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samedi 27 février 2010

Chambre à part

Non, il ne s'agit pas d'une nouvelle traduction de l'essai pamphlétaire de Virginia Woolf mais plutôt d'un fort attrayant recueil d'impressions de la psychanalyste Catherine Ternynck qui signe ici un livre entre récit et recueil de courtes nouvelles. 
« Aujourd'hui, bien des années plus tard, il ne me déplaît pas de penser que certaines douleurs s'endorment mieux à n'être pas dites. Elles pourraient s'exacerber dans les mots. Mieux vaut s'en éloigner tant qu'elles font rage. » (p. 59) 
 En fait, en présentant ses « souvenirs » sous différents thèmes, elle nous propose quelques instants volés, inspirés certes de son vécu, mais transformés, transcendés en un objet littéraire duquel toute aridité est exclue. Plutôt que de nous décortiquer l'un ou l'autre des cas cliniques, elle nous offre plutôt des bribes de vécu, des parcelles d'émotions et les rend dans un style très attrayant. On devient témoin de cet échange privilégié qu'elle entretient avec ses patients, de son écoute, de la tendresse qu'elle ressent face à certaines douleurs. On devient son chat, l'arbre qui, dans le jardin, sert de témoin ou l'inspire selon les instants. Elle nous offre notamment de très beaux passages sur la parole et nous réconcilie avec le simple geste d'écoute. 
« On peut aimer les mots pour ce qu'ils disent mais aussi pour ce qu'ils taisent et invitent à chercher ailleurs, plus loin. Le sens est toujours au-delà du seuil. » (p.61)

jeudi 25 février 2010

Associations

J'ai rencontré Carine hier qui m'a posé une question intéressante, à savoir comment je faisais certaines de mes découvertes musicales. Cela faisait déjà plusieurs fois que je me disais que certains seraient peut-être surpris des associations qui se faisaient dans mon esprit à ce niveau, alors, je vous invite à passer derrière le rideau (qui n'a rien de magique, vous le découvrirez).

D'abord, non, je n'écoute pas uniquement du classique. Par contre, de façon générale, je n'écoute que du classique (mais cela inclut souvent des œuvres contemporaines) le matin. Pour moi, chaque heure du jour a sa couleur et sa sonorité. Ainsi, j'ai pu constater la semaine dernière que de passer la matinée imprégnée de jazz (j'ai d'abord écouté le crooner Kurt Elling puis la pianiste Hiromi) n'aide pas du tout à ma productivité. Vers 11 h quelque, j'étais dans un état de spleen très 19e siècle, qui a été heureusement rapidement chassé par l'arrivée d'une élève. Le soir, je n'écoute que très rarement du classique, sauf si, bien sûr, je suis au concert. Mon oreille est ailleurs, vers la pop (j'ai ainsi cédé au charme du nouvel opus de Sade récemment), vers le jazz, vers l'électro aussi, le lounge. Entre les deux, je fais des détours par le hiphop et/ou le spoken word (ces jours-ci, un album d'Ursula Rucker, que j'adore).

Vous me direz, ce sont des généralités tout ça. Oui, c'est vrai. Alors, j'ai pensé retracer ce que j'ai écouté avant-hier matin. Un ami m'avait envoyé un lien vers le Concerto pour violoncelle de Morton Feldman. En écoutant l'œuvre, j'ai fait une association vers la Chaconne en mineur de Bach. Comme je l'ai écoutée interprétée par Hilary Hahn (sur YouTube), j'ai alors eu envie d'écouter The Lark Ascending de Vaughan Williams qu'elle joue très bien. J'ai ensuite fait une recherche sur MusicMe sur le compositeur néerlandais Theo Verbey, entendu lors du programme du Philharmonique de Rotterdam. Un seul choix proposé: une orchestration (plutôt réussie, il faut dire) de la Sonate opus 1 d'Alban Berg, œuvre que je connais bien pour l'avoir jouée à mon récital de fin maîtrise. Sur le même enregistrement: la « Titan » de Mahler, que je n'aurais jamais pensé écouter en me réveillant ce matin-là, dans une interprétation particulièrement limpide du Concertgebouw d'Amsterdam. Tout un périple, non? Et midi n'avait pas encore sonné.

Alors, qu'ai-je écouté, deux fois plutôt qu'une, cet après-midi? The Blue Notebooks de Max Richter, commandé il y a deux semaines (impossible à trouver en magasin semble-t-il) sur Internet. Les plaisirs de la découverte...

mardi 23 février 2010

Philharmonique de Rotterdam

Ce n'est pas tous les soirs qu'on peut entendre un autre orchestre que l'OSM ou l'OM dans la salle Wilfrid-Pelletier et j'étais donc plus qu'intéressée de découvrir comment la sonorité de l'Orchestre philharmonique de Rotterdam pourrait transporter autrement, même dans une salle à l'acoustique « imparfaite ».

Aucune note n'avait encore été jouée que la fébrilité était à son comble. Quand Yannick Nézet-Séguin s'est avancé en compagnie de la soliste de la soirée, Viktoria Mullova, la salle était déjà debout, heureuse de rendre un hommage senti à son « enfant chéri ». Si on respecte Kent Nagano et que les mélomanes lui donne du « maestro » à tour de bras, le directeur musical du Philharmonique de Rotterdam et de l'Orchestre métropolitain restera, peut-être bien toujours, « Yannick » ou même « le p'tit Yannick » si je me fie aux propos entendus dans les foyers à l'entracte, tant les habitués du Métropolitain semblent donner l'impression de connaître Yannick personnellement et suivent avec un intérêt sincère sa carrière. (Pour les intéressés, il vient de diriger le Philharmonique de Vienne dans le Requiem de Mozart.) Je pense que, au bout du compte, ce genre de complicité entre chef et public est peut-être l'élément qui mène le plus rapidement à la démystification et à l'appropriation de la musique classique.

Après une première partie peu mémorable - Mullova nous a servi un Brahms froid, désincarné, clinique et même pas parfait, dénué de tout vibrato -, la fête pouvait réellement commencer. Nous avons d'abord entendu une page pour orchestre de chambre du compositeur néerlandais Theo Verbey qui, à défaut d'être réellement originale - j'ai failli pouffer quand j'ai entendu ma voisine d'en arrière confier à son amie que c'était « vraiment très contemporain » - mettait en valeur les premières chaises. De présenter en début de deuxième partie une œuvre aux textures relativement dépouillées m'a paru assez astucieux, l'oreille semblant naturellement se tendre vers la virtuosité remarquable du Concerto pour orchestre de Bartok.

Toutes les sections de l'orchestre ont pu tour à tour briller, grâce aux astucieux jeux de couplages de Bartok qui, plutôt que de privilégier des effets scolastiques, creuse la personnalité des divers instruments pour en extraire un remarquable condensé. On peut saluer ici la richesse somptueuse de la section des altos (comment oser avancer une blague idiote sur ces instrumentistes après ça!), la précision de la section de percussions, les attaques remarquables des vents, l'humour sardonique des trombones dans la quatrième section, la justesse infaillible du piccolo solo (instrument faux s'il en est un). Autre élément remarquable: les échanges visuels entre les musiciens des différentes sections qui - ciel! - semblaient absolument ravis de jouer ensemble.

En rappel, un « Jardin féerique » (dernier mouvement de la suite de Ma Mère l'Oye de Ravel) tout en subtilité et en demi-teintes. J'ai encore des frissons en évoquant la façon dont l'ultime climax a été suspendu jusqu'à l'extrême limite par le chef pour se fondre ensuite dans un pianissimo à faire fondre le cœur des plus coriaces. Soupirs...

Le concert sera déposé sur Espace classique au Radio-Canada.ca/musique d'ici quelques jours pour écoute sur demande.

dimanche 21 février 2010

Déconstruire le piano

Une version convaincante, qui explore un tout autre registre, de la chanson Don't Stop The Music, malgré la façon peut-être un peu extrême de déconstruire l'instrument lui-même. Natures sensibles, s'abstenir...

vendredi 19 février 2010

La chute du mur


Après avoir lu Ce qui s'endigue, premier roman d'Annie Cloutier, j'avais été à la fois séduite par une langue riche, forte, touffue, et vaguement irritée par le côté plaqué de certaines juxtapositions, l'utilisation un peu envahissante du néerlandais et quelques incohérences temporelles. J'avais retiré néanmoins de ma lecture un plaisir suffisamment grand pour ne pas hésiter à lire un deuxième opus de l'auteure, La chute du mur.

Là aussi, on a affaire à des histoires parallèles, mais présentées sous un angle différent puisque les deux points de vue (Allemagne 1989 et États-Unis 2001) sont véhiculés par Liv et Sabine, sa fille de dix ans. On ne ressent pourtant pas du tout la même impression de suspension presque poétique qui avait accompagné la lecture de Ce qui s'endigue. L'auteure a su se renouveler et le propos est beaucoup plus incarné, ancré dans un quotidien.

On y suit avec intérêt l'affranchissement de Liv qui quitte une banlieue cossue de Québec pour vivre une expérience d'immersion en sol allemand, dans une famille musicienne et végétarienne. À la fois troublée par le souvenir d'un amour ébauché avant de quitter le Québec et un mal du pays envahissant, l'adolescente réussit pourtant à s'affranchir et à poser un regard autre sur le monde qui l'entoure. Que la période évoquée soit celle de la chute du mur de Berlin m'a semblé intéressant mais parfois vaguement anecdotique. Après tout, Liv ne vivra l'expérience que par téléviseur interposé. Par contre, l'évocation du quotidien allemand de la jeune fille - alimenté en partie par les souvenirs de l'auteure - m'a plu, malgré certaines maladresses.

Était-il nécessaire de souhaiter juxtaposer à cet événement important de l'histoire du 20e siècle la chute des tours jumelles du World Trade Center? J'en suis beaucoup moins certaine. L'étude de la relation mère-fille reste intéressante mais aurait pu aussi bien se décliner en 2005 ou 2010. Plutôt que d'effleurer le sujet à travers des images convenues, maintes fois véhiculées depuis l'attentat, j'aurais nettement préféré plonger dans le cœur même de cette relation un peu trouble et vaguement symbiotique, absence de figure paternelle oblige.

Comme dans son premier roman, l'auteure choisit de laisser une langue étrangère (l'anglais et parfois l'allemand) envahir son propos et, cette fois encore, le geste ne m'a pas convaincue. Le roman reste néanmoins l'un de ces livres que l'on dévore, happé à la fois par la juxtaposition de la petite et de la grande histoires et le sentiment doux-amer qui nous envahit quand on laisse remonter à la surface nos souvenirs d'adolescence.

mardi 16 février 2010

Hallelujah

Parfois, on ne s'y attend pas et on se trouve renversé par une interprétation. Lors de la cérémonie d'ouverture des Olympiques, deux grands moments d'émotion pour moi: la découverte du poème We are more de Shane Koyczan et l'Hallelujah de Cohen chanté par K.D. Lang...

Comme quoi, même les blasés peuvent encore craquer quand l'occasion se présente.

lundi 15 février 2010

Les Révolutions de Marina

En harmonie tonale, on appelle dominante secondaire un emprunt étranger à la tonalité principale sans que cela ne justifie une modulation. Pour simplifier le concept, je demande à mes élèves d’imaginer qu’ils feuillettent une brochure touristique tout en restant confortablement calés dans leur sofa. On s’extasie sur quelques belles photos, on lit des vignettes avec plaisir, on dépose le tout et la vie continue. Les Révolutions de Marina a suscité exactement ce type de réaction chez moi. J’ai été happée par l’exotisme de certains passages, ai souri à de nombreuses reprises en avalant quelques bribes de cette histoire plus grande que nature, me suis laissé attendrir par la chaleur contagieuse des grands-parents de la narratrice. J’ai avalé le tout comme on dévore une boisson qui nous rappelle notre enfance, d’abord presque goulument puis avec une certaine réticence, l’abondance de sucre finissant par nous forcer à ralentir la cadence.

Je me questionne encore afin de comprendre pourquoi certaines sections se retrouvaient en italique et aurais sauté la leçon d’histoire proposée en post-scriptum. Si on souhaitait vraiment être « pédagogique », on aurait pu diluer l’information ici et là avec plus de succès. J’ai cherché une structure narrative, fût-elle tronquée, sans jamais réussir à la saisir. Je me suis passé la remarque que j’aurais éprouvé un plus grand plaisir si j’avais lu un seul chapitre par jour, pendant quelques semaines, par exemple sur un blogue. Je n’aurais alors pas tiqué sur l’évidente non-linéarité du propos. En terminant la lecture de ces fragments de récit, me mourrais-je de réserver un billet pour l’Amérique du sud? Pas vraiment. Il n’est resté qu’un peu de soleil, quelques phrases bien ficelées et un ou deux airs envoûtants.

Pour lire les autres commentaires de lecture des collaborateurs de La Recrue...

vendredi 12 février 2010

Les années-tennis


Dans Les Années-tennis, Normand Corbeil propose au lecteur une narration entre récit, roman et recueil de novellas. Les saisons s'y succèdent, au tennis comme dans la vie. L'arrogance de la jeunesse, les troubles de l'amour naissant, les rêves professionnels feront bientôt place à des amours plutôt tièdes, des amitiés qui ravagent et une recherche assumée d'un certain confort matériel.

Présenté en quatre sections (comme les membres d'un double mixte?) s'articulant les unes aux autres, le récit s'attarde chaque fois à l'un des membres d'un club de tennis, le nimbant d'une lumière toute particulière. Si on cédera facilement au charme débonnaire de Bob dont la vie basculera presque subrepticement quand Barbara décide de s'effacer de sa vie (il y aurait vraisemblablement eu matière à développer cette histoire en un roman complet) et se révélera intrigué par l'amitié que Pascal entretient avec l'intrigant Édouard (bravo pour la chute!), on se calera peut-être moins facilement dans la vie monotone d'Arnold, incapable d'assumer sa solitude et son ennui.

Je reste partagée face à cette lecture, comme après un match inégal, tantôt enlevé et tantôt monotone. Certains moments particulièrement inspirés, notamment quelques manipulations de la trame narrative, l'amour évident porté à la philosophie (matière qu'enseigne l'auteur depuis de nombreuses années) et au sport lui-même (plusieurs très belles envolées) nous donnent l'impression d'assister à un échange relevé. D'autres pages laissent une impression de légère frustration. On se lasse rapidement des réflexions de babyboomers sur le temps qui passe, la nécessité d'accumuler toiles recherchées, autos luxueuses et maisons coquettes pour valider le vide troublant qui habite plusieurs personnages. (J'assume entièrement mon appartenance à la Génération X.)

Alors que certaines tournures de phrase astucieuses font mouche, d'autres, pétries de darlings (ces figures de style et jeux de mots qui démontrent une certaine virtuosité mais demeurent vides de sens) et de lieux communs, laissent perplexe. De plus, l'idée d'intégrer des personnages qui se répondent d'une novella à l'autre aurait pu aussi être mieux exploitée si le ton employé dans les quatre sections avait été plus unifié. Néanmoins, on se souviendra de ces récits comme d'une rare ode au tennis, qui ne pourra que réjouir les amateurs de la petite balle. Un cadeau de fête des pères, peut-être?

mercredi 10 février 2010

Jacques Hétu n'est plus

Je feuilletais tranquillement la section Arts et spectacles de mon quotidien et m'apprêtais à la refermer quand mon œil a malheureusement été accroché par une petite photo du compositeur canadien Jacques Hétu, qui s'est éteint hier. On lui avait rendu un très touchant hommage au dernier gala des prix Opus, il y a 10 jours à peine. Des interprètes, des chefs, des compositeurs s'étaient penchés sur son œuvre dans un vidéo ponctué par des extraits de son magnifique Tombeau de Nelligan. Le compositeur, très affaibli par le cancer, avait remercié d'une voix émue, à peine audible, entouré de ses enfants et petits-enfants.

Très aimé des interprètes qui trouvaient qu'il écrivait remarquablement bien pour eux et n'hésitaient pas à lui passer des commandes, le compositeur aimait privilégier un style lyrique, poétique, où priment avant toute chose l'émotion et une cohérence du discours. Je vous propose ici le troisième mouvement de son Concerto pour alto, créé en 2007 par Nicolo Eugelmi et l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières, sous la direction de Jacques Lacombe.

lundi 8 février 2010

Ursula Rucker

Elle est l'invitée d'honneur du 9e Festival Voix d'Amérique, un festival inspiré et inspirant, qui se tient à Montréal jusqu'au 14 février et qui met en lumière des artistes qui pratiquent poésie, spoken word et genres hybrides (dont le slam). Engagée, engageante, féministe, féminine, mère de quatre enfants, activiste, Ursula Rucker bouscule les codes établis et parle du rôle de la femme d'aujourd'hui avec une urgence troublante. Pouvons-nous vraiment affirmer que nous sommes devenues l'égale des hommes?

Si, comme moi, vous vous glissez à l'une ou l'autre des événements « shifts de nuit » du Festival, vous l'y croiserez peut-être... On l'entend ici dans l'un de ses textes les plus célèbres.

vendredi 5 février 2010

Une musique inquiétante


Il est très (trop?) rare qu'une pièce de théâtre ait pour sujet la musique, surtout classique, alors je n'ai pas résisté très longtemps à la tentation de découvrir Une musique inquiétante, à l'affiche au Théâtre du Rideau Vert ces jours-ci. Finaliste en 1996 du Prix Pulitzer et lauréate du L.A. Drama Logue Award, cette pièce de l’auteur américain Jon Marans a été reprise dans une douzaine de pays depuis sa création.

Stephen Hoffmann, prodige qui ne joue plus depuis un an, débarque à Vienne en 1986 pour étudier avec le grand Schiller, mais il se retrouve plutôt dans la classe du déclinant Mashkan, professeur de chant sentimental et ambigu. Ce dernier lui donne à travailler les Dichterliebe (L'amour du poète) de Schumann, ce qui révolte d’abord le jeune pianiste, qui ne comprend pas comment un travail vocal pourra ranimer la flamme éteinte en lui. Ces deux hommes que tout semble opposer (âge, race, culture, façon d’aborder la vie) finiront pourtant par aller à la rencontre l’un de l’autre, non pas seulement à travers leur dialogue mais aussi à travers la musique de Schumann.

Pour transmettre ce texte entre huis clos, duel et récit initiatique, il était essentiel de trouver deux comédiens plus grands que nature. Émile Proulx-Cloutier est convaincant dans la peau du jeune pianiste, en révolte contre son passé (aussi bien celui de musicien que celui de sa famille, juive) et qui espère qu'on lui proposera une recette miracle pour sortir de son marasme. Il faut le voir d'abord contempler le piano avec une violence presque féroce pour comprendre que la route sera forcément parsemée d'embuches. Lors de la première partie de la prima, il s'est peut-être un peu laisser écraser par le jeu totalement habité de Jean Marchand, qui se glisse dans le rôle de Mashkan aussi facilement qu'on endosse un costard de concert, habitué depuis plusieurs années à louvoyer entre scènes théâtrale et musicale. Dans la deuxième partie du spectacle, on a pu assister à un véritable dialogue et non plus à un jumelage plus traditionnel soliste/accompagnateur.

Il m'est très difficile de porter un regard objectif sur le texte lui-même de la pièce, le propos m'ayant touchée profondément à plus d'un égard, que ce soit à travers certaines réflexions sur le geste musical, sur les évocations détaillées de l'un ou l'autre des lieder du cycle de Schumann (qui reste l'une de mes œuvres préférées, toutes catégories confondues) ou sur les questionnements face à l'oubli apparent de l'Autriche de son passé nazi. D'un point de vue musical, j'aurais aimé que la voix du jeune chanteur apprenti projette un peu plus et nous transmette un peu mieux la densité musicale, mais je réalise qu'il est utopique de pouvoir exiger d'un comédien qu'il chante autrement que de façon plus « scolaire » ces pages et que, si l'on souhaite être en accord avec la prémisse même du texte, il ne pourrait atteindre un tel niveau en quelques leçons. (Il est déjà remarquable qu'il ait pu chanter de telles pages et jouer en plus, de façon plus qu'honnête, certains extraits du répertoire pianistique.)

Une chose reste certaine: j'ai été si transportée par les pages du Dichterliebe à mon retour et pendant la nuit qui a suivi que j'ai dû écouter Fischer-Diskau le lendemain matin dans l'œuvre et me réapproprier certains des lieder au piano. Ce n'est certes pas tous les jours qu'une pièce nous mène aussi loin au cœur même de soi...

La pièce est présentée en français en février et sera reprise en mars, par les mêmes acteurs, en version originale (Old Wicked Songs) au Segal Centre.

mercredi 3 février 2010

DC&S: Comme les deux doigts de la main


Alexandre da Costa et Wonny Song ont suivi des sentiers parallèles depuis leurs tout débuts. Nés la même année, en 1979, ils se sont donc retrouvés plusieurs fois en compétition directe, Alexandre maniant jusqu’à relativement récemment aussi bien doubles cordes que doubles octaves. Le violoniste affirme d’ailleurs en riant aujourd’hui qu’entendre Wonny l’a convaincu qu’il ne ferait jamais carrière comme pianiste. Leurs parcours atypiques ont fini par les propulser en même temps à l’Université de Montréal, adolescents vaguement égarés au milieu d’une masse de jeunes loups de trois ans leurs aînés. « Nous étions inséparables et nous aimions bien rigoler ensemble », se rappelle Wonny. Des choix complémentaires les ont tenus éloignés pendant quelques années. Alexandre a travaillé en Espagne, à la Escuela Superior de Música Reina Sofia de Madrid, auprès de l’encensé Zakhar Bron, professeur qui a aussi formé Maxim Vengerov et Vadim Repin. Wonny quant à lui s’est perfectionné à l’Université de Toronto avec Anton Kuerti et à la Glenn Gould Professional School avec Marc Durand, avant de compléter en 2004 son doctorat à l’Université du Minnesota avec Lydia Artymiw, disciple de Gary Graffman. La carrière du violoniste s’est donc d’abord essentiellement déroulée au Portugal, en Espagne et en Italie alors que 80 % des invitations du pianiste proviennent des États-Unis.

« Les gens pensent que nous avons encore 18 ou 19 ans, affirme d’entrée de jeu Alexandre da Costa. Pourtant, nous avons des contacts partout dans le monde et donnons ensemble 40 à 50 concerts par année, dont 30 à l’étranger et 15 dans des salles importantes. » J'ai rencontré les deux musiciens il y a quelques semaines et ils m'ont notamment parlé des défis liés à mondialisation. À lire en couverture du numéro courant de La Scena Musicale, disponible en PDF ici ou sur mon site pro, pour ceux qui ont la clé.

mardi 2 février 2010

Incendies

J'avais reçu l'œuvre théâtrale comme un véritable coup de poing / coup de cœur quand je l'avais vue au TNM en 2006. Plus de trois ans après, j'ai encore des flashs qui me reviennent, de la scénographie, de prouesses narratives et je reste tétanisée par la performance d'Éric Bernier dans le rôle de Nihad. (Je n'ai jamais pu écouter The Logical Song de Supertramp depuis de la même manière.) Quand une nouvelle édition du texte parue dans la magnifique (et abordable) collection Actes Sud-Papiers a croisé ma route, je n'ai donc pas résisté bien longtemps.

Si la lecture d'une pièce de théâtre se fait plus à haute voix (même dans sa tête) que du simple regard qui glisse sur les pages, elle est tout de même fortement différente de l'impression que l'objet théâtral peut dégager quand présenté sur scène. Pourtant... En quelques lignes, j'étais replongée dans cette histoire de jumeaux qui doivent retracer le passé de leur mère, avant d'enfin pouvoir graver son nom sur sa pierre tombale. Après tout, « l'enfance est un couteau planté dans la gorge » et il n'est pas toujours difficile de l'extraire. Le texte reste dense, magnifiquement dosé, essentiel. J'ai très hâte de voir ce que le cinéaste Denis Villeneuve en aura tiré.

lundi 1 février 2010

Lectures scolaires

Pour une fois qu'on parlait de littérature ailleurs qu'au dos d'un cahier quelconque, il fallait que je vous en glisse un mot... Un dossier fort intéressant a été consacré ce week-end aux lectures scolaires au secondaire et au Cégep dans La Presse. Doit-on s'entêter à faire lire de la « grande » littérature ou séduire les jeunes avec Harry Potter et Twilight? Une question aux multiples réponses, comme les choix de lectures que font les professeurs, selon les écoles fréquentées.

Des souvenirs de lectures imposées du secondaire? Un peu de tout... J'ai aussi bien lu Agatha Christie et Maurice Leblanc (L'île aux trente cercueils, que plusieurs de mes élèves lisent encore semble-t-il) que Barjavel (La nuit des temps, lu également l'année dernière par une ado de mon cercle), Alain-Fournier (Le Grand Meaulnes) ou Molière (L'avare). Côté littérature québécoise, je me souviens d'avoir détesté Agaguk de Thériault, apprécié Le fou de l'île de Leclerc et avoir été renversée par les extraits étudiés de L'homme rapaillé de Miron.

Je pose souvent la question à mes élèves: « Qu'est-ce que tu lis ces temps-ci? » La réponse est souvent très révélatrice. Oui, une quantité importante de jeunes filles ont lu les Twilight et une grande majorité de mes élèves a lu tous les Harry Potter. Mais encore? J'ai été atterrée d'apprendre qu'on faisait lire Marc Levy (Et si c'était vrai?, peut-être le titre le plus pertinent de l'auteur malgré tout) et L'alchimiste de Paulo Coehlo (les principales intéressées étaient ravies, soit dit en passant, et en parlaient avec enthousiasme), mais rassurée d'entendre aussi parler de La dame aux camélias de Dumas (qui a séduit totalement la jeune lectrice en question), La vie devant soi d'Ajar ou Le Horla de Maupassant (qui ne semble pas faire l'unanimité dans mon pool informel). Mais il faut sans doute se rappeler que, avant tout, « lire n'est pas un acte de consommation culturelle, c'est une conversation », comme l'affirme fort judicieusement Alain Finkielkraut...

Le dossier ici...
L'excellent billet de Rima Elkouri par là...