J'étais plongée dans l'univers de Pierre Boulez le chef d'orchestre depuis quelques semaines en vue de la rédaction d'un article. J'avais complété des recherches préliminaires, écouté plusieurs enregistrements (dont un totalement électrisant Sacre du printemps, enregistré avec l'Orchestre National de France en concert, lors du concert soulignant le 50e anniversaire de création de l'œuvre en 1963, malheureusement retiré des tablettes), parlé à quelques chefs d'orchestre d'ici pour mieux saisir la personnalité de ce géant, souvent décrié par ses pairs.
Je ne manquais pas d'information mais souhaitais connaître le point de vue de Boulez lui-même sur sa direction d'orchestre et me suis donc déplacée en bibliothèque, histoire de récupérer quelques livres d'entretiens. Si j'ai parcouru en diagonale deux de ceux-ci, je me suis laissée entièrement happer par L'écriture du geste, paru en 2002, dans lequel le chef revient sur son long parcours de chef, métier qu'il a embrassé par hasard ou plutôt par nécessité, dépité par la carence de chefs qui acceptaient de diriger des œuvres contemporaines. Près de 60 ans plus tard (Boulez célébrera son 85e anniversaire dans deux jours à Vienne), il continue d'être invité par les grands orchestres américains et européens, à diriger ses œuvres bien sûr mais aussi Mahler (ses interprétations ont fait école), Schoenberg, Debussy ou Stravinski.
On a qualifié à moultes reprises ses interprétations d'« analytiques » et on imagine Boulez le chef comme un dictateur. Pourtant, non... Il propose d'abord aux musiciens une lecture plus ou moins complète (qui leur permet de s'approprier les autres éléments de la texture orchestrale) puis il insiste, inlassablement, sur les articulations, les coups d'archet, les nuances. Quand il débarque à Cleveland pour quelques semaines de travail avec le prestigieux orchestre, les musiciens sont ravis parce que, justement, exceptionnellement, ils travaillent vraiment. (On peut imaginer que des musiciens aussi remarquables puissent devenir blasés face à un chef quelconque qui ne sait pas exactement ce qu'il souhaite transmettre d'une œuvre.)
Boulez est bien sûr implacable quand il explique ce qu'il attend d'eux mais pourtant il affirme vivre dans l'échange: « Il est évident que le phénomène de la direction d’orchestre ne se limite pas à donner des initiatives mais également à en recevoir de la part de l’orchestre. S’il n’y a pas cet échange, la direction tourne à vide », explique-t-il dans L'écriture du geste. Plus loin, il dira aussi: « Il y a bien d’autres circonstances qui m’ont permis d’analyser les mécanismes de la perception et comment on peut en jouer. Les répétitions sont une mine inépuisable de ressources à ce sujet. Assouplir le lien entre musicien et chef, le rendre plus inventif en quelque sorte, cela a été une de mes grandes préoccupations. Une direction qui soumet constamment le groupe, cela peut être nécessaire, mais ce n’est pas infiniment varié. Ce qui m’intéresse davantage, c’est de pouvoir, à mon gré, ordonner ou désordonner, relâcher et rattraper. » J'aime bien cette image de musique en mouvement perpétuel...
On peut le voir diriger le Philharmonique de Vienne (orchestre qu'il dirigera pour son anniversaire) dans L'Oiseau de feu de Stravinski ici...
Vu ce documentaire il y a peu
RépondreSupprimerhttp://documentaires.france5.fr/documentaires/empreintes/pierre-boulez-le-geste-musical
Un homme impressionnant.
Zut, je suis à l'étranger et ne peux pas écouter les vidéos! :s
RépondreSupprimerJe trouve l'homme assez fascinant, je dois dire. Si ça t'intéresse, mon article à paraître est déjà sur mon site pro. Tu as les clés...