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lundi 29 décembre 2014

Recommencements

« Les mots accomplissent un travail de révélation semblable au travail de guérison. Quand nous les laissons librement devant nous, ils voient au-delà de ce que perçoit notre regard et nous dévoilent ainsi à nous-mêmes. Et si on leur donne toute la place, ils diront ce qu'ils savent, et ce que l'on ignore encore. Les mots œuvrent comme des miroirs et nous invitent à la rencontre de notre visage. Ils tâtonnent dans les endroits les moins éclairés de l'être pour trouver ces échappées de lumière qui résistent, déposent leur pollen sur ces petits riens tapis dans l'angle mort de notre vie et qui en rappellent le miracle. Et souvent, au cœur de l'aventure à laquelle les mots nous convient, survient un apaisement, une délivrance même, quelque chose de très proche de ce qu'on appelle guérison»

Je ne connaissais Hélène Dorion que de réputation (sa liste de récompenses est imposante), mais ne l'avais encore jamais lue. Pour mon anniversaire, Topinambulle m'a offert son dernier opus, Recommencements, Prix des écrivains francophones d'Amérique, que j'ai dévoré en une seule soirée, avec une bonne provision de papillons adhésifs, comme en témoigne la photo. (Joli, le terme français choisi par l'Office québécois de la langue française, non?)

Dans ce récit éminemment poétique, l'auteure évoque le deuil - celui de sa mère, celui d'une relation passée -, mais propose aussi des réflexions des plus intéressantes sur le processus d'écriture et notre périple terrestre. La vie n'est-elle pas au fond qu'une longue série de recommencements, de choix qui parfois affectent le cours entier, de doutes sur lesquels il demeure souvent inutile de appesantir, de cercles concentriques, le passage de l'un à l'autre pouvant se révéler parfois difficile?

Hélène Dorion nous prend presque subrepticement par la main, le cœur, nous convie à la suivre dans les méandres de la création de ce livre, nous forçant ici et là à revenir sur nos pas, à relire un passage, à le laisser décanter, à le faire sien, à le faire autre. On referme le livre comme on souffle sur un mandala de sable, conscient de l'évanescence du moment et de la beauté que l'on vient de contempler.

Merci Topi!

samedi 27 décembre 2014

Colis 22

Ils sont coursiers à vélo et gravitent autour de la base, sont surnommés Pluton, Mercure, Neptune... Il leur arrive des histoires rocambolesques: accident hypothéquant le vélo, conversations plus ou moins ésotériques avec le réparateur, mais surtout leur univers frappe de plein fouet celui d'une étrange secte, dont le maître a les pensées fort troublées, il faut l'admettre.

Colis 22 se joue sur deux plans et c'est peut-être pour cela que ce nouvel album de Marsi séduit autant. D'une part, il y a la ville de Québec qui se dévoile, ses rues, son Château, ses boutiques, ses viaducs, un peu comme le fait dans un autre registre Jacques Poulin. De l'autre, il y a le mystère qui entoure la livraison du mystérieux Colis 22, dont le contenu et le destinataire restent certes des plus intrigants.

Le dessin est méticuleux et démontre l'attention presque maniaque prêtée aux détails. Les amateurs d'Hitchcock apprécieront sans nul doute les quelques clins d’œil, ceux qui préfèrent les tableaux de société ne seront pas en reste. Si le suspense joue un rôle essentiel, on se rend compte qu'au fond, ce qui séduit le plus dans cette bande dessinée est plutôt sa galerie de personnages en apparence atypiques, assurément sympathiques.
Une agréable façon de voler quelques instants à la frénésie des fêtes...

mardi 23 décembre 2014

Us Conductors

Sean Michaels a eu le privilège de remporter le prestigieux Giller Prize pour son premier roman, Us Conductors, une biographie plus que romancée de Lev Termen, ingénieur, physicien et inventeur du thérémine, un instrument des plus intrigants, les mains contrôlant note et volume entre deux antennes. On en apprendra certes sur cet homme étonnant, mais là n'est pas le but premier de ce livre étonnant, « plein de distortions, d'élisions, d'omissions et de mensonges », admet lui-même l'auteur.
L'histoire s'articule fort habilement en deux temps. La première, racontée par Termen alors qu'il retourne en Russie contre son gré, revient sur sa jeunesse, mais surtout ses onze années passées à New York, alors qu'il tente de convaincre le public américain d'adopter le thérémine et tombe amoureux de Clara (Rockmore), une violoniste qui deviendra la plus grande virtuose que l'instrument ait connu. On y côtoie des jazzmen, des compositeurs classiques (certaines soirées chez Termen font rêver!) et une galerie de personnages vaguement louches sorties tout droit d'un film noir. La seconde nous propulse huit ans plus tard, alors que Termen purge sa peine au goulag et en prison.
Le lecteur devra s'accrocher pendant quelques dizaines de pages, subir quelques descriptions techniques qui échapperont à la plupart d'entre nous, mais à un moment, assez subtilement, comme si l'auteur se jouait un peu de nos attentes, le tout bascule et on se laisse happer par cette histoire d'amour impossible, mais surtout par cette peinture fort réussie d'atmosphères et d'époques.
J'ai eu le plaisir de m'entretenir avec l'auteur. Vous pouvez écouter le tout ici...


vendredi 19 décembre 2014

Attape-moi!: ode à l'amitié

Photo: Benoit Lemay
Flip FabriQue avait séduit le public lors de l'édition 2013 du Festival Complètement Cirque et on comprend aisément comment une telle proposition s'inscrivait alors parfaitement dans la programmation du festival. Après tout, l'histoire se déroule en été, alors que six amis se retrouvent dans un chalet qu'ils ont fréquenté jadis, après s'être perdus de vue pendant une dizaine d'année.

La complicité entre les membres du groupe - qui jouent leurs propres rôles, comme le font souvent leurs comparses des Sept doigts de la main - est perceptible. On sent combien l'assemblage du spectacle a dû se faire dans la joie et l'expérimentation la plus ludique, les forces de chacun permettant à un tout cohérent de se dessiner. Chacun peut selon les segments se retrouver base, musicien, collègue jongleur, élément comique ou soliste.

Photo: Benoit Lemay
Le spectateur vivra des émotions multiples, de l'incrédulité par rapport à certaines séquences de diabolo à deux  (pourtant pas l'appareil le plus spectaculaire habituellement) à un ébahissement mâtiné de vertige devant le spectaculaire numéro final de trampomur, en passant par l'émerveillement le plus pur, avec le numéro de sangles à la forte charge poétique d'Hugo Ouellet Côté sur le hit mélancolique de Patrick Watson, l'album de photos que les amis feuillettent devenant ici nouvel accessoire. (La puissance de ce moment affadit malheureusement le numéro de cerceau aérien de Jade Dussault, très réussi pourtant, qui se lit comme un écho un peu plus tard dans le spectacle.) On rira ferme aussi, que ce soit lors du concours de popsicles ou des glissades et pyramides réalisées avec les six énormes ballons rouges d'exercice sur l'endiablé Copacabana.

L'esthétique du spectacle se veut entre BD déjantée et hip-hop assumé et la musique (presque entièrement anglophone) reflète ce choix. On annonce un spectacle pour la famille, mais je me suis demandée à quelques reprises si les plus jeunes sauraient saisir certaines des références culturelles (ou même musicales). Sans que l'on aborde des sujets difficiles (contrairement à Méandre par exemple, présenté en début de saison), on peut quand même avancer que le spectacle plaira sans doute plus aux préadolescents et adolescents - et à leurs parents qui revivront certains étés de leur jeunesse - qu'aux très jeunes.

Une chose est certaine: à aucun moment, on n'aura envie de bouder son plaisir. Attrape-moi! pourrait se révéler le parfait antidote à la grisaille ou aux multiples partys de famille,

À la TOHU jusqu'au 3 janvier.

jeudi 18 décembre 2014

Ensemble Kô: Le siècle des siècles

Il y a des albums qu'il faut écouter sans préjugés, les yeux fermés peut-être, mais les oreilles grand ouvertes, qui nous proposent un parcours musical cohérent plutôt qu'un simple assemblage de matériel. Le premier album de l'Ensemble Kô, sous la direction de Tiphaine Legrand, que j'ai enfin pris le temps d'écouter il y a une dizaine de jours est de ceux-là.

Si la juxtaposition entre des chansons polyphoniques et d'anthems de la Renaissance peut sembler naturelle, on ne les associerait pas spontanément à une oeuvre originale de François-Hugues Leclair ou à une transcription (particulièrement réussie) de la Fantasia on a Theme by Thomas Tallis de Ralph Vaughan-Williams. Et pourtant quand on écoute l'album comme un tout - comme on le ferait d'un concert -, le parcours semble d'un grand naturel.

L'oreille s'aiguise d'abord à travers six pièces qui durent autour d'une minute, autant de regards croisés posés sur une époque, avant que l'on ne plonge plus profondément dans les subtilités du langage polyphonique grâce à l'Ave verum corpus de Byrd. On peut alors prendre le temps d'apprécier la maîtrise et la clarté avec laquelle l'ensemble transmet les subtilités de la partition. Le couplage entre la pièce de Tallis et la fantaisie qui la suit coule ensuite de source, comme celui entre les pièces de Josquin des Prez et François-Hugues Leclair. On aurait peut-être préféré que là aussi l'ordre chronologique soit respectée, mais Mille regretz peut aussi se lire comme un clin d’œil à Toutes les nuitctz de Janequin qui ouvre l'album, ce qui nous laisse avec l'impression de refermer un livre dans lequel on aurait pris plaisir à se perdre.

L'Ensemble Kô sera en concert ce soir au marché de Noël de l'Espace Notre-Dame.

On peut découvrir l'album ici...

lundi 15 décembre 2014

Vestiges recrue de décembre

Décembre… le temps des cadeaux. Vous aurez assurément l’embarras du choix côté premiers livres québécois, la dernière année s’étant révélée particulièrement faste. Primoromanciers et nouvellistes continuent de tirer leur épingle du jeu avec ardeur, tant ici qu’à l’étranger. Quelle agréable surprise de trouver plusieurs de nos recrues sur les tablettes de la Librairie du Québec à Paris lors d’un périple effectué là-bas au début du mois! Moi qui craignais que les « classiques » (qui possèdent néanmoins d’indéniables qualités) n’étouffent les nouvelles voix. Il n’en était rien, au contraire! J’ai ainsi pu découvrir avec plaisir que non pas un, mais bien quatre exemplaires de Vestiges, recueil de nouvelles de Véronique Bossé, notre recrue ce mois-ci, faisaient partie de l’inventaire de ce sympathique lieu.
« J’ai toujours eu en moi le besoin d’écrire, mais nous sommes encore en processus de négociation, l’écriture et moi,nous apprend l’auteure dans ses réponses à notre questionnaireJe dirais que je ne sais pas encore si je veux écrire ou si j’en suis capable. Il me reste encore beaucoup à apprendre et à comprendre pour assumer pleinement ce désir qui s’accompagne de longues périodes de dégoût. Mais quand la magie est là, trois minutes par année, j’ai la conviction profonde que je dois suivre cette voie. »
La magie des mots a assurément opéré sur notre collaboratrice Marie-Jeanne Leduc qui n’hésite pas à classer Ma vie rouge Kubrick de Simon Roy au sommet de son palmarès. « Il s’agit certainement du roman le plus prenant que j’ai lu cette année », affirme-t-elle. Dans un autre registre, Les filles bleues de l’été de Mikella Nicol, publié par la nouvelle maison d’édition Le cheval d’août saura aussi séduire les plus exigeants. Si vous affectionnez les univers féminins, vous serez sans doute également tentés par Coupée au montage de Laurette Laurin ou Lise hier de Caroline Chartrand qui raconte la vie tout sauf banale d’une femme qui se réveille périodiquement dans une chambre qu’elle ne reconnaît pas. Les adolescents craqueront pour Élise et Beethoven de Karen Olsen, une enquête des plus personnelles. Au milieu de l’opulence des fêtes de fin d’année, certains voudront peut-être prendre quelques instants pour réfléchir aux injustices trop présentes dans notre société avec Les brasseurs de la ville de l’auteur haïtien Evains Wêche.
Le premier roman se porte bien également du côté du Canada anglais semble-t-il. Us Conductors de Sean Michaels, une fausse biographie de l’inventeur du thérémine, a reçu en novembre le prestigieux Giller Prize, doté d’une bourse de 100 000 $. J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec le lauréat qui nous parle aussi bien du processus de création que des émotions ressenties à l’annonce du prix. Bonne nouvelle : une traduction est déjà prévue et sera signée par une de nos anciennes recrues, Catherine Leroux.
Toute l’équipe se joint à moi pour vous offrir nos meilleurs vœux pour un temps des fêtes placé sous le signe des réjouissances et des retrouvailles… avec vos proches comme avec les livres!

samedi 13 décembre 2014

Papillons

Il y a des livres qu'on oublie presque aussitôt la lecture terminée, d'autres dont les personnages ou une émotion sous-jacente continuent de nous habiter, des semaines après. J'ai lu Papillons d'Annie Loiselle il y a près de deux mois et me suis sentie jusqu'ici incapable de le ranger dans ma bibliothèque à côté des deux autres romans de cette auteure que j'aime décidément beaucoup. Oui, bien sûr, il y avait ces citations à recopier dans un fichier, mais ce n'était pas uniquement cela. J'avais l'impression peut-être en laissant traîner ce très bel objet de pouvoir accompagner encore quelques instants les quatre femmes au cœur de ce roman d'émancipation.

Augustine et ses trois filles: Térésa, Alyssa et Anne. Quatre femmes aux caractères trempés, en apparence diamétralement opposés, pourtant unies par une même quête: la redéfinition de l'identité. Tâche ingrate, effectuée parfois de façon maladroite. Quand on apprend à voler, on se cogne souvent aux murs qui nous entourent, blessent des gens autour de nous.

L'histoire pourrait se résumer en quelques lignes, mais la force du roman réside dans le ton adopté par l'auteure qui nous la raconte par bribes, passant de l'une à l'autre de ces femmes qui se sont perdues un jour. Au début, comme elles, on se rebiffe un peu, l'alternance entre les récits pouvant par moments sembler relever de la formule. Au fur et à mesure pourtant, l'écriture s'allège, se libère, nous emmène ailleurs, parfois même à l'intérieur de nous-mêmes.
« Ce serait facile de lui attribuer tous les torts. Il y a Alyssa, aussi, dans cette histoire, Alyssa qui ne sait plus si elle veut se donner la peine d’aimer Jacob, qui pense que, quand l’amour devient une peine, c’est sans doute signe qu’il n’y a plus rien à réparer… » 
Annie Loiselle possède assurément une plume que l'on pourrait qualifier de féminine. Pourtant, ici comme dans ses romans précédents, jamais elle ne sombre dans le mièvre, le convenu, la facilité. Avec subtilité, elle dit les choses, sans poser de jugement. Elle raconte la vie qui bat.., aussi fragile que des ailes de papillons.

jeudi 11 décembre 2014

Retour au bercail

Je reviens complètement séduite par Bruxelles, une ville à taille humaine, dans laquelle se mêlent harmonieusement le vieux et le nouveau, les deux langues parlées. Des rencontres inoubliables, avec des gens d’une rare gentillesse, avec les œuvres d’artistes belges (il n’y a pas que Magritte dans le plat pays… même si le musée consacré à ses œuvres est fort intéressant), avec une gastronomie multiple, raffinée. Une ville où il fait bon marcher (passablement moins se promener en voiture ai-je cru comprendre), prendre le temps de bouquiner (je n’ai rapporté que des auteurs belges, exception faite de deux essais offerts en cadeau), entrer dans les galeries d’art au hasard, qu’elles soient minuscules ou de taille conséquente, élaborer des projets de collaboration.

Grand-Place (photo: Lucie Renaud)
À l'entrée du restaurant Confucius (photo: Lucie Renaud)
Coup de cœur pour l'expo Night Time d'Hans Op de Beeck 
J’ai ensuite retrouvé Paris et les amis, dans l’effervescence presque brutale du temps des fêtes (un sacré défi que d’avancer un samedi après-midi rue de Rivoli!), dans le bruit de la grande ville, dans une certaine grogne aussi, perceptible dans les métros, les boutiques, la rue. La colère gronde, mais éclatera-t-elle entièrement? Pour la première fois, je ne me suis pas arrêtée au Centre Pompidou, mais lui ai préféré le Musée d’art moderne, que je ne connaissais pas: un très beau doublé Sonia Delauney/David Altmejd (l’expo sera l'année prochaine au MAC et vaut certainement le détour). J’ai aussi vu deux spectacles: La petite fille aux allumettes d’Andersen au Studio-Théâtre de la Comédie-Française et surtout la comédie musicale tirée du film mythique An American in Paris au Châtelet… absolument sensationnel! J’ai découvert de nouveaux quartiers, des lieux dont j’ignorais l’existence, bu des chocolats et des thés un peu partout dans la ville, fait un crochet jusqu’à Billancourt pour un stage de danse. 

Parc Monceau (photo: Lucie Renaud)

(Photo: Lucie Renaud)

Le cavalier bleu (Photo: Lucie Renaud)

Vue de la terrasse du Châtelet (Photo: Lucie Renaud)
J’aime assurément les vieux pays, mais reste convaincue que je préfère nettement l’hiver blanc et froid québécois à celui gris et humide de l’Europe.

mardi 9 décembre 2014

La petite fille aux allumettes: magie noire

Par leur nature même, les contes restent intemporels, qu’ils nous soient parvenus par voie orale ou écrite. Ils se prêtent donc fort bien aux relectures, certaines plus pertinentes que d’autres. La petite fille aux allumettes, spectacle présenté ces jours-ci au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, le conte d'Andersen est ainsi transposée en 2014.
L’héroïne devient SDF suite au décès de sa mère dans un accident d’auto et à la perte de contact avec la réalité – certes abominable – du père qui transforme sa douleur en violence, tant verbale que physique. Veille en arrière-plan – ou s’immisce selon les moments – la grand-mère, narratrice du conte et mort tentatrice à la fois.
Olivier Meyrou vient du monde du documentaire; on lui doit notamment Bye Bye Apartheid et Acrobate, autour de Fabrice Champion, soutien visuel partiel au spectacle mis en scène par Stéphane Ricordel, présenté à Montréal Complètement Cirque en 2014. Il choisit ici de traiter le propos comme il aurait braqué sa caméra, parfois de façon un peu trop appuyée.
Pour lire le reste de ma critique de ce spectacle vu à Paris, passez chez Jeu...