Considéré comme l’un des trois meilleurs altistes sur la scène
internationale, Antoine Tamestit a collectionné les premiers prix comme
d’autres accumulent des disques ou multiplient les destinations voyage :
concours Maurice Vieux à Paris en 2000 et William Primrose à Chicago en
2001, Young Concert Artists Auditions à New York en 2003, Concours
international de l’ARD à Munich en 2004 (il y remporte aussi le prix du
public et les deux prix spéciaux). Lors des saisons 2005/06 et 2006/07,
il est choisi New Generation Artist par la BBC, sacré révélation
instrumentale de l’année aux Victoires de la musique en 2007. Il se voit
attribuer le Föderpreis Deutschlandfunk et le prix du jeune artiste du
Crédit suisse l’année suivante.
En février 2007, en entrevue radiophonique avec Mario Paquet, Antoine
Tamestit confiait pourtant que les défis d’un altiste en début de
carrière restent de se faire connaître comme récitaliste, chambriste et
concertiste, sans négliger les œuvres du 20e siècle et d’aujourd’hui,
constituante essentielle du répertoire de l’instrument : « Il faut avoir
envie de toucher à toutes ces musiques, de rencontrer tous les types de
musiciens, qui viennent de toutes les écoles et tous les pays. Il est
difficile de garder ce rythme et de continuer à travailler, d’avoir un
idéal dans sa tête et de l’atteindre toujours. »
Cinq ans plus tard, il possède une feuille de route impressionnante, qui
l’a conduit dans nombre de festivals de musique de chambre, du Domaine
Forget à Jérusalem, notamment avec ses complices du Trio Zimmerman, le
violoncelliste suisse Christian Poltera et le violoniste allemand
Frank-Peter Zimmermann. Ses débuts avec le Philharmonique de Vienne sous
la direction de Riccardo Muti en 2008 semblent déjà loin derrière. Il
enseigne depuis quatre ans à la Musikhochschule de Cologne et compte à
son actif un premier disque solo. Celui-ci jumèle la Deuxième Partita de Bach et la Sonate de Ligeti, un doublé Schnittke et Chostakovitch ainsi qu’un projet qui associe l’Arpeggione à des lieder de Schubert. Impossible d’avancer devant lui que l’alto, souvent jugé instrument ingrat, possède des limites.
« On se rend compte que le public est toujours très ouvert, qu’il peut
découvrir de nouvelles choses si elles sont présentées d’une façon
excitante, intéressante, particulière ou originale », explique-t-il de
son domicile parisien, alors qu’il rentre tout juste de Chine. « Le
public ne demande pas forcément qu’on rejoue les mêmes œuvres, mais les
organisateurs ont souvent peur de la réaction de celui-ci, je ne sais
pas très bien pour quelle raison. Souvent, les organisateurs nous diront
“Oui, nous voudrions bien vous inviter, mais que pourrez-vous jouer?”
ou “Un alto, ce n’est pas facile à vendre”… Pourtant, il existe un
répertoire très varié, même s’il est vrai que nous n’avons pas d’œuvre
phare de Beethoven, de Tchaïkovski ou de Dvořák, hormis des œuvres de
musique de chambre. Pourtant, l’alto peut prendre toutes sortes de
rôles. Le plus grand défi est de montrer sa passion aux organisateurs. »
Pour lui, cette passion remonte à ses premières années d’études, alors
qu’il travaillait encore le violon : « Enfant, j’éprouvais un malaise
avec les cordes aiguës du violon et une attirance très forte pour les
graves du violoncelle. Je disais alors que cela faisait vibrer mon
corps. Quand j’ai essayé l’alto pour la première fois, vers l’âge de dix
ans, j’ai eu l’impression que la corde de do résonnait jusqu’à mes
orteils, qu’elle traversait mon corps. »
Il n’hésite pas à parler d’un véritable coup de foudre : « J’ai eu
l’impression que c’était un instrument réunissant les mondes du
violoncelle et du violon, qu’il pourrait faire tout ce dont j’avais
envie. Je ne savais pas, alors, comment l’expliquer, mais aujourd’hui,
j’en suis entièrement convaincu. » L’alto posséderait tous les attraits
du registre moyen de la voix humaine : « Il se veut très chaleureux,
suscite tout de suite des sentiments très directs. J’ai l’impression
d’avoir un instrument facile à transmettre, qui me permet d’être
moi-même sur scène. »
Le jeu lyrique réside d’ailleurs au cœur même de l’approche de
l’altiste, notion notamment insufflée par son professeur à l’université
Yale Jesse Levine. « Même dans une phrase rapide ou virtuose, il y a la
beauté du son chanté. Pratiquement dès le premier mois, il ne m’a parlé
que de cela, de porter mon son avec mon vibrato, d’avoir un archet qui
chante », se souvient-il. Après que mentor et étudiant eurent assisté à
un cours de maître de Marilyn Horne, le cadet parle d’une révélation : «
Il suffisait de remplacer souffle par archet, soutien par vibrato; cela
pouvait s’adapter de manière exacte. »
Fasciné par la voix, il suit des cours sur l’opéra italien et rencontre
son partenaire musical, le pianiste Markus Hadulla, qui travaille
presque exclusivement avec des chanteurs. « Sa façon de voir la musique
est très originale, dit-il. Il ne regarde jamais le côté technique,
exige toujours d’aller plus loin, dans la respiration ou dans le son,
pour obtenir ce qu’il souhaite. » Pour le projet Schubert, cela a
notamment signifié des mois de recherche et un travail de traduction,
d’accentuation et de différenciation, avec son archet, des voyelles et
des consonnes.
Il ne pourrait accepter un seul instant de se cantonner dans un
répertoire ou une époque, abordant Bach avec autant de conviction que la
création. Il a ainsi enregistré le Concerto pour deux altos de Bruno
Mantovani, composé pour Tabea Zimmermann (qui l’a encadré pendant quatre
ans à Berlin) et lui-même. Il a aussi créé, à Berlin, Vienne et Graz,
un concerto que lui a dédié Olga Neuwirth lors de la saison 2009/2010.
« J’ai toujours pensé que la musique, c’est toutes les musiques. Je
pense que je dois cette conviction à l’éducation de mes parents, qui
nous faisaient écouter (même avant de commencer des leçons) le Stabat
Mater de Pergolèse, la Première Symphonie de Mahler, le Boléro de Ravel,
les Folk Songs de Berio ou encore Jacques Brel et Barbara. Mon corps et
ma tête s’enthousiasmaient de façon très similaire pour toutes ces
musiques. Par exemple, la musique de Luciano Berio qui plaisait beaucoup
à mon père [lui-même compositeur] pouvait me faire rigoler ou me
toucher autant que Ravel ou Pergolèse. Le fait que mes professeurs aient
été des gens très ouverts a ensuite exacerbé ce sentiment et
maintenant, je suis quelqu’un qui adore mélanger les genres, j’ai
l’impression que cela ouvre les oreilles. Par exemple, en juxtaposant
Bach et Ligeti, on peut démontrer que Bach est plus complexe et plus
avant-gardiste qu’on ne le croit et que Ligeti peut toucher de manière
plus primaire, plus simple. À un moment, on ne sait plus qui a écrit
quoi. »
Quand on écoute les enregistrements de Tamestit, on ne peut nier la
façon presque organique qu’il adopte pour manipuler la pâte sonore et le
velouté bien particulier de son instrument, le « Mahler », premier alto
réalisé par Stradivarius alors qu’il avait 28 ans. (Il possède
également un alto moderne, construit pour lui par le renommé luthier
Étienne Vatelot.) L’artiste se souvient avec une certaine fébrilité du
premier contact avec le « Mahler », un prêt de la fondation suisse
Habisreutinger.
« On m’a laissé dans une pièce, seul avec cet alto, pendant une heure ou
deux. Cette première rencontre a été très forte. L’instrument a
beaucoup été conservé dans des coffres, ce qui explique son état presque
intact, mais n’est pas très bon pour le son, l’instrument ayant été
très renfermé. Lors de ces premières heures, j’ai éprouvé des émotions
différentes, j’avais l’impression de sentir tout ce qu’il pouvait
donner, mais que rien ne voulait sortir. Plusieurs personnes m’ont
ensuite parlé de leur relation avec leurs instruments italiens, adoptant
des comparaisons très humaines, auxquelles je ne croyais pas à l’époque
et auxquelles je souscris entièrement aujourd’hui. »
Un instant, il a songé à remettre l’instrument à la fondation, mais Yuri
Bashmet l’en aurait dissuadé en ces termes : « Un alto, c’est comme une
femme. Sois patient, il va bientôt révéler tous ses charmes. » Tamestit
ne peut que lui donner raison aujourd’hui : « Comme dans un couple, il
faut apprendre à se connaître. Je suis allé beaucoup vers lui, me suis
beaucoup sacrifié et, petit à petit, il s’est ouvert de plus en plus, a
appris à connaître mon jeu et moi, comment il doit sonner. Nous nous
sommes rencontrés, mais au prix de débuts un peu difficiles. Pourtant,
derrière tout cela, il y avait cette sonorité veloutée, presque comme du
miel, une voix de mezzo-soprano. D’ailleurs, il y a deux mezzos avec
qui j’aime particulièrement travailler, la Hollandaise Christianne
Stotijn et bien sûr, votre fameuse Marie-Nicole Lemieux. Quand je joue
avec des chanteuses comme elles, mon alto se fond dans leur voix et la
voix de la mezzo se fond dans celle de l’alto. On a alors l’impression
que la corde de do ne ressemble pas à une corde de violoncelle, que
celle de la ne ressemble pas à celle du violon. Le “Mahler” possède une
couleur unique sur les quatre cordes, très définie. Il ne ressemble à
aucun autre à mon avis. »
Il lui prodigue depuis des soins attentifs, comme ceux dont on
entourerait une personne âgée chère. Après trois ans d’adaptation – dans
les deux sens à son avis –, altiste et instrument s’expriment
maintenant librement : « En concert, il va sortir des couleurs que je
n’attendais pas, qui me donnent ensuite des idées musicales. » Il admet
vivre pour l’intensité de ces instants : « Je ne suis pas religieux,
mais une certaine spiritualité émerge quand je suis sur scène. J’ai
l’impression que quelque chose se crée, plus grand que la somme de
l’interprète, du compositeur – qui est le plus important – et du public.
J’aime cette excitation du concert. Bien sûr, je travaille beaucoup
pour contrôler ce qui se passe, mais j’aime être surpris, profiter du
moment quand il se prolonge ou devient un peu périlleux, que je vais
sentir ce lien avec le public. Je trouve toujours cela magique. »
On pourra entendre Antoine Tamestit en récital au LMMC, dimanche prochain salle Pollack, 15 h 30.
»» Article publié en couverture du numéro courant de La Scena Musicale.
j'ai lu ton billet avec plaisir, on y sent une véritable authenticité (je suis sans doute en train de commettre un pléonasme? ;-))et beaucoup de modestie... et la vraie passion de la musique
RépondreSupprimerJ'ai hâte de l'entendre dimanche :)
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