement des lecteurs (je suspecte que ce sont surtout des lectrices). Un homme accablé par la maladie de sa femme, privé de ses repères habituels (il est jeune retraité), succombe aux charmes de la jolie paroissienne (qui a dix ans de moins que lui). Si le récit prend selon moi un peu de temps à démarrer, nous plongeons bientôt dans une aventure menée tambour battant et sur les chapeaux de roue. Le passé de la belle est lourd (de nombreux maris disparus précipitamment), les personnages sont suffisamment attachants (même la « méchante »), on se surprend à lire le tout de façon quasi compulsive, plaisir coupable, plaisir d'été. Si le style de l'auteur n'est certes pas mémorable, il reste diablement efficace. Un tic de langage m'a franchement agacée cependant: une propension presque maladive (ou à tout le moins fort répétitive) à ponctuer nombre de ses phrases de points de suspension, histoire de maintenir... le suspense ou de dévoiler... un (souvent faux) punch.

Me précipiterai-je sur les précédents ouvrages? Probablement pas. Lèverai-je le nez sur l'auteur? Certainement pas. Et, en plus, il faut louer le courage d'avoir doté des personnages de plus de 50 ans d'une sexualité vibrante.