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jeudi 23 août 2012

Monsieur Victor

J'ai déjà évoqué ici  le plaisir que je ressens à lire un premier roman, création parfois imparfaite, mais toujours touchante. Quand mon ami m'a proposé de découvrir la première pièce d'une jeune auteure, gagnante du prix Zone Homa de la meilleure création francophone au dernier Festival Fringe de surcroît, je n'ai donc pas pu résister.

Crédit : Colin Earp-Lavergne
Tragédie postmoderne, fable écologique, tableau ubuesque, charge sociale, poème dansé; Monsieur Victor de Cassandre Émanuel ne se laisse pas appréhender à coup d'étiquettes préformatées. Déjà, en entrant dans la salle, on comprend que nous serons plongés dans un univers autre. Des corps s'assemblent, se scindent, se tissent autrement, devenant sculptures vivantes,troublantes de fragilité et de force quand le mouvement se fige périodiquement, s'inscrivant en marge et faisant à la fois corps avec la musique minimaliste, jouant la carte de la suggestion plutôt que de l'évocation, signée Gabriel Lavoie Viau. Une impression d'envoutement, la masse humaine devenant glaise, ponctuation, exclamation.

Les lumières dans la salle s'éteignent, les corps se replient en une masse compacte, méduse dont les extrémités s'animent, autant par les gestes que par les voix. Une coryphée émerge du chœur antique - ou est-ce un chantre qui s'émancipe de la masse de fidèles catholiques? -;  les mots peuvent maintenant prendre la relève. Jouant sur les sonorités autant que sur le sens, travaillant certaines syllabes pour les traiter en fausses rimes, la langue de Cassandre Émanuel déstabilise le spectateur qui pourtant se laisse prendre dans les rets des liens tendus entre les personnages. Monsieur Victor, roi qui ne peut régner qu'en tant que trinité, qui se meurt en crachant du sang, peine à maintenir enfants et sujets dans cet univers d'aliénation et d'asservissement, surtout en cette période de fin de ce monde annoncée. Mouette (Jonathan Caron, au registre polyvalent, transmet bien ce personnage qu'on hésite à aimer ou détester) brigue le trône et est même prêt à trahir son amour pour le veilleur (Guillaume B. Choquette, magnétique) pour l'obtenir. Le duel amoureux, entre dépendance et combativité, est particulièrement bien rendu. Il ne faudrait pas oublier dans la balance du pouvoir ses sœurs Gugusse (Mireille Camier, lumineuse) et Naninana (Marie-Noëlle Doucet-Paquin, qui rend bien la fragilité du personnage), deux faces d'une même pièce, l'une fertile (mais ayant vu son enfant noyé par son amant), l'autre désespérément asséchée. On crie, on cherche à s'émanciper, mais la masse nous rappelle à l'ordre, inlassablement. (Difficile de ne pas y voir une certaine métaphore de la québécitude, surtout en période électorale.)

On pourra peut-être reprocher au texte sa trop grande densité - trois pièces différentes auraient pu facilement être extraites de cette matière selon moi -, la multiplicité des référents, mais à aucun moment il ne laisse indifférent. On saluera sans hésiter le travail de mise en scène de l'auteure, qui a permis une transmission limpides des intentions, et la volonté de cette jeune compagnie, Les Viscères, fondée en 2011, de rejeter la facilité. Au théâtre comme dans la vie, c'est devenu beaucoup trop rare.

3 commentaires:

  1. Superbe critique d'un show que j'ai beaucoup apprécié.

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  2. Je note ici le lien vers ta critique pour mes amis lecteurs: http://claudiopinto5.blogspot.ca/2012/08/monsieur-victor.html

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  3. Merci, je ferai de même pour mes lecteurs qui veulent connaître un autre point de vue.

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