Vous vous rappellerez peut-être que la poésie de Nelligan faisait partie des douze œuvres qui me « définissaient », parue il y a quelques jours. Périodiquement, j'y reviens, par ressourcement mais aussi pour me rappeler comment, trop souvent, la voix des artistes véritables est étouffée. Je n'ai donc pas hésité bien longtemps quand on m'a proposé d'assister à la première de l'opéra romantique Nelligan, présenté d'ici au 13 mars au Monument-National, dans une nouvelle production de l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal, en collaboration avec l'École nationale de théâtre du Canada (dont les étudiants ont collaboré à la scénographie, à la mise en scène, aux costumes et aux éclairages). Je n'avais pas assisté à la première de l'œuvre, il y a 20 ans déjà, mais avais pu apprécier la relecture symphonique qu'avait offert l'OSM de ses grands airs en 2005. Cinq ans après, il me restait surtout en souvenir la bouffée d'émotion ressentie face au tragique d'une histoire que je connais pourtant très bien et le plaisir presque coupable de retrouver les dons de mélodistes d'André Gagnon, idole de jeunesse.
La production de l'Atelier lyrique est vaguement inégale, particulièrement au plan vocal. Marc Hervieux en Nelligan vieux semblait englué dans son personnage aussi bien que dans son maquillage et retenait un peu trop souvent sa voix, ce qui rendait difficile l'identification presque viscérale au personnage que j'aurais souhaité. Certains rôles secondaires étaient rendus de façon un peu scolaire. Exceptions notables: Pierre Rancourt en Père Seers, au timbre particulièrement riche, entièrement habité par son personnage et Stephen Hegedus en David Nelligan, toujours juste. Dominique Côté en Nelligan jeune (rôle qu'il avait déjà endossé en 2005) était renversant. Fragile et fort à la fois, troublant et troublé, inspirant et inspiré, il transmettait admirablement les multiples facettes du poète, d'une voix ronde et posée.
D'instrumentation plutôt pop lors de la création à habillage symphonique somptueux il y a cinq ans, on est passé cette fois à une version dépouillée de la trame musicale, pour deux pianos et violoncelle. Bien réalisée par Anthony Rozankovic (sous la supervision d'André Gagnon), elle permettait d'extraire l'essentiel du propos musical tout en confiant certains éléments dramatiques au violoncelle (soulignons la convaincante interprétation de Carla Antoun). Par contre, dans le premier acte, elle faisait aussi parfois ressortir les répétitions de motifs ou de progressions harmoniques, qui auraient été mieux servies par une multiplicité de timbres. Cette sobriété permettait néanmoins au texte de Michel Tremblay de briller, ce qui a magnifié d'une certaine façon l'expérience pour moi, de me l'approprier de façon presque viscérale.
En terminant, une confession: il est très difficile pour moi d'être entièrement objective, malgré les imperfections de l'objet présenté ici. Je reste profondément attachée au personnage de Nelligan. Adolescente, deux posters ornaient le mur de ma chambre: celui de Chopin et le sien. Vous connaissez sans doute cette affirmation que n'importe quels deux êtres sur terre sont liés par un maximum de six degrés de séparation? Dans ce cas-ci, on parle de deux. En effet, très jeune, un de mes oncles a travaillé comme préposé aux bénéficiaires (le titre était alors certainement autre) dans l'aile de l'hôpital psychiatrique où était interné le poète. Il n'en parlait pas souvent, n'étant pas particulièrement littéraire, mais les quelques phrases partagées se sont inscrites au fer rouge en moi.
En complément, vous pouvez lire cet article de Daniel Turp sur la production ou replonger dans les vers mêmes du poète.
Voici qui est intéressant ! Interpréter des poèmes en musique...
RépondreSupprimerOn se fait une idée de ce que l'on lit en fonction de l'intonation, du rythme et de l'état d'esprit dans lequel on le lit... Voir ou plutôt entendre ces différents vers d'une toute autre façon doit être bien particulier !
Merci d'ailleurs pour l'extrait qui donne une idée de comment les poèmes sont interprétés !
En fait, il y a seulement deux poèmes de Nelligan mis en musique (à la fin de chacun des deux actes), le reste du texte est signé Michel Tremblay.
RépondreSupprimerBel hommage! merci.
RépondreSupprimeren effet, j'avais noté ce nom dans votre liste; je ne le connaissais pas du tout, alors j'ai lu son recueil de poèmes (en ligne, merci le Canada!) et j'en ai trouvé pas mal qui "me parlaient"... et qui seraient utilisables en classe!
RépondreSupprimerpuis je suis allée lire sa biographie (merci wikipédia et les autres); parce que cela m'intriguait je voulais savoir dans quelle mesure ses poèmes avaient un rapport avec son vécu)
merci à vous de me l'avoir fait connaître!
Helena: hommage mérité
RépondreSupprimerAdrienne: Je suis ravie de savoir que Nelligan pourrait être étudié en Belgique! En échange, il faudrait partager certains poètes belges! :)
tout à fait d'accord! traversons donc l'Atlantique à vol de plumes ;-)
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