Pages

vendredi 21 août 2015

80 000 âmes vers Albany: un quintette d'acteurs renversant

L’ambiance était festive hier lors de la soirée d’ouverture de l’édition 2015 de Dramaturgies en dialogue, qui servait également de coup d’envoi aux célébrations entourant le 50e anniversaire du Centre des auteurs dramatiques. Ce n’est certes pas tous les soirs que cinq géants se retrouvent sur une même scène! Avant que Jacques Godin, Andrée Lachapelle, Albert Millaire, Monique Miller et Béatrice Picard prennent place derrière leurs lutrins, une ovation monstre avait été réservée à ces pionniers de ce que l’on appelait jadis le « théâtre canadien-français ».

Contrairement à plusieurs nouveaux diplômés du programme d’écriture de  l’École nationale de théâtre, Benjamin Pradet Jeune n’a pas joué la carte de l’autofiction dans cette première pièce, 80 000 âmes vers Albany. Elle s’articule en effet autour de cinq octogénaires. On s’attarde d’abord à leur quotidien, alors qu’ils échangent quelques banalités, procèdent à leur toilette, mangent des rôties, se moquent volontiers des propriétaires de la résidence, les Walker, arborant même les couronnes des maîtres des lieux, bien sûr un château (de Terrebonne). Les conversations en apparence sans importance permettent néanmoins d’aborder la question de la mémoire (celle que l’on perd comme celle, souvent plus éloignée, qui nous reste). « Tu te souviens de b’en trop d’affaires que tu t’inventes », avance Pierre Pierre (Albert Millaire, convaincant), un acteur sur le déclin qui montera pour la première fois sur les planches lors du spectacle de Noël de la résidence. Et puis, à l’arrivée de Colette d’Orange, fille de Mme Walker, le ton bascule et devient volontiers plus onirique. Nos cinq larrons feront en effet une fugue, à dos de chevaux blancs (!) afin d’assister à un mariage à Albany. « Un dernier voyage avant de rentrer », mais aussi un dernier voyage avant de partir pour un au-delà aux contours indéterminés. « J’fais tout ça pour pas pleurer », souligne Pierre Pierre.

Il y a de très beaux instants dans cette pièce de Pradet et certains débordent d’une indéniable poésie - « la forêt, c’est ma grosse boîte de nuit » par exemple. On s’attache aux personnages et une série de monologues bien intégrés feront la joie de leurs interprètes le moment venu : une touchante lettre d’amour d’Henri (transmise avec une retenue presque douloureuse par Jacques Godin) à sa chère Désirée (Monique Miller, le boute-en-train du quintette), la superposition de certains éléments du Petit chaperon rouge aux souvenirs de Gertrude (Béatrice Picard, d’une vivacité extraordinaire) ou le duo/duel entre Colette d’Orange et sa fille (Andrée Lachapelle, stupéfiante, épousant les deux rôles). On retrouve également de réelles longueurs dans cette mouture totalisant presque deux heures. Si hilarantes soient-elles (tous s’en donnaient à cœur joie), la scène du petit déjeuner de groupe et la partie de cartes s’éternisent inutilement (une seule des deux pourrait être maintenue au final) et certaines tirades auraient avantage à être élaguées. On voudra peut-être aussi ajouter une densité supplémentaire au personnage d’Henri qui ne prend forme qu’à la fin de la pièce.


Un auteur à surveiller!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire