Les Éditions Itinéraires et l'Association Autour du court qui édite la revue de micro-nouvelles Lu si... organisent ensemble une sélection de nouvelles autour du thème: Ville(s).
Un recueil rassemblant les textes retenus par le jury sera édité en novembre 2014 par les Éditions Itinéraires.
Ce projet concrétise la volonté de Lu si... de travailler le texte court sous toutes ses formes et de participer activement à sa diffusion. Le texte francophone soit à l’honneur, toutes origines géographiques confondues. En ce sens, le jury sera constitué de membres français, québécois et belges, issus du monde du livre.
Le règlement et les modalités de participation sont disponibles ici.
La musique et l’écriture ont été de tout temps les deux pôles de la vie créatrice de l'auteure. Ce site se veut donc un hommage à la musique (particulièrement classique) et à la littérature, mais aussi au théâtre et aux autres manifestations artistiques.
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lundi 31 mars 2014
dimanche 30 mars 2014
Norman: pas de deux
« Enfin quelque chose de neuf dans l’art du dessin! », se serait exclamé Pablo Picasso, après avoir vu Hen Hop de Norman McLaren en 1942. Même si le spectacle a d’abord été créé en 2007 par le tandem Lemieux/Pilon, en collaboration avec le danseur et chorégraphe Peter Trosztmer, il n’a pas pris une ride, comme l’œuvre de McLaren, l’un des plus grands innovateurs du cinéma canadien.
McLaren signera au cours de sa carrière près de 60 films qui misent tous sur une transmission de l’émotion plutôt que sur l’étalage de la technologie, malgré leur côté expérimental, souvent volontairement abstrait. Norman joue lui aussi sur cette compréhension plus émotive qu’intellectuelle d’un langage. Les trois concepteurs vouent visiblement un amour profond au créateur «à la fois terrestre et céleste» et ont choisi d’aller au-delà du documentaire.
Certes, ils évoquent certains moments-clé de la vie du cinéaste (dont sa participation à la Guerre d’Espagne) et prennent soin de montrer ses grands films, d’Il était une chaiseà Voisins, lauréat d’un Oscar, d’une incroyable pertinence plus de 60 ans après (qui avait fait dire à son auteur que si tous ses films devaient être brûlés sauf un, il choisirait de le sauver). Ils nous offrent aussi des témoignages d’intervenants du milieu qui s’incarnent en tant qu’hologrammes, comme s’ils discutaient de façon informelle avec Peter Trostzmer.
Pour lire le reste de ma critique...
Pour lire le reste de ma critique...
Jusqu'au 12 avril à la 5e Salle.
samedi 29 mars 2014
Songs of the Wanderers
D'abord écrivain, puis chorégraphe, Lin Hwai-min reste l'une des figures les plus mythiques de la danse asiatique. Si j'avais vu plusieurs entrevues avec lui, des extraits de production, je me frottais néanmoins pour la première fois à son univers avec The Songs of the Wanderers, présenté ce soir encore au Théâtre Maisonneuve, autre beau coup de Danse danse, qui nous offre une saison exceptionnelle.
Peut-on encore parler de danse ici? Nous sommes plutôt conviés à une longue méditation, les gestes des danseurs se déployant dans l'extrêmement lenteur, chaque segment étant conçu comme un tableau qui ondoie doucement, irrévocablement, comme cette rivière de riz qui coule du début à la fin du spectacle sur la tête d'un moine, qui devient véritable homme-sablier, témoin du temps qui passe aussi bien que de celui qui s'éternise.
Si le traitement esthétique et la gestuelle se révèlent essentiellement orientaux, la superposition de la lecture d'Hesse de la quête de l'éveil (traitée dans Siddhartha) et surtout l'utilisation des magnifiques chants géorgiens rend le propos puissamment universel. Les 3,5 tonnes de riz déversées sur scène (recyclées après chaque représentation) se métamorphosent au fil des tableaux, évoquant aussi bien les rizières que la lumière du soleil, la pluie (quand le riz est déversé en rideau) ou les vagues animant un cours d'eau. La fluidité du mouvement finit par agir comme un apaisement, comme en témoignait une salle particulièrement attentive, même lors de l'épilogue, dans laquelle un danseur trace une série de cercles concentriques, mandala qui nous rappelle que la vie est par nature éphémère. Si par moments, les différences entre les danseurs semblent gommées - chacun devenant un parmi le groupe de pèlerins -, à d'autres la spécificité de leurs gestes nous rappellent que chacun est unique et chemine au fond seul sur cette difficile voie vers la libération des contraintes matérielles.
Vingt ans après sa création, Songs of the Wanderers a peut-être pris quelques rides au niveau du langage chorégraphique, mais demeure d'une rare pertinence, dans ce rythme de vie beaucoup trop rapide qui est le nôtre.
Photo : Yu Hui-hung |
Peut-on encore parler de danse ici? Nous sommes plutôt conviés à une longue méditation, les gestes des danseurs se déployant dans l'extrêmement lenteur, chaque segment étant conçu comme un tableau qui ondoie doucement, irrévocablement, comme cette rivière de riz qui coule du début à la fin du spectacle sur la tête d'un moine, qui devient véritable homme-sablier, témoin du temps qui passe aussi bien que de celui qui s'éternise.
Si le traitement esthétique et la gestuelle se révèlent essentiellement orientaux, la superposition de la lecture d'Hesse de la quête de l'éveil (traitée dans Siddhartha) et surtout l'utilisation des magnifiques chants géorgiens rend le propos puissamment universel. Les 3,5 tonnes de riz déversées sur scène (recyclées après chaque représentation) se métamorphosent au fil des tableaux, évoquant aussi bien les rizières que la lumière du soleil, la pluie (quand le riz est déversé en rideau) ou les vagues animant un cours d'eau. La fluidité du mouvement finit par agir comme un apaisement, comme en témoignait une salle particulièrement attentive, même lors de l'épilogue, dans laquelle un danseur trace une série de cercles concentriques, mandala qui nous rappelle que la vie est par nature éphémère. Si par moments, les différences entre les danseurs semblent gommées - chacun devenant un parmi le groupe de pèlerins -, à d'autres la spécificité de leurs gestes nous rappellent que chacun est unique et chemine au fond seul sur cette difficile voie vers la libération des contraintes matérielles.
Vingt ans après sa création, Songs of the Wanderers a peut-être pris quelques rides au niveau du langage chorégraphique, mais demeure d'une rare pertinence, dans ce rythme de vie beaucoup trop rapide qui est le nôtre.
FIFA - musique
Le FIFA nous en met comme d'habitude plein la vue - et les oreilles surtout - avec sa série de films musicaux. Les amateurs d'opéra ont été choyés avec la présentation de Cosi fan tutte de Mozart, dans sa relecture de Michael Haneke, mais aussi avec Unveiling Salomé (certes le grand moment de la saison 2012-13 de l'Opéra de Montréal), qui nous mène dans les coulisses d'une production mettant en vedette la soprano bulgare Penda, qui dialogue ici non seulement avec le chef d'orchestre Modestas Pitrenas lors des répétitions, mais aussi avec Christian Lacroix qui l'inclut dans son processus de création de costumes. Ce film était présenté en programme double avec Dmitri Hvorostovsky - The Music and I, le toujours très séduisant « lion de l’opéra » (qui sera en récital à Montréal en mai), un documentaire assez sage (comme celui sur Pollini réalisé par Monsaingeon), mais qui nous en apprend néanmoins beaucoup sur la carrière du chanteur.
Vous voudrez peut-être vous glisser en salle ce soir 18 h 30, dans la Salle 1 de l'UQÀM pour la reprise du programme double Colin Davis: The Man and His Music et L'autre Karajan.
Le premier se veut un portrait en souvenirs et en musique du chef d'orchestre britannique, disparu en avril 2013. Ce grand Mozartien se confie à Reiner E. Moritz, aussi bien sur son enfance musicale (le chef sera d'abord clarinettiste) que la façon dont il dirige. Il s'attarde notamment sur l'importance de respecter les musiciens devant lui, un sujet toujours délicat. Mitsuko Uchida parle quant à elle de la façon dont il invite les gens à faire de la musique, sur son refus d'imposer une vision. D'autres parleront de la beauté intrinsèque de ses interprétations, de son évolution en tant que chef d'orchestre. On ne pourra qu'être ému également de l'entendre évoquer sa femme en tricotant ou de constater la délicatesse avec laquelle il encadre les jeunes chefs lors d'un cours de maître.
Tout le monde croit connaître Karajan. Était-ce le côté flamboyant du personnage? Peut-être plus, 25 ans après sa mort. Et si, au fond, la raison était purement musicale, si elle se trouvait au cœur même de ses interprétations, dont plusieurs légendaires, notamment avec le Philharmonique de Berlin? L'autre Karajan fait la lumière sur le musicien de studio, celui qui, à toute heure du jour - et peut-être même de la nuit - appelle l'ingénieur du son pour évoquer avec lui un ajustement à apporter à un timbre, une scorie à gommer, un moment à mettre en lumière.« Avec les disques, je suis éternel. » Il a certes su profiter des possibilités que lui offraient le disque, considérant d'ailleurs le travail de studio comme une expérience entièrement dissociée de celle du concert. Il travaillera notamment sur la spatialisation, mais toujours, malgré son égo en apparence démesuré, il gardera le compositeur au centre de sa démarche, offrant à l'interprète (et à l'auditeur), « le désir non pas de rejouer l'oeuvre, mais de la revivre », comme le résume fort justement la violoniste Anne-Sophie Mutter.
.
Dans un registre autre, j'ai beaucoup aimé Dreaming Chavela (reprise ce soir à 21 h, en doublé avec Mercedes Sosa: The Voice of Latin America), premier film du danseur et chorégraphe Rafael Amargo qui, lors d'une crise créatrice, décide d'aller puiser l'inspiration en partant à la recherche de sa muse, la chanteuse mexicaine Chavela Vargas (décédée en 2012), pour lui remettre en main propre une lettre de Federico Garcia Lorca. Vêtu de blanc, avec un sac rouge en bandoulière, il croise celle qui s'est occupé de la chanteuse pendant des années, quelques-uns de ses musiciens, une jeune chanteuse qu'elle a influencée, esquissant un portrait presque impressionniste de Chavela. Quand il finit par la retrouver dans sa demeure, recluse certes, mais toujours habitée par une fièvre ravageuse, le déclic se fait et il lui offre une danse, métaphore de l'inspiration retrouvée, mais aussi de la marque indélébile que la chanteuse a laissé dans les imaginaires. Un film émotif, qui nous reconnecte avec la source même du geste créateur.
EL AMOR AMARGO DE CHAVELA, Rafael Amargo [TRAILER, English subtitles] from FREAK Independent Film Agency on Vimeo.
Vous voudrez peut-être vous glisser en salle ce soir 18 h 30, dans la Salle 1 de l'UQÀM pour la reprise du programme double Colin Davis: The Man and His Music et L'autre Karajan.
Le premier se veut un portrait en souvenirs et en musique du chef d'orchestre britannique, disparu en avril 2013. Ce grand Mozartien se confie à Reiner E. Moritz, aussi bien sur son enfance musicale (le chef sera d'abord clarinettiste) que la façon dont il dirige. Il s'attarde notamment sur l'importance de respecter les musiciens devant lui, un sujet toujours délicat. Mitsuko Uchida parle quant à elle de la façon dont il invite les gens à faire de la musique, sur son refus d'imposer une vision. D'autres parleront de la beauté intrinsèque de ses interprétations, de son évolution en tant que chef d'orchestre. On ne pourra qu'être ému également de l'entendre évoquer sa femme en tricotant ou de constater la délicatesse avec laquelle il encadre les jeunes chefs lors d'un cours de maître.
Tout le monde croit connaître Karajan. Était-ce le côté flamboyant du personnage? Peut-être plus, 25 ans après sa mort. Et si, au fond, la raison était purement musicale, si elle se trouvait au cœur même de ses interprétations, dont plusieurs légendaires, notamment avec le Philharmonique de Berlin? L'autre Karajan fait la lumière sur le musicien de studio, celui qui, à toute heure du jour - et peut-être même de la nuit - appelle l'ingénieur du son pour évoquer avec lui un ajustement à apporter à un timbre, une scorie à gommer, un moment à mettre en lumière.« Avec les disques, je suis éternel. » Il a certes su profiter des possibilités que lui offraient le disque, considérant d'ailleurs le travail de studio comme une expérience entièrement dissociée de celle du concert. Il travaillera notamment sur la spatialisation, mais toujours, malgré son égo en apparence démesuré, il gardera le compositeur au centre de sa démarche, offrant à l'interprète (et à l'auditeur), « le désir non pas de rejouer l'oeuvre, mais de la revivre », comme le résume fort justement la violoniste Anne-Sophie Mutter.
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Dans un registre autre, j'ai beaucoup aimé Dreaming Chavela (reprise ce soir à 21 h, en doublé avec Mercedes Sosa: The Voice of Latin America), premier film du danseur et chorégraphe Rafael Amargo qui, lors d'une crise créatrice, décide d'aller puiser l'inspiration en partant à la recherche de sa muse, la chanteuse mexicaine Chavela Vargas (décédée en 2012), pour lui remettre en main propre une lettre de Federico Garcia Lorca. Vêtu de blanc, avec un sac rouge en bandoulière, il croise celle qui s'est occupé de la chanteuse pendant des années, quelques-uns de ses musiciens, une jeune chanteuse qu'elle a influencée, esquissant un portrait presque impressionniste de Chavela. Quand il finit par la retrouver dans sa demeure, recluse certes, mais toujours habitée par une fièvre ravageuse, le déclic se fait et il lui offre une danse, métaphore de l'inspiration retrouvée, mais aussi de la marque indélébile que la chanteuse a laissé dans les imaginaires. Un film émotif, qui nous reconnecte avec la source même du geste créateur.
EL AMOR AMARGO DE CHAVELA, Rafael Amargo [TRAILER, English subtitles] from FREAK Independent Film Agency on Vimeo.
FIFA: séances supplémentaires
Plus que deux jours avant la fin du festival et c'est le moment de jeter un coup d’œil aux ajouts à la programmation, certains films ayant séduit les foules étant de nouveau présentés. Parmi ceux-ci, vous ne voudrez pas rater
Aujourd'hui, 13 h 30, Cinémathèque québécoise, Kraftwerk - Pop art. Si, comme moi, vous avez raté la soirée avec DJ proposée jeudi dernier, mais vouez un intérêt certain au mythique groupe allemand (mais n'êtes pas nécessairement prêts à débourser 65 $ pour les voir en spectacle demain soir), ce film est pour vous.
Aujourd'hui 18 h 30 à l'UQÀM - Salle 1, Le défi des bâtisseurs - La cathédrale de Strasbourg, un film très fouillé qui vous en mettra plein la vue, tourné en 3D relief, qui nous plonge dans la construction de ce majestueux édifice, à travers documents d'époque, entretiens, séquences de fiction et images de synthèse.
Demain 16 h, Musée des beaux-arts de Montréal – Auditorium Maxwell-Cummings, un programme quadruple qui comprend deux films que j'ai vus, Tadao Ando, l'architecte du vide et de l'infini, magnifique hommage au grand architecte, et Jean Nouvel and the Tormented Concerthouse qui traite de la conception de la Maison de la radio danoise de Copenhague, un superbe objet qui a tout de même coûté son poste à son initiateur.
Demain à 18 h 30 au Musée des beaux-arts de Montréal – Auditorium Maxwell-Cummings, The new Rijksmuseum 3 et The new Rijksmuseum 4 qui évoque le processus absolument fascinant de la rénovation du plus célèbre musée des Pays-Bas, projet qui a duré 10 ans.
Demain à 18 h 30 à l'UQÀM - Salle 1, Cosi fan tutte, production filmée de la mise en scène fort réussie de Michael Haneke (réalisateur notamment du Ruban blanc et d'Amour). Des heures magiques en compagnie de Mozart et un dénouement absolument surprenant.
Demain à 18 h 30 toujours, Auditorium de la Grande bibliothèque, un doublé exceptionnel pour les mélomanes: Happy Birthday Claudio Abbado et surtout Maurizio Pollini,de main de maître, plus récent documentaire de Bruno Monsaingeon, consacré à un des géants du piano du 20e siècle. Absolument fascinant de revoir le jeune Pollini de 18 ans remporter le Concours Chopin, de serrer la main de Rubinstein, de danser même à ses côtés lors d'une soirée de gala, mais surtout de comprendre comment la carrière de Pollini s'est développée au cours des décennies.
Aujourd'hui, 13 h 30, Cinémathèque québécoise, Kraftwerk - Pop art. Si, comme moi, vous avez raté la soirée avec DJ proposée jeudi dernier, mais vouez un intérêt certain au mythique groupe allemand (mais n'êtes pas nécessairement prêts à débourser 65 $ pour les voir en spectacle demain soir), ce film est pour vous.
Aujourd'hui 18 h 30 à l'UQÀM - Salle 1, Le défi des bâtisseurs - La cathédrale de Strasbourg, un film très fouillé qui vous en mettra plein la vue, tourné en 3D relief, qui nous plonge dans la construction de ce majestueux édifice, à travers documents d'époque, entretiens, séquences de fiction et images de synthèse.
Demain 16 h, Musée des beaux-arts de Montréal – Auditorium Maxwell-Cummings, un programme quadruple qui comprend deux films que j'ai vus, Tadao Ando, l'architecte du vide et de l'infini, magnifique hommage au grand architecte, et Jean Nouvel and the Tormented Concerthouse qui traite de la conception de la Maison de la radio danoise de Copenhague, un superbe objet qui a tout de même coûté son poste à son initiateur.
Demain à 18 h 30 au Musée des beaux-arts de Montréal – Auditorium Maxwell-Cummings, The new Rijksmuseum 3 et The new Rijksmuseum 4 qui évoque le processus absolument fascinant de la rénovation du plus célèbre musée des Pays-Bas, projet qui a duré 10 ans.
Demain à 18 h 30 à l'UQÀM - Salle 1, Cosi fan tutte, production filmée de la mise en scène fort réussie de Michael Haneke (réalisateur notamment du Ruban blanc et d'Amour). Des heures magiques en compagnie de Mozart et un dénouement absolument surprenant.
Demain à 18 h 30 toujours, Auditorium de la Grande bibliothèque, un doublé exceptionnel pour les mélomanes: Happy Birthday Claudio Abbado et surtout Maurizio Pollini,de main de maître, plus récent documentaire de Bruno Monsaingeon, consacré à un des géants du piano du 20e siècle. Absolument fascinant de revoir le jeune Pollini de 18 ans remporter le Concours Chopin, de serrer la main de Rubinstein, de danser même à ses côtés lors d'une soirée de gala, mais surtout de comprendre comment la carrière de Pollini s'est développée au cours des décennies.
vendredi 28 mars 2014
Le dernier jour d'un condamné
Un homme n'en a plus que pour quelques heures à vivre. Il a rendez-vous avec la guillotine, pour un acte qui ne sera jamais nommé, mais qu'il admet avoir commis. Peut-on justifier - et si oui en quelles circonstances - la peine de mort? Avec ce texte, Victor Hugo offre un prélude essentiel à son Plaidoyer contre la peine de mort, prononcé à l'Assemblée nationale constituante en 1858, trente ans plus tard. Il trouve aussi une étrange résonance dans Dead Man Walking, présenté l'année dernière par l'Opéra de Montréal.
Un homme va mourir, mais avant, il écrit, sur des feuilles éparses, parce que tant qu'il écrit il ne peut pas mourir, il est dans le geste de création. Il doit laisser un legs aussi, à sa fille qui ne le connaîtra pas, aux dirigeants, à ceux qui tout à l'heure acclameront sa mort aussi. « Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s’agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d’homme, dans ce qu’ils appellent la balance de la justice? Peut-être n’ont-ils jamais réfléchi, les malheureux, à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive d’un arrêt de mort? »
Éric J. St-Jean a fort habilement extrait l'essentiel du roman pour en tirer une proposition théâtrale de 75 minutes sans aucune longueur, malgré la langue riche, parfois exigeante de Victor Hugo, et la lourdeur inhérente du propos. Il faut dire qu'Ariel Ifergan maîtrise parfaitement son texte - ou plutôt en est entièrement libéré -, passant avec une remarquable facilité d'un personnage à l'autre quand nécessaire. Tout ici est question d'intonation, de dosage d'intention, mais aussi de respirations, qui offrent à l'auditeur le temps nécessaire pour assimiler une phrase ou même une scène entière. Si l'interprétation s'inscrit dans un courant classique, peut-être en marge de nombreuses productions, elle reste néanmoins le complément idéal de ce texte.
La scénographie de Christian Jutras et les éclairages de Steve Croteau (en rouge et bleu) jouent ici un rôle crucial. Grâce à une utilisation intelligente de l'écran vidéo en fond de scène, on a l'impression d'être dans la tête du condamné. Ainsi, quand il évoque des souvenirs, un double vidéo déclame le texte. Plus intéressant encore est le traitement presque minimaliste de l'image, son côté abstrait, le texte se dévoilant aussi bien qu'il révèle des éléments que l'on entend pas. Le monologue se transforme ainsi en dialogue, avec le soi intérieur, avec le geste créateur, avec la mort, avec les condamnés qui ont habité cette cellule avant, avec le spectateur. Soulignons également le très réussi environnement sonore de Jean-François Morasse qui nous happe dès les premiers instants et se décline aussi bien comme un prolongement des ambiances qu'un contrepoint rythmique, cœur qui bat, main qui crisse sur le papier, souffle qui vient du plus profond de soi.
Jusqu'au 12 avril à la Salle Fred-Barry
Un homme va mourir, mais avant, il écrit, sur des feuilles éparses, parce que tant qu'il écrit il ne peut pas mourir, il est dans le geste de création. Il doit laisser un legs aussi, à sa fille qui ne le connaîtra pas, aux dirigeants, à ceux qui tout à l'heure acclameront sa mort aussi. « Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s’agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d’homme, dans ce qu’ils appellent la balance de la justice? Peut-être n’ont-ils jamais réfléchi, les malheureux, à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive d’un arrêt de mort? »
Éric J. St-Jean a fort habilement extrait l'essentiel du roman pour en tirer une proposition théâtrale de 75 minutes sans aucune longueur, malgré la langue riche, parfois exigeante de Victor Hugo, et la lourdeur inhérente du propos. Il faut dire qu'Ariel Ifergan maîtrise parfaitement son texte - ou plutôt en est entièrement libéré -, passant avec une remarquable facilité d'un personnage à l'autre quand nécessaire. Tout ici est question d'intonation, de dosage d'intention, mais aussi de respirations, qui offrent à l'auditeur le temps nécessaire pour assimiler une phrase ou même une scène entière. Si l'interprétation s'inscrit dans un courant classique, peut-être en marge de nombreuses productions, elle reste néanmoins le complément idéal de ce texte.
La scénographie de Christian Jutras et les éclairages de Steve Croteau (en rouge et bleu) jouent ici un rôle crucial. Grâce à une utilisation intelligente de l'écran vidéo en fond de scène, on a l'impression d'être dans la tête du condamné. Ainsi, quand il évoque des souvenirs, un double vidéo déclame le texte. Plus intéressant encore est le traitement presque minimaliste de l'image, son côté abstrait, le texte se dévoilant aussi bien qu'il révèle des éléments que l'on entend pas. Le monologue se transforme ainsi en dialogue, avec le soi intérieur, avec le geste créateur, avec la mort, avec les condamnés qui ont habité cette cellule avant, avec le spectateur. Soulignons également le très réussi environnement sonore de Jean-François Morasse qui nous happe dès les premiers instants et se décline aussi bien comme un prolongement des ambiances qu'un contrepoint rythmique, cœur qui bat, main qui crisse sur le papier, souffle qui vient du plus profond de soi.
Jusqu'au 12 avril à la Salle Fred-Barry
jeudi 27 mars 2014
FIFA au théâtre
Le FIFA bat son plein et je ne vous en ai pas encore parlé... mais ce n'est pas parce que je n'ai pas vu quelques très beaux films déjà. Alors que nous amorçons le dernier droit (le festival prend malheureusement fin dimanche), je fais un bref retour ici sur les films liés au théâtre.
J'ai malheureusement raté Tunisie, l'ère d'une révolution culturelle et Patrice Chéreau: le corps au travail, parce que j'étais... au théâtre ces deux soirs-là, mais je n'ai pas raté Avec rage et courage - Le théâtre politique en Europe, un film essentiel d'Eva Schötteldreir (il reste deux représentations samedi le 29 à 16 h et dimanche le 30 à 13 h 30 à la BANQ), articulé autour de trois figures importantes du théâtre contemporain: la directrice du Deutsches Schauspielhaus Karin Beier (directrice du théâtre de Cologne lors du tournage), l'auteur, metteur en scène et directeur du Festival d'Avignon Olivier Py (qui terminait lors du tournage son mandat à l'Odéon) et le dramaturge Simon Stephens, auteur notamment de Pornographie, artiste associé au Lyric Hammersmith de Londres, beaucoup joué en Allemagne. Ils évoquent chacun à leur façon la nécessité d'inscrire le théâtre dans l'actualité, mais aussi de permettre au spectateur de prendre position, que ce soit en l'interpellant directement ou en lui offrant une catharsis - par exemple avec Kein Licht d'Elfride Jelinek, écrit après le tsunami de Tohoku ou Ein Sturz de la même auteure, écrit en réaction à l'effondrement du centre des archives de la ville, dénonciation de l'incompétence, monté en 2010. Les artisans du théâtre d'aujourd'hui auront peut-être le courage après avoir vu ce film de poser certains gestes essentiels. À voir...
Côté théâtre d'ici, Louise Latraverse, libre et moderne se révèle pertinent pour ceux qui s'intéressent à cette comédienne, qui a aussi été animatrice de radio, auteure, directrice artistique du Quat' Sous (on nous rappelle d'ailleurs qu'elle a été celle qui a fait connaître ici Robert Lepage), mais qui reste sage dans sa facture. On reste loin du grand moment d'émotion ressenti l'année dernière après le visionnement de Le goût de vivre, magnifique film en hommage à Huguette Oligny.
Je me glisserai assurément en salle samedi pour Meeting with a Young Poet, autour de Samuel Beckett (Université Concordia, 18 h 30, en salles le 4 avril).
J'ai malheureusement raté Tunisie, l'ère d'une révolution culturelle et Patrice Chéreau: le corps au travail, parce que j'étais... au théâtre ces deux soirs-là, mais je n'ai pas raté Avec rage et courage - Le théâtre politique en Europe, un film essentiel d'Eva Schötteldreir (il reste deux représentations samedi le 29 à 16 h et dimanche le 30 à 13 h 30 à la BANQ), articulé autour de trois figures importantes du théâtre contemporain: la directrice du Deutsches Schauspielhaus Karin Beier (directrice du théâtre de Cologne lors du tournage), l'auteur, metteur en scène et directeur du Festival d'Avignon Olivier Py (qui terminait lors du tournage son mandat à l'Odéon) et le dramaturge Simon Stephens, auteur notamment de Pornographie, artiste associé au Lyric Hammersmith de Londres, beaucoup joué en Allemagne. Ils évoquent chacun à leur façon la nécessité d'inscrire le théâtre dans l'actualité, mais aussi de permettre au spectateur de prendre position, que ce soit en l'interpellant directement ou en lui offrant une catharsis - par exemple avec Kein Licht d'Elfride Jelinek, écrit après le tsunami de Tohoku ou Ein Sturz de la même auteure, écrit en réaction à l'effondrement du centre des archives de la ville, dénonciation de l'incompétence, monté en 2010. Les artisans du théâtre d'aujourd'hui auront peut-être le courage après avoir vu ce film de poser certains gestes essentiels. À voir...
Côté théâtre d'ici, Louise Latraverse, libre et moderne se révèle pertinent pour ceux qui s'intéressent à cette comédienne, qui a aussi été animatrice de radio, auteure, directrice artistique du Quat' Sous (on nous rappelle d'ailleurs qu'elle a été celle qui a fait connaître ici Robert Lepage), mais qui reste sage dans sa facture. On reste loin du grand moment d'émotion ressenti l'année dernière après le visionnement de Le goût de vivre, magnifique film en hommage à Huguette Oligny.
Je me glisserai assurément en salle samedi pour Meeting with a Young Poet, autour de Samuel Beckett (Université Concordia, 18 h 30, en salles le 4 avril).
mercredi 26 mars 2014
Glengarry Glen Ross: 100 % testostérone
Photo: Andrée Lanthier |
Exploration assumée de la masculinité, ponctuée de « coarse language » (on prévient d’ailleurs les spectateurs lors d’une annonce hors-champ bien pensée), Glengarry Glen Ross devait valoir à David Mamet un Prix Pulitzer en 1984. Le dramaturge et scénariste puise ici dans son vécu pour dresser un portrait en couleurs vives d’une agence immobilière de Chicago au début des années 1980.
Pas le choix de s’inscrire au tableau des ventes: le meilleur recevra une Cadillac, le deuxième des couteaux à steak et les autres… une visite au bureau de l’assurance-emploi. Si la pièce date forcément côté technologie (pas de téléphone cellulaire ici ou d’ordinateur) et qu’il serait inutile aujourd’hui de mettre à sac le bureau pour voler une liste de clients potentiels, cette volonté de se hisser au sommet, coûte que coûte, reste d’une troublante actualité, le mot «corruption» faisant partie du vocabulaire de tout un chacun.
mardi 25 mars 2014
Première nuit - Une anthologie du désir
« La
première nuit est une absence. C’est après, par bribes, par éclats, qu’on
réinvente les heures inouïes. » (Alfred Alexandre)
Peut-on parler de désir sans tomber dans la littérature de bas étage? Assurément, comme en témoigne Première nuit - Une anthologie du désir. Après avoir accepté l'invitation de la romancière camerounaise Léonora Miano, prix Femina 2013 pour La saison de l'ombre, dix écrivains subsahariens, caribéens et afropéens ont accepté de raconter une première nuit d'amour, sujet d'une rare intimité, très peu traité dans la littérature noire. « Cette absence indique à n'en pas douter un rapport complexe à soi, une difficulté à se mettre entièrement au centre de sa propre parole », avance d'ailleurs Miano dans sa préface.
On retrouve donc ici des textes d'Alfred Alexandre, Edem Awumey, Julien Delmaire, Frankito, Julien Mabiala Bissila, Jean-Marc Rosier, Insa Sané, Felwine Sarr, Sunjata et Georges Yémy, ainsi qu'en complément une nouvelle de Miano elle-même, mise au défi par l'un des auteurs de se prêter au jeu, écho féminin qui résonne autrement, placé en fin de volume. Oui, il sera question ici de plaisir, de sexualité, mais souvent de façon détournée. Le désir n'est-il pas, « la moitié de la vie » (Khalil Gibran) ou « le feu que nous apportons en naissant » (Arthur Schendel)? Ces instants fébriles avant l'union des corps restent souvent bien plus longtemps en mémoire que ceux qui la suivent et ces auteurs tirent partie de cette tension inhérente au désir, n'hésitant pas dans certains cas à conjurer l'au-delà, comme dans Le confessional de Julien Mabiala Bassila, à la chute lapidaire, ou La petite fille de mon désert de Georges Yémy, d'une troublante poésie. « Ceux qui partent pleurent ceux qui restent; ceux qui meurent sont aussi en deuil de ceux qu’ils laissent. Partir, c’est laisser derrière soir les vivants. »
On découvre surtout dix plumes trempées, dix façons complémentaires de dire les choses, du plus sublimé (Dans son jilbab de soleil, mon amour de Jean-Marc Rosier) au plus cru (Un papillon de Julien Delmaire), dix voix que l'on aura plaisir à retrouver autrement. (Les notices biographiques fournies en annexe faciliteront assurément la chose.)
Un livre à garder sur la table de chevet ou à offrir en cadeau.
Peut-on parler de désir sans tomber dans la littérature de bas étage? Assurément, comme en témoigne Première nuit - Une anthologie du désir. Après avoir accepté l'invitation de la romancière camerounaise Léonora Miano, prix Femina 2013 pour La saison de l'ombre, dix écrivains subsahariens, caribéens et afropéens ont accepté de raconter une première nuit d'amour, sujet d'une rare intimité, très peu traité dans la littérature noire. « Cette absence indique à n'en pas douter un rapport complexe à soi, une difficulté à se mettre entièrement au centre de sa propre parole », avance d'ailleurs Miano dans sa préface.
On retrouve donc ici des textes d'Alfred Alexandre, Edem Awumey, Julien Delmaire, Frankito, Julien Mabiala Bissila, Jean-Marc Rosier, Insa Sané, Felwine Sarr, Sunjata et Georges Yémy, ainsi qu'en complément une nouvelle de Miano elle-même, mise au défi par l'un des auteurs de se prêter au jeu, écho féminin qui résonne autrement, placé en fin de volume. Oui, il sera question ici de plaisir, de sexualité, mais souvent de façon détournée. Le désir n'est-il pas, « la moitié de la vie » (Khalil Gibran) ou « le feu que nous apportons en naissant » (Arthur Schendel)? Ces instants fébriles avant l'union des corps restent souvent bien plus longtemps en mémoire que ceux qui la suivent et ces auteurs tirent partie de cette tension inhérente au désir, n'hésitant pas dans certains cas à conjurer l'au-delà, comme dans Le confessional de Julien Mabiala Bassila, à la chute lapidaire, ou La petite fille de mon désert de Georges Yémy, d'une troublante poésie. « Ceux qui partent pleurent ceux qui restent; ceux qui meurent sont aussi en deuil de ceux qu’ils laissent. Partir, c’est laisser derrière soir les vivants. »
On découvre surtout dix plumes trempées, dix façons complémentaires de dire les choses, du plus sublimé (Dans son jilbab de soleil, mon amour de Jean-Marc Rosier) au plus cru (Un papillon de Julien Delmaire), dix voix que l'on aura plaisir à retrouver autrement. (Les notices biographiques fournies en annexe faciliteront assurément la chose.)
Un livre à garder sur la table de chevet ou à offrir en cadeau.
Cette lecture conclut, presque un mois plus tard, le challenge Mois de l'histoire des Noirs. Merci à Marion et Topinambulle d'y avoir participé.
Hansel et Gretel: rester légèrement sur sa faim
Photo: Yves Renaud |
L’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal prend un risque calculé en présentant Hansel et Gretel, une œuvre pour toute la famille, sur une partition enlevante d’Engelbert Humperdinck, dans l’immense Salle Wilfrid-Pelletier. On reconnaîtra en quelques minutes la touche particulière du metteur en scène Hugo Bélanger qui a opté pour une relecture somme toute assez traditionnelle du conte, mais dans un écrin de décors inspirés, presque sublimés, d’Odile Gamache. Ici, pas de forêt touffue ou de maison en pain d’épice grandeur nature. Les arbres et même le pignon de la maison ont été remplacés par des pages de livres, invitant le spectateur à retrouver le plaisir de la lecture, l’imagination faisant le plus gros du travail.
On pourra par contre s’interroger sur la pertinence d’habiller Hansel – rôle déjà chanté par une femme – d’une culotte ample qui évoque plus la jupe que le pantalon, mais il faut admettre que l’esthétique des vêtements demeure en accord avec certaines gravures qui auraient pu illustrer des éditions originales de l’œuvre des frères Grimm.
Plusieurs choix de mise en scène se sont révélés particulièrement habiles, cette idée de contenir les premières scènes dans un espace central de la scène par exemple, comme si nous voyions une illustration s’animer.
lundi 24 mars 2014
Rêves
« Ce
ne sont pas uniquement nos propres rêves, ce sont aussi ceux des autres qui
nous aident à persévérer. D’abord parce que, ne venant pas de nous, ils sont
plus tangibles et moins capricieux que ceux que nous manufacturons dans notre
solitude. Mais surtout parce que, pour peu que nous acceptions de suivre les
chemins qu’ils dessinent pour nous, ils se font bientôt les reflets de
paysages, de transformations, de devenirs que nous abritions en nous,
insoupçonnés, et que, sans leur vigilance et leur regard insoumis, nous n’aurions
jamais crus possibles. »
Emmanuel Kattan, Le portrait de la reine
Emmanuel Kattan, Le portrait de la reine
dimanche 23 mars 2014
Marleau fête Gougeon
Deux géants se rencontrent, demain soir, sur la scène du Conservatoire de musique de Montréal. Avant, ils ont pris quelques instants pour faire le point sur une collaboration fructueuse, une vision complémentaire de l’art, une volonté de dire les choses différemment. Un soir seulement, les univers du compositeur Denis Gougeon (à qui la Société de Musique Contemporaine du Québec rend hommage cette saison) et du metteur en scène Denis Marleau s’uniront autrement, des extraits de textes se juxtaposant en direct sur scène à des musiques de 9 de leurs 11 projets conjoints, de Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès (1993, Masque de la musique originale) aux Femmes savantes de Molière (2012).
Je me suis entretenu avec eux et vous propose quatre facettes d'une complicité que plusieurs pourraient leur envier.
Les débuts
La voix au cœur du processus
L'adoption d'un modus operandi
La scène comme terrain de jeu
Je me suis entretenu avec eux et vous propose quatre facettes d'une complicité que plusieurs pourraient leur envier.
Les débuts
La voix au cœur du processus
L'adoption d'un modus operandi
La scène comme terrain de jeu
samedi 22 mars 2014
Le voyage d'hiver: âmes blindées, s'abstenir
Photo: Isabelle Rancier |
Même si on entend en réalité très peu Schubert ici, à peine le premier lied, « Gute Nacht », une fois sur enregistrement, l'autre en direct, avec un brillant accompagnement de bouilloires - vous avez bien lu -, son ombre plane sur cette série de tableaux aux rythmes brisés. Certains nous plongent dans une contemplation presque mystique et nous force à adopter un souffle plus lent. Quelle poésie pure que cette scène de baignade, sur fond du célèbre « O mio babbino caro » de Puccini, tout simple en apparence, qui rappelle les tableaux anciens, mais nous donne l'illusion d'être devenu cette naïade qui fait ses ablutions au milieu d'une nature accueillante (une des trois thématiques de prédilection de Schubert, avec l'amour et la mort)! D'autres nous font sourire (cette séance de photographie de groupe décalée) et plusieurs nous forcent à déposer un voile de tendresse sur nos regards devenus blasés par ce qu'on les force à contempler tous les jours (inoubliables numéros sur deux chansons de Pauline Julien ou ce slow de groupe, chacun cherchant à se blottir sur l'homme du couple). Le cirque ici sert à faire avancer le propos, à créer une certaine ambiance. On ne mise pas sur le spectaculaire (omission faite de l'avant-dernière scène), mais plutôt que la transmission de la pureté d'un instant, que ce soit cet envoûtant ballet pendant laquelle l'artiste met tour à tour pieds et mains dans les seaux ou ces moments où les artistes s'élèvent dans les airs grâce au somme toute rudimentaire système de cordes. On reste baba, tout en se disant que - avec beaucoup de travail - nous aussi pourrions peut-être en être capables.
Photo: Isabelle Rancier |
Ce Voyage nous force à regarder monde autrement, à multiplier les angles d'analyse, la tête en bas, les jambes devenant visages (dans la photo de groupe), ces mêmes jambes une fois suspendues aux cordages un peu plus tard devenant métaphore poignante de des trop nombreux nœuds coulants glissés autour des cous, par désespoir ou par violence pure. De la scène jonchée de détritus divers du début à celle, presque entièrement dépouillée, de la dernière scène, le public qui acceptera la donne aura sans aucun doute cheminé; il aura complété son propre voyage d'hiver, se sentira près à embrasser l'effervescence de la nouvelle saison. Il aura surtout senti la générosité des artistes l'envelopper, accepté qu'une douleur diffuse aura subrepticement pénétré ses failles, compris que les grandes œuvres continuent de nous inspirer et méritent d'être relues, décryptées, tournées autrement, qu'elles posséderont toujours cette universalité qui nous élèvent.
vendredi 21 mars 2014
Le swap café, thé, choco
Marion aime bien le café et avait lancé l'idée d'un swap au tournant de l'année. Je n'en avais pas fait depuis un moment, mais comme je ne bois pas de café, je me disais que j'allais passer mon tour. Il semble que d'autres que moi ne palpitent pas d'enthousiasme devant un bol de latté et Marion a donc décidé d'élargir le swap au thé (que j'adore) et au chocolat (qui n'aime pas le chocolat!). Histoire de célébrer le printemps, alors que la grisaille persiste, ne semblant pas avoir conscience que l'on attend désespérément de passer à une autre saison, voilà donc le moment du dévoilement du paquet que m'avait préparé Lali. L'échange s'est fait en main propre hier soir, autour d'un succulent repas dans le Quartier chinois, juste avant que je ne me glisse en salle pour entendre le LA Philharmonic. Bien sûr, le paquet n'a été déballé qu'une fois rendue à la maison (je suis sage!), même si j'admets avoir triché un peu et lu la carte dans le métro à mon retour.
Lali a compris qu'il fallait donner un coup de pouce au printemps. Quel joli sac cadeau pimpant, qui s'agence parfaitement avec nombre de mes accessoires de maison vert.
Deux livres (les photos sont cliquables), l'un contentant le mot café (si je n'en bois pas, j'adore néanmoins les cafés, endroit idéal pour voler du temps au temps avec des amis) et l'autre découvert, au titre intrigant, découvert alors qu'elle était (sans doute en train de lire) dans un café.
Il ne faut pas oublier les gâteries, toutes très chocolatées, puisées dans sa caverne d'Ali-baba personnelle, la boutique Tooth Sweet (j'adore le nom - à prononcer à voix haute pour comprendre le jeu de mots), à deux stations de métro de chez moi en plus! (Comme c'est dommage...) J'ai hâte de mettre cette sauce au chocolat légèrement alcoolisée sur une gaufre épaisse ou une boule de crème glacée! Non, pas besoin d'agiter la main dans le fond là-bas, je n'ai pas l'intention de vous inviter! Peut-être une bouchée de chocolat au gingembre tout au plus... et minuscule en plus!
Un très gros merci à Lali pour le cadeau et à Marion d'avoir organisé le tout!
Lali a compris qu'il fallait donner un coup de pouce au printemps. Quel joli sac cadeau pimpant, qui s'agence parfaitement avec nombre de mes accessoires de maison vert.
Deux livres (les photos sont cliquables), l'un contentant le mot café (si je n'en bois pas, j'adore néanmoins les cafés, endroit idéal pour voler du temps au temps avec des amis) et l'autre découvert, au titre intrigant, découvert alors qu'elle était (sans doute en train de lire) dans un café.
Il ne faut pas oublier les gâteries, toutes très chocolatées, puisées dans sa caverne d'Ali-baba personnelle, la boutique Tooth Sweet (j'adore le nom - à prononcer à voix haute pour comprendre le jeu de mots), à deux stations de métro de chez moi en plus! (Comme c'est dommage...) J'ai hâte de mettre cette sauce au chocolat légèrement alcoolisée sur une gaufre épaisse ou une boule de crème glacée! Non, pas besoin d'agiter la main dans le fond là-bas, je n'ai pas l'intention de vous inviter! Peut-être une bouchée de chocolat au gingembre tout au plus... et minuscule en plus!
Un très gros merci à Lali pour le cadeau et à Marion d'avoir organisé le tout!
mardi 18 mars 2014
Album de finissants: génération montante
Mathieu Arsenault avait frappé fort en 2004 avec son Album de finissants (réédité récemment en format poche par Triptyque), une série de courts textes, entre poèmes en prose et spoken word, dénués de ponctuation, portrait cinglant d’une jeunesse que l’on croit revenue de tout, engourdie par l’écoute de musique à tue-tête (et aussi, aujourd’hui, par les médias sociaux, absents du livre), incapable de prendre parole («On a rien à dire nous les jeunes»), mais qui crie quand même sa peur d’être avalée par le conformisme, la répétition des gestes.
Ces compositions souvent très denses, qui exigeaient du lecteur qu’il intègre lui-même sa respiration pour en respecter l’oralité, ne demandaient qu’à être mis en scène et Anne-Sophie Rouleau a bien compris le potentiel de produire à partir de l’indéniable foisonnement un Album de finissants criant de vérité, qui met en jeu cinq jeunes professionnels et vingt finissants de 5e secondaire (quatre distributions différentes, provenant d’autant d’écoles secondaires), chœur redoutable d’efficacité qui nous renvoie au visage aussi bien notre adolescence passée (pas nécessairement une période que la plupart d’entre nous souhaiteraient demain revivre) que l’incapacité du système d’éducation à savoir transmettre la matière autrement qu’en la faisant ingurgiter de force. « L’école c’est pas une prison; c’est pire que ça. »
lundi 17 mars 2014
AVALe: célébrer la différence
La dernière production de la compagnie Joe Jack et John qui privilégie un théâtre inclusif, rassembleur, se veut une réflexion sur la colère. Jusqu'où peut-on accepter d'être brimé, accepter la rebuffade, avant que le tigre en nous explose? Quand peut-on enfin dire que notre voix est écoutée, que nous sommes membres à part entière d'une société?
Qui de mieux pour transmettre ce propos que trois acteurs atypiques? Michael Nimbley (qui a participé au spectacle précédent de la compagnie) a une déficience intellectuelle, mais celle-ci ne l'empêche pas, à 57 ans, de transcender les limites qu'on lui impose en devenant plus grand que nature. Qu'il câline sa poule ou se mette volontairement en attente (sur téléphone fixe et cellulaire à la fois) dans l'espoir de parler à quelqu'un, contemple Jackie qui fait des cupcakes ou danse le hula hoop, il demeure à la fois étrangement ancré dans la réalité et en marge de celle-ci. Anthony Dolbec, qui souffre du syndrome d'Asperger, offre quant à lui un portrait du Tigre, personnage décalé de baratineur, tout à fait saisissant. La performeuse néerlandaise Jacqueline van de Geer (qui joue avec une rare conviction dans sa quatrième langue une actrice de 50 ans cherchant à percer dans le monde des publicités) devient entre les deux trait d'union, contrechant plutôt.
Présenté en parallèle de la Semaine de la déficience intellectuelle, AVALe interpelle. Oui, il est question ici de théâtre social et le projet reste des plus louables. Pourtant, grâce à une mise en scène solide de Catherine Bourgeois, le propos se veut bien au-delà de cela et c'est tant mieux. On a tous besoin, à un moment ou un autre, d'être confronté au reflet de cet autre qui nous ressemble étrangement.
.samedi 15 mars 2014
Les moitiés d'Alice Recrue du mois
Les moitiés d’Alice de Judith Itzi, notre Recrue ce mois-ci, se veut un antidote parfait à cet hiver qui s’éternise. Comment ne pas céder aux charmes de cette enfant unique, à la langue et à esprit bien aiguisés? Si deux collaboratrices de La Recrue ont accepté sans réserve de retrouver leur enfant intérieur, les deux autres ont eu l’impression de devoir mener un combat contre celui-ci, preuve une fois de plus qu’un même livre peut susciter une multitude de lectures. Si le roman se lit comme un « conte pour tous », l’histoire menant à sa publication relève presque du conte de fées, comme nous l’a expliqué l’auteure en entrevue. En effet, l’éditeur à qui elle n’avait présenté que la première section de son roman, percevant celle-ci comme une novella, a tout de suite eu envie d’y donner suite, de mieux connaître Alice. Quel conseil donne l’auteure à ceux qui voudraient suivre sa trace et voir leur labeur récompensé? Elle explique dans notrequestionnaire : « J’ai beaucoup aimé ce conseil de ma marraine d’écriture, Francine Ruel : le secret c’est “la colle à cul”! Trouvez un moyen de coller vos fesses à votre chaise et ÉCRIVEZ. Beaucoup de gens me parlent de leur désir d’écrire ou d’être publié et pourtant, ils ne se prennent pas le temps de le faire. Asseyez-vous chaque jour à votre bureau, avec ce désir d’écrire, peu importe le doute ou les résistances. Et souvenez-vous que le ”juge” (les autocritiques) n’a le droit d’intervenir qu’à la fin, surtout pas au début ou en cours de route! Écrivez, écrivez, écrivez… »Nous vous proposons également ce mois-ci une lecture double dans un tout autre registre, Terreur dans le Downtown Eastside de Jacqueline Landry. Là aussi, deux sons de cloche. Si nos collaboratrices ont aimé cette relecture du polar classique, l’une y a plongé sans réserve, l’autre avec l’impression de rester sur sa faim.
Si certains privilégient l’action, d’autres préfèrent rester en marge d’une situation, histoire de mieux la décrire, d’en saisir les moindres nuances. On retrouve dans cette catégorie les neuf nouvelles de Retraite de Renaud Jean, mais aussiL’Orient, Louisiana, premier recueil de poésie de Stéphanie Filion, qui nous amène au Liban et à La Nouvelle-Orléans.Sous le radar de Pierre Breton se veut plutôt un voyage vers le passé, pas si lointain pourtant, « à l’époque bénie où les choses étaient claires, il y avait le ciel et l’enfer, les bleus et les rouges, les gars de Sainte-Marie et ceux de Saint-Elzéar ». La cellule Hope, prix Cécile-Gagnon, aborde quant à lui un sujet rarement abordée dans la littérature jeunesse : les conditions de vie de ceux qui travaillent dans les mines.Des suggestions qui vous permettront d’occuper vos soirées avant que le printemps ne montre enfin pour vrai le bout de son nez!
Pour lire le numéro courant de La Recrue du mois...
jeudi 13 mars 2014
Tu iras la chercher: variations sur un même thème
Depuis son premier texte publié, Guillaume Corbeil ne cache pas une certaine fascination pour les formes musicales baroques. Dans le stupéfiant L’art de la fugue, le sujet y était présenté avec son contre-sujet, avant d’être renversé, suggéré, cité (à travers un mot, un adjectif) dans une nouvelle sans lien apparent avec la précédente. Plus récemment, dans Cinq visages pour Camille Brunelle, il nous proposait assurément un univers polyphonique dense, lui aussi porteur de lectures en strates.
Avec Tu iras la chercher, il revient au thème de la fugue, à prendre au sens littéral aussi bien que musical. Une femme, jamais nommée, part à la recherche d’elle-même, ou plutôt de son double. Est-elle devenue en esprit ce personnage de téléroman qui la fascine? N’est-elle capable d’accepter la vacuité de sa vie qu’en se projetant dans un ailleurs parallèle, dans lequel sa voix n’est plus la même? «Tu as vu tellement de scènes dans ta vie / Comment savoir lesquelles tu as vécues à la première personne? »
Adoptant une narration au « tu », l’auteur favorise une distanciation, une démultiplication du motif identitaire. Cela pourrait créer une barrière entre comédienne et public, mais étrangement, cela permet plutôt à ce dernier de se glisser dans les interstices du texte, de croire qu’il lui est uniquement destiné, que d’une certaine façon il jaillit de lui, que Marie-France Lambert, admirable de contrôle, donnant l’impression au fur et à mesure de se liquéfier devant nous, comme si elle perdait tout contour défini, devenait notre propre voix.
Vous pouvez lire le reste de ma critique sur le site de Jeu...
À l'Espace Go jusqu'au 22 mars 2014
mardi 11 mars 2014
Le héros de mon enfance
Oui, bien sûr, il est de bon ton d'affirmer que notre père reste le héros de notre enfance. Si je lui voue un amour inconditionnel, notamment parce qu'il m'a ouvert les portes de la bibliothèque, m'y amenant toutes les semaines sans jamais rechigner (il était lui-même un lecteur vorace), et que mon parcours professionnel n'est pas si éloigné du sien (il a été lui-même journaliste et rédacteur en chef de publications), un autre homme a fait battre mon petit cœur dès l'école primaire. Non, ce n'était pas le propriétaire du dépanneur chez qui j'aurais pu m'approvisionner en bonbons. (Je n'en mangeais pas alors et toujours pas aujourd'hui.) C'était plutôt le facteur, qui livrait le courrier à midi pile, à l'heure à laquelle je rentrais chez moi. Je guettais son passage avec impatience, car il était l'être suprême, celui qui livrait les lettres de mes correspondantes.
J'ai bien sûr depuis réalisé que mes parents ne devaient pas être aussi transportés de joie lors de son passage, puisqu'il leur remettait sans nul doute des factures. (Passablement, plus prosaïque comme relation!) Aujourd'hui d'ailleurs, je préfère de beaucoup recevoir ces dernières par courriel. Il faut quand même les payer, mais au moins, cela libère la boîte aux lettres d'interférences fort peu agréables. Certes, je ne reçois presque plus de lettres, écrites sur un papier à lettres magnifique (j'en ai fait collection pendant des années et ai même rêvé avec ma coloc de l'université d'ouvrir une papeterie, c'est dire...). Tout au plus ai-je parfois la surprise d'une carte d'anniversaire (et encore, elles aussi me parviennent généralement par voie électronique), de Noël ou, si je suis vraiment chanceuse, d'une carte postale que je pourrai punaiser sur mon babillard pendant quelques semaines.
Néanmoins, le facteur est encore mon héros - et je le salue toujours quand je le croise sur la rue, même si je peine à trouver une logique quelconque à son horaire depuis quelque temps -, car il me livre parfois des colis qui ont franchi des kilomètres avant de me parvenir (j'ai des amis qui croient encore en la magie des paquets lors des anniversaires), mais surtout des livres! C'est toujours un plaisir d'ouvrir ces emballages bruns, même si je sais souvent ce qu'ils contiennent, demande de services de presse pour les collaborateurs de La Recrue du mois oblige. Je sais aussi que, deux jours, une semaine après, un ami viendra fouiner dans ma bibliothèque pour voir quels nouveaux livres se seront ajoutés à l'étagère dédiée aux services de presse et que, quelques instants, il laissera courir ses doigts sur les couvertures, lira l'exergue ou un passage au hasard, souvent à haute voix, me confirmera que, même si nous vivons en cette ère du numérique, l'objet continue d'interpeller, de vouloir être humé, caressé, manipulé.
Quand j'ai su que, d'ici quelques années, les facteurs allaient disparaître, j'en ai ressenti une profonde tristesse. N'aurais-je pas dû leur dire avant combien je les aimais, combien j'étais jalouse au fond de leurs privilèges d'« hommes (et de femmes) de lettres »?
Photo: Olivier Pontbriand, La Presse |
J'ai bien sûr depuis réalisé que mes parents ne devaient pas être aussi transportés de joie lors de son passage, puisqu'il leur remettait sans nul doute des factures. (Passablement, plus prosaïque comme relation!) Aujourd'hui d'ailleurs, je préfère de beaucoup recevoir ces dernières par courriel. Il faut quand même les payer, mais au moins, cela libère la boîte aux lettres d'interférences fort peu agréables. Certes, je ne reçois presque plus de lettres, écrites sur un papier à lettres magnifique (j'en ai fait collection pendant des années et ai même rêvé avec ma coloc de l'université d'ouvrir une papeterie, c'est dire...). Tout au plus ai-je parfois la surprise d'une carte d'anniversaire (et encore, elles aussi me parviennent généralement par voie électronique), de Noël ou, si je suis vraiment chanceuse, d'une carte postale que je pourrai punaiser sur mon babillard pendant quelques semaines.
Néanmoins, le facteur est encore mon héros - et je le salue toujours quand je le croise sur la rue, même si je peine à trouver une logique quelconque à son horaire depuis quelque temps -, car il me livre parfois des colis qui ont franchi des kilomètres avant de me parvenir (j'ai des amis qui croient encore en la magie des paquets lors des anniversaires), mais surtout des livres! C'est toujours un plaisir d'ouvrir ces emballages bruns, même si je sais souvent ce qu'ils contiennent, demande de services de presse pour les collaborateurs de La Recrue du mois oblige. Je sais aussi que, deux jours, une semaine après, un ami viendra fouiner dans ma bibliothèque pour voir quels nouveaux livres se seront ajoutés à l'étagère dédiée aux services de presse et que, quelques instants, il laissera courir ses doigts sur les couvertures, lira l'exergue ou un passage au hasard, souvent à haute voix, me confirmera que, même si nous vivons en cette ère du numérique, l'objet continue d'interpeller, de vouloir être humé, caressé, manipulé.
Quand j'ai su que, d'ici quelques années, les facteurs allaient disparaître, j'en ai ressenti une profonde tristesse. N'aurais-je pas dû leur dire avant combien je les aimais, combien j'étais jalouse au fond de leurs privilèges d'« hommes (et de femmes) de lettres »?
samedi 8 mars 2014
Hôtel de rive
Le langage de la marionnette à fils a évolué de façon étonnante au cours des dernières années et on ne peut qu'être soufflé par la maîtrise du médium dont fait preuve Frank Soehnle dans Hôtel de rive, présenté dans le cadre des Trois jours des Casteliers. Il a puisé cette fois son inspiration dans des textes surréalistes et des souvenirs de jeunesse d'Alberto Giacometti, qu'il met en images grâce à une dizaine de petites marionnettes filiformes. Celles-ci, à certains moments, semblent dialoguer avec le comédien français Patrick Michaëlis et à d'autres prolongent une certaine distorsion du temps et des espaces. On peut aussi bien suivre les interactions sur scène que sur écran, grâce à un adroit système de caméras qui ne devient jamais invasif, mais magnifie les expressions du visage particulièrement mobile du narrateur, tout en insufflant une dimension onirique au spectacle.
L'articulation de ces êtres tout en longueur se fait dans la poésie la plus pure, prolongement réussi de l'effet si particulier que continuent d'exercer sur nous les sculptures de Giacometti. L'accompagnement musical, assuré par deux musiciens suisses, qui jouent du trombone et du cor des Alpes (qui aurait cru que cet instrument si encombrant puisse se révéler aussi agile et polyvalent?), en apparence décalé, fonctionne à merveille, offrant peut-être au spectateur une voix narrative plus facilement accessible, les textes surréalistes de Giacometti restant par moments difficiles à apprivoiser.
Vous pouvez encore vous glisser en salle ce soir 21 h, au Théâtre Outremont
Hôtel de Rive Giacometti/Temps horizontal par Gibouleesdelamarionnette
L'articulation de ces êtres tout en longueur se fait dans la poésie la plus pure, prolongement réussi de l'effet si particulier que continuent d'exercer sur nous les sculptures de Giacometti. L'accompagnement musical, assuré par deux musiciens suisses, qui jouent du trombone et du cor des Alpes (qui aurait cru que cet instrument si encombrant puisse se révéler aussi agile et polyvalent?), en apparence décalé, fonctionne à merveille, offrant peut-être au spectateur une voix narrative plus facilement accessible, les textes surréalistes de Giacometti restant par moments difficiles à apprivoiser.
Vous pouvez encore vous glisser en salle ce soir 21 h, au Théâtre Outremont
Hôtel de Rive Giacometti/Temps horizontal par Gibouleesdelamarionnette
vendredi 7 mars 2014
Pavement d'Abraham.In.Motion: le sol sous nos pas
Je pourrais vous proposer un regard neutre, qui évoquerait les remarquables en-dehors des danseurs de la compagnie du jeune prodige Kyle Abraham, l'improbable mais réussi mariage entre ballet classique, danse moderne et danse de rue, la pertinence sociologique du message, l'utilisation intelligente et ponctuelle de la vidéo (qui défile sur le panneau de basketball, symbole universel des quartiers noirs américains), mais le propos est ailleurs.
En proposant une transposition chorégraphique de l'évolution de la situation de l'homme noir américain depuis 20 ans, Kyle Abraham parle une langue actuelle, férocement unique, qui renvoie au visage des spectateurs - presque tous caucasiens, il faut bien l'admettre - des images d'une criante vérité, qui témoignent du fossé qui existe toujours entre quotidien black et blanc. Il y est question d'accolades fraternelles mais aussi de bagarres, de pauvreté (la séquence pendant laquelle un des danseurs ne module qu'une seule phrase, « Help me! », ne peut que bouleverser), d'injustice (cette voix de policier qui explique au prévenu qu'il aime lire la peur dans ses yeux...), de dichotomie de langage. En faisant évoluer ses danseurs sur des airs d'opéra de Vivaldi, de Johann Christian Bach, de Britten (la scène de mise au ban de Peter Grimes, choix brillant), sur du blues, du gansta rap, du jazz ou sur des bandes bruitistes (dans lesquelles explosent ici et là fusils et sirènes), il remet la nature même d'un langage commun en question.
Aucun doute ici: le portrait brossé reste particulièrement sombre. La violence semble inévitable, les incompréhensions aussi. Malgré tout, on sent une volonté de s'extraire du carcan de ces clichés qui emprisonnent oppresseur aussi bien qu'oppressé. « Deux conceptions de l’histoire s’opposent, rappelle d'ailleurs Alan Mabanckou dans Le sanglot de l'homme noir. Celle du colon, qui justifie, et celle du colonisé, qui condamne. C’est connu : le chasseur et le gibier n’auront jamais la même vision d’une partie de chasse. » Même si les danseurs se retrouvent constamment ramenés face contre le sol, les mains croisées dans le dos (serons-nous enfin tous égaux au moment de notre mort?), la danse devient métaphore du souffle de vie, de la vie elle-même, en apparence d'une affligeante banalité, mais qui permet l'émancipation du geste artistique.
Kyle Abraham/Abraham.In.Motion: PAVEMENT PROMOTIONAL VIDEO Created by Dancing Camera from Kyle Abraham/Abraham.in.motion on Vimeo.
Vous pouvez encore vous glisser en salle ce soir et demain. Détails ici...
En proposant une transposition chorégraphique de l'évolution de la situation de l'homme noir américain depuis 20 ans, Kyle Abraham parle une langue actuelle, férocement unique, qui renvoie au visage des spectateurs - presque tous caucasiens, il faut bien l'admettre - des images d'une criante vérité, qui témoignent du fossé qui existe toujours entre quotidien black et blanc. Il y est question d'accolades fraternelles mais aussi de bagarres, de pauvreté (la séquence pendant laquelle un des danseurs ne module qu'une seule phrase, « Help me! », ne peut que bouleverser), d'injustice (cette voix de policier qui explique au prévenu qu'il aime lire la peur dans ses yeux...), de dichotomie de langage. En faisant évoluer ses danseurs sur des airs d'opéra de Vivaldi, de Johann Christian Bach, de Britten (la scène de mise au ban de Peter Grimes, choix brillant), sur du blues, du gansta rap, du jazz ou sur des bandes bruitistes (dans lesquelles explosent ici et là fusils et sirènes), il remet la nature même d'un langage commun en question.
Aucun doute ici: le portrait brossé reste particulièrement sombre. La violence semble inévitable, les incompréhensions aussi. Malgré tout, on sent une volonté de s'extraire du carcan de ces clichés qui emprisonnent oppresseur aussi bien qu'oppressé. « Deux conceptions de l’histoire s’opposent, rappelle d'ailleurs Alan Mabanckou dans Le sanglot de l'homme noir. Celle du colon, qui justifie, et celle du colonisé, qui condamne. C’est connu : le chasseur et le gibier n’auront jamais la même vision d’une partie de chasse. » Même si les danseurs se retrouvent constamment ramenés face contre le sol, les mains croisées dans le dos (serons-nous enfin tous égaux au moment de notre mort?), la danse devient métaphore du souffle de vie, de la vie elle-même, en apparence d'une affligeante banalité, mais qui permet l'émancipation du geste artistique.
Kyle Abraham/Abraham.In.Motion: PAVEMENT PROMOTIONAL VIDEO Created by Dancing Camera from Kyle Abraham/Abraham.in.motion on Vimeo.
Vous pouvez encore vous glisser en salle ce soir et demain. Détails ici...
jeudi 6 mars 2014
EMMAC Terre marine: magique
«Toute sève chante. La vie est musique. Le reste, c'est de très petites choses.»
Wagner aurait probablement été jaloux s'il avait pu se glisser dans le Théâtre rouge du Conservatoire lors de la première d'Emmac, terre marine, hier soir. Lui qui toute sa vie aura cherché la Gesamtkunstwerk, l'oeuvre d'art totale, aurait sans doute été troublé par cet audacieux, mais surtout adroit mélange entre danse, marionnettes, musique et poésie. Si la superposition des médias aurait pu devenir synonyme de confusion, il n'a suffi que de quelques instants pour comprendre que la créatrice multidisciplinaire Emmanuelle Calvé, qui a d'abord fréquenté le monde des arts visuels avant de se diriger vers la danse et qui crée ici toutes ses marionnettes, avait réussi avec brio à intégrer les spécificités de ces langages multiples.
Elle propose ici une relecture qui peut être comprise à plusieurs niveaux du conte inuit La femme squelette (découvert dans Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés), histoire d'une résilience, la jeune femme ayant commis un acte (jamais nommé) désavoué par son père qui, du haut de la falaise, l'avait précipitée dans la mer. (Ce conte peut aussi se comprendre comme une déclinaison autre de l'histoire de Sedna, déesse de la mer). Prisonnière des eaux, victime des monstres marins qui avaient dévoré sa chair, elle est un jour attrapée par un pêcheur qui ne comprend pas tout de suite la nature de ce monstre marin. On peut aussi comprendre la succession de tableaux comme l'émancipation d'un passé qui continue de nous faire mal ou la prise de conscience de l'unicité de chacun. «Tu viens offrir à la vie ce qui lui manquait tant: toi-même. »
Le texte à la forte charge poétique de Richard Desjardins (installé côté cour) tisse un adroit filet de mots à ce spectacle onirique, porté par le souffle puissant de la musique de Jorane et les éclairages adroits de Karine Gauthier qui, en quelques secondes, nous font passer des couleurs froides aux chaudes, suggèrent le miroitement de la lune sur l'eau ou le mouvement ondoyant des flots. Le spectateur ne peut que se laisser porter par la gestuelle de la chorégraphe, d'une grande subtilité, et ses marionnettes inusitées, tantôt peaux dans lesquelles on se glisse, tantôt prolongement du corps (quel envoûtement que cette scène pendant laquelle deux gigantesques mains semblent bercer la jeune fille).
En quelques minutes, la pulsation cardiaque s'abaisse, de façon presque insidieuse, comme peut le réussir dans un autre registre la musique de Scelsi. Si l'on est conscient au début de la disparité entre la nôtre et celle proposée, on abdique rapidement, porté par la voix de Desjardins, la musique de Jorane, le mouvement lui-même. On finit par atteindre un état proche de l'hypnose, qui nous pousse à puiser en nous des lignes narratives parallèles, sur la mort, la nature, l'identité, l'humanité. Cet état presque second nous mène naturellement à cesser de vouloir comprendre chaque image, à simplement ressentir l'instant.
« N'oublie pas qu'un trésor n'est réel que si quelqu'un le cherche », avance à un moment Desjardins. Emmac terre marine nous rappelle qu'il s'agit parfois d'ouvrir les yeux - et le cœur - pour le trouver.
mercredi 5 mars 2014
Éloge du théâtre
« Ce que nous devons aimer et soutenir, c'est un théâtre complet, qui délie dans le jeu, dans la clarté fragile de la scène, une proposition sur le sens de l'existence, individuelle et collective, dans le monde contemporain. Le théâtre doit nous orienter, par les moyens de l'adhésion imaginaire qu'il suscite et de son incomparable force quand il s'agit d'éclaircir les nœuds obscurs, les pièges secrets où nous ne cessons de nous fourvoyer et de perdre du temps, de perdre le temps lui-même.
Mais il faut à la fin revenir à cette sorte de miracle: il y a quelques corps, quelque part, sur un plancher, avec de faibles lumières. Ils parlent. Et alors, comme pour Mallarmé du seul mot "fleur" poétiquement prononcé, surgit, éternelle, "l'absente de tout bouquet", vient à ceux qui regardent une pensée neuve sur tout ce qu'ils ne pouvaient faire, alors qu'ils en avaient secrètement le désir. »
Alain Badiou avec Nicolas Truong, Éloge du théâtre (extrait du chapitre « La place du spectateur »)
lundi 3 mars 2014
Mieux comprendre le Voyage d'hiver
Quatre jours pour s'approprier autrement le Winterreise de Schubert: voilà ce que proposait la Fondation Arte Musica du 27 février au 2 mars. On a ainsi pu entendre le cycle dans son habillage original jeudi soir, pour ténor et pianoforte (un instrument qui se voulait une réplique de celui de Schubert). Le ténor Jan va Elsacker s'est révélé un guide impeccable, en offrant une lecture sentie, intime, la parole chantée rejoignant de façon immédiate les spectateurs. Le lendemain, Pentaèdre et le ténor Rufus Müller (qui a remplacé de brillante façon au pied levé un Daniel Lichti, incapable de mater une grippe tenace) a repris son très bel - et particulièrement efficace - arrangement du Voyage d'hiver pour voix, quintette à vent et accordéon. L'ordre modifié adopté par Normand Forget permet une autre compréhension du cycle, en fait composé de deux demi-segments, le poète Wilhelm Müller ayant revisité son propos.
Deux conférences de Georges Leroux, qui a signé il y a quelques années Wanderer, un magnifique essai sur le cycle, étaient proposées pour approfondir le sujet samedi et dimanche, ainsi qu'une version filmée (mettant en vedette Christophe Prégardien et Menahem Pressler), avant que le NEM ne donne la relecture d'Hans Zender hier après-midi.
Je n'ai malheureusement pas pu y assister, ne disposant pas (encore) du don d’ubiquité. Je me suis plutôt glissée dans une Chapelle historique du Bon-Pasteur bondée (une ligne s'est formée trois heures avant le début de ce récital exceptionnel gratuit) pour entendre Marc-André Hamelin qui a démontré, une fois encore, qu'il était sans contredit l'un des plus saisissants pianistes - et des plus intéressants artistes - sur la scène internationale aujourd'hui. Jamais le Fazioli de la Chapelle n'aura sonné aussi bien...
Deux conférences de Georges Leroux, qui a signé il y a quelques années Wanderer, un magnifique essai sur le cycle, étaient proposées pour approfondir le sujet samedi et dimanche, ainsi qu'une version filmée (mettant en vedette Christophe Prégardien et Menahem Pressler), avant que le NEM ne donne la relecture d'Hans Zender hier après-midi.
Je n'ai malheureusement pas pu y assister, ne disposant pas (encore) du don d’ubiquité. Je me suis plutôt glissée dans une Chapelle historique du Bon-Pasteur bondée (une ligne s'est formée trois heures avant le début de ce récital exceptionnel gratuit) pour entendre Marc-André Hamelin qui a démontré, une fois encore, qu'il était sans contredit l'un des plus saisissants pianistes - et des plus intéressants artistes - sur la scène internationale aujourd'hui. Jamais le Fazioli de la Chapelle n'aura sonné aussi bien...