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mercredi 8 février 2012

Antoine Tamestit : cœur et âme avec son instrument

Considéré comme l’un des trois meilleurs altistes sur la scène internationale, Antoine Tamestit a collectionné les premiers prix comme d’autres accumulent des disques ou multiplient les destinations voyage : concours Maurice Vieux à Paris en 2000 et William Primrose à Chicago en 2001, Young Concert Artists Auditions à New York en 2003, Concours international de l’ARD à Munich en 2004 (il y remporte aussi le prix du public et les deux prix spéciaux). Lors des saisons 2005/06 et 2006/07, il est choisi New Generation Artist par la BBC, sacré révélation instrumentale de l’année aux Victoires de la musique en 2007. Il se voit attribuer le Föderpreis Deutschlandfunk et le prix du jeune artiste du Crédit suisse l’année suivante.

En février 2007, en entrevue radiophonique avec Mario Paquet, Antoine Tamestit confiait pourtant que les défis d’un altiste en début de carrière restent de se faire connaître comme récitaliste, chambriste et concertiste, sans négliger les œuvres du 20e siècle et d’aujourd’hui, constituante essentielle du répertoire de l’instrument : « Il faut avoir envie de toucher à toutes ces musiques, de rencontrer tous les types de musiciens, qui viennent de toutes les écoles et tous les pays. Il est difficile de garder ce rythme et de continuer à travailler, d’avoir un idéal dans sa tête et de l’atteindre toujours. »


Cinq ans plus tard, il possède une feuille de route impressionnante, qui l’a conduit dans nombre de festivals de musique de chambre, du Domaine Forget à Jérusalem, notamment avec ses complices du Trio Zimmerman, le violoncelliste suisse Christian Poltera et le violoniste allemand Frank-Peter Zimmermann. Ses débuts avec le Philharmonique de Vienne sous la direction de Riccardo Muti en 2008 semblent déjà loin derrière. Il enseigne depuis quatre ans à la Musikhochschule de Cologne et compte à son actif un premier disque solo. Celui-ci jumèle la Deuxième Partita de Bach et la Sonate de Ligeti, un doublé Schnittke et Chostakovitch ainsi qu’un projet qui associe l’Arpeggione à des lieder de Schubert. Impossible d’avancer devant lui que l’alto, souvent jugé instrument ingrat, possède des limites.

« On se rend compte que le public est toujours très ouvert, qu’il peut découvrir de nouvelles choses si elles sont présentées d’une façon excitante, intéressante, particulière ou originale », explique-t-il de son domicile parisien, alors qu’il rentre tout juste de Chine. « Le public ne demande pas forcément qu’on rejoue les mêmes œuvres, mais les organisateurs ont souvent peur de la réaction de celui-ci, je ne sais pas très bien pour quelle raison. Souvent, les organisateurs nous diront “Oui, nous voudrions bien vous inviter, mais que pourrez-vous jouer?” ou “Un alto, ce n’est pas facile à vendre”… Pourtant, il existe un répertoire très varié, même s’il est vrai que nous n’avons pas d’œuvre phare de Beethoven, de Tchaïkovski ou de Dvořák, hormis des œuvres de musique de chambre. Pourtant, l’alto peut prendre toutes sortes de rôles. Le plus grand défi est de montrer sa passion aux organisateurs. »

Pour lui, cette passion remonte à ses premières années d’études, alors qu’il travaillait encore le violon : « Enfant, j’éprouvais un malaise avec les cordes aiguës du violon et une attirance très forte pour les graves du violoncelle. Je disais alors que cela faisait vibrer mon corps. Quand j’ai essayé l’alto pour la première fois, vers l’âge de dix ans, j’ai eu l’impression que la corde de do résonnait jusqu’à mes orteils, qu’elle traversait mon corps. »

Il n’hésite pas à parler d’un véritable coup de foudre : « J’ai eu l’impression que c’était un instrument réunissant les mondes du violoncelle et du violon, qu’il pourrait faire tout ce dont j’avais envie. Je ne savais pas, alors, comment l’expliquer, mais aujourd’hui, j’en suis entièrement convaincu. » L’alto posséderait tous les attraits du registre moyen de la voix humaine : « Il se veut très chaleureux, suscite tout de suite des sentiments très directs. J’ai l’impression d’avoir un instrument facile à transmettre, qui me permet d’être moi-même sur scène. »

Le jeu lyrique réside d’ailleurs au cœur même de l’approche de l’altiste, notion notamment insufflée par son professeur à l’université Yale Jesse Levine. « Même dans une phrase rapide ou virtuose, il y a la beauté du son chanté. Pratiquement dès le premier mois, il ne m’a parlé que de cela, de porter mon son avec mon vibrato, d’avoir un archet qui chante », se souvient-il. Après que mentor et étudiant eurent assisté à un cours de maître de Marilyn Horne, le cadet parle d’une révélation : « Il suffisait de remplacer souffle par archet, soutien par vibrato; cela pouvait s’adapter de manière exacte. »

Fasciné par la voix, il suit des cours sur l’opéra italien et rencontre son partenaire musical, le pianiste Markus Hadulla, qui travaille presque exclusivement avec des chanteurs. « Sa façon de voir la musique est très originale, dit-il. Il ne regarde jamais le côté technique, exige toujours d’aller plus loin, dans la respiration ou dans le son, pour obtenir ce qu’il souhaite. » Pour le projet Schubert, cela a notamment signifié des mois de recherche et un travail de traduction, d’accentuation et de différenciation, avec son archet, des voyelles et des consonnes.

Il ne pourrait accepter un seul instant de se cantonner dans un répertoire ou une époque, abordant Bach avec autant de conviction que la création. Il a ainsi enregistré le Concerto pour deux altos de Bruno Mantovani, composé pour Tabea Zimmermann (qui l’a encadré pendant quatre ans à Berlin) et lui-même. Il a aussi créé, à Berlin, Vienne et Graz, un concerto que lui a dédié Olga Neuwirth lors de la saison 2009/2010.

« J’ai toujours pensé que la musique, c’est toutes les musiques. Je pense que je dois cette conviction à l’éducation de mes parents, qui nous faisaient écouter (même avant de commencer des leçons) le Stabat Mater de Pergolèse, la Première Symphonie de Mahler, le Boléro de Ravel, les Folk Songs de Berio ou encore Jacques Brel et Barbara. Mon corps et ma tête s’enthousiasmaient de façon très similaire pour toutes ces musiques. Par exemple, la musique de Luciano Berio qui plaisait beaucoup à mon père [lui-même compositeur] pouvait me faire rigoler ou me toucher autant que Ravel ou Pergolèse. Le fait que mes professeurs aient été des gens très ouverts a ensuite exacerbé ce sentiment et maintenant, je suis quelqu’un qui adore mélanger les genres, j’ai l’impression que cela ouvre les oreilles. Par exemple, en juxtaposant Bach et Ligeti, on peut démontrer que Bach est plus complexe et plus avant-gardiste qu’on ne le croit et que Ligeti peut toucher de manière plus primaire, plus simple. À un moment, on ne sait plus qui a écrit quoi. »
Quand on écoute les enregistrements de Tamestit, on ne peut nier la façon presque organique qu’il adopte pour manipuler la pâte sonore et le velouté bien particulier de son instrument, le « Mahler », premier alto réalisé par Stradivarius alors qu’il avait 28 ans. (Il possède également un alto moderne, construit pour lui par le renommé luthier Étienne Vatelot.) L’artiste se souvient avec une certaine fébrilité du premier contact avec le « Mahler », un prêt de la fondation suisse Habisreutinger.

« On m’a laissé dans une pièce, seul avec cet alto, pendant une heure ou deux. Cette première rencontre a été très forte. L’instrument a beaucoup été conservé dans des coffres, ce qui explique son état presque intact, mais n’est pas très bon pour le son, l’instrument ayant été très renfermé. Lors de ces premières heures, j’ai éprouvé des émotions différentes, j’avais l’impression de sentir tout ce qu’il pouvait donner, mais que rien ne voulait sortir. Plusieurs personnes m’ont ensuite parlé de leur relation avec leurs instruments italiens, adoptant des comparaisons très humaines, auxquelles je ne croyais pas à l’époque et auxquelles je souscris entièrement aujourd’hui. »

Un instant, il a songé à remettre l’instrument à la fondation, mais Yuri Bashmet l’en aurait dissuadé en ces termes : « Un alto, c’est comme une femme. Sois patient, il va bientôt révéler tous ses charmes. » Tamestit ne peut que lui donner raison aujourd’hui : « Comme dans un couple, il faut apprendre à se connaître. Je suis allé beaucoup vers lui, me suis beaucoup sacrifié et, petit à petit, il s’est ouvert de plus en plus, a appris à connaître mon jeu et moi, comment il doit sonner. Nous nous sommes rencontrés, mais au prix de débuts un peu difficiles. Pourtant, derrière tout cela, il y avait cette sonorité veloutée, presque comme du miel, une voix de mezzo-soprano. D’ailleurs, il y a deux mezzos avec qui j’aime particulièrement travailler, la Hollandaise Christianne Stotijn et bien sûr, votre fameuse Marie-Nicole Lemieux. Quand je joue avec des chanteuses comme elles, mon alto se fond dans leur voix et la voix de la mezzo se fond dans celle de l’alto. On a alors l’impression que la corde de do ne ressemble pas à une corde de violoncelle, que celle de la ne ressemble pas à celle du violon. Le “Mahler” possède une couleur unique sur les quatre cordes, très définie. Il ne ressemble à aucun autre à mon avis. »

Il lui prodigue depuis des soins attentifs, comme ceux dont on entourerait une personne âgée chère. Après trois ans d’adaptation – dans les deux sens à son avis –, altiste et instrument s’expriment maintenant librement : « En concert, il va sortir des couleurs que je n’attendais pas, qui me donnent ensuite des idées musicales. » Il admet vivre pour l’intensité de ces instants : « Je ne suis pas religieux, mais une certaine spiritualité émerge quand je suis sur scène. J’ai l’impression que quelque chose se crée, plus grand que la somme de l’interprète, du compositeur – qui est le plus important – et du public. J’aime cette excitation du concert. Bien sûr, je travaille beaucoup pour contrôler ce qui se passe, mais j’aime être surpris, profiter du moment quand il se prolonge ou devient un peu périlleux, que je vais sentir ce lien avec le public. Je trouve toujours cela magique. »

On pourra entendre Antoine Tamestit en récital au LMMC, dimanche prochain salle Pollack, 15 h 30.

»» Article publié en couverture du numéro courant de La Scena Musicale.

2 commentaires:

  1. j'ai lu ton billet avec plaisir, on y sent une véritable authenticité (je suis sans doute en train de commettre un pléonasme? ;-))et beaucoup de modestie... et la vraie passion de la musique

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  2. J'ai hâte de l'entendre dimanche :)

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