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mardi 13 mars 2012

Louise Bessette: regarder vers l'avant

Peu d’interprètes défendent la musique de notre temps avec un sérieux aussi irréprochable que la pianiste Louise Bessette, qui soulignera ses trente ans de carrière en offrant, lors d’une même journée, non pas un, mais trois programmes différents. Biographie étoffée, critiques dithyrambiques, discographie riche d’une vingtaine d’enregistrements, organisation remarquée de l’événement Automne Messiaen 2008; ce parcours en apparence sans faute peut facilement intimider.

Pourtant, deux minutes en sa présence suffisent pour comprendre que, si elle respire l’air parfois raréfié de la création, elle n’éprouve aucune difficulté à s’incarner dans le quotidien. Absence de faux-semblant, de circonvolutions, de phrases creuses, énergie plus que contagieuse : son regard brille comme celui d’une enfant qui s’apprête à souffler ses bougies d’anniversaire et son rire franc balaie tout sur son passage.
On ne lui donnerait pas plus de 40 ans; pourtant, selon l’Encyclopédie de la musique au Canada, elle est née à Montréal en 1959. Sa grand-mère maternelle et sa mère ayant toutes deux occupé le poste d’organiste de l’église de la Visitation, il semble naturel de proposer à la petite Louise, cinq ans, de s’initier au piano. Admise au Conservatoire de musique de Montréal en 1971, elle y accumulera cinq premiers prix, sous la tutelle de Georges Savaria puis Raoul Sosa. Ce dernier la fera tout naturellement basculer de la Sonate de Berg à la « Première communion de la Vierge » (tirée des Vingt regards sur l’Enfant-Jésus) de Messiaen. « Je n’en sentais pas la complexité », dit-elle, comme si le choix avait alors relevé de l’évidence. Elle était néanmoins consciente que les autres pianistes lui enviaient déjà la facilité avec laquelle elle apprivoisait ces œuvres.

Les succès s’enchaînent : Concours de musique national Eckhardt-Gramatté, Concours international de musique contemporaine de Saint-Germain-en-Laye, Concours international Gaudeamus pour la musique contemporaine à Rotterdam, prix Flandre-Québec. « Je ne me suis jamais questionnée sur ce parcours, sur ce que j’aurais voulu réaliser. Je faisais ce qui me plaisait, résume-t-elle. J’aime bien évoluer hors des sentiers battus, découvrir. » Ses pairs ont salué sa virtuosité et sa vision à de nombreuses reprises et elle a accumulé de nombreux prix Opus, dont un doublé « Interprète » et « Événement musical de l’année » pour l’Automne Messiaen 2008. Pas moins d’une cinquantaine de musiciens, ensembles et organismes avaient en effet pris part à cet événement rassembleur, dont le Quatuor pour la fin du temps, devenu ARTefact (composé de Simon Aldrich, Yegor Dyachkov, Jonathan Crow et Louise Bessette), associé au premier concert présenté le 31 mars.

Quatre œuvres seront entendues en primeur ce jour-là. « Les créateurs sont la voix d’un pays et chaque création est un grand moment de musique », explique celle qui croit que la première d’une œuvre lui offre une deuxième naissance. On entendra Les Cinq Éléments de Michel Boivin pour piano solo, City Songs d’Ana Sokolović, qu’elle interprétera avec sa dédicataire Olga Ranzenhofer, une nouvelle œuvre de Michael Oesterle et Les Sabliers de la mémoire de Serge Arcuri, compositeur dont elle a découvert l’univers en 2004 à travers Fragments, que l’on retrouve sur l’album ATMA Migrations, lauréat en janvier dernier d’un prix Opus.

La pianiste de long cours proposera ensuite un récital solo articulé autour de la Suite no 9, « Ttai » de Scelsi et Les Planètes de Walter Boudreau. « Scelsi est un compositeur avec lequel j’ai beaucoup d’affinités, au monde très intérieur. Boudreau, au contraire, a écrit ici une œuvre explosive. Après un début très violent, la musique se dépouille peu à peu, nous menant à une fin magique. » Le dernier programme, première collaboration avec Peter Hill, sera consacré à la redoutable version quatre-mains du Sacre du printemps de Stravinski et – conclusion naturelle – aux Visions de l’Amen de Messiaen.

« J’apprécie beaucoup le travail avec les compositeurs, explique celle pour qui nombre d’entre eux ont écrit. Le métier d’interprète est très riche et nous y mettons beaucoup de nous-mêmes. Quand nous pouvons partager avec le compositeur, c’est une chance. L’interprète ne fait-il pas partie de l’émotion ? Chaque compositeur arrive avec ses questions, ses craintes, ses joies, ses angoisses, son monde. Il est toujours très enrichissant de discuter avec lui. Il reste ensuite à intégrer dans chaque œuvre ce que les compositeurs ont transmis. »

Quand elle n’est pas en train de déchiffrer de nouvelles œuvres, elle enseigne au Conservatoire, s’occupe de son fils de 12 ans, lit ou pratique le taïchi, qu’elle a intégré à son approche du clavier. « Il y a beaucoup de profondeur dans le taïchi : langage des mains, respiration, détente, concentration, mémoire et intériorité. À l’instrument, je suis toujours consciente de l’importance du corps, de sa détente, si je veux pouvoir produire un beau son. Le taïchi m’a permis de le conscientiser de façon plus concrète. »

On la croisera peut-être aussi au concert – pour « entendre les collègues » – ou en voyage, véritable passion chez elle. « Peu importe où je suis, la musique est toujours en moi; j’entends des choses dans ma tête, réfléchis à des œuvres, des interprétations. » Une fois de retour devant son piano, les images surgissent, s’intègrent à une page particulière, prennent une vie autre. « C’est important de voir la beauté du monde. Il est peut-être rempli d’horreurs, mais il ne faut jamais perdre de vue sa beauté. »

Cet article se trouve dans le numéro courant de La Scena Musicale.

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