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dimanche 31 mai 2009

Voyager et apprendre

J'admettrai ici que je suis assez peu portée sur les biographies, romancées ou non, sauf en de rares occasions (La vie de Liszt est un roman reste une exception remarquable). Peut-être parce que je lis des ouvrages musicologiques parfois assez pointus, que je dois creuser en bibliothèque pour extraire de journaux intimes, de lettres (genre que j'adore), des informations pour compléter des notes de programme, quand vient le temps de la lecture « évasion », je préfère délaisser les ouvrages plus « pédagogiques » pour plonger dans une histoire, apprécier un style littéraire, me sentir élevée par certaines réflexions.

Pourtant, j'aime ces livres qui se passent ailleurs, qui nous permettent de lever le voile sur une autre façon de vivre, de penser autrement mais je tiens d'abord à être séduite par l'intrigue plutôt que par le décor périphérique. J'ai ainsi lu récemment, avec un plaisir certain, Mille soleils splendides qui, s'il m'a moins touchée que Les cerfs-volants de Kaboul pour plusieurs raisons (notamment au niveau du style narratif), m'a permis de m'approprier le quotidien de deux femmes afghanes, deux battantes, victimes d'un lieu, d'une époque, d'une mentalité. On finit par s'y attacher mais surtout par percevoir la réalité, leur réalité, avec un tout autre regard. L'impact littéraire est certes moins puissant que celui ressenti après Syngué Sabour: la pière de patience d'Atiq Rahimi, lecture coup de poing s'il en est une, ou le magnifique Ce que le jour doit à la nuit ou le puissant Attentat de Yasmina Khadra. Néanmoins, grâce aux mots de Khaled Hosseini, je ne percevrai plus jamais les images diffusées au téléjournal de la même façon et, en cela, il aura certainement accompli de façon convaincante sa tâche de témoin d'une ère troublée.

Dans un autre registre, je complète la lecture de La cité des anges déchus de John Berendt, un fascinant récit qui lève le voile sur les mois qui ont suivi l'incendie de la mythique Fenice de Venise. Tous les noms cités sont ceux de personnes réelles, tout y est vrai mais magnifié, comme la Sérénissime, grâce à la plume particulièrement alerte de l'auteur. On a l'impression très nette de lire un roman. Mais cela s'est-il vraiment passé comme cela? La vision de Berendt, touffue et fouillée, en est une parmi d'autres. Venise reste une ville de masques, de codes, au passé parfois trouble, qui ne se dévoile jamais entièrement aux regards des non-Vénitiens. Malgré tout, on ne peut s'empêcher de l'aimer, d'y rêver, de s'y retrouver, avec une certaine nostalgie quand on l'a apprivoisée, même en surface. Je n'y ai séjourné que cinq jours, il y a près de cinq ans, mais si, à ce moment précis, un génie était apparu et m'avait offert de réaliser un voeu, un seul, sans hésitation, je lui aurais demandé d'y travailler, d'y vivre. J'aime quand les livres nous font voyager, ailleurs, dans le passé, en nous.

Un point de vue intéressant de Lorenzo ici sur ce livre...

vendredi 29 mai 2009

Raid

J'étais debout de fort bon matin par ce petit vendredi tristounet pluvieux. Ce réveil hâtif n'était pas entièrement volontaire puisque je devais me rendre au Collège Sainte-Anne de Lachine pour m'entretenir avec Bernard Arsenault, PDG du Marathon Oasis de Montréal, qui donnait le signal du départ du RAID sportif 2009. Vingt-cinq kilomètres de vélo, course à pied, escalade, patins à roues alignées (si la météo finit par coopérer), six heures de sports extrêmes, cinquante-neuf garçons et filles extrêmement motivés, l'événement se veut une occasion de dépassement pour les finissants du programme Défisport du Collège. Un peu l'envers - le bon côté? - de la médaille dont je parlais dans mon précédent billet, si on s'y arrête quelques instants.

Les différents intervenants ont parlé de dépassement de soi, d'effort, mais surtout de solidarité. Il est essentiel que chacun des quatre participants de l'équipe franchisse le fil d'arrivée, qu'il soit porté sur les épaules d'un collègue, aidé par les encouragements d'un autre... Cette clause qui élimine toute tentative de victoire individuelle m'interpelle, mieux, elle me convainc de la vitalité de notre jeunesse et que notre monde sera entre de bonnes mains dans quelques années. De plus, cette volonté d'adopter un mode de vie sain - je peux témoigner qu'il n'y avait pas une seule once de graisse superflue sur ces jeunes corps d'athlètes! - aura des répercussions sur notre société dans dix, quinze, vingt ans.

Avant de donner le départ de la première épreuve, une course en radeau, construit par les membres de chaque équipe – dont certains particulièrement bien conçus –, la devise des jeunes sportifs leur a été répétée, peut-être pour la centième fois. « Quand les temps sont durs, les durs traversent le temps. » Chaque équipe a ensuite pris position dans la 12e avenue avec son embarcation, impatiente de mordre dans une journée aussi chargée. Soutenus par les applaudissements et les cris d'encouragement des élèves de Secondaire V, ils se sont élancés, presque d'un seul souffle. Je ne sais pas pourquoi mais, après avoir été témoin d'une telle énergie brute, j'ai abordé le reste de ma matinée avec un tout autre point de vue.

Après avoir donné un cours à une classe décimée par l'événement, j'ai repris ma voiture, pour y entendre Patrick Bruel parler en entrevue avec Christiane Charette... de défis à relever et d'échecs à balayer du revers de la main, avant de chanter, en toute intimité, s'accompagnant au piano Place des grands hommes. Des coïncidences qui ne s'inventent pas.

mercredi 27 mai 2009

Échec



Depuis quelques semaines, je dois apprendre à faire face à une nouvelle émotion en tant que professeur. Non, pas la colère, le plus souvent inutile. Mes élèves peuvent témoigner: je ne me fâche jamais... ou presque. Celui ou celle qui écope - une fois tous les deux ou trois ans - s'en souvient généralement pendant quelques semaines. Non, c'est plus insidieux que cela. Je dois apprivoiser l'échec, ou plus précisément le lâcher-prise dans l'échec.

En effet, il y a quelques jours, j'ai vu une élève pour la dernière fois avant son examen de fin d'année. Depuis novembre, je menace. En février, je me suis mise à trépigner. En mars, j'ai communiqué avec l'autorité parentale concernée. En avril, j'ai tenté de négocier une réduction de peine mais sans succès. De façon aussi mathématique que 2 et 2 font 4, cette élève se dirige tête première vers un échec et je ne peux rien faire pour l'empêcher. Difficile à accepter.

Dans des circonstances normales, je ne lui aurais jamais proposé de passer cet examen, trop ardu pour elle mais - et ce même si j'ai averti sa mère de la folie d'une telle entreprise l'année dernière -, comme elle est en option, elle n'a pas le choix et doit s'y présenter. Depuis que j'ai commencé à enseigner, je n'ai jamais eu à faire face à un tel constat. Deux ou trois de mes élèves ont dû reprendre des examens, certes, mais elles étaient bien mieux préparées. Le pire, dans tout cela, c'est que l'élève ne semble pas traumatisée outre-mesure de prendre part à une telle aventure. Elle n'en est pas à son premier échec, j'imagine, et a peut-être appris à le gérer d'une façon ou d'une autre.

J'ai souvenir d'un entretien d'embauche, il y a quelques années déjà, dans lequel on m'avait demandé d'élaborer sur une situation d'échec, pour comprendre comment je l'avais gérée. J'avais été un peu décontenancée par la question, ayant connu un parcours académique sinon exemplaire, du moins exempt de tels soucis. J'avais finalement puisé dans ma besace et expliqué comment j'avais « rebondi », la seule fois où j'avais vécu la chose dans un cadre musical. (Le cours de programmation auquel je n'ai rien compris jadis ne compte pas.) La responsable des ressources humaines et ma future patronne m'avaient fixée d'un air perplexe: « Tu n'as rien rien de plus récent que ça? » Euh...

Je me suis reposée la question alors et j'ai réalisé que, au fond, une situation d'échec n'est perçue comme telle que si on choisit de la traiter comme telle. Quand j'ai dû recommencer un examen, je l'ai fait avec conviction. Des proches craignaient que je cède à la dépression, n'étant pas « outillée » pour faire face à un rejet d'une telle ampleur. En réalité, j'ai été triste moins d'une journée, puis je me suis retroussé les manches et me suis dit: « Ils vont voir ce qu'ils vont voir. » Bien sûr, aucune bévue monumentale n'a été commise lors de la reprise. Alors, pourquoi, cette fois, est-ce si difficile d'accepter qu'une autre personne ait choisi sciemment de vivre un échec? Au fond, l'expérience de vie, elle est pour moi.

mardi 26 mai 2009

Bach to Bach

Le rêve de tous les pianistes... Pouvoir s'amuser avec un tel jouet dans son salon! Je craque!

lundi 25 mai 2009

La maison des temps rompus


J'avais particulièrement apprécié l'écriture de Pascale Quiviger dans Le cercle parfait (qui lui a mérité le Prix du gouverneur général) et avais donc hâte de retrouver la voix si particulière de cette auteure. Dans cet opus, Quiviger met en scène une jeune femme qui trouve un matin la maison de ses rêves, en bord de mer, avec jardin somptueux, à un prix ridicule. La demeure est difficile d'accès mais, peu importe, elle a décidé de voyager léger et n'hésite donc pas une seconde à s'y installer. Le début laisse volontairement perplexe et on se demande un instant si l'auteure n'a pas décidé d'aborder le monde du fantastique, fantômes et revenants à l'appui. S'y engouffrer serait faire fausse route car la maison devient plutôt métaphore, lieu de recueillement, lieu de fuite, lieu de souvenir.

Un beau jour, la jeune femme se met à écrire: l'amitié qui balaie tout sur son passage entre Lucie et Claire, les liens qu'elles entretiennent face à leurs mères, aux pères absents de corps ou d'esprit, à leurs rêves. L'imaginaire occupe une large place de leur univers et cela permet l'insertion habile d'éléments tirés d'histoires improbables, de contes merveilleux, de combats épiques.

On finit par comprendre - par apprivoiser plutôt - ce qui a mené la jeune femme à se réfugier hors du monde, grâce à une écriture particulièrement poétique, qui brosse à grands coups de ressentis un tableau tout en demi-teintes. En sortant des pages, on se sent remué, touché, prête à y replonger pour s'approprier une autre vague d'émotion. « C'est ça la vie, répétait souvent Aurore: pieds nus à perdre haleine le long de causes perdues. » (p. 182) Un très beau livre.

dimanche 24 mai 2009

La Cinquième de Beethoven

Sur le blogue d'Analekta, je décortique depuis quelques jours la Cinquième de Beethoven, certainement l'œuvre la plus célèbre et la plus enregistrée du compositeur. Contexte de création, analyse musicale et comparaison de deux versions sont au programme de cette série. Dans le prochain (et dernier) billet prévu (lundi), vous pourrez même devenir critique d'un jour. Eh oui!

Pour y jeter un coup d'oeil, c'est par ici...

samedi 23 mai 2009

La vie musicale à Trois-Rivières, 1920-1960


Quand on évoque aujourd’hui la vie musicale trifluvienne, plusieurs images surgissent spontanément : l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières, les multiples manécanteries, le nom de certains musiciens de la région reconnus sur les scènes nationale ou internationale. Pourtant, avant 1960, la diffusion de la musique classique reposait essentiellement sur les efforts de fervents amateurs qui, bénévolement, à travers fanfares, chorales, œuvraient dans l’ombre. Dans cet ouvrage particulièrement fouillé, mais néanmoins présenté dans un style accessible, enrichi d’une iconographie parfois émouvante, Amélie Mainville retrace le climat si particulier de ces 40 ans pendant lesquelles Trois-Rivières est passée de ville boudée par les grands artistes à lieu à la vitalité certaine. On découvre la petite histoire, souvent fascinante, de la démocratisation de l’accès à la musique classique, qui implique une éducation du public, et qui mènera à l’éclosion d’une nouvelle dynamique, grâce à des pionniers tels J.-Antonio Thompson (qui met sur pied une série de concerts commentés), Anaïs Allard-Rousseau ou Gilles Lefebvre (fondateurs du mouvement des Jeunesses Musicales du Canada). Une page méconnue de notre passé musical à s’approprier d’emblée!

jeudi 21 mai 2009

Just like the movies

En écho à mon dernier billet sur la musique de film, une amie m'a envoyé un lien vers un court métrage à nul autre pareil, Just like the movies, du réalisateur polonais Michal Kosakowski. Composé exclusivement de scènes tirées de films catastrophes (tels Armageddon, Godzilla et Deep Impact), le réalisateur a choisi de remonter, dans un ordre bien précis, la chronologie des événements du 11 septembre.

Comme beaucoup d'entre nous, les images presque irréelles transmises par toutes les chaînes de télévision donnaient l'illusion assez saisissante d'être du déjà vu. Kosakowski s'est donc replongé dans 600 films de genre pour en extraire les scènes les plus expressives, lui permettant de reconstituer avec un regard complètement autre les événements de cette journée bien particulière.

Aucune parole n'est intégrée à la trame sonore, la musique particulièrement envoûtante de Paolo Marzocchi suffisant à traduire la ville qui s'éveille, la course contre la mort, les instants suspendus, le vent de panique, le souffle d'incompréhension totale. On le voit ici, lors d'une présentation « live », seul face à son piano et à l'écran, en totale communion avec les images, dans l'esprit du cinéma muet.

Le film s'est notamment mérité le premier prix au Festival de Milan 2007 ainsi qu'à ceux d'Amsterdam et Santiago. La trame sonore a été récompensée au Festival du film international 16CORTO 2007.



La deuxième partie est ici...

mardi 19 mai 2009

3, 2, 1, musique!

Le 28 décembre 1895, date symbolique dans l’aventure artistique humaine, un public subjugué découvre les images projetées par le cinématographe des frères Lumière. Cette première expérience cinématographique ne se tient pas dans un silence total. En effet, un pianiste improvise sur les images présentées à l’écran, d’abord pour couvrir le bruit envahissant du projecteur alors sans paroi isolante, mais également pour plonger le spectateur dans un univers qui lui permettrait de s’évader de son quotidien.

Avec l’avènement du parlant, les improvisateurs seront mis au rencart et la bande son deviendra part intrinsèque et immuable de la narration de l’histoire. Il est donc essentiel pour un compositeur d’établir un dialogue serré avec le réalisateur avant même de sommer l’inspiration et surtout de comprendre la place que la musique occupera dans telle ou telle séquence. La trame pourra ainsi tour à tour souligner l’action, marquer le mouvement, anticiper un geste subséquent, représenter le lieu (en plongeant l’auditoire dans des environnements culturels, sociaux ou historiques particuliers), commenter l’action en contrepoint (résumé musical aussi bien que contradiction de la connotation d’un plan), exprimer les émotions des acteurs ou encore jouer le rôle de guide émotif ou de symbole (selon le principe du leitmotiv cher à Wagner, alors qu’un motif musical devient associé à un héros ou une émotion).

Le monde de la musique de film reste en pleine évolution. Quand les musiciens classiques « sérieux » l’évoquaient il y a 30 ou 40 ans, ils ne cachaient pas un certain mépris, considérant celle-ci comme de troisième ordre. Aujourd’hui, sa qualité n’a plus besoin d’être démontrée et on peut maintenant parler d’une forme d’art à part entière. Il n’est donc pas surprenant que plusieurs compositeurs de renom y trouvent un défi à la hauteur de leurs attentes.

La musique parlant avant tout à l’inconscient, les meilleures trames sont souvent les moins envahissantes et ajoutent une profondeur à l’image sans l’écraser. Pourtant, il reste toujours ces grands airs que le public continue d’entendre, mais surtout de ressentir des années durant, bien après que les souvenirs précis du film aient disparu.

Quelques incontournables d'Ennio Morricone...


Ennio Morricone

vendredi 15 mai 2009

David Fitoussi: La bar-mitsva de Samuel

Famille dysfonctionnelle à souhait, double identité juive et française difficile à porter dans une banlieue parisienne comme trop d’autres, Samuel est mal dans sa peau et cela se sent dès les premières pages. Quand sa mère, une vraie caricature, décide d’immigrer au Québec, à moitié pour s’affranchir du père de ses enfants et à moitié pour clouer le bec à sa famille et à sa belle-famille grâce à sa « réussite », alors, évidemment, c’est la totale. Dégoûté par l’accent grossier, révolté par le climat moins que clément, excédé par les codes puérils qui régissent sa maisonnée, Samuel cherche à s’affranchir. Comme tout jeune adolescent, il s’interroge sur les mécanismes complexes qui régissent les liens entre les deux sexes, est renversé par la puissance de ses hormones. Plutôt que de rester passif face à son destin, il le provoque, soulevant l’incompréhension de ceux qu’il côtoie et la perplexité du lecteur.

Ce premier roman a été positionné comme l’expression du regard d’un immigrant récalcitrant sur une terre qu’il ne souhaiterait pas d’adoption. Il se lit plutôt comme un récit d’adolescence un peu particulier, assez bien articulé et à l’écriture maîtrisée, parfois troublant, au ton grinçant, quelquefois carrément vulgaire. Les traits sont volontairement magnifiés, peut-être afin de noyer la détresse latente mais aussi une certaine tendresse envers ce père manquant, dont Samuel souhaite plus que tout la présence à cette fameuse bar-mitsva. Une histoire comme tant d’autres, au fond.

Pour lire les autres commentaires de lecture des collaborateurs de La Recrue, c'est ici...

mercredi 13 mai 2009

La muse: dernière édition papier

Certains musiciens détestent le concert. Pour ma part, j’ai toujours mieux joué devant un public (même intime) que seule dans mon studio de répétition. Certains aiment le réconfort d’une routine apaisante; elle me fait grincer des dents, viscéralement. Incapable de vivre dans le carcan du 9 à 5, j’assume mes débordements, et ce, même quand, parfois – souvent – je me retrouve avec plus de défis à relever que d’heures dans une journée. Après 11 ans de publication papier, je lance donc La Muse affiliée dans le grand monde… le virtuel. À une époque où les médias imprimés en arrachent et les quotidiens ferment leurs portes, il m’a semblé logique d’agrandir son réseau d’influences en la positionnant comme un nouveau joueur plus important d’Internet.

En prenant ce virage technologique, je souhaite surtout que des liens se tissent entre les professeurs d’ici et d’ailleurs. À l’heure où les experts se désolent et où les ventes de disques classiques sont en chute libre, osons l’optimisme et utilisons la technologie à notre avantage. Nous ne parlons pas une langue morte. Assumons-la entièrement.

Je vous invite à consulter le dernier numéro (version papier) ici et à revenir fureter au http://museaffiliee.com quand bon vous semblera!

dimanche 10 mai 2009

Festival Arts, lettres et communications

Il y a de ces événements ignorés (si on n'y est pas initié par un ami ou l'ami d'un ami) qui pourtant méritent qu'on s'y attarde. Chaque année, les finissants du programme Arts, lettres et communications du Collège Brébeuf organisent un festival qui ne dure malheureusement que le temps d'une soirée (vendredi soir dernier dans ce cas-ci).

La soirée est articulée en deux volets distincts. Le premier permet d'assister au vernissage de l'exposition qui présente les travaux les plus intéressants réalisés dans le cadre des cours d'arts visuels (une des trois concentrations du programme), des ateliers de multimédia (deuxième concentration possible) ou de certains cours du tronc commun (tels photographie). Dans une atmosphère particulièrement bouillonnante et à des lieux du snobisme obligé pratiqué par ceux qui fréquentent habituellement les vernissages, on pouvait s'arrêter devant une sculpture (j'aurais bien rapporté cette oreille géante pour rappeler à mes élèves de s'écouter), s'approcher d'une photographie et recevoir le message en plein visage (un des projets traitait des émotions), regarder des vidéoclips sur des chansons francophones, apprécier les affiches réalisées en marge des court-métrages présentés par les finissants, s'assoir devant un ordinateur et cliquer sur les divers projets des élèves de multimédia (accessibles également en ligne ici). Les professeurs, habillés pour une soirée mondaine chic, échangeaient volontiers avec les étudiants qui expliquaient patiemment à leurs proches les défis de réalisation de tel ou tel projet.

La soirée migrait ensuite vers la salle Brébeuf. L'animation de la soirée avait été confiée à des étudiants en théâtre (dernière concentration du programme) qui nous ont offert entre les divers blocs une série de tableaux absolument délicieux qui abolissaient avec humour les frontières entres les scientifiques « butés » (« Ciel! que vais-je faire? Ma cote R! ») et les « extravagants » étudiants en Arts et lettres (« Je prendrais bien un verre de vino! »). Mentionnons ici le charisme d'Octave Savoie-Lortie en Maître Steeve, sublime de décadence assumée, soutenu avec conviction par ses cinq complices. (Chapeau au metteur en scène Pierre Collin.)

La salle comble (pourtant, aucune annonce n'est jamais faite de cet événement et à peine 100 étudiants sont inscrits au programme donc on ne parle pas seulement de parents convaincus) a pu apprécier des productions télévisuelles (dont des variations sur le thème du temps, de nouvelles déclinaisons du Hoppity Pop de McLaren ou des réinterprétations du poème Devant le feu de Nelligan), des court-métrages de fiction, un montage des meilleures affiches d'un spectacle inventé du Cirque du Soleil (certaines particulièrement spectaculaires), un radio-roman (genre oublié, fort malheureusement) ou des animations Flash assez saissantes. Après l'entracte, étaient présentés les neuf projets d'intégration, qui exige la réalisation de A à Z d'un court-métrage qui mettait en lumière un intervenant culturel, de Bryan Perro à Robert Lepage sans oublier Betty Goodwin ou Paul Buissonneau. (J'ose à peine imaginer le nombre d'heures passées en production.)

Plusieurs prétendent que la jeunesse d'aujourd'hui est flasque, blasée, sans idées. Quelques minutes à peine de cette soirée exceptionnelle auraient suffi à les faire taire. Y serai-je l'année prochaine? Absolument!

jeudi 7 mai 2009

Silk (soie)


Alessandro Baricco reste l'un de mes auteurs chouchous et j'ai même relu deux fois Soie, à quelques années d'intervalle, geste que je fais rarement (sauf pour la poésie, Le petit prince ou les contes d'Andersen). J'avais conservé un souvenir ému de ce court roman, mais surtout de la poésie qui se dégageait de ses pages. Je ne me suis donc pas précipitée en salle pour voir l'adaptation de François Girard et ce, même si j'ai adoré son Violon rouge (film que j'ai revu à plusieurs reprises et dont je connais très bien la trame sonore de John Corigliano), par peur peut-être de ne pas entacher l'émotion ressentie jadis. Mais comme le dit film passait à l'un de nos postes de films récemment, j'ai donc pris cela comme un signe qu'il fallait peut-être que je tente l'expérience.

Troublante émotion, pourtant bien différente de celle ressentie à la lecture du livre, qui n'a que peu à voir avec la trame narrative privilégiée par le réalisateur et certaines libertés (le choix d'un Hervé Joncourt tout jeune, la personnalité d'Hélène). Je me suis assez peu attachée aux personnages (les critiques avaient démontré de nombreuses réticences face au choix des acteurs principaux, peut-être bien avec raison) mais j'ai été saisie sans détours par l'époustouflante direction photo d'Alain Dostie (sublimes scènes d'hiver au Japon et couleurs somptueuses du jardin) mais surtout par la musique de Ryuichi Sakamomoto, aérienne, épurée, profondément touchante, qui transcende tout le propos. Reverrai-je le film? J'en doute fort. Réécouterai-je la trame sonore? Absolument.

Silk

mardi 5 mai 2009

Reine-Aimée Côté: L'échappée des dieux


Peut-on tourner le dos au geste créateur quand on abandonne les planches pour s'isoler avec son amoureux autour d'un lac paisible? Peut-on oublier les papillons dans le ventre, les affres de la création, les feux de la rampe? « Ma tête était bien ailleurs à ce moment-là, envoûtée par le monde du théâtre. Je me voyais devenir une souffleuse de verre. Je fabriquerais sur la scène des boules d'amertume, de colère, d'amitié. Des boules de mystère. Je soufflerais sur ma peau pour la soulever et atteindre mon âme, il en sortirait des asphodèles ou des papillons. Et le temps ne serait plus si lourd, il aurait la légèreté d'un cil. Plus besoin de vouloir attraper la gloire, je me pavanerais devant elle, à côté d'elle, corne de brume résonnant comme une obsession. » (p. 13)

Dans une langue poétique, chargée de symboles, au souffle d'une puissance souvent bouleversante, Reine-Aimée Côté signe avec L'échappée des dieux un deuxième roman émouvant, véritable odyssée au cœur de la maternité. Avec Louis, partenaire parfois impuissant face à la vague de souvenirs qui vient la frapper, Lisa se reconstruit, se réinvente, à coups de mots, de gestes infimes. À l'aube de la quarantaine, elle vit sa grossesse, puis sa maternité, avec l'intensité jadis portée à son métier. Elle se questionne sur les liens entretenus avec sa propre mère, nous interroge aussi sur ce choix à contre-courant de se consacrer exclusivement à ses enfants. Elle regarde grandir ses filles, tracent des parallèles entre leur jeux et le théâtre. Elle croit avoir tiré un trait définitif sur sa vie d'avant mais celle-ci revient de temps en temps la hanter, notamment à travers la présence mythique de Morel, dramaturge et ancien amant, qu'elle n'a jamais réussi à totalement oublier.

Plus qu'un court roman, ce texte s'apprivoise plutôt comme un long poème, dont on laisse les mots couler sur nous, en nous. Il ne s'y passe presque rien au fond, que le temps que l'on tente d'arrêter, que l'on cherche à nommer, pour mieux le comprendre, mieux se comprendre. « J'écris les mots qui consolent sur des rubans, puis les insère dans le coffret de bois verni, ainsi se colmatent les blessures. » (p. 23)

samedi 2 mai 2009

De l'émotion


J'étais au théâtre hier soir, lieu que j'aime peut-être encore plus que la salle de concert, parce que la fragilité de l'instant y est souvent plus perceptible. J'accepte plus volontiers d'y déposer les armes, ne demandant qu'à être transportée ailleurs, par les mots d'un auteur, le souffle d'un acteur. J'avais été séduite par Le projet Andersen de Robert Lepage et avais donc très hâte de découvrir son Dragon bleu. Des informateurs avaient déjà vu le work in progress à Québec, à Ottawa, en avaient dit grand bien. Une amie l'avait vu la semaine précédente et avait des réserves.

La production éblouit certes mais n'émeut pas ou sinon, à petites touches. À chaque mutation de la scénographie, on est soufflé par la technologie certes mais surtout par la façon minimaliste dont les atmosphères, les lieux sont tracés, à coups précis de pinceau de calligraphie. Les yeux scintillent, s'agrandissent mais je n'ai pas vibré, été transformée par cette histoire bien particulière de quête d'identité, qu'on peut lire à plusieurs niveaux, tant personnelle (les trois personnages peinent à accepter ce qu'ils sont) qu'en tant que peuple (juxtapositions entre la tradition chinoise, ses danses expressives et l'accablant kitsch de la « modernité », allusions à la situation québécoise). À tout moment, on voudrait se laisser happer mais, toujours, quelque chose nous retient: une narration échevelée par moments et télégraphiée à d'autres (les trois branches du fleuve, les trois personnages, les trois fins possibles), un jeu d'acteurs oscillant entre une impression de froideur ou d'indifférence (comme si le texte s'improvisait devant nos yeux) et le désespoir (scène d'une grande puissance de Tai Wei Foo, mais déjà vue) mais toujours cette impossibilité à vibrer à l'unisson, tout simplement. Certains moments restent pourtant d'une rare poésie: les explications de Lamontagne face à la calligraphie chinoise, la danse qui accompagne le générique d'ouverture, la neige qui tombe sur Shangaï, mais je suis sortie de la salle avec l'impression d'avoir feuilleté un magnifique album d'images mais sans en avoir réellement saisi le propos.

Une fois rentrée chez moi (et après avoir lu les notes de programme pendant le trajet de retour), j'ai ressenti un besoin viscéral de plonger dans l'émotion et ai donc terminé la lecture du dernier opus d'Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne. J'avais découvert l'auteur par son Roman russe il y a deux ans et avais alors noté: « On est séduit par la peinture de l'âme russe, tiraillé par les tourments de la relation amoureuse destructrice du narrateur et renversé par la qualité de l'écriture. Autobiographie, autofiction, roman, au fond, cela n'a pas d'importance: on y croit, on s'attache aux névroses, presque malgré soi. » Dans D'autres vies que la mienne, l'auteur, réputé - non sans raison - pour son narcissisme aussi bien que par son refus d'accepter qu'il n'est plus un adolescent attardé, nous la joue dans un registre entièrement différent. Il s'oublie, parfois se révèle, derrière deux histoires tragiques, deux destins qu'il a décidé d'extraire de l'ombre, deux morts qui transforment aussi bien l'auteur que le lecteur. En première partie d'ouvrage, il relate la mort de la petite Juliette, emportée par la terrible puissance du tsunami. En seconde, il élabore sur celle d'une autre Juliette, soeur de sa compagne Hélène, fauchée au début de la trentaine par un cancer. À petites touches, qui émeuvent mais ne tombent miraculeusement jamais dans le pathos, il retisse l'écheveau d'une vie, en interrogeant Patrice son mari, Étienne le collègue fidèle de tribunal, ses parents, ses amis, ses filles. Avec rigueur, avec ferveur, il s'efface derrière une histoire comme tant d'autres, il lui insuffle vie en magnifiant certains des infimes détails qui, au bout de la course, sont peut-être les seuls qui comptent. On déplorera peut-être à peine quelques longueurs quand il tient à nous expliquer en détail la nature du travail au tribunal de Juliette et Étienne, passages qui provoquent une cassure de ton, mais en refermant le livre, on a l'impression furtive d'avoir assisté à une renaissance, tant au niveau du propos que de son traitement que du regard posé sur autrui. Nous sommes, après tout, la somme de nos liens.

On peut lire les premières pages du livre ici...