Peut-on transformer un drame dont on n'a pas été témoin, même de façon indirecte, en objet littéraire? Élise Fontenaille a déjà tenté le coup semble-t-il avec Les disparues de Vancouver et Le garçon qui volait des avions, romans que je n'ai pas lus. Avec L'homme qui haïssait les femmes, elle s'attaque à la tuerie de Polytechnique, survenue le 6 décembre 1989. D'entrée de jeu, avec un ton mi-clinique, mi-journalistique, elle campe les événements. Marc Lépine devient Gabriel Lacroix, sa sœur Nadia Nedja, Sarto Blais Julien Rivard. Pour un lecteur qui n'a comme référent que Columbine, peut-être que cela ne change rien. Pour un Québécois - une Québécoise encore plus, serais-je tentée d'avancer -, ce flou ne possède rien d'artistique.
En choisissant l'angle de la docu-fiction, la romancière misait gros. Pouvait-on oublier les faits, balayer du revers de la main les souvenirs, la morsure des émotions? Pouvait-on accepter que celles-ci soient transformées? N'étaient-elles pas condamnées dès le départ à un certain travestissement, surtout quand la langue qui les porte n'est pas exactement celle du lieu qui les a vu naître?
En faisant feu de tout bois, l'auteure a selon moi perdu. Au fil des pages, elle explore l'enfance du tueur, l'onde de choc que son geste aura sur sa mère et sa sœur, les conséquences, vingt ans après, sur les familles des victimes, les survivantes, la résonnance du féminisme et la montée du masculinisme, avance quelques explications sociologiques. On sort de la lecture vaguement frustré, avec l'impression d'avoir effleuré la surface, de ne plus savoir où tracer la ligne entre fiction et documentaire, de ne pas avoir compris la pertinence d'un tel geste. Je ne m'étais certes pas posé cette question après avoir visionné le film de Denis Villeneuve (cité dans l'ouvrage d'ailleurs). « Si l'on accepte la définition de l'art comme synonyme de
questionnements, de bouleversements, de gestes qui modifient
éventuellement la trajectoire du spectateur, de l'auditeur, Polytechnique est une réussite », avais-je alors écrit. Selon les mêmes critères, je serais tenté de qualifier ce « roman » de coup d'épée dans l'eau.
Déjà l'idée d'un livre sur cette tuerie ne me tentait pas alors après ton billet...
RépondreSupprimerLe Papou
J'ai lu il y a quelques années un premier roman qui se servait de l'événement comme d'impulsion, Soudoyer Dieu, qui fonctionnait mieux selon moi: http://lucierenaud.blogspot.ca/2009/04/soudoyer-dieu.html
RépondreSupprimerIci, j'avais surtout l'impression que ce n'était pas la bonne voix pour raconter cette histoire.