Lors de mes vacances à la mer l'année dernière, j'avais avalé six ou sept livres, portée sans doute par une volonté de tout oublier (les trois semaines précédant le départ avaient été mortelles côté boulot). Si j'ai retrouvé la même station balnéaire et mes repères, la solitude a été beaucoup moins au rendez-vous, puisque je cohabitais avec huit autres personnes, dont une puce de 15 mois, qui demandait tout de même une certaine attention de ses oncles et tantes d'occasion. Ce préambule tente de justifier que seuls quatre titres ont rejoint ma liste de lecture.
Mieux vaut tard que jamais, j'ai finalement lu Le portrait de Dorian Gray de Wilde, une peinture (c'est le cas de le dire) assez décapante d'une société oisive, qui s'étourdit soir après soir dans les mondanités et n'hésite pas à faire un pacte avec le diable en échange de la jeunesse éternelle. Cette déclinaison du mythe de Faust est assez étonnante et je me suis délectée de l'écriture alerte de Wilde.
Ma lecture suivante avait également trait à la recherche de la jeunesse éternelle, du moins indirectement. En effet, dans Ma reine, Normand Corbeil présente une version soft de Lolita, dans laquelle un journaliste dans la quarantaine entretient une relation vaguement torturée avec une nymphette dans la vingtaine. Un ton entendu, une écriture pas vraiment renversante, mais une façon tout de même assez habile de traiter ce sujet un tantinet éculé. J'avais rencontré l'auteur lors d'un lancement et étais curieuse de le connaître autrement. Je reste mitigée face à cette première expérience mais une amie, qui a lu plusieurs titres de l'auteur, m'a mentionné que son premier roman, Un congé forcé, est bien plus fort (ainsi que le texte sur lequel il travaille actuellement). Je retenterai donc vraisemblablement le coup.
Peut-être par volonté de m'extraire un peu de la masse sonore ambiante, j'ai ensuite relu L'invention de la solitude, un premier texte particulièrement achevé de Paul Auster, dans lequel il revient à la fois sur le lien qu'il entretenait avec son père mais aussi la nécessité de transcender cet abandon et d'apprivoiser sa nouvelle paternité par l'écriture. Des pages inspirées et inspirantes. « Au début, j'ai imaginé que cela viendrait spontanément, dans un épanchement proche de l'état de transe. Mon besoin d'écrire était si grand que je voyais l'histoire se rédiger d'elle-même. Mais jusqu'ici les mots arrivent très lentement. Même les meilleurs jours je n'ai pas réussi à faire plus d'une ou deux pages. Comme si j'étais en butte à une malédiction, à une défaillance de l'esprit, qui m'empêchent de me concentrer. Cent fois j'ai vu mes pensées s'égarer loin de leur objet. Je n'ai pas sitôt formulé une idée que celle-ci en évoque une autre, et puis une autre, jusqu'à une telle densité d'accumulation de détails que j'ai l'impression de suffoquer. Je n'avais encore jamais eu autant conscience du fossé qui sépare la pensée de l'écriture. » (p. 52-53)
Aussi inspirant peut-être, mais dans un autre registre, La fabrication de l'aube de Jean-François Beauchemin, dont tout le monde me disait le plus grand bien depuis sa sortie il y a quelques années (roman en lice lors du dernier Combat des livres de Radio-Canada, défendu avec verve par Emmanuel Bilodeau). J'avais beaucoup aimé Garage Molinari, un peu moins Ceci est mon corps, mais Beauchemin possède une indéniable maîtrise de l'image poétique. Dans ce récit, il revient sur sa visite dans l'antichambre de la mort mais surtout sur la façon dont il a dû réapprivoiser sa vie, incapable de retrouver celui d'« avant », celui qu'il croyait connaître. Pour se reconstruire, il a eu besoin de retrouver le geste de l'écriture et exprime admirablement certains des questionnements qui ont mené à la complétion de ce texte volontairement en marge, truffé de références à ses textes, à ses souvenirs d'enfance et porté par l'amour qu'il porte à sa compagne. Plusieurs petits papiers déchirés (j'avais oublié mes post-it à Montréal et me suis donc rabattue sur un menu d'un restaurant local) émaillent les pages du livre, que je recopierai dès que possible dans mon carnet de citations. Comme je ne suis pas chiche, j'en partage une ici avec vous. « Certains de ceux qui s'intéressent au métier d'écrivain me demandent à l'occasion si j'éprouve quelque détresse devant le vide d'une page blanche. Je ne connais pas ce sentiment, puisqu'à ma table de travail je ne suis jamais devant le vide, mais plutôt face à un roc nu, duquel je dois extraire une forme. Le vrai défi est d'insufffler la vie à cette sculpture de mots, c'est-à-dire de lui léguer une vérité telle que le coeur, l'esprit et le corps reconnaissent en elle le mouvement même de leur propre vertige. Ce que je ressens sur le seuil d'une nouvelle phrase tient donc davantage du tournis, de ce trouble un peu houleux annonçant une ébriété éphémère et toujours imparfaite. C'est en ce sens que l'écriture est un acte de jeunesse. Peu importe leur âge, les gens jeunes font cela aussi: insatisfaits, puis grisés par une s`ve superbe, ils creusent une pierre. Ils y trouvent parfois ce qu'ils réclamaient: un ciel jusque-là emmuré, à la fin délivré de ses chaînes. » (p. 60)
Honte à toi, seulement 4 livres ...
RépondreSupprimer;-)
Oui, je sais... :-s
RépondreSupprimerMais, au moins, les lectures étaient plutôt inspirantes! ;-)
Tu sais, en un mois de vacances , je n 'en ai lu que 7, et des petits! Alors c'est bien, tes quatre, surtout s'ils étaient intéressants :)
RépondreSupprimerBonne journée madame!
Auster pour la vie, surtout l'Invention de la solitude (je suis jaloux de ce titre de roman);
RépondreSupprimerOscar Wilde est, en effet, délectable. Un chef-d'oeuvre à l'état pur, une pierre émouvante comme la pluie, à la manière d'un lieder de Schumann. Et La fabrication de l'aube est tout amour, une oeuvre si loin du spectaculaire. L'un des rares livres oû le texte et le lecteur peuvent aisément faire un.