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vendredi 31 mai 2013

Bells 13

La proposition était intrigante. Une procession, de la Grande Bibliothèque au Quartier des spectacles, au son de 13 interprètes qui ne communiquent qu'avec le son de leurs cloches, qu'ils portent autour du bras ou déposent sur leurs cuisses, qu'ils agitent, de façon hypnotique. Ils s'arrêtent ici et là, déplacent leur petit siège portatif, ne se laissent pas déranger par les passants qui s'approchent pour prendre des photos ou souhaitent simplement se trouver au cœur même du son.

Quelques minutes ou pour la durée du périple (une heure quinze), on se laisse happer, ébloui en plein soleil (11 h 30 aujourd'hui, 15 h demain), par cette proposition de Robin Poitras (originaire de Regina, en Saskatchewan) qui, inspirée par le chant des oiseaux migrateurs et leurs déplacements, a souhaité offrir aux curieux une nouvelle façon de s'approprier notre centre-ville, de vraiment regarder ces lieux que nous ne voyons plus à force de les arpenter. En choisissant 13 musiciens de morphologie différente, elle nous permet aussi de retrouver une part d'humanité, d'unicité.

Voici quelques photos prises hier.

Photo: Lucie Renaud

Photo: Lucie Renaud

Photo: Lucie Renaud

Photo: Lucie Renaud

Photo: Lucie Renaud

Photo: Lucie Renaud

Photo: Lucie Renaud

Photo: Lucie Renaud



jeudi 30 mai 2013

Birds with Skymirrors: Ocean’s Eleven

En 2011, j’avais découvert Tempest : Without a Body du chorégraphe Lemi Ponifasio presque par hasard, une copine en ayant parlé avec tant de conviction que j’avais accepté de l’y suivre. Deux ans plus tard, l’émotion ressentie restait suffisamment vive, l’onde de choc légèrement insidieuse, pour que j’hésite une seule seconde à inclure Birds with Skymirrors à mon agenda. Créé après que Ponifasio ait vu briller dans le bec d’oiseaux des rubans de plastique au large des côtes des Îles Samoa, ce spectacle pour 11 danseurs (aussi chanteurs ou orateurs) se décline comme un rituel contemporain aux codes parfois flous. Que l’on peine à discerner une ponctuation claire à la chose ou que l’on accepte de se tenir immobile devant les beautés et les horreurs du monde, nul ne sortira de la salle totalement indemne.

Cette fois, encore, Ponifasio a choisi d’extraire le mouvement d’une pâte sonore aux inspirations multiples, plus acousmatique que mélodique. Alors que les tympans avaient été déchirés d’emblée dans Tempest, ici le son se construit en strates, dans une progression presque inexorable, le bip qui rappelle le sonar ponctuant le paysage, finissant par l’envahir, longue montée dramatique souterraine qui nous fauche en plein élan, comme cet oiseau englué de pétrole, incapable de retrouver son élément naturel.

Pour lire le reste de ma critique sur le site Internet de Jeu...

Vous pouvez encore vous glisser en salle ce soir (Théâtre Maisonneuve). Cette vidéo vous donnera une bonne idée du contexte du spectacle.

mardi 28 mai 2013

Le Sacre de Xavier Le Roy

Le Sacre du printemps de Stravinski aura 100 ans demain. J'ai sérieusement considéré me trouver à Paris ce jour-là, histoire de pouvoir vivre ce moment historique en direct, tellement j'aime l’œuvre et que je n'ai pas encore l'impression d'en faire le tour. (Je me contenterai de la diffusion Arte, si accessible au Canada.) À la place, je me suis précipitée sur des billets pour la relecture proposée par Xavier Le Roy dans le cadre du FTA. Ici, toute la dimension rituelle du Sacre est occultée, sauf bien sûr si l'on considère l'expérience de concert classique rituel.

L'histoire de cette rencontre entre chorégraphe et œuvre reste fascinante. En 2007, alors que le Philharmonique de Berlin le contacte pour qu'il élabore une pièce pour enfants (non danseurs) sur Ionisation de Varèse, il découvre également sur le DVD transmis par l'orchestre une interprétation du Sacre sous la direction de Simon Rattle. « C’est en regardant ce document que j’ai eu l’idée de faire cette pièce-là, en me rendant compte que parfois le chef d’orchestre n’avait pas les gestes auxquels je pouvais m’attendre, il me semblait que les gestes n’avaient pas la fonction que moi je leur aurai attribuée. Il faut dire que je n’ai pas d’éducation musicale et cela conditionnait ma façon de regarder ce document et c’est ça qui m’a donné envie de créer cette pièce », explique-t-il en entrevue.

Sans formation musicale, Le Roy aborde néanmoins l'étude de la partition avec un chef d'orchestre, histoire de mieux comprendre le matériau. (Comme introduction à la direction, on pourrait trouver pièce plus facile à déchiffrer, il faut l'admettre.) Il élabore ensuite un solo dans lequel il joue le rôle du chef d'orchestre, mais à d'autres moments se laisse porter par la musique, dans une chorégraphie qui requiert une endurance certaine. La scène est vide, la salle éclairée. Le tout s'amorce alors qu'il dirige de dos (comme si nous étions au concert). À un moment, il se retourne et le public devient orchestre, grâce à un astucieux dispositif imaginé par Peter Boehm, qui spatialise les différentes sections de l'orchestre. Ainsi, j'étais assise dans ce qui aurait été la section des cors français (impeccables au Philharmonique de Berlin, bien évidemment) et quand les percussions étaient sollicitées, je les percevais dans mon dos, les premiers violons dans les premières rangées, les flûtes un peu à l'avant-gauche, la clarinette basse à ma gauche. La musicienne en moi s'est donc révélée absolument ravie de se retrouver dans la pâte sonore même, de faire corps avec les autres sections, de comprendre la vision de Simon Rattle de l'intérieur.

Pourtant, en tant qu'objet chorégraphique, la performance  ne m'a pas séduite. Bien sûr, même si à plusieurs moments, Le Roy marque les entrées (notamment, celles du picolo), à d'autres, il exagère volontairement certains gestes du chef, en déforme les intentions. Même s'il ne cherche pas à reproduire exactement la gestuelle de Rattle (si on le souhaite, on n'a qu'à visionner le DVD, après tout), son intégration du langage corporel du chef ne m'a que rarement convaincue, certains sautillements de boxeur et prouesses dignes d'un concours de air guitar me semblant franchement déplacés et inutiles. De la même façon, je n'ai pas compris pourquoi il a arrêté la pièce, pour la reprendre ensuite (comment peut-on considérer briser un fil narratif d'une telle linéarité?), pourquoi il a eu besoin de réintégrer cette grotesque gestuelle de l'implosion du son une seconde fois, mimique qu'il avait déjà reprise à trois reprises, ou pourquoi il a quitté à un moment la scène pendant que la musique continuait. Un clin d’œil au fait que le chef d'orchestre ne sert à rien? (Nous ne sommes pas ici dans une symphonie de Haydn, pourtant.)

La surspécialiste en moi a évidemment tiqué sur sa battue imprécise et sur le côté statique de certaines sections, comme s'il avait internalisé la musique de façon intellectuelle, mais n'avait pas entièrement accepté que celle-ci le traverse. N'empêche, pendant la nuit, j'ai ré-entendu des passages précis de la partition, je l'ai laissé s'immiscer en moi, ai ressenti certaines articulations dans ma chair. En m'éveillant, j'ai eu besoin d'entendre de nouveau le Sacre par le Philharmonique de Berlin et l'ai perçu autrement. Au final, ce rendez-vous n'aura pas été totalement manqué.

lundi 27 mai 2013

Nella tempesta: l'étoffe de nos rêves

La troupe italienne Motus propose une incursion dans le domaine de l'utopie, du rêve, du théâtre, mais aussi d'un certain activisme. En se servant de passages plus ou moins déconstruits de La Tempête de Shakespeare, peut-être bien l’œuvre dramaturgique qui représente le mieux l'essence même du théâtre, les initiateurs du projet et interprètes multiplient les mises en abyme, mais tentent également de réveiller en douceur notre conscience sociale. Quand Ariel affirme « Qui est le maître? », il faut bien admettre que comprise dans un monde où l'argent et la corruption semblent tout-puissants, cette phrase résonne autrement.

Se servant des couvertures apportées par le public (qui seront redistribuées après aux plus démunis), les comédiens érigent une île magique, celle de Prospero, celle des possibilités théâtrales, celle d'une certaine utopie aussi. Les acteurs s'interrogent au fur et à mesure (même parfois dans leur loge, « conversation » que nous pouvons suivre grâce à la vidéo) sur l'approche à adopter pour monter cette Tempête, qui s'appuie notamment sur la relecture de certains de ses passages par Aimé Césaire et dans laquelle on intègrera des références à Michael Jackson et Malcolm X. Silvia Calderoni en Ariel brûle littéralement les planches. Adoptant tour à tour un registre intériorisé et explosif, troublante d'androgénie, elle guide le spectateur à travers les méandres de la pièce, autant de fragments qui semblent flotter à la surface, entre conscient et inconscient, portés tantôt par la musique des Doors ou de Beethoven.

Paradoxe peut-être ici, les codes sociaux semblaient si intégrés que le public hésitait à réagir quand interpellé - contrairement au « jury » intégré dans L'ennemi du peuple d'Ibsen présenté également au FTA par la Schaubühne en ouverture de festival. Le télescopage théâtral avait-il laissé les spectateurs en plan? (Il est vrai qu'on avait l'impression d'assister à un laboratoire.) Chacun s'était-il perdu dans ses propres pensées, seul sur son île? N'empêche, à la fin du spectacle, presque tous sont allés jeter un coup d’œil à cette carte de la ville balisés par les sentiments de quelques participants (on pouvait y retrouver aussi bien les endroits où l'on se sentait bien que trop surveillé ou ignoré) et quelques-uns ont osé proposer des pistes de solution. La compagnie causera d'ailleurs une petite tempête à l'hôtel de ville, à 15 h 30. De quelle nature? Tout est possible quand on se laisse bercer par une douce utopie.

Il reste une représentation de la pièce, présentée en première mondiale à Montréal, ce soir 20 h.

dimanche 26 mai 2013

Here and Now

Je connais très bien l’œuvre de Paul Auster, ayant lu tous ces romans et plusieurs de ses essais. J'ai découvert J.M. Coetzee au cours de la dernière année, à l'insistance d'un ami qui m'a prêté Disgrâce, m'en recommandant impérativement la lecture (il avait raison, quel choc de lecture!), puis lorsque j'ai vu l'adaptation scénique de Waiting for the Barbarians au Segal Centre, un moment de théâtre marquant des derniers mois pour moi.  

Dans Here and Now, les deux auteurs échangent: sur le sport, la littérature, les critiques, le cinéma, la situation en Afrique du Sud, en Israël, l'amour, la mort, la vie. Quand la correspondance s'amorce, en 2008, Auster et Coetzee viennent de se rencontrer dans un festival de cinéma. Le courant a passé, mais l'amitié reste à édifier.

S'il demeure bien évidemment pertinent d'assister à un échange entre deux géants de la littérature contemporaine, il se révèle encore plus touchant de voir une amitié grandir, tout doucement. Les premières lettres restent plus « techniques » (et si nous échangions sur tel ou tel sujet semblent-ils se dire), plus académiques jusqu'à un certain point (on sent que chacun des deux a réfléchi à sa réponse, à la façon dont les arguments seront amenés), elles deviennent de plus en plus libres, sans fard, sans jamais tomber dans la facilité. Au fil des mois, le respect se double d'une affection certaine (par exemple quand Auster s'inquiète parce que Coetzee ne dort pas suffisamment), du plaisir de savoir que l'autre fait partie de notre vie. On découvre chemin faisant deux grandes plumes autrement, s'extasiant même à l'occasion sur l'élégance avec laquelle tout cela a été réalisé, et on se dit qu'il faut assurément continuer à découvrir Coetzee.

vendredi 24 mai 2013

Beauty remained… : la beauté dans tous ses états

Au fil des ans, Robyn Orlin a souvent traité des aberrations de la vie en Afrique du Sud (née à Johannesburg, elle vit à Berlin depuis 10 ans), de l’axe Nord-Sud, des injustices sociales. Si son œuvre s’inscrit essentiellement dans une volonté de dénonciation, Beauty remained for just a moment then returned gently to her starting position se veut une création plus ludique, qui fait voler en éclats le quatrième mur en misant sur la participation du public, qui accompagne les interprètes dans leur improbable quête de beauté. Multidisciplinaire, le spectacle se veut mariage (de cœur plutôt que de raison) entre théâtre, performance, musique et danse. Julia Burnham se relève particulièrement charismatique en maîtresse de cérémonie et les danseurs de Moving into Dance Mophatong débordent d’une énergie contagieuse, sur scène aussi bien que dans les allées, alors qu’ils interpellent les spectateurs.

Lire la suite de ma critique de ce spectacle du FTA sur le site de la revue Jeu...
C'était le premier des huit spectacles que je verrai au FTA (si je n'en ajoute pas). L'OFFTA s'ouvre également ce soir. Plus de détails ici...

jeudi 23 mai 2013

Harmonies du soir

L'orchestre de chambre Appassionata avait articulé sa saison 2012-13 autour des trois symphonies de Haydn rythmant la journée. Quelle meilleure façon de clore cette 12e saison qu'en juxtaposant la Symphonie no 8, « Le soir » à la Messe Lord Nelson, dans laquelle les musiciens seraient rejoints par quatre solistes et un chœur universitaire, les VCU Commonwealth Singers? Jusqu'à hier soir, je connaissais Appassionata de réputation (ayant notamment eu le plaisir d'interviewer son directeur musical) et sur disque (plusieurs écoutes du dernier album ont été nécessaires avant que je ne m'en lasse, fait rare chez moi), appréciais son travail sur le terrain avec la nouvelle génération, les avais entendus prêtant main-forte à l'ECM+ dans le programme « L'amour sorcier », mais je n'avais toujours pas entendu l'orchestre en concert, seul.

Après avoir subi quelques interprétations de symphonies de Haydn (notamment par des orchestres autrement plus prestigieux) au cours de la dernière année et plongé dans cet univers pour une conférence pré-concert, j'étais indécise. N'avait-on pas affaire ici à une symphonie de jeunesse... comme on dit une erreur de jeunesse? En même temps, plus je découvre Haydn en profondeur, plus j'analyse ses partitions, plus je comprends pourquoi Mozart lui vouait un tel respect et surtout plus je saisis le côté brillant, souvent foncièrement ludique de sa musique. Je me suis même replongée récemment dans ses sonates pour piano pour la première fois depuis des lustres, avec un plaisir entier.

Alors, Haydn tel que pensé par Daniel Myssyk et transmis par Appassionata? Quatre mesures tout au plus ont suffi pour que j'endosse la lecture. Alors que, dans d'autres circonstances, je me serais rongé les jointures en réalisant que toutes les reprises seraient pratiquées, je les ai accueillies hier avec le sourire. Haydn possédait souffle, phrasé, élégance et juste ce qu'il faut d'éclat au fond de l’œil pour que, après un seul mouvement, je ne puisse m'empêcher de glisser à l'ami qui m'accompagnait une exclamation de plaisir et lui dire combien j'avais hâte de découvrir Mozart sous de tels doigts.

Les VCU Commonwealth Singers de Richmond (Virginie) nous ont ensuite offert deux œuvres contemporaines, l'une très médiatisée, Water Night d'Eric Whitacre, l'autre moins connue, mais d'une sublime beauté, The Ecstasies Above de Tarik O'Regan (d'après un poème d'Edgard Allen Poe). Il y avait quelque chose de très émouvant à écouter ces 40 jeunes voix s'approprier de telles pages. Je me suis même demandée si une plus grande appréciation du répertoire contemporain ne devait pas passer impérativement par les œuvres chorales, tant la voix semble si parfaitement apte à transmettre les subtilités des dissonances, à en adoucir les contours, à les rendre plus humains.

L'après-entracte était consacrée à la Missa in Angustiis (Messe pour des temps difficiles ou Messe Lord Nelson), que je ne croyais pas connaître. Deux pages ont suffi pour que me revienne en tête la partition, que j'ai moi-même chantée à l'adolescence! Il y avait quelque chose de très troublant à retrouver ces lignes ainsi, à la fois de façon émotive et avec la distance permise par les années. Si les solistes ont manqué ici et là d'éclat, musiciens et choristes se sont entièrement investis dans la transmission, menant une salle presque comble à se lever d'un même geste dès la dernière note entendue.

mardi 21 mai 2013

Les JMI sont en ville

Une cinquantaine de délégués des Jeunesses Musicales Internationales sont en ville jusqu’à demain, dans le cadre de leur 68e assemblée générale annuelle. Des membres enthousiastes d’une vingtaine de pays sont sur place pour échanger au sujet des divers programmes initiés par les chapitres nationaux, prendre des décisions administratives et assister à des ateliers et des concerts.Je suis entretenu vendredi avec le président de l'association, Per Ekedhal.

Vous pouvez lire l'entrevue sur le blogue Analekta ici...

lundi 20 mai 2013

Kuessipan


Comment dire quand on doit le faire dans une langue étrangère, qui nous a été imposée par un peuple qui se dit « fondateur » quand il n'a fait que s'approprier une terre il y a quelques siècles de cela? Comment dire quand on a la jeune vingtaine, que l'on vient d'une réserve, élève seule son enfant, mais qu'on étudie chez les Blancs, écartelée peut-être entre ce que l'on est - ou croit être - et ce que l'on essaie de devenir?   
« Derrière la blancheur de sa peau, elle est rouge de la tête aux pieds. Rouge, la couleur des tisons qui fuient, celle de la brunante aux chaleurs d’été et celle du sang qui coule de la fourrure des animaux chassés. » 

On prend la parole autrement, à travers une série de tableaux, mi-réels, mi-imaginés. On détourne certaines structures lexicales pour qu'elle représente un peu mieux le rythme de la langue innue, peut-être. On montre le quotidien, parfois glauque, mais le filtre à travers la fiction (ou du moins une langue seconde), parce que, sinon, qui osera lire.
« J'ai inventé des vies. L'homme au tambour ne m'a jamais parlé de lui.... Il marmonnait une langue vieille, éloignée. J'ai prétendu tout connaître de lui. L'homme que j'ai inventé, je l'aimais. Et ces autres vies, je les ai embellies. Je voulais voir la beauté, je voulais la faire. Dénaturer les choses – je ne veux pas nommer ces choses – pour n'en voir que le tison qui brûle encore dans le cœur des premiers habitants. »

Imparfait peut-être - comme tous les premiers livres -, Kuessipan reste pourtant profondément émouvant car, derrière les clôtures arrachées, les maisons identiques plus ou moins entretenues, les problèmes de dépendance, les incompréhensions, il y a la vie qui continue de battre, ces couples qui se promettent l'un à l'autre - « un amour pur, sans contrainte légale. Un amour qui durera. » -, ces enfants qui naissent entourés d'amour, parfois inconscient, parfois presque désespéré, ce lien à la terre et aux ancêtres, ces vieux qui ont tout vu et qui pourraient être revenus de tout, mais dont le regard brille quand même encore. « Elle a des yeux d’Indienne qui ont tout vu, et qui s’étonnent de rire souvent. Un regard qui brûle. De l’intérieur, de l’existence. Tu vois, elle est belle. » Et puis, il y a cette voix, qui s'élève, puissante, subtile, qui cherche à transmettre, à rejoindre. Il sera encore temps d'éliminer quelques scories dans le prochain roman. Je ne serai sans doute pas la seule à l'attendre.



dimanche 19 mai 2013

Les 15 ans du Molinari

Le Quatuor Molinari fêtait ses 15 ans vendredi soir, dans l'intimité, dans l'intensité, partageant avec un public de fidèles (abonnés, compositeurs, collaborateurs du quatuor), d'amis, quelques-unes des œuvres qui ont jalonné son parcours, de R. Murray Schaffer, compositeur qui avait été au cœur des premiers événements du Quatuor à Bartók (intégrale qu'avait proposée le Molinari en 2006), sans oublier Schnittke (qui a ancré l'année 2010) et Goubaïdoulina (prochain projet d'enregistrement) qui, dans son Quatuor no 1, fait carrément exploser la formation même, chaque membre terminant la pièce dans un coin différent de la scène.

Il y avait là d'ailleurs quelque chose d'assez étonnant - mais pertinent - à commencer ce programme par cette dissolution du langage, qui se termine sur un véritable cri de solitude. N'entre-t-on pas en quatuor comme on entre en vie monastique ou dans un mariage, histoire de transcender la petitesse de son être en créant un tout plus grand que la somme de ses parts? De façon parallèle, certains des dialogues entretenus par les instruments dans le Goubaïdoulina semblent par moments relever de la discussion véhémente, clin d’œil aux répétitions peut-être.

Le Bartók permettait un apparent retour dans le temps (il date de 1927), mais surtout de comprendre la brèche que le compositeur a ouverte dans le langage et comment les autres ont su s'y engouffrer. La création du Douzième Quatuor de R. Murray Schafer s'est révélée magique. Dès la première écoute, on plonge dans le matériau organique, se laisse porter par les alternances entre traits rapides et passages d'un grand lyrisme. Dans une langue qui maximise le caractère chantant des instruments en présence, tout en leur confiant des instants dramatiques, Schafer nous a éloquemment rappelé  pourquoi il est l'un de nos très grands. (La pièce, que je prendrai plaisir à réécouter, se trouve d'ailleurs sur le tout nouveau disque du Molinari, lancé lors du concert.) La soirée se terminait sur le Quatuor no 4 de Schnittke,  une page sombre, toute en intériorité, refusant tout compromis, menée avec une rare maîtrise par les musiciens. Le public, probablement rasséréné par le Schafer, n'a démontré aucun signe de fatigue et a suivi le Molinari sans broncher, devenant même part prenante des silences. (Le dernier s'est ainsi révélé particulièrement prégnant.)

Pour fêter ses 15 ans, le Molinari aurait pu proposer un feu roulant d'extraits. Il a choisi de rester fidèle à lui-même, à cette recherche de l'excellence, à cette volonté de partager un répertoire trop peu défendu, à cette conviction surtout que le public est capable de s'investir dans une écoute active et se révèle au fond beaucoup moins frileux que d'autres pourraient le croire.

samedi 18 mai 2013

Rêver, dit-il

Stephan Thoss avait séduit il y a deux ans avec Searching for Home, certainement l'un des ballets les plus mémorables présentés dans les dernières années. Gradimir Pankov a eu l'excellente idée de réinviter le chorégraphe allemande, cette fois avec une carte blanche, pour la création d'un ballet qui saurait s'adapter aux Grands Ballets Canadiens. Alors que Searching for Home rendait floue la ligne entre souvenirs et présent, conscient et inconscient, Rêve va encore plus loin, en proposant une fable sur la création et ses affres. La rêveuse écrit des histoires, mais ne réussit jamais à les assumer entièrement, comme si elle donnait vie aux personnages, mais ne pouvait suffisamment les ancrer dans une certaine réalité pour qu'un arc narratif s'en détache. Chaque soir, en un pas de deux avec son inconscient, elle essaie d'aller un peu plus loin, mais reste toujours en retrait.

On serait tenté de détourner une célèbre citation de Magritte, source d'inspiration du monde onirique évoqué par Stephan Thoss et d'affirmer: « Ceci n'est pas un ballet. » Thoss va très loin ici dans la recherche d'une forme d'art totale, intégrant au mouvement projections, travail sur la plastie des tableaux (quelle belle réappropriation des toiles de Magritte qui finissent par enfermer la créatrice dans ses doutes) et une remarquable sculpture des volumes grâce aux éclairages de Thoss et Marc Parent. Tributaire de la danse expressionniste allemande, le travail sur les lignes et leur décomposition demeure remarquable, mais l'expérience Rêve va beaucoup plus loin. Le maître-d’œuvre (Thoss ayant aussi travaillé aux décors, aux costumes et à la trame musicale) nous plonge dans les rêves d'une autre, tantôt ludiques, tantôt étranges, parfois terrifiants, mais ce faisant, ouvre la porte de notre propre inconscient, notre lecture des tableaux se trouvant teintée par nos référents, nos souvenirs, nos peurs. L'expérience peut se révéler à la fois déstabilisante et exaltante.

Thoss a su offrir un écrin idéal aux danseurs des Grands Ballets Canadiens, en multipliant les formations et la palette expressive. (Ce ballet des ombres restera sans doute dans les mémoires.) On sent également toute l'attention portée au rythme, tant dans les gestes que dans la trame sonore elle-même, travaillée en strates, qui mise tour à tour sur la pulsation (le « Plain to Spain (Bolero) » tiré de The Ninth Gate de Wojciech Kilar par exemple), une certaine cérébralité (le traitement des volumes lumineux accompagnant la « Sarabande » de la Suite française en do mineur de Bach), un sentiment d'oppression (des extraits de quatuors de Chostakovitch) ou devient carrément ludique avec It's a Man's Man's Man's World (quelle délirante robe de lumière que celle-là!).

On regrettera peut-être tout au plus que la vidéo, à quelques reprises plus proche de Dali et Bunuel ou de Fritz Lang que de Magritte, détourne parfois l'attention des pas dansés à l'avant par la rêveuse et son double, l’œil se sent d'abord happé par les images projetées plutôt que par celles qui s'esquissent en temps réel. Cela reste une réserve bien minime et l'on se prend à vouloir revoir le ballet, dans un état d'esprit autre, histoire de comprendre comment il agira cette fois sur notre conscient et notre inconscient. À voir d'ici au 25 mai!

vendredi 17 mai 2013

Sherlock Holmes: pas si élémentaire

Photo: Andrée Lanthier
Menant une carrière plus qu’intéressante à Hollywood, l’acteur montréalais Jay Baruchel remonte pour la première fois sur les planches depuis l’école secondaire dans le rôle-titre de Sherlock Holmes de Greg Kramer. Il exsude la suavité et l’assurance presque arrogante du mythique détective londonien. Il possède également ce côté légèrement décalé – qui faisait tout le charme du film Le Trotski d’ailleurs – qui rend le personnage instantanément crédible et attachant. Pourquoi alors ai-je eu l’impression que, malgré de nombreuses qualités, la pièce ne lève pas entièrement, qu’elle n’a pas atteint son plein potentiel expressif? L’ombre de l’auteur, Greg Kramer, mort des suites d’une longue maladie aux premiers jours des répétitions, aurait-elle été trop oppressante? A-t-on refusé les ajustements – qu’il aurait sans doute lui-même pratiqué, surtout qu’il se destinait le rôle de Lestrade – de peur d’être accusé de trafiquer son œuvre?

Vous pouvez lire la suite de ma critique sur le site de la revue Jeu...

jeudi 16 mai 2013

Ludique

Pourquoi les parents s'entêtent-ils à nous dire de ne pas jouer avec notre nourriture? Voici l'étonnant Vegetable Orchestra de Vienne, fondé en 1998. Les musiciens et facteurs d'instruments débarquent le matin au marché, soupèsent, comparent, comme tout client soucieux d'en obtenir le maximum pour son argent, sans doute, et puis, se mettent au travail, évidant, perçant, trafiquant les légumes. Après le concert, le public est invité à déguster légumes crus et soupe. Il suffisait d'y penser...

Écume

Après la présentation en 2007 d’une version préliminaire qui s’était mérité plusieurs prix, Écume est devenue pièce entière, parce que « l’histoire [lui] demandait ça » explique l’auteure, à l’automne 2010 à La Nouvelle Scène à Ottawa, dans une production saluée du Théâtre du Trillium. S’étant hissée cette année-là au sommet du palmarès de la revue Voir, ce premier opus de la dramaturge aurait pu alors continuer de vivre dans le souvenir des heureux l’ayant vue. En devenant un objet littéraire à part entière, elle peut maintenant rejoindre un autre public, qui saura se faire sa propre mise en scène.

Histoire d’amour improbable entre Morgane, une jeune femme qui pourrait bien se révéler être une sirène, et Émile, qui a besoin de comprendre avant de ressentir, Écume se décline comme un hommage à la mer (l’auteure a grandi dans un village côtier du Nouveau-Brunswick) et aux mères. La pièce peut aussi être perçue comme une fable sur l’importance de laisser souvenirs et rêves s’immiscer dans le réel, mais surtout de poursuivre le dialogue. Morgane communique avec Simone, enterrée depuis plusieurs années, personnage à part entière et non voix hors champ. Elle espère saisir pourquoi sa mère est disparue, l’identité de son père, d’où elle vient réellement, ce qu’elle pourra transmettre à cette enfant qu’elle porte maintenant en son sein. Momo, croque-mort aux dons particuliers, un être androgyne qui tantôt parle au féminin et à d’autres moments au masculin, partage les messages que les morts destinent aux vivants. Émile, quant à lui, se confie à son coach de vie, aussi bien en anglais (qu’il souhaite apprendre de cette façon) qu’en français, quand les émotions ne peuvent qu’être nommées dans sa langue maternelle. « There is a big difference between a lie and a necessary fiction. [...] J’aimerais ça, moi aussi, croire dans quelque chose qui me dépasse, qui ne s’explique pas scientifiquement. »  Au gré des rencontres, des vagues, du bouillonnement de l’écume de leurs sentiments, les personnages se redéfinissent constamment.

Alors que certaines pièces de théâtre ont besoin d’être vues et entendues pour être entièrement apprivoisées, ce premier texte d’Anne-Marie White se décline plutôt comme un conte pour tous qui ferait la part belle aux dialogues et qui laisse toujours un espace essentiel au témoin pour y superposer ses référents, ses souvenirs, ses doutes, ses peurs, mais aussi ses espoirs.

mercredi 15 mai 2013

La vie, la vie

Mai… Alors que l’hiver s’est mué d’un seul coup en été, j’aurais pu vous parler du plaisir de lire en terrasse, dans un jardin, dans un parc, protégé du soleil brûlant, des regards indiscrets. J’aurais pu vous évoquer l’exaltation vécue lors de la 12e édition du Festival du jamais lu, qui continue de soutenir le théâtre émergent et d’offrir au public une première occasion de découvrir des textes qui deviendront peut-être les classiques de demain, mission qui ressemble quand même étrangement à celle de La Recrue du mois. Et puis, un ange est passé, plutôt nous a quittés. Vickie Gendreau, qui avait causé un raz-de-marée médiatique à l’automne avec son premier roman, Testament, a perdu son combat contre le cancer. Grâce à la complicité de son fidèle ami Mathieu Arsenault, elle aura eu le temps de terminer son deuxième opus, Drama Queens, qui a été donné en lecture presque intégrale le 30 avril dernier. « C'est mon vrai livre, Mathieu! Là je sais que je suis une vraie écrivaine! Avant on me le disait mais je le réalisais pas. Mais là! C'est meilleur que Testament parce que je suis vivante dedans! Je suis vivante! » lui avait-elle confié.

Par un troublant hasard, le passage vers l’au-delà est au cœur de La mort est un coucher de soleil de Claude-Emmanuelle Yance, notre Recrue du mois, un roman qui interroge le lecteur, par strates de couleurs, comme le soleil du titre. « Pourtant, qu’y a-t-il de plus important que le mystère que chacun transporte en soi à travers les jours et les nuits de sa courte vie? » y écrit d’ailleurs la narratrice, incapable de saisir les motivations du geste du disparu. Dans le questionnaire, Claude-Emmanuelle Yance lie elle-même dans un même souffle la vie, l’écriture et la mort : « Je n’imagine pas ma vie sans l’écriture. J’espère mourir la tête sur mon clavier. Même si je ne publiais plus. » La fiction comme catharsis, comme bouée, comme parole vibrante.

Écume d’Anne-Marie White, pièce de théâtre montée il y a quelques années, retravaillée par l’auteure avant publication, se conçoit aussi comme une fable entre l’ici et l’au-delà, l’un des personnages, androgyne, servant d’intermédiaire entre les vivants et les morts. Stand by, premier recueil de poésie de Véronique Bourdon, se veut un hommage au père disparu, Chien de fusil  d’Alexie Morin, une tentative de résilience, une pulsion de vie. Dans Dix jours en cargo, Isabelle Miron s’attarde au geste même d’écrire, alors que la narratrice tente de retrouver l’inspiration lors d’une traversée qui n’a rien d’idyllique entre Barcelone et Rio. 

« Les Grandes Tristesses finissent aussi par me faire sangloter à gros bouillons en me plantant le dard de la grande mélancolie en plein cœur. Mais à un moment donné, c’est assez! » confie la jeune narratrice de La fée des balcons de Maude Favreau. Fort heureusement, la vie finira toujours par reprendre ses droits, que ce soit à travers une main tendue, un geste gratuit de bonté, les mots d’un autre. Carpe diem!

Pour lire le numéro courant de La Recrue

lundi 13 mai 2013

L'ombre de la colline

Nathalie, fille de Roland et Rita Cyr, a disparu. Seul son meilleur ami Jean-Pierre sait qu'elle est maintenant danseuse dans un club miteux d'Ottawa et qu'elle s'est mise le doigt dans l'engrenage implacable de la drogue. Un jour, on la retrouve, battue à mort. A-t-elle été témoin de quelque chose? Est-elle liée à un réseau de trafic? Sa mère, adjointe et maîtresse du sénateur Beaulac, souhaite garder le tout secret, consciente du scandale qui pourrait éclabousser son patron, qui est loin d'être blanc comme neige. Malgré tout, une enquête s'amorce, menée par une policière n'ayant pas froid aux yeux, avec l'aide du père de la victime et de celui de JP, visiblement sous le charme de l'enquêteuse.

Marius Tremblay, pendant un certain temps adjoint du chef du NPD, propose dans ce premier roman un thriller politique qui garde en haleine, même si le lecteur sait d'emblée ce qui est arrivé à Nathalie. Il se veut surtout portrait d'une certaine époque, peut-être pas aussi révolue qu'on ne voudrait le croire, alors que les tractations politiques se faisaient dans les clubs privés, les restaurants chic ou lors de fêtes bien arrosées dans des résidences privées. Le lecteur ressentira peut-être une certaine nostalgie à revivre les années 1980, alors que les coiffures et les tenues se voulaient plus flamboyantes, les pool parties dégénéraient presque à tout coup, qu'Internet et les téléphones cellulaires ne régentaient pas encore nos vies.

À la lecture de ce roman découpé en courts chapitres, qui fait la part belle aux dialogues, on en apprendra un peu plus sur les dessous du pouvoir. Derrière chaque grand homme ne retrouve-t-on pas toujours une femme? On devinera aussi que l'auteur n'est sans doute pas indifférent aux appâts féminins, notamment aux poitrines de ces dames qui se trouvent peut-être un peu trop souvent jouer un rôle de premier plan. On pourra d'ailleurs déplorer qu'à court de synonymes, l'auteur ait recours de temps en temps à certains termes disons moins élégants pour décrire ces affolants attributs, maladresse qui sera sans doute corrigée dans la suite de ces aventures, en préparation. Mais d'ici là, Marius Tremblay, d'abord compositeur, nous réserve une relecture du mythe du Lohengrin de Wagner, juste à temps pour l'année anniversaire. Ce sera difficile d'y résister.

dimanche 12 mai 2013

Bal littéraire: s'éclater entre ciel et terre

La proposition sur papier semblait des plus attirantes : cinq auteurs (trois français, deux québécois), dix chansons, une pièce à laquelle tous auraient travaillé, présentée un soir seulement sous cette forme, une première québécoise, d’après une idée originale de la Coopérative d’écriture, un lieu d’exploration protéiforme.

« Nous deviendrions un moi pluriel, ennemi d’un monde unidimensionnel ; un moi-mouvement, ennemi d’un monde sage comme une image ; un moi complexe, ennemi d’un monde plus simple qu’il n’y paraît », peut-on lire en en-tête de manifeste.  Tout un contrat! En moins de 48 heures, Marion Aubert, Simon Boulerice, Évelyne de la Chenelière, Rémi de Vos et Pauline Sales ont relevé le défi et concocté une fable dans laquelle ils ont« mêlé leurs langues », qui s’articulait autour de 10 tubes que le public devrait impérativement danser. 

Pour lire le reste de ma critique de cet événement unique, offert en clôture de la 12e édition du Festival du jamais lu, c'est par ici...

samedi 11 mai 2013

Moi et l'autre: la somme de ses parts

Je est un autre », croyait Rimbaud. Talia Hallmona, qui signe ici en collaboration avec Pascal Brullemans un premier texte porteur, détourne le constat pour nous proposer une plongée en apnée dans les eaux parfois troubles de l’identité. Comment peut-on quitter un pays, ses odeurs, superposer une autre langue à celle entendue depuis notre naissance, et réussir à se définir dans un autre, à des milliers de kilomètres de là, au climat improbable? « Ici, la terre est gelée : impossible d’y prendre racine. » La petite Talia, douze ans, quitte avec ses parents et sa sœur l’Égypte pour s’installer à Laval.

Catapultée dans son nouvel environnement, elle apprend doucement le français, tout en essuyant les quolibets des autres élèves de sa classe qui se moquent de son prénom, de ses origines, ne disposant pas des outils nécessaires pour accueillir la différence. Un jour, tout change, alors que Talia rencontre Julie Sirois (personnage interprété par Marie-Ève Trudel), la « parfaite » Québécoise, au nom passe-partout, à la peau pâle, qui aime Metallica, lui prodigue quelques conseils assez désopilants pour séduire les garçons d’ici, avec qui elle pourra discuter de tout. En allant vers l’autre, cette amie qui se révèlera imaginaire, Talia pourra se redéfinir, s’accepter comme Égyptienne, Grecque, Italienne et Québécoise, s’émanciper à travers le théâtre, les liens, les choix de vie.

Vous pouvez lire le reste de ma critique de cette lecture-méchoui sur le site de la revue Jeu...

Avec les anges

Deux décès coup sur coup, l'un plus ou moins annoncé, l'autre plus ou moins attendu. La grande comédienne Huguette Oligny nous a quittés hier, à l'âge de 91 ans, après une vie professionnelle des plus remplies et avoir touché la vie de milliers d'inconnus et de dizaines de proches. Un ange est passé quand les organisateurs du Festival du jamais lu l'ont annoncé hier soir lors de la soirée de clôture.

Il y a quelques instants, j'ai appris par SMS (la technologie est parfois bien cruelle) que Vickie Gendreau venait de nous quitter, comète dans le ciel littéraire, qui a tout de même eu le temps, grâce au soutien de son ami Mathieu Arsenault, de compléter son deuxième roman, Drama Queens, qui a été lu publiquement le 30 avril.

Je leur dédie Muertes del Angel de Golijov. dernier clip, magnifiquement interprété et réalisé, de Collectif 9.
Collectif 9 / LIVEshort 8 - May 2013 / Golijov - Muertes del Angel from collectif9 on Vimeo.

jeudi 9 mai 2013

OSL: une soirée jazz sous le signe de la polyvalence

Maintenant qu'il dirige des orchestres un peu partout et qu'il est devenu directeur musical de l'Orchestre symphonique de Laval, d'Orchestra London et premier chef d’orchestre invité du Victoria Symphony, qu'il s'associe régulièrement à des orchestres de jeunes, qu'il enseigne à la Western University, qu'il compose (mais quand dort-il?), on oublie trop souvent qu'Alain Trudel a déjà mené une carrière éblouissante de tromboniste virtuose classique et qu'il connaît ses classiques jazz. Le programme « Accents d'Amérique » de l'OSL nous l'a rappelé hier.

Troquant largement la baguette pour son trombone, il s'est offert le plaisir de jouer en duo (Blue Monk, avec le contrebassiste Frédéric Alarie, qui semblait s'amuser ferme) et en petite formation avec le Trio Lorraine Desmarais. Anthropology de Gillepsie/Parker s'est révélé une pièce d'anthologie, la pianiste explosant littéralement sous nos yeux (et oreilles), soutenue par le feu nourri de ses comparses, dont l'implacable Camil Bélisle. On a aussi découvert Trudel comme compositeur jazz avec How do you say?, qui s'inscrivait parfaitement dans cette soirée éclectique mais jamais hétéroclite, ainsi que soutenu par les seules cordes de l'OSL dans un classique de Vernon Duke. (Belle idée de juxtaposer trois villes avec April in Paris, Autumn in New York et A Foggy Day in London Town. Il n'aurait manqué que Mont-Royal Romance de Desmarais.)

Les deux parties du programme se concluaient par une page substantielle, qui permettait à l'orchestre de briller. Les premiers pupitres, particulièrement hautbois et clarinette, se sont révélés impeccables dans Catfish Row, la suite symphonique que Gershwin a tirée de son opéra Porgy and Bess (qui sera présenté l'année prochaine à l'Opéra de Montréal). En fin de soirée, Trudel est devenu leader de big band et nous a permis de revivre certains des grands moments de l'histoire du jazz, dans des arrangements symphoniques très efficaces de Gene DiNovi. Si mes voisines plus âgées n'ont pu retenir un soupir de bonheur nostalgique quand l'OSL a amorcé Moonlight Serenade de Glenn Miller (c'était une autre époque, tout de même, toute en délicate retenue, sans doute, mais non dépourvue d'intensité), j'aurais pu quitter la salle de concert, un sourire béat aux lèvres, sitôt entendue la superbe relecture de Caravan de Duke Ellington. Je devinais déjà qu'il ne pourrait être question d'écouter des classiques autres que de jazz aujourd'hui.

mercredi 8 mai 2013

La cantate intérieure

La cantate intérieure de Sébastien Harrisson propose un troublant huis clos entre Zoé Wandorsky, jeune artiste dans la trentaine, un coursier UPS dont le nom ne sera jamais révélé, « sans papier de [s]es souvenirs » et la voix de Claire Bonaparte, qui a habité les lieux en 1967, dont le faux patronyme se lit comme une « fiction de voyelles et de consonnes ». Depuis quelques semaines, le messager s’arrête à jour et heure fixes, profondément troublé par ce que le travail de Zoé suscite en lui. Moins de 24 heures avant que l’installation ne soit démantelée, malgré des rendez-vous, l’artiste tentera de nommer l’émotion de ce spectateur si particulier, de décortiquer la portée de son geste créateur; elle n’en ressortira pas indemne.

Après avoir placé la poésie au cœur de sa démarche dramaturgique avec Musique pour Rainer Maria Rilke, Sébastien Harrisson se tourne cette fois vers le monde de l’art contemporain, du moins en apparence. Si Zoé aura l’occasion de revenir un peu sur ses motivations, de partager quelques souvenirs du temps de ses études, elle réalisera bientôt, comme nous dans la salle, que le lien qu’elle est en train d’établir avec messager, s’il a été rend possible par l’art, relève plutôt d’une rencontre entre deux solitudes, deux blessures qui au fond se battent contre un même ennemi, l’oubli.
Cette Claire Bonaparte, l’homme croit la connaître, a besoin de défendre sa mémoire. « Vous lui avez volé son identité pour votre in situ », déplorera-t-il. Zoé se réfute, jurant qu’à partir d’un nom dans un registre, de longues heures passées sur les lieux, elle a tout imaginé, puis a fait enregistrer le texte par une actrice sur le déclin. Il ne comprend pas : « Je déteste avoir à inventer. On finit toujours par se faire prendre quand on invente. » 

Le texte de Harrisson, prégnant, admirablement défendu hier par Marie Bernier (Zoé), Stéphane Jacques (le messager), Dorothy Berryman (la voix) et François Pronovost (le narrateur, qui énonçait pour nous les didascalies) hante déjà l’auditeur. La mise en lecture d’Alice Ronfard faisait une large place au silence, aux points de suspension, sublimant cet entre-deux,  laissant toute liberté au spectateur d’inventer l’après-rencontre, la façon dont celle-ci influera sur le travail artistique de Zoé, sur le quotidien du courtier, cet « homme qui se serait blessé lui-même en voulant fuir le mot enfance ». Il faudra peut-être considérer de resserrer un peu le monologue initial de Claire qui, une fois la pièce mise en scène, sera en voix hors champ et pourrait déstabiliser le spectateur. D’autre part, celui lui permettra de s’approprier lui aussi l’installation (que nous devions nous contenter d’imaginer hier, nous demandant même un instant au début si nous étions chez le coursier et avions affaire à un fantôme), de superposer à cette histoire ses questions, ses souvenirs. L’expérience risque alors de s’avérer entièrement autre. Une chose reste sûre : on sort des Écuries avec une envie réelle de voir et de réentendre ce très beau texte.

mardi 7 mai 2013

Jan Lisiecki et l'Orchestre de chambre McGill: une étonnante maturité


L'Orchestre de chambre McGill proposait un concert-bénéfice un peu particulier hier soir à la Maison symphonique de Montréal, puisqu'il ne participait qu'à deux des quatre segments proposés, Spring Came Dancing de Stewart Grant et le Concerto pour piano « Jeunehomme » de Mozart. On aura néanmoins eu le temps de noter quelques flottements au niveau de la justesse des cordes, une entrée assez malencontreuse du cor dans le Concerto, mais aussi un brillant jeu du violon solo Jean-Sébastien Roy, qui a bien ancré l'orchestre dans le Mozart (« dirigé » par Lisieki) et a démontré une réelle prestance dans la pièce de Grant, palette d'atmosphères plutôt que prolongement du poème qui l'avait inspiré.

Retenu au Vatican, Boris Brott avait cédé sa place à Geneviève Leclair, sa chef apprentie au National Academy Orchestra of Canada, également chef assistant du Boston Ballet Orchestra, à la battue d'une rare clarté, ce qui a certainement rassuré les jeunes musiciens de l'École Le Plateau qui ont joué en ouverture de programme le Concerto a cinque d'Albinoni avec une belle maîtrise. Un « vrai » programme permettra éventuellement de se prononcer au niveau de ses choix interprétatifs, mais elle a su démontrer une réelle aisance, tant en français qu'en anglais, alors qu'elle s'est adressée au public (dépourvu de programmes, suite à une bévue de l'imprimeur).

Il faut admettre d'emblée que la grande majorité de ceux présents étaient comme moi venus entendre Jan Lisiecki, 18 ans tout juste, qui mène une carrière éblouissante depuis sa victoire au Concours OSM Standard Life en 2009, alors qu'il devenait le plus jeune lauréat de l'histoire du Concours. Je m'étais glissée en salle lors du concert qu'il avait donné avec l'OSM, sur l'insistance de tous ceux qui étaient sortis bouleversés après ses prestations en demi-finale et finale, avais déjà remarqué une rare maîtrise de l'instrument. Deutsche Grammophon lui proposerait peu après un enregistrement Mozart avec le Symphonie-Orchester des bayerische Rundfunks puis une intégrale des Études opus 10 et 25 de Chopin (parue il y a quelques semaines à peine). Si son Mozart m'avait semblé un peu sage sur disque, il s'est révélé tout autre hier: un travail réfléchi sur la sonorité, une maîtrise rafraichissante du phrasé, des effets d'écho subtils, une limpidité éblouissante des trilles et un sens de l'architecture (notamment dans les cadences) qui donne envie de l'entendre dans Bach. Il traitait de façon presque romantique les grands écarts mélodiques, ce qui permettait d'ériger un pont avec Chopin, dont Mozart était le compositeur de prédilection (pas étonnant, compte tenu de l'amour que les deux portaient à la voix).

Son opus 10 de Chopin m'a moins emballée. Lisiecki possède une technique exceptionnelle (peu importe son âge) certes, mais a semblé manquer un peu de profondeur dans la moitié des études proposées. Plusieurs ne respiraient pas suffisamment (« Chantez! Chantez! » rappelait constamment Chopin à ses étudiants) et les tempos presque excessifs de certaines empêchaient le discours d'être entièrement intelligible (la « Révolutionnaire » a presque été escamotée). J'aurais aimé un peu plus de lyrisme dans la troisième (sans évidemment tomber dans la mièvrerie souvent associée à cette page) et la sixième (aux voix intérieures redoutablement contrôlées cependant), mais ai été convaincue par le segment allant de la huitième à la onzième inclusivement (magnifique traitement ici encore des voix intérieures). Son enregistrement semble plus organique, plus cohérent, que ce que nous avons entendu hier, mais il faut néanmoins s'interroger sur le danger associé à la parution à un si jeune âge d'une telle somme, aux multiples versions de référence. De quelques années son aîné à peine, Daniil Trifonov en avait offert une version plus essentielle lors de ses prestations au Rubinstein et au Tchaïkovski. Ne boudons pas inutilement notre plaisir: si Lisiecki continue à bien s'entourer et à transcender la technique, il ira sans doute très loin.

Il nous parle dans cette vidéo de sa vision, fort intéressante, des Études de Chopin.



Le dénominateur commun

Qui sommes-nous? D’où venons-nous? Où allons-nous? Trois questions ouvertes, qui n’admettent pas de réponses toutes faites. Trois auteurs, François Archambault, Emmanuelle Jimenez et Isabelle Leblanc, qui ne tentent pas d’y répondre, mais s’en inspirent pour appréhender le si troublant concept d’humanité. Ils ne travailleront néanmoins pas sans filet, puisque Geoffrey Gaquère, l’initiateur de cette soirée, a permis aux dramaturges de rencontrer quatre spécialistes qui ont offert des visions parfois contradictoires, parfois complémentaires : un physicien (Jean-François Arguin), un généticien (François-Joseph Lapointe), une théologienne (Solange Lefebvre) et un psychologue (Nicolas Lévesque). Troublés par leurs découvertes, ils ont écrit : des notes sur les informations reçues, des réflexions, des poèmes, des personnages. Gaquère a ensuite ramassé les copies, tenté d’en extraire une structure dramatique cohérente, qui permettrait au spectateur d’apprendre, certes, mais aussi de céder à la puissance des mots, des images, des destins. Quatre acteurs (Marie-Hélène Thibault, Murielle Dutil, Maxim Gaudette et Julien Poulin) pour représenter le chiffre magique, s’il en est un : celui du nombre de lettres définissant l’ADN, des saisons, des points cardinaux, des éléments…

Vous pouvez lire le reste de ma critique de ce spectacle du Festival du jamais lu sur le site de Jeu...

lundi 6 mai 2013

Ouvrir le 21e siècle - 80 poètes québécois et français

La revue Moebius s'unit aux Cahiers du Sens pour proposer une anthologie de poésie d'aujourd'hui. Pas question ici d'établir un panthéon des intouchables, mais d'offrir un portrait vivant, en mouvement, de voix qui, tant ici que de l'autre côté de la grande mare, ont publié au moins un recueil entre 2000 et 2010. Les éditeurs précisent: « Loin de nous donc la tentation de verser dans l'antho-nostalgie; nous pencherions plutôt ud côté d'une antho-énergie (de anthos, fleur, et lein, choisir), car pratiquer des choix provoque de la turbulence. »

Véritable pont érigé entre deux cultures qui s'expriment en français, le florilège propose de découvrir 40 poètes québécois et autant de français. Connaissons-nous la poésie d'ici? Celle de là-bas? Les Québécois sauront-ils nommer quatre ou cinq poètes français qui écrivent aujourd'hui? Troublant constat. Alors que, dans la première section, consacrée à la poésie québécoise, tous sauf deux ou trois noms m'étaient connus (je ne veux pas dire pour autant que je connaissais la poésie de tous les autres de façon intime), dans la deuxième section, eh bien, euh... j'avais eu vent de... trois noms! Pourtant, je bouquine régulièrement dans la section « poésie » de ma librairie indépendante préférée et j'avais adoré me balader il y a quelques années au Marché de la poésie à Paris (j'avais déjà ramené quelques titres dans mes valises)...

Un constat? Les auteurs ne manipulent pas leur langue commune de la même façon. Même s'il s'avère futile de tenter d'établir un dénominateur commun entre quarante voix poétiques, simplement parce qu'elles habitent un même territoire, il faut tout de même admettre que la poésie française reste plus proche des maîtres des 19e et 20e siècles, alors que la poésie québécoise semble chercher avant tout à s'en affranchir. Pas besoin d'une grande étude sociologique pour comprendre pourquoi...

Quelques coups de cœur à partager avec vous, peut-être, les poèmes en prose de Claudine Bertrand par exemple:
« Chaque jour j'écris des phrases avant que le désert reprenne du terrain. des mots traversent ma langue avant d'aller au sommeil, se jettent sur la page fougueuse. Ils me devancent, se passent de moi et se lassent... d'une main je tente de tracer péniblement des signes qui disparaissent aussitôt apparus. »
ou encore la façon dont Nicole Brossard aborde le rôle du poète:
« de toute manière au-delà de l'inexplicable / tu traverseras le comment des verbes / la sensation recto verso de l'être / avec des habitudes et des métaphores / une vraie respiration »
ou celle d'Anthony Phelps:
« Souvent je laisse flotter le poème / comme un enfant son bateau de papier / ou le porte à mon oreille / pour retrouver les chants lointains d'un certain lieu. / Que de cris / de confidences  tronquées de projets déréglés. / Les mots s'envolent / s'habillent de couleurs chagrines / mais ta main rythme leur dessin / ramenant l'équilibre. »

Du côté français, j'ai beaucoup aimé le souffle et le rythme du poème Le temps d'aimer de Guy Allix, et les Poèmes lyriques de Didier Ayres, inspirés par des musiques, comme celui-ci, en écoutant des polonaises.
« Le poème est impossible / Car il porte la pluie / Et déjà dans la vareuse du printemps / Qui sonne la part obscure du feu / Comme le cercle / Et l'anneau de simplicité / Nous sommes conduits par le chariot de l'enfant / Et le vieux coutil de l'ouvrière. »

La musicienne en moi n'a pu que céder aux charmes de l'Oratorio no 2, trois mouvements de Gérard Pfister et du Bartók de Christophe Dauphin.
« Ton regard / Partition des comètes aux insignes de chiens / Ta colonne vertébrale / Violoncelle d'un horizon rattrapé par ses rides »
Un livre que je ne rangerai pas trop loin, que j'ouvrirai au hasard, encore et encore...

dimanche 5 mai 2013

Jamais Lu / 26 lettres: puissant abécédaire

Arrivée en avance, vendredi soir, même si, une fois encore, j’ai pris la mauvaise sortie et me suis baladée dans le quartier, j’ai été immédiatement conquise par l’atmosphère qui régnait. Des sourires qui fusent, des auteurs qui discutent avec d’autres, des passionnés qui attendent l’entrée en salle en lisant une pièce de théâtre au soleil, d’autres qui piétinent devant le comptoir de la billetterie dans l’espoir de se voir attribuer un billet. J’avais oublié combien on se sent bien aux Écuries, combien on aurait envie de jouer au babyfoot, même si le jeu nous indiffère entièrement, mais surtout de se laisser avaler par un des fauteuils et lire une pièce que l’on aurait piochée dans la petite mais dense librairie, d’un seul souffle, en sirotant un verre.

Vers 20 h 25, presque une demi-heure après l’heure prévue donc, certains ont commencé à applaudir dans la salle, de façon plus ludique qu’agressive. Quelques instants plus tard, les deux codirecteurs artistiques, Marcelle Dubois et Geoffrey Gaquère, sont montés sur scène, nous livrer un mot de bienvenue tout sauf engoncé, dans lequel se sont juxtaposés le rire franc et les interrogations identitaires. Stéphane Crête, soutenu par Sarah Berthiaume, a ensuite livré son texte conçu à partir de la centaine de mots achetés lors de la campagne de microdons : une page surréaliste, pourtant d’une grande cohérence. Un prélude inspirant à ce qui suivrait… La salle était si bondée que certains avaient envahi les marches, notamment Geoffrey Gaquère, que j’ai pris plaisir à entendre rire ou s’exclamer, à moins d’un mètre de moi, tout au long de la soirée.

Lire la suite de ma critique sur le site Web de Jeu...

samedi 4 mai 2013

L'écorce de nos silences

Dans une volonté de rapprochement, la compagnie Ondinnok entame avec le Printemps autochtone d’art un dialogue. Une exposition, la présentation de trois courtes pièces d’auteurs autochtones émergents, une lecture publique, la projection de Mesnak, une conférence performative, un atelier de jeu ainsi qu’un cabaret musical et poétique permettent d’apprivoiser les Premières Nations à travers ses images, ses légendes, ses paroles. Elles n’auront peut-être jamais été autant dans les médias qu’au cours de la dernière année, avec le mouvement Idle no more, la reconnaissance par la Cour suprême du Canada des Métis en tant que Premier Peuple et la récente Commission de vérité et réconciliation. Pourtant, connaît-on réellement les vecteurs créateurs qui les motivent?

À la suite d’un concours lancé en mai 2012 par Ondinnok, trois auteurs ont été retenus pour profiter de l’accompagnement d’un dramaturge. Marie-Christine Lê-Huu a travaillé avec Jacinthe Connolly (agente d’interventions sociales, dont c’est le premier texte dramatique), Stéphane Crête avec Dave Jenniss (qui signe ici un deuxième opus) et Suzanne Lebeau avec Véronique Hébert (premier texte pour la scène professionnelle). Une scénographie polyvalente et inspirée de Julie Christina Picher, des éclairages soignés de Thomas Godefroid, une mise en scène bien dosée de Clément Cazelais et le contrepoint musical de Catherine Dacjzman faisant la part belle aux percussions traditionnelles permettent aux trois pièces de s’articuler comme des segments cohérents d’un tout. « Sans le tambour qui bat, les mots n’existent pas », fera d’ailleurs dire à son personnage principal Dave Jenniss.

Vous pouvez lire le reste de ma critique sur le site de JEU... 
Vous pouvez encore vous glisser en salle ce soir, à la Maison de la culture Frontenac (c'est gratuit).


vendredi 3 mai 2013

Que lit-on dans le métro?

Lundi, 6h du matin. Je dors encore. Pourtant, des milliers de braves sont déjà dans le métro de Montréal, plusieurs un livre à la main (si ce n'est pas une liseuse), prêt à affronter une nouvelle semaine de travail. Ils ne le savent pas, mais Marie-Christine Blais réalise ce matin-là une enquête informelle sur les habitudes de lecture des usagers du métro. Cela donne un panorama assez éclectique, à lire ici...

Lis-je n'importe quoi dans le métro? Pas tout à fait. Question côté pratique, d'abord, j'éviterai les trop gros bouquins. (J'ai donné jadis - dans tous les sens du terme - avec Les bienveillantes.) Je ne fais pas sinon de censure. Je peux aussi bien être en train de potasser un traité sur l'esthétique baroque pour préparer une conférence pré-concert qu'un premier roman (le boulot de rédac en chef de La Recrue ne cesse jamais), une pièce de théâtre d'ici ou même, à l'occasion, une BD (c'est dans le métro que j'ai lu l'effervescent La célibataire qui ne m'aura convaincue qu'à moitié et le très beau Jane, le renard et moi de Fanny Britt). Et vous, auriez-vous partagé avec Marie-Christine Blais votre lecture ce jour-là?

jeudi 2 mai 2013

Vertiges

Pour son dernier concert de la saison 2012-13, l'ECM+ avait choisi de coupler deux œuvres d'esthétiques complémentaires, mais aussi deux formes d'expression, Vertiges proposant un jumelage entre cirque et musique contemporaine. Serait-on distrait par des numéros de voltige? L'hémisphère gauche essaierait-il de maîtriser le droit et vice versa? Le Concerto de chambre de Berg se décline déjà comme une page qui doit être perçue à deux niveaux pour pouvoir l'apprivoiser entièrement. Sériel (mais non dodécaphonique), composé pour les 50 ans de Schoenberg, le Concerto s'articule autour des lettres des noms et prénoms des trois représentants de la Seconde École de Vienne, trame qui reste plus ou moins intelligible pour ceux qui découvrent la partition. Il faut se laisser porter ailleurs, par la poésie et le lyrisme du deuxième mouvement, dédié au violon, par le sous-texte des commentaires parfois presque revanchards du piano, par la troublante complémentarité entre les timbres des instruments solistes et ceux des vents. Adorno a affirmé que Berg avait réalisé ici l'impossible: « unir le contraste et la médiation, composer à la fois pour notre conscient et notre inconscient ».

Les magnifiques éclairages de Caroline Nadeau, qui jouaient avec les volumes de la sculpture aérienne d'Elisabeth Picard et les transparences des très beaux paravents (signés Lisette Lemieux et Elisabeth Picard), tout en nimbant les solistes d'une lumière presque mystique auraient suffi je pense pour brouiller la ligne entre raison et émotion, entre le violon qui s'épanche de Jean-Sébastien Roy (qui a pris une étonnante maturité artistique depuis que je l'ai entendu au CMIM en 2009), le piano plus intellectuel de Jimmy Brière et le contrepoint des vents. À l'apparition de la contorsionniste Julie Choquette, l'œil est irrémédiablement  attiré, nous éloignant de la partition, ce qui rendra plus difficile la connexion avec celle-ci quand l'artiste disparaîtra. Senn Annis au tissu aérien m'a semblé un prolongement plus naturel de l'atmosphère rêveuse du deuxième mouvement. Lorsque Kyle Driggs s'est amené avec ses anneaux cependant, j'ai ressenti une impression de décrochage total par rapport à ce que j'entendais.


L'après-entracte était dédié à la création de Vertiges du compositeur et auteur Nicolas Gilbert, un texte poétique inspiré d'Occupons Montréal et du Printemps érable. David se réveille au petit matin au milieu d'un campement et se rend compte que son amoureuse, Sarah, n'est plus dans la tête. Troublé par son absence, il part à sa recherche, se laissant happer au passage par un tribun, prenant part à une manifestation, franchissant la mince ligne entre le rêve et la violence, avant de retrouver sa douce dans un lieu improbable et réaliser que le plus grand vertige est peut-être bien celui de l'amour.


Porté par la voix de Jean Marchand (pourquoi n'était-il pas sur scène, au moins au milieu des musiciens, puisque son texte se décline ici comme une texture sonore?), l'histoire se développe, nous faisant passer de la révolte qui gronde aux interrogations de l’amant, grâce à d'adroites superpositions de motifs, en apparence simples, mais dont les subtilités se révèlent au fur et à mesure de leurs réutilisations. Prolongement naturel du Concerto de Berg au niveau des couleurs et des oppositions, Vertiges est également portée par l'habile utilisation des percussions rappelant les casseroles tapageuses et la saturation des sonorités qui nous permet de ressentir de l’intérieur les mouvements de foule.

La juxtaposition acrobates et musiciens m'a semblé ici plus naturelle. Les jongleurs qui s'échangent des quilles derrière le transparent devenaient une extension intéressante des échanges ludiques entre manifestants, mais distrayaient du texte quand à l'avant-scène. L'utilisation de la roue Cyr par contre s'est révélé d'une redoutable efficacité, ses circonvolutions hypnotiques magnifiant l'idée du vertige ressenti par l'amoureux – et tout citoyen concerné –, les dernières secondes de son tourbillon à vide rappelant le raclement des pieds et la clameur des voix qui s’élève. Souhaitons que l’œuvre de Gilbert, une des plus intéressantes écrites en écho aux mouvements de contestation soit reprise dans un avenir rapproché. Trop de gens ont déjà oublié le rouge dont s'était en partie parée notre ville.