Éléna Cohen a fait des choix, qu’elle regrette parfois, ayant préféré la stabilité à la passion, Maxime à Julien, menant une vie rangée de mère qui glisse des poèmes dans les boîtes à lunch de ses deux filles, mais ne réussit pas à compléter un roman. « Les années passent trop lentement pour que je m’arrête à tout raconter. C’est un long fleuve tranquille que je traverse sans embarras, la tête sur les épaules et le cœur à la dérive, toujours, comme si cette vie n’était pas la mienne. » Elle n’ose pas tourner le dos à cette lassitude, choisit d’ignorer ces questionnements qui sinon la hanteraient trop, jusqu’au jour où tout basculera, qu’elle apprendra qu’elle perdra dans un avenir rapproché son combat contre le cancer. Elle boucle alors ses valises, s’enferme quelques semaines au chalet, lieu de calme apparent, mais surtout témoin des derniers instants de sa passion pour Julien. « J’ai rayé son nom de mon corps comme on se débarrasse d’une tumeur, avec cette rage sourde qui fait craindre le pire, et même si la vie a été plutôt douce avec moi par la suite, je garde une amertume singulière de ce départ qui aurait pu, aurait dû, se faire autrement. » Elle le retrouve par hasard, pour le perdre encore une fois, coup bas du sort. Elle écrit, pour vider l’abcès avant qu’il ne soit trop tard, soucieuse de laisser un legs, que mari, filles, mère, pourront s’approprier selon leur grille de repères, mais le temps joue contre elle. Voilà pourquoi en deuxième partie du roman (à partir du 11e de 25 chapitres), la parole est léguée aux autres, à ceux qui restent, qui l’ont aimée même quand elle en doutait.
Annie Loiselle se révèle particulièrement habile, dans sa façon de nous
faire basculer de plain-pied dans l’univers de son héroïne (quelques
pages suffisent pour être entièrement envoûté), le ton employé, qui
refuse le misérabilisme, le choix de protagonistes aux personnalités
complémentaires. Quelques éléments de la structure narrative pourront
sembler un peu plaqués, Jane et Isabella reproduisant à l’inverse le
schéma amoureux leur mère, les deux sœurs s’entichant d’un même homme
par exemple. L’écriture demeure néanmoins suffisamment fluide, les
personnages assez attachants pour que l’on referme le livre avec un
sourire mélancolique aux lèvres, dans l’attente d’un deuxième opus.
« À douze ans, je pensais que c’était facile, écrire, que c’était
passer d’une histoire à l’autre, sans vraiment prendre le temps de tout
bien terminer. Je voulais devenir romancière, célèbre, être lue par des
millions de gens. Avec l’âge et les expériences troubles, j’ai révisé ma
position. Écrire est une expérience douloureuse qui transforme ce que
nous sommes en belles histoires que les gens liront. »
Il est bien noté dans les premiers romans !
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