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mercredi 29 avril 2015

Judy Garland a dormi dans cette ville: mi figue, mi raisin

« You can't really understand another person's experience until you've walked a mile in their shoes. » Cette phrase me hante depuis que j'ai vu Judy Garland a dormi dans cette ville, une pièce de Mark Dunn présentée jusqu'au 10 mai à l'Espace 4001, lieu sympathique et intime s'il en est un.

©Modèle du Genre
La prémisse en était certes étonnante: une fois après avoir été embrassés par une réplique de Judy Garland (dont on finira par connaître l'identité réelle), les hommes homophobes de la petite ville de Blythe Corners changent d'orientation sexuelle.Un cinéaste - gay - se rend sur les lieux pour les interviewer et tenter de comprendre ce qui a bien pu se produire.

Peut-on vraiment transmettre, mettre des mots sur une telle transformation sans que cela semble plaqué, que l'on soit obligé d'user de raccourcis faciles? Le dramaturge Mark Dunn n'est pas homosexuel, ni le traducteur Marc Israël-Le Pelletier ou la metteure en scène Cécile Assayag. Ils ont voulu témoigner, prendre position, favoriser l'acceptation de l'autre, et on ne peut que louer cette initiative. Quoi que certains puissent en penser, rien n'est encore gagné de ce côté-là. Pourquoi alors ce malaise, cette impression de travestissement, d'incompréhension fondamentale d'une orientation, de ramassis de lieux communs? À quel moment précis passe-t-on de la démonstration à la caricature?

©Modèle du Genre
Un traitement moins « clinique » (le documentaire n'a plus besoin d'adopter cette voie de toute façon), aseptisé, aurait certes été un pas dans la bonne direction. Les références aux divers films de Judy Garland - et l'utilisation même des mythiques souliers rouges du Magicien d'Oz - auraient pu mener le propos sur une voie plus onirique, nous rapprocher de l'esprit des contes. Car c'est bien de cela qu'il s'agit ici, d'une transposition, d'une amplification des faits, nous offrant à la fois catharsis et pistes de réflexion. 

Cette réflexion essentielle, je ne l'ai pas tant vécue au théâtre, qu'en rentrant chez moi, en lisant la préface du traducteur Marc Israël-Le Pelletier (Quelle belle idée de remettre un exemplaire de la pièce à tous les spectateurs!), d'une rare pertinence, et en me replongeant dans l'essence même du texte, du message.

« We're not in Kansas anymore...» Le problème, au fond, était peut-être que nous ne l'avions jamais vraiment quitté.

lundi 27 avril 2015

Chutes

Signé par deux professeurs œuvrant dans les Territoires du Nord-Ouest, arborant deux judokas en page couverture, Chutes ne cache pas ses couleurs. On pourrait même craindre un instant qu’il ne prêche qu’à des convertis. Pourtant, non. Si, bien évidemment, il est question d’enchaînement de mouvements précis, que l’on se retrouve souvent sur le tatami en plein cours, que les auteurs ont intégré une bonne dose de termes japonais, le propos au fond est ailleurs.
Le livre traite plutôt d’acceptation – de soi, de l’autre, de ses limites –, mais aussi d’identité, que l’on suive le parcours de Ryan, un colosse de plus de 160 kilogrammes né à Fort Simpson, ou de Claire, 13 ans, qui a grandi à Montréal, mais s’installe avec sa mère à Yellowknife. On y découvre une région au climat aride, aux paysages magnifiques, une jeunesse qui souvent a perdu contact avec ses racines et se définit à coups de gestes de violence.
Contrairement à certains de ses amis, Ryan choisit une autre voix, celle du respect, de l’honneur, du contrôle de soi, de la sincérité surtout. Autant de valeurs faisant partie du code moral du judo certes, mais que chacun peut réinterpréter en ses termes.
Lexique du judo, mais aussi vocabulaire des Dénés, des Inuit et notes culturelles sont proposés en annexe. Un ouvrage pédagogique efficace, que les profanes pourront néanmoins lire avec plaisir.

samedi 25 avril 2015

L'Impro Cirque: terreau fertile en émotions

Trois jours de compétition, deux demi-finales et une finale, seize artistes de cirque exceptionnels, auxquels se greffent cette année quatre joueurs de la LNI, un par équipe. Présenté pour la première fois dans le cadre du Festival Montréal Complètement Cirque à l'été 2010, l'Impro Cirque propose une expérience totale, unique, qui laisse souvent bouche bée, prouesses, humour et magie pure redéfinissant des thèmes choisis.

Faire la romance
Cela allait hier soir de « Le corps et ses atouts », une improvisation coup de sifflet qui forçait chaque participant à reprendre la position adoptée par le précédent lors de l'arrêt de jeu (avec une contorsionniste dans chaque équipe, un défi certain) à « Pris au fond du puits », à traiter comme un film d'horreur, mais en intégrant le tissu (Joseph Pinzon a su y démontrer toute sa polyvalence, aussi bien comme circassien que comédien) à « Navigation douteuse » en style clown (une comparée qui a donné lieu à une rencontre entre un marin et une sirène, puis à l'histoire d'un couple perdu dans les méandres du GPS) ou « À la manière d'un lipsync » avec ajout du trapèze (autre occasion pour Pinzon de briller avec Get Lucky de Daft Punk, soutenu par les membres de son équipe devenus musiciens, chanteurs ou danseurs). Au total hier, neuf improvisations, dont une boni, « La douleur, je m'en occupe », dans laquelle un monarque imbu de lui-même (Jordan Clark, au charisme évident déjà dans « Faire la romance », un duo intégrant les cerceaux chinois) tentait de trancher la tête d'un sujet récalcitrant (Patrick Léonard, magistral).

Jouant plus qu'un rôle de soutien, les exceptionnels musiciens des Wonder Trois-Quatre improvisent aussi au fur et à mesure des contraintes annoncées, grâce à des signes précis du chef Eric Desranleau dans des styles allant du charleston (pour « Livraison express » au jingle publicitaire (pour « Navigation douteuse »), sans oublier la musique baroque (pour la dernière improvisation) ou expérimentale (« Simultanément », un magnifique duo des contorsionnistes Valérie et Claudel Doucet, impossibles à départager).
Simultanément

Pas une seconde d'ennui hier soir, au cours de deux périodes d'environ 50 minutes, desquelles les verts seront sortis grands gagnants deux fois plutôt qu'une. Sébastien Soldevila (l'un des fondateurs des Sept doigts de la main) campait un arbitre en chef particulièrement odieux (Yvan Ponton avait l'air d'une grand-mère faisant du crochet en papotant avec ses copines en comparaison), invectivant la salle et faisant fi des nez de clown (les fonds ramassés vont à Clowns sans frontières) qui pleuvaient par moments sur la scène.
Livraison express
L'étoile du match a été remise à Valérie Doucet des Verts pour son indéniable écoute de jeu. On la retrouvera, avec les quatre autres membres de son équipe (Patrick Léonard, Joseph Pinzon, Angelica Bongiovonni et Diane Lefrançois), en finale contre les bleus (Gisle Henriet, Jason Ferguson, Nadine Louis, Olivia Weinstein et Réal Bossé, en remplacement de Frederic Barbusci, qui s'est blessé lors du match de jeudi) ce soir 20 h.

Détails ici...



jeudi 23 avril 2015

Ludi Magni: décadence amorcée




Du pain et des jeux… ou plutôt ici du maïs soufflé, de la bière et des jeux. Sommes-nous au cirque, au cabaret, au théâtre, sur un réseau social ? Dans la Rome antique, à Montréal, dans le monde virtuel ? Jusqu’où peut-on aller pour obtenir une reconnaissance sociale – ou un rôle, le grand empereur ou la grande impératrice des Ludi Magni étant assuré de faire partie de la saison 2016-17 d’Espace libre?

Passez chez Jeu pour lire ma critique...

mercredi 22 avril 2015

Illusions : fête foraine multisensorielle

L’ECM+ affectionne les projets hybrides, dans lesquels les frontières entre les genres sont éliminées, une nouvelle carte de l’expérience de concert se dessine sous nos yeux. Illusions, présenté à la Salle Pierre-Mercure le 30 avril (le 22 mai à Toronto et le 26 juillet à Ottawa dans le cadre du Festival de musique de chambre) ne fait pas exception à la règle.

Le programme s’articule adroitement autour du Trio pour piano de Charles Ives, datant de 1910-11 (révisé en 1914-15), dans lequel le compositeur revient sur ses années universitaires à Yale. Il sera interprété par le Gryphon Trio, avec lequel l’ECM+ souhaitait collaborer depuis un moment, lui aussi adepte des projets multidisciplinaires. « Des affinités étaient évidentes, explique Véronique Lacroix, directrice artistique de l’ECM+. C’est un groupe qui, comme nous, ne fait pas seulement du contemporain, mais intègre des œuvres classiques à ses programmes. »

Trop peu joué, le Trio avec piano se révèle une porte d’entrée idéale pour s’approprier l’univers du compositeur américain iconoclaste et son humour si particulier. Le premier mouvement est constitué de deux lectures en duo puis une en trio d’un même thème de 27 mesures. Le deuxième, TSIAJ (« This scherzo is a joke »), aborde la polytonalité, les contrastes de timbres, et intègre des fragments de chants folkloriques et de fraternités tout au long du mouvement. (Une esquisse comprend d’ailleurs le sous-titre « Medley on the Campus Fence ».) Le lyrisme du finale, presque romantique, semble en totale opposition avec le collage de TSIAJ, mais Ives continue de multiplier les clins d’œil, glissant par exemple une musique écrite pour le Yale Glee Club (qui n’avait pas été retenue), traitée en canon par le violon et violoncelle, ou citant dans la coda Rock of Ages de Thomas Hastings au violoncelle, nous plongeant indéniablement dans une atmosphère des plus populaires.

La forme d’arche du trio permettait de le scinder facilement en trois segments et d’y greffer trois créations sans que celles-ci ne semblent plaquées : Musique d’art pour orchestre de chambre II de Simon Martin, Wanmansho de Gabriel Dharmoo et Wunderkammer de Nicole Lizée. Trois compositeurs aux personnalités fortes, aux esthétiques uniques, néanmoins complémentaires.

Le côté très ramassé de la pièce de Simon Martin devient ainsi un écho au minimalisme du premier mouvement du Ives. Composée de cinq sons microtonaux, une superposition de tierces majeures parfaitement calibrée, elle joue avec la justesse des intervalles, en les isolant ou en les élargissant par des frottements par exemple.

L’americana du deuxième mouvement se fond dans l’exotisme et l’exubérance de la proposition de Dharmoo, prolongement de ses Anthropologies imaginaires, dans laquelle un chanteur qui vient d’Orient croisera deux autres individus, une femme et un homme – ou peut-être bien un monstre –, tous trois interprétés par Vincent Ranallo. L’effervescence de la partition rappelle les fêtes foraines et les cirques d’antan, à leur apogée à l’époque d’Ives, assemblage hétéroclite de démonstrations scientifiques, de freak shows et de prouesses physiques.

Wunderkammer de Nicole Lizée (récente lauréate du Programme de mentorat des Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle qui devient pour un an la protégée d’Howard Shore), que l’on peut concevoir comme un triple concerto au très grand souffle, complète le programme. Articulée autour de sept grandes sections, l’œuvre possède une rythmique particulièrement complexe, de légères modifications de matériau gardant le spectateur en haleine pendant 25 minutes.

Parfois traitées de façon abstraite en noir et blanc (premier mouvement du Ives) ou misant sur une explosion de couleurs (dans le Lizée), des vidéos originales de Kara Blake et Corinne Merrell (qui ont notamment collaboré au film Le petit prince, sur nos écrans bientôt) prolongeront cet univers vaguement décalé d’une époque en apparence révolue, mais qui n’a rien perdu de son charme.

  

lundi 20 avril 2015

Travesties: éblouissant!

Photo: Andrée Lanthier
Travesties se révèle une réussite totale et je n'avais pas été autant séduite par une proposition du Centre Segal depuis Waiting for the Barbarians, il y a  un peu plus de deux ans (spectacle dont la trame sonore était d'ailleurs également signée par Dmitri Marine).

Bien sûr, le texte de Tom Stoppard, qui date du milieu des années 1970 et met en vedette James Joyce, Tristan Tzara et Lénine, qui auraient pu croiser la route de l'assistant-consul britannique Henry Carr à Zurich en 1917 est brillant. Précurseur des pièces mettant en scène des personnages historiques (l'auteur a usé de ce subterfuge à quelques reprises, notamment en tant que scénariste de l'oscarisé Shakespeare in Love), Travesties s'inspire de la pièce de Wilde L'importance d'être Constant où tous les personnages enrobent la réalité de multiples couches de mensonges, décapante peinture de société de Wilde que détourne admirablement Stoppard.

Un texte, si finement ciselé soit-il, ne se révèle pas toujours avec la même transparence, peu s'en faut. L'acteur et réalisateur Jacob Tierney (à qui l'on doit notamment le superbe The Young Trotsky) frappe fort avec cette première mise en scène théâtrale. On sent le plaisir qu'il a ressenti à décortiquer le texte, à en extraire les strates de sens, avant d'adopter une lecture pétillante, le spectateur ne décrochant à aucun moment au cours des deux heures quinze de la pièce. Chaque geste, chaque intention, chaque travail sur la langue (l'écriture de Stoppard est remarquable à ce niveau), chaque clin d’œil à Wilde, à Shakespeare aussi (impossible de ne pas penser à Beaucoup de bruit pour rien) est transmis avec une clarté indéniable par les membres d'une distribution exceptionnelle.

Photo: Andrée Lanthier
On se souviendra du mythique échange miroir de la pièce de Wilde entre Cecily et Gwendolen (Chala Hunter et Anne Cassar), du Joyce décalé campé par Jon Lachlan Stewart, de l'effervescent Martin Sims en Tzara, de l'attitude pince-sans rire de Pierre Brault en serviteur, de l'échange « doublé » (on se croirait au cinéma) du couple Lénine (Daniel Liliford et Ellen David), mais surtout de la maestria totale de Greg Ellwand en Henry Carr, absolument inoubliable, qui jamais ne se perd dans les méandres d'un texte pourtant très dense.

Il faut aussi saluer le décor à couper le souffle de Pierre-Étienne Locas (jamais la scène du Segal, pourtant souvent ingrate, n'aura paru si grande ou si bien structurée), les costumes réussis de Louise Bourret et le soin porté aux éclairages par Nicolas Descoteaux.

À inscrire à l'agenda d'ici au 3 mai.

CARR .Wars are fought to make the world safe for artists, It is never quite put in those terms but it is a useful way of grasping what civilized ideals are all about.
(...)
TZARA, War is capitalism with the gloves off and many who go to war know it but they go to war because they don't want to be a hero.



dimanche 19 avril 2015

Car la nuit est longue

Kaï a été violée. Des inconnus, une camionnette, une ville tout à coup inhospitalière. Pourra-t-elle un jour aller au-delà de la douleur, de l’horreur? Fera-t-elle de nouveau confiance à Christophe, l’homme de sa vie, celui qu’elle aime pourtant profondément, le père de son enfant?
Cette histoire aurait pu être racontée du point de vue de la victime, mais Sophie Bérubé adopte une tout autre voie, une autre voix, celle de l’exclu, de celui qui a perdu sa complice, qui ne sait comment l’aider sans la brusquer, qui réalise que plus jamais les choses ne seront pareilles. Au début, face à cet acte de violence immonde, il n’ose pas lui parler, la toucher. Il espère peut-être qu’à travers la musique, sa pianiste trouvera un certain apaisement. Et puis, il comprend comment ils pourront survivre à cette trop longue nuit, comment il l’amènera ailleurs. Il se transforme en improbable Shéhérazade, raconte leur première rencontre, l’arrachement, les retrouvailles, réinvente leur passé amoureux. « Il y a des possibilités infinies d’assembler les mots les uns aux autres pour créer des récits. Pourquoi s’en tenir à ceux qui nous arrachent l’épiderme et nous laissent plus nus que nus. »
L’écriture de Sophie Bérubé coule de source et l’auteure démontre d’immenses talents de conteuse. Le viol n’est jamais abordé ici de front, il s’inscrit tout au plus en filigrane de façon subtile, contrepoint délicat à cette histoire d’amour unique, qui continue d’habiter des semaines après sa lecture.

samedi 18 avril 2015

J'accuse: je, tu, elles

Photo: Valérie Remise
Cinq monologues, cinq actrices pour les défendre. Un texte virtuose d'Annick Lefebvre, pour cinq actrices exceptionnelles qui ont accepté d'offrir leur voix à ses sans-voix, qui ragent au quotidien, parce qu'on les traite de façon inacceptable, parce que la vie les a rendues amères, parce que les blessures - d'amour-propre ou d'amour tout court - sont trop douloureuses. Cinq actrices tellement sur la corde raide tout au long de leurs prestations d'une vingtaine de minutes chacune, à faire leur un texte dense, parfois alambiqué, toujours brillant, que l'on ne peut que se demander comment elles pourront maintenir un tel souffle, soir après soir, jusqu'au 9 mai, tellement la partition est exigeante.

La mise en scène de Sylvain Bélanger est maintenue au minimum, histoire de ne pas distraire le spectateur de la parole, de la transmission de celle-ci. Confinée derrière son comptoir sous-entendu de vendeuse de bas nylon, positionnée sur un x symbolique, Ève Landry ne bouge pas, comme son personnage qui choisit d'encaisser. Même si elle vomit un discours extrêmement à droite, salue l'audace de Jeff Fillion et crache son fiel sur ses voisins BS, Catherine Trudeau reste recroquevillée sur elle-même pendant la plus grande partie de son monologue. Léane Labrèche-Dor se maintient en fragile équilibre, sur la pointe des pieds, les deux mains appuyées sur le dossier d'une chaise, celle de de cette amie qu'elle a pour toujours perdue peut-être, qu'elle a étouffée par amour. (L'utilisation de la vidéo, une caméra sur rail filmant la comédienne, distrait d'ailleurs inutilement ici.) Alice Pascual, qui livre un texte bouleversant sur l'immigration, mais surtout sur - ou l'absence de - l'identité québécoise, se sert un peu plus de l'espace. Seule Debbie Lynch-White, brillante en fan finie d'Isabelle Boulay (qui sert de fil d'or savamment intégré aux cinq monologues) se déploie un peu plus.

Ces mouvement contrôlés magnifient cette impression du spectateur d'être continuellement en apnée, comme chacune de ces femmes, facettes plus ou moins déformées de l'auteure sans doute, mais aussi de la femme d'aujourd'hui. Que l'on souhaite l'admettre ou non, nous avons toutes à un moment ou l'autre poser des gestes que l'on pourrait qualifier de « matante », mais aussi, trop souvent, choisi de nous taire, de rester en marge, d'accepter la donne. En ce sens, le texte d'Annick Lefebvre peut - doit - se lire comme une prise de parole féministe. Le geste suivra...

Incontournable.

vendredi 17 avril 2015

Banquette arrière

« J’aime raconter, souvent par le menu détail. Déjà toute petite, me disait ma mère, j’inventais des histoires quelquefois abracadabrantes et j’en faisais profiter le premier venu qui voulait bien m’écouter », confie l’auteure en postlude. Là réside à la fois la force et la faiblesse de ce premier roman de Claude Brisebois. La plume de l’auteure est alerte, précise, conviviale. On s’attache en quelques pages à peine au personnage de Jeff, sympathique chauffeur de taxi qui sait en un clin d’œil extraire l’essentiel de celui ou celle qui s’assoit dans son véhicule. On aime le suivre pas à pas dans la ville, être témoin de ses envies, de ses coups de gueule, de sa reconstruction aussi après le décès de la caricaturale Gloria. On rêve de monter dans son taxi, non pas pour qu’il nous refile en douce son mystérieux exemplaire de nouvelles érotiques, mais pour qu’il fasse partie d’une certaine façon de notre quotidien, lui et les improbables membres de son club de lecture.
Malheureusement, le foisonnement de détails périphériques teinte légèrement notre plaisir. A-t-on absolument besoin de connaître les moindres tours de main de la parfaite sauce tomate, de se faire rappeler qu’un thon à l’unilatérale signifie qu’il n’est cuit que d’un seul côté ou de savoir que tel vin vénitien, déniché à cette succursale en particulier de la SAQ, se révèlerait le parfait complément à notre repas? Je ne crois pas.
Il faut néanmoins saluer le détournement du recueil de nouvelles érotiques, alors que les multiples déclinaisons de 50 nuances de Grey ont envahi les tablettes des librairies. En effet, ici, les fragments de l’ouvrage intercalés ne servent pas tant à émoustiller le lecteur – qu’il soit virtuel ou réel – que de liant entre ces personnages aux destins parallèles qui, autrement, n’auraient vraisemblablement jamais échangé une parole.
Un livre hédoniste, à savourer en terrasse, avec la boisson de votre choix.

mercredi 15 avril 2015

Banquette arrière recrue d'avril

Le 23 avril, nous célébrons la 20e Journée mondiale du livre et du droit d’auteur et vous aurez peut-être envie de vous afficher avec votre roman favori. Synchronisme parfait, Banquette arrière, notre Recrue ce mois-ci, rend un hommage vibrant au livre comme objet – un sympathique chauffeur de taxi prêtant un recueil de nouvelles érotiques à certains de ses clients –, mais surtout à titre d’élément rassembleur. Au fil des échanges, un club de lecture impromptu se forme, des amitiés se tissent, des destins sont pris en main.
Ce partage de la lecture est au cœur même de la mission de La Recrue du mois depuis ses débuts et rien ne me réjouit plus que découvrir les avis des divers collaborateurs, qu’ils convergent ou divergent. J’ai le grand plaisir de souhaiter la bienvenue à Marie-Claude Rioux, qui nous parle d’une proposition des plus étonnantes, Le cadavre de Kowalski, et d’accueillir de nouveau parmi nous Julie Gagnon, témoin des premiers pas du webzine. Nous retrouvons aussi avec joie la voix si particulière de Mylène Durand, ancienne Recrue et collaboratrice, dont le deuxième roman La chaleur avant midi a séduit Christine Champagne.
Les autres auteurs mis en lumière ont choisi d’écrire en français ailleurs qu’au Québec. Marie Jack (qui habite au Manitoba) revisite par la fiction son passé en République tchèque avec Mariana et Milcza, alors que Sophie Bérubé (qui vit en Nouvelle-Écosse) traite du délicat sujet du viol, mais du point de vue du conjoint, dans Car la nuit est longue. Côté jeunesse, Chutes de Maxence Jaillet et Mario des Forges, articulé autour de la pratique du judo, nous fait voyager quant à lui du côté des Territoires du Nord-Ouest.
Sans surprise aucune, le livre joue un rôle essentiel dans la vie de l’auteure Claude Brisebois, nous révèlent ses réponses à notre questionnaire : « Je lis énormément, de 3 à 4 livres par mois, parfois plus, et ce, sur une base régulière depuis 45 ans. Alors pendant mes périodes de créations importantes, quand je lis, je porte attention aux mots et aux intrigues. De voir que d’autres arrivent à créer des mondes extraordinaires m’inspire, et ce, autant par la forme que par le récit. […] J’aimerais avoir l’imagination des R.J. Ellory et Jean-Christophe Grangé; l’humour des Daniel Pennac ou Tonino Benacquista; le souffle et la rigueur des grands maîtres que sont Balzac et Flaubert; la poésie d’Alessandro Baricco. Tous ces auteurs m’inspirent à leur manière. »
Bonne lecture!
Pour consulter le numéro complet, passez ici...

mardi 14 avril 2015

Judy Garland, la fin d'une étoile: fausses notes

J’aime passionnément la comédie musicale et ai toujours éprouvé une tendresse particulière pour les superproductions de jadis de la MGM, auxquelles a participé à de nombreuses reprises la mythique Judy Garland. Je me faisais donc une joie de voir l’adaptation française de The End of the Rainbow de Peter Quilter, saluée par de multiples nominations aux Tony Awards.
Malheureusement, quelques minutes à peine ont suffi pour comprendre que la magie ne ferait pas partie de l’équation...
Pour lire ma critique, passez chez Jeu...

lundi 13 avril 2015

Ceci est un meurtre: subversif et efficace

Présenté jusqu'au 25 avril aux Écuries, Ceci est un meurtre, s'avère un bien étrange objet. Entre performance et théâtre participatif, il faut admettre que la proposition du collectif Endoscope (Rébecca Déraspe, Mellissa Larivière et Vincent de Repentigny) rend floues (et même inutiles) les frontières entre les genres et force le spectateur à revisiter tous les codes qu'il croyait associés au genre théâtral.

D'entrée de jeu, on se demande où tout cela mènera, alors que Simon-Pierre Lambert passe méticuleusement la balayeuse sur le tapis beige d'une salle de séjour, installe une table pour cinq convives, libère une fenêtre obstruée ou installe au mur des dessins avec sa hache. Déjà, on ressent une ambivalence face à cette porte fermée par un cadenas, le côté volontiers maniaque du personnage et son évidente difficulté à gérer certains codes sociaux.

Le vent tourne - littéralement, un éventail poussant le fumet d'un poulet rôti vers le public - quand quatre volontaires sont invités à interagir avec le personnage principal. Figés, incertains de ce que l'on attend d'eux, ils s'installent, acceptent de couvrir leur tête de leur serviette de table ajourée, Lambert ne pouvant tolérer le regard direct des autres, avance-t-il. Ils piochent mollement dans le plat une pomme de terre, alors qu'une histoire abracadabrante est racontée, jetant un éclairage volontiers malsain sur le repas qui aurait pu se révéler sinon convivial.

Trois auront la possibilité - la chance? - de retourner à leurs sièges; l'autre devient victime, mais aussi complice. La scène devient « zone de danger », mais aussi la salle. En acceptant d'être témoin de ce qui suivra, le spectateur devient lui-même entravé dans sa réflexion, dans sa perception de ce qu'il voit, de qu'il croit juste on acceptable, dans le regard aussi qu'il jette sur son voisin, l'inconnu qu'il croise dans la rue, ceux qu'ils croient connaître. 

À quoi est-on prêt aujourd'hui pour être vu par l'autre, vraiment regardé? Jusqu'où irons-nous pour nous donner l'impression - l'illusion - d'être en sécurité? Des questions que l'on se pose rarement - trop rarement. L'inconfort se transforme en malaise, puis fait entrer en résonance une peur inconsciente plus ou moins tapie, de laquelle devrait idéalement surgir un sentiment de responsabilité, en tant que spectateur, mais aussi en tant que citoyen, l'autre, soi, devenant à la foi ennemi intime et élément déclencheur vers une potentielle libération. Troublant.



vendredi 10 avril 2015

Would: deux solitudes

On attendait beaucoup de Would, mouture entièrement repensée d’une commande de la danseuse torontoise Kate Holden. Avec raison! On ne peut que saluer la cohérence du langage chorégraphique de Mélanie Demers, l’excellence des deux interprètes (Marc Boivin a remporté un prix Dora Mavor Moore pour sa performance inoubliable) et l’adresse avec laquelle a été intégré le texte bilingue, qui nous fait passer du rire franc au questionnement sans que l’un ou l’autre des registres semble forcé.

Pour lire ma critique, passez chez Jeu...

Représentations à l'Usine C ce soir et demain. Allez-y!

jeudi 9 avril 2015

Les sept livres québécois à lire selon Télérama

Les longs weekends permettent le rattrapage côté lecture... notamment au niveau des revues diverses qui s'étaient amoncelées au fil des mois. Parmi celles-ci, le dernier Nouveau projet (quelle lecture vivifiante, merci à mon webmestre préféré de m'avoir abonnée!) et le Télérama Horizons consacré au Québec. Celui-là traînait depuis début décembre, legs d'une amie française qui se demandait bien ce que je penserais du tout. J'ai longuement hésité à l'ouvrir, m'attendant à une pléthore de clichés folkloriques du type « cabane au Canada ». (La couverture me laissait craindre le pire.)

Eh bien, surprise plutôt agréable, le numéro se consacre surtout à la culture québécoise. On y parle de Robert Lepage (l'évidence!), mais aussi de chorégraphes importants, d'auteurs-compositeurs-interprètes (certains choix laissent perplexes, mais d'autres se valent), de coupe à blanc, de BD, d'urbanisme... et de littérature. On propose ici sept lectures essentielles, « une succession de coups de cœur pour des auteurs singuliers, tous traversés par les questions de la langue et de l'identité ».

Ce que ça donne? Côté statistiques, on parle de deux premiers romans sur sept, écrits tous les deux par des auteurs nés ailleurs: Dany Laferrière et Kim Thuy. Certes, l'un a été intronisé à l'Académie française et l'autre possède l'une des personnalités les plus attachantes, toutes frontières confondues. Deux auteures disparues (Anne Hébert et Gabrielle Roy, née au Manitoba), mais tout de même quatre femmes sur sept (Hébert, Roy, Thuy et Marie-Claire Blais). Une liste représentative? Quand même... 

Voilà ce que cela donne.

1- Anne Hébert: Les fous de bassan (une plume d'une rare maîtrise)
2- Dany Laferrière: Comment faire l'amour à un nègre sans se fatiguer (Son Énigme du retour me semble plus incontournable au niveau littéraire, mais son premier roman est parfaitement maîtrisé.)
3- Réjean Ducharme: L'avalée des avalés (un choix irréprochable)
4- Gabrielle Roy: Ces enfants de ma vie (un petit bijou, assurément)
5- Jacques Poulin, Le vieux chagrin (Je préfère Les yeux bleus de Mistassini pour découvrir l'univers de Poulin, mais il demeure un auteur incontournable.)
6- Marie-Claire Blais, Naissance de Rebecca à l'ère des tourmentés (J'aurais plutôt attendu ici Une saison dans la vie d'Emmanuel, mais cela donne envie de plonger dans les derniers livres de l'auteure.)
7- Ru de Kim Thuy (un très joli premier roman, indéniablement)

Et vous, qu'y auriez-vu mis?

lundi 6 avril 2015

Écrire

Une création Chris Maynard
Écrire est tremblement
Qui veut devenir danse
Écrire et crier dans son sang
Graver dans sa propre écorce
Par en dedans
Écrire
Forceps pour s’extirper du temps
Écrire et puis dormir
Après une bonne saignée
Le grand corps blanc du rêve
Rétablit sa lumière
Suture au point perdu
Écrire

Christian Vézina, L'inventaire des miracles

samedi 4 avril 2015

Abécédaire de la création littéraire

A pour Anticipation, Avant de plonger dans l’écriture, mais aussi Agonie face à la page blanche
B pour Bondir sur son crayon, sur son clavier mais aussi Blêmir devant les mots qui déchirent
C pour Catharsis libératrice, Chamboulement des émotions
D pour Danser à l’unisson avec un personnage et Détourner sa Détresse
E pour Esquisser à grands traits un récit sans avoir peur tout à l’heure de l’Élaguer
F pour Fabuler sans Frémir, Franchir sans Férir le seuil qui nous mènera dans l’inconnu
G pour Générosité du verbe, beauté du Geste, Gratitude envers la beauté de la langue
H pour Hantise de ne pas être compris, Hésitation avant de se commettre mais aussi Hasard qui nous soutient de ses clins d’œil 
I pour Inspiration, grande prêtresse Insondable, amante Intransigeante mais Irrésistible
J pour Jouer avec les sons, Jongler avec les mots, Jubiler quand on a ciselé une phrase parfaite
K pour Knock-out quand on voit Kidnappée ou mal interprétée l’une de nos idées
L pour Littérature Libératrice, Ligne directrice, Lumière au bout du tunnel
M pour Musicalité des phrases, Magie des mots qui s’unissent, presque Malgré soi
N pour Naïveté face à l’artisanat de la Narration, Noblesse de la répétition du geste, Nuit pendant laquelle des récits émergent
O pour Obstacles à franchir, Océans de doute à traverser, Orgueil à terrasser
P pour Paresse occasionnelle, Paris risqués, Plongeon sans Protection
Q pour Questionner sans relâche, Qualifier chaque parcelle de texte, Quitter le Quotidien sans chanceler
R pour Reculer devant le gouffre, Rebondir dans un Récit, se Repentir quand nécessaire
S pour Saisir l’inspiration au vol, la Séduire, avant qu’elle ne nous condamne au Silence
T pour Terrasser l’angoisse, Transcender la douleur,  sans jamais Ternir l’émotion,
U pour Urgence dans l’écriture, Universalité du langage, Unisson des voix
V pour Vagabondage, porté par la Vague, l’esprit toujours en Veille
W pour Week-end de solitude face à ses mots, face à ses frayeurs,
X pour mademoiselle X, pour les baisers au bas d’une missive, pour les scènes torrides
Y pour Yeux ouverts en toutes circonstances, sur les autres, sur soi
Z pour Zigzaguer entre les idées, Zoomer sur l’essentiel, aborder la Zone d’ombre.

un texte sorti de mes cartons, que j'ai eu envie de partager en ce long weekend...

Joyeuses Pâques!

jeudi 2 avril 2015

À travers la pared: percevoir autrement les murs

Présentée dans une première mouture dans une prison désaffectée de San Luis Potosi au Mexique, À travers la pared d'Élodie Lombardo (Les sœurs Schmutt) est une proposition des plus étonnantes, qui force le spectateur à réfléchir à la notion même d'enfermement. A-t-on besoin de murs physiques pour se sentir emprisonné, avoir l'impression de tourner en rond, de ne pas pouvoir s'exprimer, de ne pas savoir comment rejoindre l'autre ou le groupe?

Photo: Frédérick Duchesne
Comment peut-on suggérer cette impression d'oppression dans un espace entièrement ouvert tel la scène de l'Espace Go? Quand on entre dans la salle, on découvre des cellules lumineuses sur scène: six couleurs distinctes pour chacun des interprètes, auxquelles ont été associés de façon aléatoire les spectateurs à travers un carré de couleur sur le programme de soirée. Chaque danseur se met en mouvement, usant d'un vocabulaire chorégraphique distinct, qui l'identifiera plus ou moins tout au long du spectacle. La notion même du mur est déjà trafiquée, puisque, au fond, ce n'est pas tant le rectangle lumineux qui contient l'interprète que les spectateurs qui se sont massés autour de lui. Et si, au fond, nous construisons nos propres murs, ceux que nous érigeons autour de nous aussi bien que ceux avec lesquels nous nous protégeons des autres?
Photo: Frédérick Duchesne

Après quelques minutes de solos - impossible déjà de ne pas être conscient de la personnalité extrêmement magnétique de Pamela Grimaldo, qu'elle travaille dans l'intériorité la plus secrète ou l'explosion du geste -, les danseurs passent d'une cellule à l'autre, occupent tout l'espace, établissent des liens, forment des duos, certains articulés autour du soutien à l'autre (dont celui formé par Sarah Dell'ava, les yeux recouverts de pansements, et Christobal Barreto Heredia), d'autres teintés d'un certain élément de séduction. Certains spectateurs deviennent ensuite partie prenante de la chorégraphie, à travers un tour de cercle ou à travers des contacts (frôlements, échanges de paroles) avec les interprètes. Alterneront segments volontiers nostalgiques (comme cette évocation d'un lieu, autant par la parole que la musique) et plus ludiques (une déclinaison du jeu Un, deux, trois, soleil), instillant un état de doute de plus en plus insidieux chez le spectateur.

Photo: Frédérick Duchesne
Une fois que celui-ci a regagné son siège, il ne peut que poursuivre cette réflexion sur le voir et le refus de voir (toujours au moins un des interprètes quand ce n'est pas tous ont les yeux bandés), entre le soi et la collectivité, entre le passé et le présent (Eduardo Rocha évoquera notamment en gestes et en paroles des souvenirs d'enfance alors qu'il s'imaginait géant faisant trembler la ville), entre la lumière et l'ombre (magique interprétation dans le cercle de lumière de Grimaldo), entre l'ailleurs et l'ici aussi, grâce à des séquences vidéo poétiques, tournées au Mexique par Robin Pineda Gould, établissant un lien entre ce lien fantomatique et la nouvelle déclinaison du spectacle proposé à Montréal.

Si certains segments de la deuxième partie auraient pu être légèrement ramassés et un lieu peut-être plus industriel (j'ai pensé un instant à la la fonderie Darling ou même aux Ateliers Jean-Brillant) aurait sans doute mieux prolonger le souvenir de la prison de San Luis Potosi, la proposition demeure pertinente, surtout rendue avec autant de conviction par les six interprètes. « Mira me! » Un déchirant cri du cœur qui hante.

Du 1er au 4 et du 8 au 11 avril à l'Espace Go. Présenté par Danse Cité.