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mardi 3 décembre 2013

Ça ira

« C’était un corps – si on peut encore appeler ça un corps – comme elle n’en avait jamais imaginé auparavant, une peau terne et froissée qui paraissait sur le point de se déchirer sous la pointe des os, des angles aigus partout, une carcasse de ville femme au bord de l’inanition. » 
Trop peu de livres traite de ce sujet terrible de l'anorexie et encore moins des romans. Il y a quelques années, alors que j'accompagnais une amie sur cette route ardue, en simple témoin, souvent dépassée par la puissance de cette bête qui rongeait aussi bien son corps que son esprit, j'aurais aimé pouvoir lire un livre comme Ça ira d'Annie Loiselle, l'auteure ayant su aussi bien raconter l'histoire de l'intérieur que de l'extérieur. 
« L’anorexie lui permettait d’être mieux que tout le monde.Se libérer de cette maladie, c’est renoncer à l’identité qu’elle s’est construite, à l’équilibre, même illusoire, sur lequel toute sa vie repose. »
Ayant elle-même souffert d'anorexie, maintenant mère, elle avait déjà abordé le sujet de façon plus clinique dans Les affamées - Regards sur l'anorexie en 2003. Cette fois, elle prend la voie détournée de la fiction, sans doute plus puissante, pour nous raconter l'histoire de Zoé, 17 ans, qui, étouffée par l'amour de sa mère, décide de s'en émanciper en disparaissant.
« Elle blâme sa mère nourricière de l’avoir trop nourrie, trop bien habillée, trop aimée. Elle étouffe et elle voudrait maigrir pour s’extirper du carcan de l’amour. » 
Autour d'elle gravitent Béatrice, une infirmière habituellement pétillante de vie, qui doit apprendre à accepter le départ de son conjoint et ses multiples infidélités, ainsi que les parents de Zoé, la trop belle Juliette et le distant Léonard, incapables de se parler, à quelques silences d'un éclatement fatal. Mais la vie nous réserve parfois des surprises...

Annie Loiselle avait déjà démontré qu'elle savait raconter une histoire avec Tout ce que j'aurais voulu te dire, un très beau premier roman. Cette fois, elle va plus loin, forçant le lecteur à ne rien prendre pour acquis, l'invitant aussi bien à contempler la maladie dans les yeux qu'à constater ses ravages dans l'entourage de la victime plus que consentante. Le propos aurait facilement pu devenir misérabiliste. Il n'en est rien, peut-être parce que l'auteure a pris l'audacieux parti pris de ne pas seulement raconter une histoire, mais bien de suivre trois destins parallèles de femmes, trois héroïnes malgré elles qui devront s'émanciper de leurs peurs les plus profondes (l'anorexie pour Zoé, la jalousie pour Béatrice, les attentes entretenues par rapport à son physique pour Juliette) pour accepter de vivre de nouveau, presque malgré elles. De plus, en transformant ces femmes en personnages de théâtre, Loiselle permet également au lecteur d'atteindre une catharsis réelle car, inutile de se leurrer, nous avons tous, de près ou de loin, été confrontés à l'une des réalités évoquées ici. Humain, trop humain...




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