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jeudi 14 février 2013

Les quatre éléments

L'ECM+ nous avait déjà offert un programme consacré à la flûte il y a un an, mettant en vedette l'Ensemble de flûtes Alizé. L'expérience s'était certes révélée suffisamment convaincante pour que Véronique Lacroix, directrice artistique de l'ECM+, elle-même ancienne flûtiste, souhaite la renouveler, en articulant cette fois le programme autour du thème des quatre éléments: air, feu, terre et eau.

Qui a vu le vent d'Emily Hall a ouvert la soirée de façon essentiellement atmosphérique. Le souffle, qu'il soit celui des interprètes, du vent ou de l'inspiration littéraire (l’œuvre puisant ses racines dans le roman éponyme de W.O. Mitchell), n'est-il pas l'essence même de la flûte? L'octuor de flûtes devient le véhicule idéal pour transmettre le propos, les trémolos et percussions de langue se voulant autant de gestes infimes soulignant le passage du temps, le son passant adroitement d'un pupitre à l'autre. Je me suis demandé à un moment s'il n'aurait pas été intéressant ici de spatialiser les musiciens, afin que l'auditeur ait l'impression de se retrouver lui aussi au milieu de la prairie, à regarder les nuages défiler, s'effilocher, les blés se courber. On pourrait reprocher au fil narratif de se dissoudre périodiquement, mais ne laisserait-on pas de toute façon notre esprit vagabonder dans les circonstances?


La voix chaude et profonde du violoncelle de Chloé Dominguez a ensuite résonné du balcon, prolongement presque organique des frémissements entendus juste avant, nous plongeant dans l'univers modal de Vez d'Ana Sokolovic, un travail d'orfèvre sur les répétitions, les broderies de notes, les écarts mélodiques et les rythmes irréguliers, pourtant organiques, qui s'abreuve aux sources de la musique traditionnelle des Balkans, mais qui par moments m'a aussi donné l'impression d'effectuer des détours par l'Afrique du Nord et l'Espagne, patrie du flamenco.

AS8 Earthrise d'Edward Top permettait le mariage entre l'ensemble de flûtes et le violoncelle solo de Mariève Bock (qui avait collaboré avec Alizé également l'année dernière). Le lyrisme naturel de l'instrument à cordes devient complément idéal aux sonorités plus aériennes. Si l’œuvre semble d'abord se décliner comme concertante, le violoncelle finit par se fondre dans la masse sonore (notamment grâce à un travail sur les harmoniques). Les mouvements chromatiques ascendants et descendants, gestes de plus en plus larges, particulièrement efficaces, s'opposent ici à une structure d'harmoniques presque statiques, rappelant les paysages lunaires évoqués dans certains des textes. Ceux-ci (une transcription des communications radio d’AS8 Earthrise), heureusement fournis, se sont révélés malheureusement impossibles à décrypter, les flûtes agissant plus comme caisses de diffusion que de résonance. Peut-être eut-il fallu qu'ils soient énoncés forte plutôt que mezzo piano?

L'acoustique ou la petitesse de la salle ont malheureusement transformé l'écoute de Salamander de Jocelyn Morlock en expérience à l'extrême limite du seuil de la douleur, le duel de piccolos dans le suraigu faisant de nombreuses victimes. Difficile d'apprécier la superposition des textures et d'imaginer l'habitat naturel de la salamandre quand chaque surenchère nous force à nous boucher l'oreille gauche du doigt.

Rivières et marées d'Éric Champagne, pour ensemble de flûtes, violoncelle et chœur de 14 flûtes spatialisé (pupitres tenus par de jeunes interprètes), un hommage au travail de l'artiste de land-art Andy Goldsworthy, clôturait le programme. Si Goldsworthy prend des photographies de ses installations pour en garder la trace en raison de leur nature éphémère, on peut concevoir la partition de Champagne comme servant de témoin à une série d'instants, jamais figés, autant de fluctuations d'intentions qui émeuvent souvent. Soulignons ici la délicatesse et la subtilité avec lesquelles le flûtiste basse Daniel Harnois a rendu l’œuvre, la complicité établie entre celui-ci et Mariève Bock (jouant même à un moment d'un carillon éolien de bois, intéressant détournement de l'essence même de son instrument), la spatialisation réussie (qui aurait donné envie de pouvoir se déplacer dans la salle) et la clarté de la transmission de la forme en arche qui sous-tend le tout.


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