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jeudi 28 février 2013

De Stravinski à Thoresen

Photo: Bo Hjang, National Post
J'aime passionnément Le Sacre du printemps de Stravinski. Je l'ai découvert à 8 ou 9 ans dans la version de Béjart et ne m'en suis jamais entièrement remise. Si j'ai d'abord été probablement choquée par le côté tribal de la chorégraphie, j'ai rapidement voulu plonger dans la partition. Quelques années plus tard, Le Sacre deviendrait le premier disque classique acheté avec mes économies. J'en ai écouté de nombreuses versions sur disque (dont celle, foudroyante, du 50e anniversaire de la création, dirigée à Paris par Boulez), l'ai entendu au concert en version quatre-mains, deux pianos, piano seul, dirigé par quatre directeurs musicaux de l'OSM (la version de Frühbeck-Burgos reste mémorable)... Le Sacre du printemps demeure indubitablement mon œuvre symphonique préférée et la chorégraphie qu'en a tiré Pina Bausch me bouleverse rien qu'à y penser. C'est dire combien j'attendais le concert de l'Esprit Orchestra, qui célèbre cette saison ses 30 ans, dimanche soir.

Complètement exaltée par À court de mots, j'ai repris mes esprits (et mon souffle) pendant Orion de Vivier, une page manifestement maîtrisée par l'ensemble torontois. Même massée derrière la porte, les couleurs orchestrales m'ont tout de suite paru d'une limpidité surprenante, comme si chaque volume était minutieusement sculpté. Esprit Orchestra a ensuite interprété une œuvre de 1993 de son directeur musical, Alex Pauk, Portals of Intent, au propos un peu ésotérique sur papier, mais très intelligible à l'écoute. Là aussi, force état d'admettre l'attention portée aux détails par le compositeur (qui maîtrise certainement son orchestration) et le chef. Les pianissimos ne se dissipaient jamais, les attaques restaient précises sans devenir agressives, les pupitres se répondaient avec une belle cohésion, qui facilitait le lâcher-prise de l'auditeur, qui se laissait simplement porter, envoûté sans le réaliser entièrement par l'univers magique de Carlos Castaneda.

Enfin, la pièce de résistance, présentée dans une version réduite pour orchestre de Jonathan McPhee. Malaise dès les premiers instants, le célèbre solo de basson se révélant presque offensant tellement il était imprécis. Quelques flottements chez les bois ont ensuite fait craindre le pire et puis les choses ont semblé se replacer. Pauk adopte un tempo volontairement modéré, qui occulte une partie de la folie bestiale du ballet, mais qui curieusement en a révélé d'autres rouages. Jamais peut-être n'ai-je pu décortiquer avec autant de facilité les superpositions de rythmes, chaque temps se détachant du précédent. Le tempo presque majestueux par moments rendait le propos plus menaçant qu'échevelé. Si le pouls de l'auditeur s'accélérait à peine, l'impression d'implacabilité du sacrifice finissait par agir, de façon presque insidieuse. Je suis sortie de la salle en me disant qu'apparemment (et heureusement), je n'avais pas encore fait le tour du Sacre.

Le lendemain soir, au Bain Mathieu, le NEM (sous la direction de Lorraine Vaillancourt) proposait une expérience toute autre, avec Lop, Lokk, og linjar du Norvégien Lasse Thoresen. Influencé par la musique spectracle française et la « juste intonation » d'Harry Partch, le compositeur puise une grande partie de son inspiration dans la musique traditionnelle de son pays, tant au niveau de l'analyse de ses microintervalles que de ses structures rythmiques. Pourtant, son travail dépasse largement le domaine de l'ethnomusicologie, la musique folklorique servant ici de moteur créatif plutôt que de matériau de base (malgré l'utilisation de citations), comme le deviennent aussi chants d'oiseaux et sonorités entendues dans la nature, qu'elles soient animales (comme ce ranz des vaches, avec meuglements aux cuivres et cordes graves dans le 3e mouvement) ou végétales (Thoresen réussit admirablement à évoquer les frémissement du vent).

La partition se révèle souvent organique, le bâton de pluie servant par exemple de ponctuation dans le 1er mouvement, et semble évoquer une mémoire collective millénaire. Ainsi, le côté incantatoire du 4e mouvement, magnifiquement servi par le velouté de la voix de la mezzo-soprano Berit Opheim, semblait, de façon assez troublante, inciter l'auditeur à plonger dans des souvenirs d'une autre époque. Construit en arche autour du 3e mouvement, les trilles de la chanteuse y rappelant les roucoulades des oiseaux et les percussions les appels de bec des pic-bois, l’œuvre n'hésite pas à transmettre en musique le côté exubérant de la fête populaire dans les 2e et 5e mouvements, pieds, mains et embouchures des cuivres devenant percussion, une lutte entre contrebasson et trompette ajoutant un élément des plus ludiques au propos. On sort du concert intrigué, avec la conviction d'avoir entendu une page nécessaire, parfaitement articulée, et l'envie de découvrir d'autres œuvres du compositeur, visiblement ravi de l'interprétation donnée par le NEM.

mardi 26 février 2013

Une soirée électrisante

Cela faisait longtemps que je n'avais été témoin d'une telle effervescence avant un événement. Une demi-heure avant le début de la projection du ciné-concert À court de mots, les négociations allaient bon train entre les amateurs à la recherche de billets et ceux dont l'ami avait eu un empêchement. J'ai même été témoin d'une transaction qui a dû être annulée, le dit invité arrivant in extremis, à la grande déception de celle qui croyait pouvoir se glisser en salle. Pas une place de libre, une fébrilité de tapis rouge. Les Oscars? Pour quoi faire? C'était à l'auditorium de la Bibliothèque nationale qu'il fallait être!

La magie a opéré dès les premiers instants de la projection. Nous avons pu découvrir six films aux esthétiques distinctes, portés par six pages interprétées par l'Ensemble Arkea, impeccable en tous points. L'amant revenant, avec sa couleur rétro juste assez caustique, s'est avéré un bel hommage aux films de genre, tant du côté de la réalisation de Serge Gouin que de la musique de François-Xavier Dupas. Nos saisons jouait la carte de la contemplation, pourtant nullement linéaire. La très efficace montée d'émotion a été bien servie par un montage serré de Patrick Peris et une partition qui se collait à cette accélération de la pulsation de Guillaume St-Laurent, qui laissait pourtant toute la latitude nécessaire au spectateur pour ordonner le fil narratif des événements. La bonne humeur était au rendez-vous avec 21, collaboration particulièrement réussie entre Yann Ben Alluch et Maxime Goulet, le rythme et les punchs y jouant assurément un rôle essentiel. Ce rire d'enfant dans la salle, incapable de se retenir, en contrepoint, ajoutait une touche particulièrement savoureuse à cette boucle temporelle.

Les défenses étaient tombées, histoire de recevoir en plein plexus Imparfaite, un court métrage bouleversant d'Émilie Gauthier, qui s'attarde au très difficile sujet de la maternité non entièrement assumée. Peut-on se forcer à aimer un enfant? Seule une femme peut-être pouvait oser aborder de front un tel sujet. La musique de Ghislain Lecroulant m'a semblé plutôt agir ici comme ponctuation, mais peut-être était-ce dû à l'ampleur du questionnement suscité. Porté par une partition radieuse de Samuel Laflamme, Le voyage d'Alexandre B. Lampron devenait contresujet optimiste au film précédent, cette histoire de deux enfants rêvant d'explorer les beautés du système solaire réconciliant le spectateur avec la vie. La soirée s'est terminée sur Ostinato de Jean-François Lavallière, sur une musique de Georges Dimitrov, formidable mise en abime, la musique s’immisçant dans la trame même du fil narratif, film et réalité se superposant à la toute fin quand le personnage principal surgit dans la salle de projection/concert et s'empare du podium de la chef Dina Gilbert, menant la séance de projection vers une fin explosive.

L'heure a semblé passer à la vitesse de la lumière (une contorsion espace/temps peut-être, comme celle vécue par le personnage de 21?). Croisons les doigts que cette production puisse tourner et être vue/entendue/vécue ailleurs à une date ultérieure!


À court de mots (bande annonce) from Maxime Goulet on Vimeo.

dimanche 24 février 2013

Elle nous a quittés

Je connaissais à peine au quotidien Julie Tétreault, ancienne collaboratrice de La Recrue, l'ayant croisée lors d'une ou deux réunions annuelles tout au plus. Pourtant, la nouvelle de son décès, plus tôt ce matin, à 29 ans, alors qu'elle était en attente d'une greffe des poumons, me bouleverse. Je me souviens d'elle comme d'une jeune femme aimant la vie, rire, lire, les enfants, les défis, qui pas une seconde n'a souhaité voir sa vie ralentie par la maladie.

Moi qui ne suis sur FB que de façon anecdotique, je me rappelle pourtant de ses photos de mariage, prises au Zoo de Granby, de l'éclat de son regard, de son sourire... du bonheur à l'état brut. De près (pour son amoureux, sa famille, ses amis) ou de loin, elle aura changé notre vie. Au fond, que nous mourrions à 15 ou à 105 ans, cet héritage reste la seule chose qui nous définisse. Merci d'avoir touché ma vie Julie!

On retrouve son sourire, intact, même couchée dans un lit d'hôpital, dans cet article paru il y a dix jours dans La Presse...Surtout, signez votre carte de don d'organes!

West Side Story et Reich

Consacré cette année aux voix et percussions, le Festival MNM bat son plein depuis jeudi. L'offrande se révèle presque pléthorique et, certains soirs, des choix parfois déchirants doivent être faits. On peut aussi refuser de trancher et voir deux concerts, comme je l'ai fait hier, passant de l'univers de Bernstein à celui de Reich, le temps de me sortir « Tonight » de la tête en franchissant d'un bon pas la distance séparant le Centre Pierre-Péladeau de la salle Redpath.

Le Festival MNM présentait d'abord la version de chambre, pour quatre chanteurs, cinq percussionnistes, un pianiste et projections du mythique West Side Story de Bernstein. Tous gardent en mémoire des images ou des interprétations de cette production légendaire et se posaient sans doute comme moi la question suivante: « Le projet initié par les Percussions Claviers de Lyon ne dénaturera-t-il pas le propos en le transposant de façon aussi épurée? » Le prologue a suffi à dissiper le doute. La transcription de Gérard Lecointe témoigne d'un immense respect du texte, le moteur rythmique de la partition de Bernstein se trouvant peut-être même rehaussé par ce traitement aux percussions, admirablement réalisé par les cinq complices du groupe, qui transmettent le tout avec précision et inspiration.

Les projections réalisées à partir des illustration d'Étienne Giuol, qui évoquent tantôt un New York presque fantomatique - mais avec un trait de crayon d'une rare précision -, tantôt l'émotion du moment, tantôt le mouvement pur (superbe segment d'animation sur « Cool »), ajoutent une dimension cinématographique qui ne nuit en rien à la compréhension du propos musical. On aurait facilement pu ici tomber dans la BD rétro, les « Pow »,« Kaboum » et autres interjections cherchant à combler les trous narratifs entre les différents numéros retenus. Au contraire, les textes enrichissent l'écoute et le souvenir que l'auditeur peut entretenir de la partition. Le fait que les projections se fassent sur deux fonds de fils plutôt que sur un fond (ou devant) de tulle ajoutent à la fluidité et au scintillement des images, tout en permettant aux quatre chanteurs, mis en espace par Jean Lacornerie de façon efficace, d’apparaître à point nommé pour un solo, un duo ou un numéro d'ensemble.

Les voix des quatre solistes convainquent (mais, sans surprise sans doute, l'articulation anglaise manque de clarté), mais ne transmettent pas toutes la même énergie ou la même intention musicale. La soprano Perrine Madoeuf possède un timbre somptueux, très opératique, qui enlève un peu de la fragilité que l'on aurait aimé sentir chez Maria. La mezzo Landy Andriamboavonjy offre quant à elle une Anita très sensuelle, qui bouge parfaitement, habitant la scène dès qu'elle apparaît. Une même dichotomie se retrouve du côté des voix masculines. Si le timbre du ténor Pierre-Antoine Chaumien (Tony) séduit, le baryton Fabrice Alibert captive côté présence scénique. Ces réserves n'ont toutefois en rien entaché le plaisir de la représentation.


Changement d'intention, d'émotion, avec le programme entièrement consacré à Steve Reich proposé par le McGill Percussion Ensemble: trois œuvres, trois approches complémentaires, trois facettes d'un même langage. L'idée d'intercaler le Sextet (écrit en 1984) entre Music for Pieces of Wood et Music for Mallet Instruments, Voices and Organ, deux pages écrites en 1973, fonctionnait bien, permettant un aller-retour temporel aussi bien qu'esthétique, même si le travail sur les timbres et la façon de présenter les motifs se veut différente dans les deux œuvres antérieures. Dans les trois cas, le travail sur la pulsation s'est révélé impeccable, sans jamais tomber pourtant dans le mécanique. Celle-ci restait profondément vivante, comme un cœur qui bat, comme ces jours qui se suivent, mais ne se ressemblent jamais entièrement. Comme la vie.

vendredi 22 février 2013

Créer un buzz depuis 10 ans

Si je vous dis « buzz », quelle image vous viendra d’abord à l’esprit? Sans doute celle de l’effervescence autour de la nouveauté. Dans une société surmédiatisée, une mode chasse l’autre en moins de temps qu’il ne faut pour émettre l’onomatopée. Buzz fait aussi référence au son produit par les lèvres qui vibrent sur une embouchure de cuivres, premier geste que les apprentis musiciens devront maîtriser avant même d’oser extraire une note de leur instrument. Juxtaposez-y le mot « cuivres » et vous obtiendrez nom d’un quintette qui célèbre cette saison son dixième anniversaire de fondation, par un concert pour cuivres, harpe et piano, mettant en lumière aussi bien des relectures d’airs folkloriques que des Variations Goldberg de Bach, des arrangements inédits du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy et de Rhapsody in Blue de Gershwin, ainsi que certains segments de leur populaire Histoire de la musique, dans laquelle le comédien Eloi ArchamBaudoin incarne un personnage souvent hilarant, autour duquel s’articulent certains moments-clés.

Retournons quelques instants une dizaine d’années en arrière. Le trompettiste Sylvain Lapointe vient de terminer son baccalauréat. Il est inscrit à la maîtrise, mais décide de suspendre ses études pour lancer le projet un peu fou d’un quintette de cuivres qui mariera variété et musique sérieuse. Déjà, le numéro de quintette et humour auquel il a pris part lors de Cégeps en spectacle s’est rendu en finale nationale et a été repris sur les scènes extérieures du Festival Juste pour rire. Et si on pouvait consacrer sa vie professionnelle à ce genre hybride? « Dès le début, nous avons voulu maintenir de hauts standards musicaux, tout en restant accessibles », explique le directeur artistique de Buzz Cuivres en entrevue. Ne se sentant pas alors outillé pour rivaliser avec d’autres ensembles de musique de chambre, le quintette décide néanmoins de rejoindre le jeune public avec un spectacle alliant musique et théâtre. La Chasse-galerie, pour quintette et un comédien, sera présenté 21 fois lors de la première saison, 40 la deuxième, 80 la troisième. L’année dernière, les musiciens l’ont donné 159 fois et est maintenant reconnu tant Québec que dans l’Ouest canadien ou aux États-Unis. « C’est exceptionnel au niveau de la diffusion! »

jeudi 21 février 2013

Bleu bémol

« J’attends qu’une musique réconfortante
s’immisce entre les stridences

seuls existent ici les temps ronds et étirés
le désaveu de ta main contre la mienne
le daguerréotype que forment tes lèvres sur mon visage
collées à l’écran défoncé de la brunante »

Écrire l'amour comme on compose un blues, en choisissant une série d'accords, en multipliant renversements et progressions, en déstructurant le rythme, en atteignant autrement une musicalité. Ici, le blues n'est pas spleen, tout au plus nostalgie. Déposés comme autant d'improvisations s'appuyant sur des cadres thématiques définis, les poèmes de Paul Savoie évoquent la femme aimée aujourd'hui, hier, mais aussi autrefois (une grand-mère qui a sans doute instillé chez l'auteur amour des sons comme des mots), n'hésitent pas à mâtiner les harmonies en y intégrant quelques notes étrangères, qui démontrent leur pertinence et leur beauté en se résolvant. Si le recueil prend quelques pages avant de révéler sa pulsation, il finit par nous rejoindre de façon subtile, presque organique. Une délicieuse petite musique, de nuit ou d'après-midi.

« tout sonne faux
comment puis-je vivre d’un tel accord
ces trois notes agencées de sorte
à me faire perdre le souffle

 j’ajoute une note
et la stridence qu’active le petit doigt
me fait chavirer »

mercredi 20 février 2013

Bourse Kaléidoscope

Vous étudiez en musique classique ou êtes un jeune diplômé de niveau collégial et universitaire, âgé entre 18 et 25 ans? Vous voulez rejoindre le grand public de façon ludique et conviviale? La toute nouvelle bourse Kaléidoscope est pour vous! Vous avez jusqu'au 30 avril pour présenter un concept de récital et courir la chance de recevoir une bourse (1750$ en prix) en plus de bénéficier du soutien des Productions musicales Kaléidoscope afin de concrétiser votre projet. Tous les détails ici...

mardi 19 février 2013

Petites pierres blanches

« Les morts ne survivent que dans la mémoire de leurs proches et celle de ceux qui les ont accompagnés jusque sur cette colline. Après, ils passent au grand anonymat et retournent non pas à la terre, où il sont déjà, mais plutôt à la planète elle-même, dont ils n'auront été qu'une brève et insignifiante perturbation. »

Maurice Henrie propose avec Petites pierres blanches un recueil de nouvelles qui se déclinent comme autant d'instants volés. Réflexions sur la vie qui fuit, récits de voyages qui transforment, bribes du quotidien qui horripilent ou font rire, le livre se décline en une quarantaine de vignettes de quelques pages à peine, dans lesquelles l'auteur nous fait passer par une gamme d'émotions passant du fou rire (« GPS », hilarant!) à la tristesse  (« Béluga », une troublante relecture d'une histoire d'inceste). On y croise une veuve réapprenant à vivre (« Délivrance »), un vieil homme qui sait comment prendre la vie du bon côté (« Bernie »), un croque-mort qui n'aurait pas déparé un épisode de Six Feet Under (« Doigt »), un conservateur de musée (« Chef-d’œuvre ») et bien sûr un écrivain (délicieux dialogue entre ce dernier et un homme d'affaires de passage).

Autant de petits contes philosophiques pour adultes, qui se dévorent d'une seule bouchée ou se savourent plus longuement, selon les propositions, les envies.

lundi 18 février 2013

Musique absolue. Une répétition avec Carlos Kleiber

Dans son premier roman Musique absolue, Bruno Le Maire inscrit Carlos Kleiber au cœur d'une fiction. Bouleversé par une interprétation dirigée par Kleiber entendue à la radio, un journaliste français décide d'écrire une biographie du grand chef d'orchestre, qui nous a quittés en 2004. Par un hasard heureux, il pourra s'entretenir avec un vieux musicien,  Nikolaus, vaguement ronchon et excentrique, qui lui parle du chef, mais se révèle surtout lui, à travers le propos. Certes, on retrouve quelques pans de la vie du chef (l'auteur revient notamment brièvement sur la relation que Carlos entretenait avec son père, Erich Kleiber, qui lui aussi a signé nombre d'enregistrements mythiques), mais on plonge surtout dans les souvenirs du violoniste qui, disposant d'un public captif, se vide le cœur sur ses propres relations avec son père, sa vie sentimentale avec son amant ou les aléas des répétitions.

La formule aurait pu être intéressante, si seulement le lecteur avait pu d'une certaine façon s'attacher au personnage ou finir par oublier la narration « parlée », avec multiples admonestations et détournements de propos, plutôt nombriliste. Du début à la fin, on sent la formule, on se crispe par moments, tout en espérant avoir quelque révélation musicale, comme par exemple « Ce jour-là, en écoutant Carlos, je compris que la musique était l’inquiétude et la réponse à cette inquiétude, l’une et l’autre confondues, inextricablement enlacées. » Celles-ci s'avéreront au final fort peut nombreuses, comme si l'auteur n'avait pas osé entrer dans le vif de ce qu'était Kleiber en tant que chef. Pourtant, il suffit d'écouter huit mesures de sa lecture du mouvement lent de la Septième Symphonie de Beethoven avec le Philharmonique de Vienne pour comprendre que son approche à la musique était des plus organiques, presque viscérale, que bien peu savaient aussi bien que lui maitriser le souffle d'un orchestre, mener l'auditeur au bord du gouffre. Peut-être l'auteur n'a-t-il pas su comment transmettre la vague d'émotion en mots...
« “Vous allez me prendre pour cinglé, Nikolaus, mais la musique, je la mange, elle a un goût, un goût amer.”  Oui, un goût autrement plus amer que celui des mots, vous pouvez me croire sur parole. Les mots ont un sens auquel on peut se raccrocher, la musique, non, aucun sens, pas de signification. Vous ne pouvez vous raccrochez à rien. Les mots rampent, ils vous tirent vers le bas.  Alors la musique? Que voulez-vous dire de sensé sur la musique? »


dimanche 17 février 2013

Je te parle tout seul

« Ça doit être ça, atteindre le fond. La douleur se vit dans l’épiphanie, quand une bêtise nous semble belle à l’extrême. » Je te parle tout seul est d’abord et avant tout le récit d’un deuil. Le narrateur qui, comme son auteur, n’a pas encore 20 ans, pleure son amant, d’une dizaine d’années son aîné, mort dans un accident d’auto dont il a été témoin impuissant. Le gouffre semble impossible à combler, alors que les autres attendent de lui un geste, un sourire, histoire de les rassurer sur leurs propres limites, sans doute. Peut-on réellement prendre conscience de l’ampleur d’un amour, même celui de notre meilleur ami? Peut-on oser mettre des mots sur l’effroyable, quand celui que l’on souhaite soutenir a accepté les bases d’une relation dominant-dominé, espérant peut-être en tirer une rédemption symbolique, après avoir été victime d’inceste?

Le premier roman de Jean-Samuel Nadeau se révèle touffu, sans doute même par moments un peu trop. L’exploration du deuil, de l’amour abusif ou de l’inceste aurait certes suffi à alimenter la centaine de pages. Pourtant, on s’attache à ce personnage qui ne sait pas s’il pourra continuer à vivre. Aimer trop, aimer mal, accepter l’omerta, la violence, avoir du mal à se définir, à avancer, sont autant de gestes que nous avons sans doute posés à un moment ou l’autre.

Une plume alerte, qui refuse la facilité, ainsi que des dons indéniables de dialoguiste nous poussent à tourner, d’un seul souffle ou presque, les pages de cette novella qui évoquent à mi-voix certains des malaises qui définissent notre époque. Voilà certes un parcours à surveiller. (Le jeune auteur rimouskois, qui étudie maintenant en littérature à Montréal, vient d’ailleurs de se lancer dans l’écriture et la réalisation de Gai comme fif, une websérie décalée qui souhaite déboulonner certains des clichés associés aux homosexuels.)

samedi 16 février 2013

Collectif 9: du classique dans ta face

Ils sont neuf, ils affichent une dégaine d'enfer, portent la veste sur le jean juste assez usé. L'une arbore un haut à paillettes, un autre un borsalino qui fait sourire d'emblée. À bas le pingouin! Ils jouent du classique lourd, comme d'autres du rock, dans des lieux improbables, où ne frayent pas habituellement les amateurs de classique, dans l'espoir justement de briser les frontières entre les genres et de rejoindre un nouveau public. Ainsi, mardi, Collectif 9 s'est produit devant un Rialto presque bondé. Ceux qui aiment écouter Mozart dans leur Jaguar frémiront: les musiciens sont amplifiés et les jeux de lumière font partie du concept. Décoiffant!

J'admets avoir eu moi-même besoin de quelques pièces pour m'habituer au fait que, malgré que l'on ait affaire à un orchestre de chambre (deux quatuors et une contrebasse), le nombre de décibels se maintiendrait toujours au-dessus d'un certain seuil. Si « Montaigus et Capulets » tiré du Roméo et Juliette de Prokofiev fonctionne très bien avec le son « dans le tapis », d'autres propositions m'ont un peu moins convaincue. Chaque attaque, chaque bondissement de l'archet s'en trouvent magnifiés, parfois à la limite de la distorsion (mais des ajustements ont été heureusement apportés en cours de concert). Paradoxalement, dans les pièces intimes (je pense ici à une superbe interprétation de la Trauermusik de Hindemith mettant en vedette l'altiste Scott Chancey), cette amplification m'a paru moins gênante.

Les musiciens attaquent Vivaldi comme du Led Zep. (Bravo à Yubin Kim, presque kamikaze, qui n'a pas hésité à décaper Les Quatre Saisons!) Les lumières (splendides notamment dans le Schnittke) enveloppent, balaient, éclatent. On passe de Bach à Piazzolla ou Golijov, de Brahms à Chostakovitch ou Bartók. Rien de figé: violonistes et altistes changent de pupitre, chaque membre se voyant offrir une occasion de briller. Contre toute attente, aucune concession n'est faite côté répertoire. Il n'est pas ici question de diluer la grande musique en la simplifiant, mais bien de la porter ailleurs. Quand la soprano Samantha Louis-Jean se joint un groupe, gainée dans une petite robe noire à faire tomber dans les pommes tous ces messieurs, charismatique comme pas possible, et chante In furore iutissimae irae de Vivaldi, on se dit que quelqu'un a trouvé un passage direct entre les 17e et 21e siècles et oublié de nous en avertir. (On aurait bien repris un air ou deux, d'ailleurs!)

Dans un monde où bien peu osent s'aventurer dans la zone minée entre surspécialistes et crossover, Collectif 9 propose une expérience nouvelle, rafraîchissante, qui ne tombe jamais dans la facilité. C'est devenu trop rare.

Je vous laisse sur un arrangement (signé par Thibault Bertin-Maghit, le contrebassiste) du dernier mouvement de la Sonate « à la lune » de Beethoven. Rendu de cette façon, on ne peut même pas en vouloir à Collectif 9 d'avoir piqué aux pianistes une page de leur répertoire. (Leur prochain concert est prévu le 16 mars à 20 h à l'Église Notre-Dame-de-Grâce.)




Collectif 9 - LIVEshort 5 / Fév. 2013 / Beethoven - Moonlight Sonata from collectif9 on Vimeo.

vendredi 15 février 2013

Testament recrue de février

La couverture médiatique d’un roman peut-elle teinter la perception que nous en aurons comme lecteur? Testament de Vickie Gendreau, notre Recrue ce mois-ci, nous oblige à nous poser la question.  Peut-on apprivoiser le livre selon nos propres codes quand on a lu ou vu l’une des  entrevues qu’a accordées la jeune auteure de 23 ans, qui se bat contre un cancer du cerveau? Peut-on oublier que ce premier roman pourrait aussi se révéler son dernier?

Au fil des mois, j’ai rencontré plusieurs personnes qui avaient abandonné la lecture après quelques pages, se sentant trop voyeurs, ou refusaient tout simplement de le lire parce que « c’est vrai ». L’autofiction fait partie du vocabulaire littéraire d’aujourd’hui, mais certains n’en ont peut-être pas encore accepté les codes. Même si peu d’auteurs identifient leur ouvrage comme tel, admettons tout de même que plusieurs pratiquent  le genre de façon plus ou moins détournée. Notre collaboratrice Maud Lemieux nous le rappelle : « Si Testament ne laisse pas indifférent, ce n’est pas parce qu’il est autofiction, mais bien parce que l’auteure nous donne ce qu’elle est, avec passion, un texte éclectique, satirique, mais bien de notre temps. » 

Vous pouvez lire le reste de mon éditorial et découvrir le numéro courant de La Recrue ici...





jeudi 14 février 2013

À court de mots mais non d’inspiration

Six compositeurs jumelés à six réalisateurs, six films muets dans lesquels la musique joue un rôle essentiel, interprétée en direct par l’Ensemble Arkea le soir de la représentation. Douze esthétiques qui se rencontrent, se confrontent, s’apprivoisent, s’unissent, mais un seul plaisir de découverte pour le cinéphile mélomane (ou serait-ce plutôt le mélomane cinéphile?). Le compositeur Maxime Goulet, l’initiateur de cet événement produit par Codes d’accès, codiffusé par Arkea, présenté dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois, n’en est certes pas à son premier projet hors normes. Après avoir notamment offert deux performances avec Arkea au Sommet international du jeu de Montréal et mis en œuvre Bungalopolis en 2010, un opéra-cabaret inspiré des personnages loufoques de Jean-Paul Eid, il a souhaité cette fois bousculer les conventions liées au cinéma, proposant aux réalisateurs de relever un défi inhabituel et aux compositeurs de s’engager dès le début du processus de création. « Ici, la musique n’est pas une épice à saupoudrer sur un mets déjà préparé, explique Goulet en entrevue. Les auditeurs prendront conscience de ce qu’elle peut apporter au film, de la façon dont elle peut faire parler les personnages. »

21 de Yann Ben Alluch (musique: Maxime Goulet)
L’amant revenant (Une comédie d’amour noire) de Serge Gouin (musique: François-Xavier Dupas)
Comme des sons ambiants ont déjà été intégrés aux trames sonores des films, les compositeurs pourront se concentrer sur des gestes musicaux. « Nous voulions joindre différents univers, que des créateurs collaborent ensemble, afin d’offrir au spectateur quelque chose d’unique. » Quelques duos, par exemple celui formé d’Alexandre B. Lampron et Samuel Laflamme (Le voyage), qui avait travaillé à quelques reprises sur des films coopératifs, ont proposé un projet commun. D’autres ont dû apprendre à se connaître. Si certains ont opté pour une optique plus traditionnelle (Guillaume St-Laurent a composé la musique de Nos Saisons une fois le montage de Patrick Peris complété), d’autres ont renouvelé la donne. Ainsi, François-Xavier Dupas n’a fait que retoucher sa trame sonore une fois que Serge Gouin a eu terminé le tournage de L’amant revenant (une comédie d’amour noire), alors que Maxime Goulet a conçu le scénario de 21 et n’a pas hésité à évoquer le rythme avec Yann Ben Alluch. « Dans un dessin animé, le sens du rythme demeure essentiel, explique-t-il. Il faut pouvoir travailler de façon plus serrée, préparer les punchs. »

Le Voyage d'Alexandre B. Lampron (musique: Samuel Laflamme)
Nos Saisons de Patrick Peris (musique: Guillaume St-Laurent)
Les curieux auront donc le plaisir de découvrir des univers très différents, les six réalisateurs ayant eu comme mission de transmettre diverses facettes du film muet, qu’il soit animé, humoristique, contemplatif ou caustique. « Le projet comportait déjà beaucoup de contraintes. Il nous a semblé inutile d’en imposer dans l’esthétique. » En orchestrant la succession des films, Maxime Goulet a choisi de travailler autant la continuité que le contraste, esquissant ce faisant une courbe émotionnelle efficace, de laquelle le nombre d’or n’est pas exclu. Il souhaite proposer au spectateur une expérience qui ressemble aux soirées de courts métrages présentées dans les divers festivals, mais en y instillant un facteur unificateur et surtout en ne laissant jamais la musique, défendue par les 26 musiciens d’Arkea, jouer un rôle de tapisserie sonore. « Nous souhaitons que l’événement devienne une porte d’entrée à la musique de création, que celle-ci devienne le fil d’Ariane qui guide dans le labyrinthe. » Il ne se cache pas que la formule hybride a été pensée pour attirer un nouveau public. « Quand nous avons présenté Bungalopolis, rappelle-t-il, plus de la moitié de ceux présents n’avait jamais entendu de musique contemporaine auparavant! » Même si les questions de logistique hantent ses jours et ses nuits (par exemple, la bande-son du film a dû être travaillée en mono, afin d’intégrer une piste rythmique qui sert de repère à la chef d’orchestre Dina Gilbert, les premières chaises disposant quant à eux de six paires d’écouteurs), Maxime Goulet se sent stimulé par le projet et espère pouvoir reprendre le concept. « L’interaction avec une autre forme d’art me mène ailleurs. » Trois, deux, un… action! 

Ostinato de Jean-François Lavallière (musique: Georges Dimitrov)

Imparfaite d’Émilie Gauthier (musique: Ghislain Lecroulant)
 Bibliothèque nationale, 24 février 19 h.

Les quatre éléments

L'ECM+ nous avait déjà offert un programme consacré à la flûte il y a un an, mettant en vedette l'Ensemble de flûtes Alizé. L'expérience s'était certes révélée suffisamment convaincante pour que Véronique Lacroix, directrice artistique de l'ECM+, elle-même ancienne flûtiste, souhaite la renouveler, en articulant cette fois le programme autour du thème des quatre éléments: air, feu, terre et eau.

Qui a vu le vent d'Emily Hall a ouvert la soirée de façon essentiellement atmosphérique. Le souffle, qu'il soit celui des interprètes, du vent ou de l'inspiration littéraire (l’œuvre puisant ses racines dans le roman éponyme de W.O. Mitchell), n'est-il pas l'essence même de la flûte? L'octuor de flûtes devient le véhicule idéal pour transmettre le propos, les trémolos et percussions de langue se voulant autant de gestes infimes soulignant le passage du temps, le son passant adroitement d'un pupitre à l'autre. Je me suis demandé à un moment s'il n'aurait pas été intéressant ici de spatialiser les musiciens, afin que l'auditeur ait l'impression de se retrouver lui aussi au milieu de la prairie, à regarder les nuages défiler, s'effilocher, les blés se courber. On pourrait reprocher au fil narratif de se dissoudre périodiquement, mais ne laisserait-on pas de toute façon notre esprit vagabonder dans les circonstances?


La voix chaude et profonde du violoncelle de Chloé Dominguez a ensuite résonné du balcon, prolongement presque organique des frémissements entendus juste avant, nous plongeant dans l'univers modal de Vez d'Ana Sokolovic, un travail d'orfèvre sur les répétitions, les broderies de notes, les écarts mélodiques et les rythmes irréguliers, pourtant organiques, qui s'abreuve aux sources de la musique traditionnelle des Balkans, mais qui par moments m'a aussi donné l'impression d'effectuer des détours par l'Afrique du Nord et l'Espagne, patrie du flamenco.

AS8 Earthrise d'Edward Top permettait le mariage entre l'ensemble de flûtes et le violoncelle solo de Mariève Bock (qui avait collaboré avec Alizé également l'année dernière). Le lyrisme naturel de l'instrument à cordes devient complément idéal aux sonorités plus aériennes. Si l’œuvre semble d'abord se décliner comme concertante, le violoncelle finit par se fondre dans la masse sonore (notamment grâce à un travail sur les harmoniques). Les mouvements chromatiques ascendants et descendants, gestes de plus en plus larges, particulièrement efficaces, s'opposent ici à une structure d'harmoniques presque statiques, rappelant les paysages lunaires évoqués dans certains des textes. Ceux-ci (une transcription des communications radio d’AS8 Earthrise), heureusement fournis, se sont révélés malheureusement impossibles à décrypter, les flûtes agissant plus comme caisses de diffusion que de résonance. Peut-être eut-il fallu qu'ils soient énoncés forte plutôt que mezzo piano?

L'acoustique ou la petitesse de la salle ont malheureusement transformé l'écoute de Salamander de Jocelyn Morlock en expérience à l'extrême limite du seuil de la douleur, le duel de piccolos dans le suraigu faisant de nombreuses victimes. Difficile d'apprécier la superposition des textures et d'imaginer l'habitat naturel de la salamandre quand chaque surenchère nous force à nous boucher l'oreille gauche du doigt.

Rivières et marées d'Éric Champagne, pour ensemble de flûtes, violoncelle et chœur de 14 flûtes spatialisé (pupitres tenus par de jeunes interprètes), un hommage au travail de l'artiste de land-art Andy Goldsworthy, clôturait le programme. Si Goldsworthy prend des photographies de ses installations pour en garder la trace en raison de leur nature éphémère, on peut concevoir la partition de Champagne comme servant de témoin à une série d'instants, jamais figés, autant de fluctuations d'intentions qui émeuvent souvent. Soulignons ici la délicatesse et la subtilité avec lesquelles le flûtiste basse Daniel Harnois a rendu l’œuvre, la complicité établie entre celui-ci et Mariève Bock (jouant même à un moment d'un carillon éolien de bois, intéressant détournement de l'essence même de son instrument), la spatialisation réussie (qui aurait donné envie de pouvoir se déplacer dans la salle) et la clarté de la transmission de la forme en arche qui sous-tend le tout.


mercredi 13 février 2013

Humanity Project: we are one

Les puristes s’insurgeront, s’attarderont sans doute au fait que Humanity Project de Paula de Vasconcelos n’est pas assez théâtralisé, que la danse n’y joue pas toujours le premier rôle, que la musique qui le soutient échappe parfois à l’entendement, oscillant du minimaliste au tonitruant. Ceux-là n’auront pas compris le côté profondément humain de l’aventure, cette transposition à la scène de la dichotomie même de notre existence, cette valse-hésitation que nous dansons constamment avec l’autre, les autres, qui parfois nous étouffent et nous annihilent, gommant toute velléité de s’affranchir de la masse, mais à d’autres moments nous portent moralement ou littéralement, comme le propose la chorégraphe, lors de moments particulièrement réjouissants.

Pour lire le reste de ma critique sur ce spectacle qui m'a beaucoup plu, rendez-vous sur le site internet de la revue Jeu


mardi 12 février 2013

Les bas-fonds : une proposition intéressante mais imparfaite

Photo: Isabelle Daccord
« L'auteur écrit une pièce, les acteurs en jouent une autre et le public en comprend une troisième », affirmait avec raison l’homme de théâtre Charles Baret. En écrivant en 1902 Les bas-fonds, Gorki pouvait-il même anticiper que, une cinquantaine d’années après, le légendaire Akira Kurosawa l’adapterait au cinéma sous le titre de Donzoko, et qu’un siècle plus tard, la pièce prendrait une résonance bien particulière, à Montréal, le metteur en scène René Miglaccio souhaitant susciter chez le spectateur une réflexion sur le thème de l’itinérance? Redécouvrir cette pièce à la fois sombre et lumineuse, sise dans la Russie prérévolutionnaire, pourtant d’une troublante actualité, dans les Ateliers Jean-Brillant avait quelque chose de fascinant. Les dialogues des comédiens se trouvaient de façon aléatoire ponctués par le rugissement des camions de déneigement sur les rues avoisinantes, étrange mise en abime des nuits passées dans les refuges, sans compter que les spectateurs transis par une humidité plutôt traîtresse en ce soir glacial de février n’avaient par moments d’autre choix que de se blottir dans les couvertures disposées sur les chaises.

Pour lire la suite de ma critique sur le site de Jeu...

dimanche 10 février 2013

Waiting for the Barbarians: l'ennemi intérieur

Photo: Andrée Lanthier
Écrit en plein apartheid en 1980 par J.M. Coetzee, Waiting for the Barbarians est devenu pour certains un texte daté, le personnage du magistrat, incapable d’assumer ses convictions, qui consomme la femme plutôt qu’il n’embrasse ses spécificités, ayant plus ou moins bien vieilli. Ayant déjà interpellé le compositeur américain Philip Glass qui en a tiré un opéra éponyme en 2005, il n’est sans doute pas surprenant que le metteur en scène Alexandre Marine ait souhaité transformer le roman en objet théâtral. Ce dernier nous offre ici une proposition forte, pertinente, les références directes aux lieux ayant été gommées, instillant à la pièce une portée universelle. Libre ensuite au spectateur d’admettre – ou non – à qui il confie le rôle des Barbares dans son quotidien.

Vous pouvez lire la suite de ma critique sur le site de Jeu... Il vous reste une semaine pour voir la pièce.

vendredi 8 février 2013

Warwick: il faut qu'on parle d'Hubert

« Sortir de guerre, c’est comme sortir de prison », a écrit Charlie Chaplin. En effet, peut-on jamais prétendre en sortir entier, que l’on retrouve sa terre natale avec tous ses membres et un esprit fracturé ou que l’on doive réapprendre à vivre en tant que paraplégique, comme Hubert Fontaine, jeune vingtaine, personnage autour duquel s’articule la pièce Warwick de Jean-Philippe Baril-Guérard. Sa vie a basculé un après-midi en Afghanistan quand le blindé léger dans lequel il se trouvait a explosé, privant Hubert de l’usage de ses jambes, tuant un de ses collègues. Ce dernier est-il mort sur le coup comme le soutiennent les représentants de l’armée? N’a-t-il pas mis lui-même fin à ses jours lorsque son corps est charcuté, comme le réalisera Hubert plus tard? Pourquoi choisit-on maquiller la vérité? Pose-t-on ce geste pour assurer la santé psychologique du soldat invalide ou simplement pour contrôler l’image médiatique de cette guerre loin de faire l’unanimité? Qui sont ces jeunes qui s’enrôlent? Baril-Guérard a puisé dans un terreau fertile et offert une histoire tissée sur mesure à la cohorte 2012 des finissants en jeu du Cégep de Saint-Hyacinthe. Inspirée d’un fait vécu, la pièce se décline en une série de tableaux, parfois anecdotiques (la sortie en boîte de la bande s’éternise d’ailleurs inutilement), parfois savoureux (dont cet échange sur Skype entre Fontaine et sa sœur, qui travaille en Inde), quelquefois tragiques, prémisses d’une réflexion chez le spectateur.

Lire le reste de ma critique sur le site de la revue Jeu...

jeudi 7 février 2013

Courts métrages en nomination aux Oscars

Rien de tel que l'improvisation... Mon amie et moi devions assister hier soir à une représentation de Yellow Moon: La ballade de Leila, mais pour une raison mystérieuse, celle-ci a été annulée. Plan B? Grâce à la magie du téléphone intelligent, nous avons recensé les offrandes cinématographiques, avant de fixer notre choix sur le programme présentant les dix courts métrages (cinq dans chacune des deux catégories) en nomination aux Oscars, offert ces jours-ci au Cinéma du Parc.

Alors, mes impressions? Il y a quelque chose d'assez fabuleux à pouvoir se faire raconter une histoire en 16, 28 ou même 2 minutes. Moi qui aime la nouvelle n'ai pas hésité longtemps à céder au genre. Dans la catégorie animation, pas toujours facile de pouvoir comparer des pommes et des oranges et prétendre devenir un juge de l'Académie. En effet, comment peut-on passer de l'effervescence assez charmante de Maggie Simpson: The Longest DayCare (film présenté en première partie de Ice Age), mais qui ne casse rien, à l'humeur presque trop contemplative d'Adam and Dog (qui s'étire et s'étire) avant de sourire presque sans arrêt pendant les deux minutes de Fresh Guacamole?



Mon préféré du lot reste Head over Heels, une allégorie sur les différences maritales, déjà lauréat de plusieurs prix, même si Paperman possédait certaines qualités réelles.
HEAD OVER HEELS - Trailer from Timothy Reckart on Vimeo.



Et maintenant, côté catégorie tournage en direct... Je revoyais deux des cinq films pour la deuxième fois. Henry (vu en première partie de Rebelle il y a deux semaines) m'a beaucoup moins bouleversée cette fois-ci, probablement parce qu'encore très frais dans ma mémoire et que j'étais un peu plus en mode « analyse » (au niveau du rôle de la musique notamment). Quelle performance d'acteur néanmoins de Gérard Poirier!


Par contre, Asad (vu au Festival des films du monde, une coproduction États-Unis/Afrique du Sud) m'a ravie encore plus cette fois-ci, grâce au naturel des « acteurs » (des réfugiés de camps somaliens), l'angle narratif, le propos sous-jacent et la réalisation.


Le côté décalé de Curfew passe bien la rampe, même si les bons sentiments finissent par fausser un peu la donne à la fin.


Coup de cœur pour le film Dood van een Schaduw (La mort d'une ombre), qui met en scène un collectionneur d'âmes mortes et celui qui attrape leur dernier souffle, tourné avec beaucoup d'imagination par Tom Van Avermaet et Ellen De Waele. 


La coproduction américano-afghane Buzkashi Boys devrait l'emporter. Les membres de l'Académie ne sauront résister à l'histoire tendre et tragique de ces deux enfants, l'un qui rêve de devenir champion de buzhashi (sport national afghan, entre polo et rugby), l'autre qui réalise qu'il n'aura d'autre choix que de venir forgeron, comme son père et son grand-père avant lui. (Soulignons néanmoins la magnifique trame sonore de Jim Dooley et la direction photo de Duraid Munajim.)

mercredi 6 février 2013

158 fragments d’un Francis Bacon explosé

Je ne crois pas aux hasards, mais plutôt aux rencontres, avec un auteur, un peintre, un univers. Depuis quelques mois, j'ai été habitée, plus ou moins directement, par celui de Francis Bacon. Des amis ayant vu ses toiles au Tate de Londres cet été m'ont fait replonger dans ces tableaux parfois affolants, qui crachent un message à l’œil, tout en chuchotant autre chose à l'âme. Impossible de sortir indemne de cette confrontation, de la refuser également.

En octobre, je lisais le très beau Combustio, dans lequel le peintre agit comme détonateur d'une fresque d'une grande habileté. En novembre, je découvrais l'univers de Mathieu Laca, qui lui voue une révérence évidente, qu'il se serve de certains coups de pinceaux de Bacon comme inspiration ou qu'il le mette carrément en scène. Au début janvier, je sentais qu'il était nécessaire de voir Spasmes, « déambulatoire » consacré à l'artiste. Je savais qu'en prolongement, j'aurais besoin de me frotter au recueil de Larry Tremblay, feuilleté à plusieurs reprises, mais pas encore alors entièrement accepté.

Le peintre fascine l'homme de théâtre et poète, sans doute depuis des années. Comment ne pas reconnaître en effet dans les toiles la théâtralité des corps, la dissection de l'âme, un certain côté métaphysique?

« Où un mot / comme celui de beau / et ce qu’il tient serré entre ses lettres / inscrit-il / son petit trou de clarté / dans le champ tourmenté? »
On retrouve l'essence du travail du peintre, fracturé, éclaté, en 158 fragments qui se fichent dans le subconscient du lecteur, le questionnent, le tourmentent parfois. En devenant mots - cris -, les couleurs vives de Bacon, les éclaboussures, les torsions, prennent un autre sens.
« S’approcher trop près du blanc / se faire attraper par son hélice / ressortir éclaboussures de l’autre côté / ego arraché »
Le recueil se découvre par strates, au fil de lectures successives, qui se superposent comme autant de coups de pinceaux, qui deviennent échos, appels, rappels de la brutalité de la vie, de sa finalité inévitable.
« Le théâtre du corps / c’est l’enfer de l’âme / les blessures affleurent / en autant d’appels d’être »
ou encore
« Ne pas dire j’aime / devant la beauté / quand c’est un fracas / [je n’aime pas / dire j’aime / devant la mort / quand c’est un frisson] »




mardi 5 février 2013

Images au service de la musique

Il n'y a sans doute aucun hasard dans la vie, mais c'est au retour avec une entrevue avec Maxime Goulet au sujet du projet À court de mots! (des jumelages entre six réalisateurs et six compositeurs, lors d'une soirée de cinéma muet unique, présentée le 24 février dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois) que je suis tombée sur le magnifique clip (et tout nouveau) de Woodkid, nom de scène du Franco-polonais Yoann Lemoine, qui a notamment réalisé des clips pour Lana del Rey (Born to Die), Katie Perry (Teenage Dream) et Taylor Swift (Back to December). Une esthétique noir et blanc impeccable, une trame visuelle qui se superpose parfaitement à l'émotion transmise par la musique: du grand art!

Une expérience à vivre en mode plein écran!

dimanche 3 février 2013

L'ouest solitaire

Coleman et Valene viennent d’enterrer leur père. Aucun larmoiement, aucun épanchement: nous sommes dans l’univers caustique de l’auteur irlando-britannique Martin McDonagh, avec L’ouest solitaire, production du Théâtre Bistouri, conclusions de la trilogie qui comprend également La reine de beauté de Leenane (monté par le Théâtre de La Manufacture en 2001. Rappelons que Le Pillowman avait aussi été par cette même compagnie en 2009). Fanny Britt retrouve avec aisance l’univers du dramaturge et propose une traduction impeccable, non dépouillée d’une certaine tendresse. On se bat, pour se prouver que l’on s’aime.

Ici, pas de réel prélude, pas de dénouement: l’auteur nous propose plutôt une tranche de vie cinglante, sanglante, un huis-clos qui oppresse mais n’étouffe jamais entièrement, des rires qui ne réussissent jamais à s’affranchir d’un certain malaise. Joute verbale absurde qui frise le burlesque, combat de coqs qui dégénère en bagarre parfaitement orchestrée, l’histoire se révèle par pans, autant de tableaux traités de façon cinématographique par le metteur en scène Sébastien Gauthier.

Pour lire la suite de ma critique sur le site de la revue Jeu...

vendredi 1 février 2013

Appassionata: lier hier et demain

Photo de Stéphanie Bélanger
Fondé en 2000 par Daniel Myssyk, qui dirige l’orchestre de chambre avec une passion en rien émoussée, Appassionata présente chaque saison une quinzaine de concerts, en plus de s’investir auprès du public de demain dans le cadre de présentations scolaires. Ainsi, son projet articulé autour du Carnaval des animaux, qui revisitait cet incontournable du répertoire tout en introduisant les jeunes à l’anthropomorphisation et à la biodiversité, a rejoint plus de 4000 enfants au cours des trois dernières années.

Alors que d’autres pourraient souhaiter se reposer sur leurs lauriers après avoir franchi le cap de la première décennie, la formation a plutôt préféré se redéfinir. « Appassionata a choisi de se recentrer sur les classiques, de devenir le porte-étendard de la première école de Vienne, en misant notamment sur Haydn, Mozart et Beethoven », explique Daniel Myssyk en entrevue. Trois symphonies de Haydn, « Le matin », « Le midi » et « Le soir », se révèlent d’ailleurs le fil narratif de la saison 12-13.

Alors que le concert automnal jumelait Haydn et Beethoven, à travers sa Première Symphonie, « matin du grand symphoniste qu’il deviendra », celui présenté le 26 février salle Bourgie mettra en lumière des musiciens de la relève, tous lauréats de la dernière édition du Concours de musique du Canada : le pianiste Jean-Michel Dubé (grand prix 2012, catégorie 19-30 ans) dans un mouvement du Deuxième Concerto pour piano de Beethoven, le clarinettiste Joshua Zung (1er prix dans la catégorie Vents 2012, 15-18 ans) dans une œuvre virtuose de Rossini et la soprano Florie Valiquette (3e prix au Tremplin 2012) dans le sublime Exsultate jubilate de Mozart. « Le public aime découvrir de nouveaux talents, avance le chef. Dans cette ère de glorification instantanée, le parcours semé d’embûches du musicien et son assiduité au travail suscitent l’admiration! » Le programme comprend également le concerto grosso Dumbarton Oaks de Stravinski et la création de Lux du compositeur montréalais Stewart Grant hommage à la fougue de la jeunesse. « Cela nous permet de faire sentir la chaleur, la vitalité; autant de paramètres qui s’intègrent à la programmation et possèdent un potentiel d’unification. » Ici, maîtres anciens et de demain non seulement cohabitent, mais s’enrichissent et se nourrissent. 

Le chef admet volontiers que le développement de public reste un défi de tous les instants : « Chaque organisation doit faire énormément d’efforts pour tenter de démocratiser la musique classique, attirer puis fidéliser un nouveau public. » Il s’agit notamment d’instiller un sentiment d’appartenance, de prendre les moyens pour que l’orchestre, qui a obtenu la reconnaissance de ses pairs, puisse rejoindre maintenant un public plus large.

Plusieurs risques calculés ont été pris par la formation au fil des ans, qui ont fini par payer. En effet, en cette période économique souvent difficile, le chiffre d’affaires d’Appassionata a grimpé de 224 % depuis 2009. Des concerts en Ontario en vue, ainsi qu’une deuxième tournée aux États-Unis ou peut-être en Amérique du Sud en 14-15, l’élaboration d’un nouveau programme pour les écoles et la mise en place de politiques de rétention de public. L’immobilisme ne fait certes pas partie des projets d’Appassionata. Après tout, les rêves permettent d’avancer mais, comme le rappelle Daniel Myssyk, « Avant toute chose, nous jouons pour du monde! »

Les détails du concert ici...