lundi 31 décembre 2012

Au revoir 2012

Dernier jour de l'année, l'heure des bilans a sonné. Si j'aime bien biffer des éléments sur une liste, je n'adopterai pas cette forme ici, puisque je ne comprends pas la pertinence de positionner des instants, des émotions. Comment peut-on dire que tel bouleversement est plus important que tel questionnement? Parlons plutôt, comme en musique, de temps forts.

Concerts classiques
 
Le seul concert peut-être que je retiendrai de bout en bout est le récital de Perahia, qui nous a donné une grande leçon d'architecture et de poésie. Un jeu pas toujours parfait - humain, quoi! -, mais des moments de sublime beauté, dont un rappel absolument parfait. Sinon, impossible d'oublier le mouvement lent de la Sonate opus 5 de Brahms sous les doigts de Stephen Hough et le rappel donné par Menahem Pressler et ses amis, mouvement lent du Quatuor de Brahms (décidément), qui m'a complètement bouleversée.

Musique contemporaine

Je viens de revoir la liste des billets consacrés au cours de 2012 aux créations (ainsi qu'à quelques reprises). Comment faire un choix ici? Il me semble que tous les événements de musique contemporaine auxquels j'ai assisté cette année m'ont allumée, à un niveau ou un autre. Instants, pêle-mêle, qui remontent à la surface: le concert Xenakis présenté par l'ECM+ avec le percussionniste Olivier Maranda et cette foule qui se pressait comme à un véritable show rock, le triplé de concerts de Louise Bessette qui soulignait ses 30 ans de carrière, la soirée Denis Gougeon du Quatuor Molinari, mariage réussi entre musique et poésie, la découverte de l'univers de la compositrice Cassandra Miller, la création de Maxime McKinley et DJ Champion présentée par l'OSM (que j'aurai entendu à deux reprises, la deuxième avec un plaisir total) et le concert Antiphonaire de Magnitude 6.

Téléchargements
 

Catégorie éclectique, s'il en est une... Dans mon iTunes cette année, ont beaucoup tourné: le dernier album d'Adam Cohen (que j'ai vu en spectacle), la trame sonore de Pina de Wim Wenders, Going to Where the Teatrees are de Peter von Poehl, Massoma de Kool Bass, Yo de Roberto Fonseca, Agadez de Bombino (après avoir vu le film au Festival Vues d'Afrique), Infra de Max Richter, Letter to the Lord d'Irma et tous les albums de Richard Bona.

Expos

N'espérez pas que je vous parle de l'exposition des impressionnismes, actuellement à l'affiche au Musée des beaux-arts de Montréal, dont je ne retiens que fort peu de (belles) choses. Par contre, je ne peux oublier l'exposition Gerhard Richter au Centre Pompidou (plaisir prolongé par le visionnement du film Gerhard Richter: Painting consacré au peintre allemand) et, à Montréal, la découverte de l'univers de Mathieu Laca.

Théâtre

Je vais souvent au théâtre, principalement pour le compte de la revue JEU, mais ne vous en parle pas toujours (résolution 2013 peut-être à prendre?). Quelques très belles productions cette année. Si je ne devais qu'en retenir trois: Christine la reine garçon bien sûr, mais aussi Dieu est un DJ de Falk Richter, présenté à la SAT, Lui étant à Montréal et Elle à Lausanne, ainsi que Guerre de Lars Norén, première production du Théâtre de l'Embrasure (critiques dans le numéro courant et le prochain numéro de la revue).

Je vous reviens en 2013 avec mon bilan lectures. Guten Rutsch! (littéralement, bonne glissade... dans la nouvelle année!)

samedi 29 décembre 2012

Méditations africaines

Felwine Sarr est économiste, auteur-compositeur-interprète, professeur et chercheur à l'Université Gaston Berger à Saint-Louis du Sénégal, écrivain, un autre de ces touche-à-tout qui refuse d'adopter le dicton « qui trop embrasse mal étreint ». Dans ses Méditations africaines, il s'interroge: sur l'art, la musique, la littérature, l'amour, l'identité, le retour en terre natale, le lien à l'autre, celui que l'on doit entretenir avec soi. Oui, il est question de réflexion, de lenteur, de méditation, mais dans son sens peut-être le plus actif, celui du voyage intérieur, de la découverte du soi, de la libération des peurs enfouies, de la naissance du geste artistique, qu'il soit musical ou littéraire.

Un rythme de lecture plus lent doit être adopté si l'on veut savourer les subtilité de certains aphorismes, souvent magnifiques. L'auteur ne propose pas de réponses toutes faites pourtant, seulement des questions porteuses, qui permettent de se définir autrement.

« Les mots sont en attente dans une gare de triage. Le sentiment qu’ils souhaitent exprimer est déjà là, présent, brut, mais indicible. La séduction d’une page blanche et la ruse d’un texte qui dit leur absence échouent à les faire revenir. Habiter une présence pure non médiatisée, telle est la leçon d’aujourd’hui. » (p. 25)

« Nul ne connaît son heure (sauf quelques-uns). C’est ce qui rend l’aventure (le voyage) unique, singulière, déterminante à chaque instant. » (p. 39)


« Lorsque je les entends dire : « J’aimerais vivre de mon art », je leur réponds : « Je ne puis faire autrement que de vivre avec mon art. il est une nécessité qui vit, habite, et grandit au sein de ma solitude. » (p. 102)
« La poésie a un prix (qui se paye). La solitude, le chavirement et la souffrance acceptés et fermement endurés. » (p. 103)
En complément, un très beau portrait de l'auteur, paru dans Le Soleil, non pas de Québec, mais bien de Dakar.

jeudi 27 décembre 2012

Espaces

N'attendez aucune objectivité de ma part au sujet de ce deuxième roman d'Olivia Tapiero. Je connais la jeune auteure depuis dix ans, ai pu voir sa culture musicale et littéraire se bâtir au fil des ans. J'ai eu entre les mains quelques versions préliminaires du texte, je l'ai vu grandir, se transformer. J'ai été témoin de certains moments de découragement mais toujours, ai continué de croire à ce livre qui ne ressemble en rien au coup de poing (pour ne pas dire coup de massue) Les Murs.

Le livre est sorti en octobre, mais j'ai attendu deux mois avant de le lire. Il était là, sur ma tablette, bel objet que j'ai effleuré du bout des doigts à l'occasion. Je l'ai ouvert au hasard, histoire d'attraper une phrase, en suspens, que je pouvais replacer dans le fil narratif, puis j'ai voulu l'oublier, d'une certaine façon, pour l'apprivoiser de nouveau, sentir Lola autrement, saisir comment Thalie s'était métamorphosée au fil des réécritures, réaliser malgré moi que je me sentais étonnamment proche de la « femme de l'audition », personnage que je n'avais pas sur le coup perçu comme un révélateur. Quand je me suis interrogée à savoir quel livre m'accompagnerait lors de mon anniversaire, j'ai compris instinctivement que ce serait celui-là, que sciemment je ne le terminerais pas avant que la nouvelle année soit défoncée, en compagnie d'amis, dont Olivia faisait partie.

Je ne vous raconterai rien de cette histoire qui ne ressemble à aucune autre, mais qui en contient d'autres dans lesquelles vous vous reconnaîtrez peut-être. Je dirai peut-être que j'ai recopié onze citations dans un fichier, parce que le style m'interpellait, que le propos me chamboulait. J'en partagerai tout au plus trois avec vous, en vous invitant à vous approprier ce livre, que ce soit seul, blotti dans un plaid, ou au milieu d'inconnus, dans un métro bondé.

« J’aurais dû savoir que c’est la mort qui permet la beauté, j’aurais dû, plutôt que regarder le monde, écouter la violence sublime de ses ombres. » (p. 42)

« Lola, les images les plus vraies ne sont pas celles que l’on capture mais celle que l’on invente, il faut s’en entourer, créer un monde dans lequel on peut survivre; il faudra donner une place au visage bleu qui te hante, il faudra créer un espace où être. » (p. 53)

« Malgré mes errances, le temps passait de plus en plus vite, ses aiguilles s’enfonçaient dans ma chair pour l’engourdir d’heures flottantes et je sentais ce vide que je devinais dans son corps à lui, ce gouffre que chacun recouvre. » (p. 55)

mardi 25 décembre 2012

Un Noël tout en douceur

Quand le grand Dave Brubeck nous interprète The Christmas Song, le temps s'arrête pendant quatre minutes et on se laisse envelopper par la tendresse de son interprétation.
Un très joyeux Noël à tous!


samedi 22 décembre 2012

Recycler, disent-ils

Le clip fait le tour des réseaux sociaux depuis quelques jours, mais vaut la peine d'être vu (ou revu). Une réelle inspiration pour les musiciens, les pédagogues et tous ceux qui croient que l'homme peut devenir meilleur...

mercredi 19 décembre 2012

Apparitions

« Espérer des points-virgules dans un texte. M’apparaissent des boucles d’oreille.
Je supporte assez mal les points de suspension. Mouches noires envahissantes, que le regard balaie. Idées inachevées.
Beauté des deux-points qui ouvrent. Les pentures d’une porte.
Utiliser un minimum de signes de ponctuation. Laisser flotter les mots.
Utiliser un minimum de mots. Atteindre la parole. » 

Quel magnifique ouvrage (et attrayant objet) que ce recueil de réflexions, d'aphorismes sur l'écriture, sur les instants qui précèdent le geste lui-même, sur ceux qui le prolongent. Louise Warren encore une fois réussit à nous plonger dans la faille même de l'écriture, sans pour autant que cela soit douloureux. Au contraire, une lumière qui nimbe, qui protège, qui inspire, enveloppe le lecteur qui s'y perd quelques heures, avec une seule envie, y revenir au hasard, demain, la semaine prochaine, dans un an... À offrir, à s'offrir.


« On peut demeurer des mois, des années en périphérie d’un livre. Puis, de loin, entendre le pas, comme s’il avait déjà sa propre vie. le ton est là, la respiration s’entend dans le creux de l’oreiller. Lire une lettre à voix haute et l’accompagner comme une personne. »


lundi 17 décembre 2012

Une femme comme il faut

Nous éprouvons toutes un jour ou l’autre des moments de découragement, de déchirement, d’hésitation, mais il y aussi ces soirées de filles qui vous permettent de tout oublier, alors qu’une pédicure ou le visionnement d’une comédie romantique deviennent prétexte à un échange à cœur ouvert, avec une copine que l’on retrouve une ou deux fois par année ou encore avec celle qui connaît tous vos secrets, mais ne se lasse jamais d’entendre le énième chapitre de votre histoire avec Christophe et ne porte pas de jugement quand vous lui racontez les frasques de votre dernier.

Si Une femme comme il faut, recueil de récits de Michelle Bourassa, pourrait être classé dans la même catégorie que ces ouvrages « bons pour l’âme » qui font la fortune des rayons psycho-pop, il m’a semblé néanmoins plus que cela, parce que l’écriture fluide, si elle ne renouvelle pas le genre, n’est pas dénuée d’une certaine profondeur – et même, à certains moments d’une profondeur certaine. Quand elle évoque cet accouchement qui aurait « dû » se vivre dans les larmes par exemple, mais qui, au contraire, rapproche témoins privilégiées et celle qui, bien malgré elle, occupe le rôle principal, on réalise que de la douleur peut naître la pureté la plus désintéressée. Sous sa plume, un voyage dans le sud devient prétexte à leçon de vie. Et puis, on ne peut négliger ces peintures du quotidien, comme cette guéguerre en apparence futile entre amie et mari, ces personnages qui naissent, comme Mme Curado, avec laquelle l’auteure a partagé sa chambre d’hôpital, Pépé le Pew ou Morgane la Banane, ces collègues de classe, alors que la directrice en ressources humaines décide de se recycler en designer de jardins, ou encore Mme X, hymne à l’amie fidèle (texte qui aurait peut-être eu avantage à être resserré).

Et puis, oui, bien sûr, il y a ces références à la petite et à la grande histoire, car comment peut-on accepter l’absence du père quand, en plus, celui-ci a été un homme politique qui n’a pas nécessairement fait l’unanimité? C’est peut-être là, curieusement, où le livre m’a moins rejointe, non pas parce que je ne peux comprendre combien le deuil d’un parent peut devenir lourd à porter, mais parce que, parfois, dans ces textes, j’ai senti l’auteure presque trop « femme comme il faut » justement, qui ressent le besoin de défendre, un point de vue, une éducation. Sans doute était-il nécessaire qu’elle s’affranchisse de cet héritage, la lectrice acceptant d’une certaine façon le rôle de confidente. Une fois libérée, Michelle Bourassa saura vraisemblablement mener sa plume ailleurs que sur la route des souvenirs. Nous lui souhaitons.


dimanche 16 décembre 2012

Joyeux anniversaire Ludwig

... parce que je partage ma journée d'anniversaire notamment avec le maître de Bonn, une Sonate opus 109 magnifique, interprétée par Murray Perahia.

Souffler

« On vit à perdre haleine, on écrit pour retrouver son souffle, son air, son oxygène, non pas en soi mais dans les mots, où toute notre âme s’est déposée, comme si la parole ramassait seule les souffles morts qu’on laisse derrière dans notre course à être ou exister et en faisait de brefs poèmes qui les raniment d’un coup, pour qu’on revienne s’y aboucher, de nouveau respirer, dans une mémoire qui nous parle, non dans le réel sans fin, qui nous coupe la parole et le souffle. »

Pierre Ouellet, Le premier venu

samedi 15 décembre 2012

Déjà le 15

La nouvelle serait-elle en train de gagner en popularité au Québec? Peut-on parler d’une nouvelle tendance? Après tout, le genre n’est-il pas parfait pour ce monde filant à la vitesse grand V? Vous relisez toujours les mêmes trois pages de votre roman avant de vous endormir, brûlé par votre journée harassante? Pourquoi ne pas choisir une nouvelle, vous y plonger et, qui sait, laisser ses personnages habiter vos rêves ou revenir vous hanter quelques jours, quelques semaines après, au détour d’une conversation, d’une attente qui pourrait se révéler stérile?

J’ai lu Quand les guêpes se taisent, le recueil de Stéphanie Pelletier, notre recrue ce mois-ci, en août, dans une salle d’attente. En d’autres temps, j’aurais été horripilée par les heures gaspillées dans ce lieu aseptisé, dépourvu de toute humanité, mais les personnages de Stéphanie Pelletier m’ont tenu compagnie; plus, j’ai cru devenir témoin privilégiée de leurs doutes, de leur fragilité. Cette femme qui va voir son amant mourant à l’hôpital pendant que l’absence de la légitime, cette jeune femme qui découvre la faille de son père, cette autre qui chante Leonard Cohen pour fuir sa réalité (nouvelle qui avait retenu mon attention déjà dans le numéro de Moebius consacré au géant montréalais), ces autres qui ne savent pas comment aimer, cette mère incapable de faire face à sa vie une seconde de plus, j’ai l’impression de les connaître personnellement. Certains jours, je me demande ce qu’elles sont devenues. Et que dire de ce troublant hommage à Karrick Tremblay, plume fabuleuse trop tôt disparue, qui clôt le recueil? En prologue – ou en prolongement –, l’auteure se révèle dans notre questionnaire. «  Prendre le temps de regarder la vie, ne jamais penser qu’une chose est trop petite ou insignifiante pour en parler, savoir s’émerveiller et s’étonner sans cesse, ne jamais considérer que le monde nous est acquis. Il me semble que ce sont des clefs, non seulement pour porter sur l’univers un amour libre et heureux, mais aussi pour écrire et ne jamais manquer d’inspiration. » Vous pourrez aussi l’entendre lire deux extraits de son recueil.

Pour lire la fin de mon édito et consulter le numéro courant de La Recrue du mois, c'est par ici...

jeudi 13 décembre 2012

Lever le voile

Peut-on encore faire rimer intimité et sexualité? Le sexe s’étale, en gros plan, en petits caractères, sur papier glacé, sur écran géant. On en parle, à la radio, à la télévision, aux heures de grande écoute comme à l’orée de la nuit. Il y a 17 ans, Eve Ensler prenait d’assaut la planète avec son brûlot féministe Les monologues du vagin, traduit en 46 langues, auquel se sont frottés certaines des actrices les plus saluées. On pensait tout avoir entendu, être revenu de tout, et pourtant, certains tabous demeuraient, tenaces. En s’appropriant elle-même les mots d’Ensler, la néerlandaise Adelheid Roosen a réalisé qu’il était temps de déboulonner certains mythes associés à la femme musulmane, que l’œil occidental perçoit comme dépendante, brimée, flouée. Elle a interviewé plus de 70 immigrantes musulmanes de première et deuxième génération établies aux Pays-Bas, des vierges, des grands-mères, des lesbiennes, des plus ou moins religieuses, pour en extraire 12 témoignages, autant de regards complémentaires sur une réalité à des lieues des clichés véhiculés.

Pour lire le reste de ma critique sur le site de la revue de théâtre Jeu...

mercredi 12 décembre 2012

Apprendre

No. 61 Mark Rothko
"You have a lot to learn, young man. Philosophy. Theology. Literature. Poetry. Drama, History. Archaelogoy. Anthropology. Mythology. Music. These are your tools as much as brush and pigment. You cannot be an artist until you are civilized. You cannot be civilized until you learn. To be civilized is to know where you belong in the continnum of your art and your world. To surmount the past, you must know the past."

(John Logan, Red)

mardi 11 décembre 2012

Red: art total

Photo: André Lanthier
On attendait avec impatience la première montréalaise de Red, pièce lauréate d’un Tony en 2010; la production présentée par le Centre Segal ne déçoit pas, au contraire. Dès que l’on met les pieds dans la salle, on bascule dans une autre époque (1958-59), une autre façon de traiter l’art, un autre univers, celui du studio loué par Mark Rothko, situé au 222 Bowerey, reproduit avec brio par la scénographe Eo Sharp. Alors que le public s’installe, Randy Hughson est déjà Rothko, contemplant une toile, écoutant de la musique de chambre diffusée par un vieux tourne-disque. L’œil apprivoise les reproductions, qui transmettent bien le côté troublant des originaux. Quand les lumières se tamisent, entre en scène celui qui souhaite devenir son assistant,  le jeune Ken (Kesse Aaron Dwyre), antithèse autant que faire-valoir. Quelques secondes suffisent pour comprendre qu’un duel s’amorce, qui traitera d’art, bien sûr, mais aussi de legs, de tradition comme d’avenir, de transmission.

La pièce de John Logan repose au fond sur une seule question, posée dès les premiers instants : « What do you see? »  Comment décrire, comment communiquer l’émotion? Pour s’affranchir des cadres, l’art doit contenir philosophie, musique, littérature, avance Rothko. Toute couleur a besoin d’un contexte pour se révéler. « You mean scarlet? You mean crimson? You mean plum-mulberry-magenta-burgundy-salmon-carmine-carnelian-coral? Anything but ‘red’! What is ‘red’?! » 

Vous pouvez lire le reste de ma critique sur le site de la revue de théâtre Jeu...

dimanche 9 décembre 2012

Hors champ

En l'espace d'une semaine, Aurélien disparaît. On ne parle pas ici d'une figure de style, même si tout le livre peut se lire comme une vaste métaphore sur la dépersonnalisation des rapports que nous entretenons avec nos semblables. Non, Aurélien devient de plus en plus flou, ses collègues, son amoureuse (avec laquelle il est enfin prêt à s'engager et avoir des enfants), sa famille, des inconnus ne le voyant qu'à la dernière seconde quand il semble se matérialiser, puis plus du tout. Un homme invisible qui ne sait plus quoi faire pour être vu, pris, touché, aimé. Seuls les laissés pour compte semblent encore percevoir son essence et son frère Joël, paraplégique depuis l'adolescence, dont il retranscrit au début de roman le journal, qui comprend notamment de très beaux passages sur la lecture.

« Le lecteur, si vraiment il s'engage dans sa lecture, devient un personnage lié au roman qu'il lit puisqu'il entre à son tour dans l'histoire et refait, à sa façon, tout le parcours du texte. Mais ce personnage échappe totalement au pouvoir, à la volonté, à l'imagination de l'auteur du livre dont il n'est pas une "création", mais un invité. Un drôle d'invité, anonyme, venu on ne sait d'où, qui arrive à l'improviste et sort quand ça lui chante de l'espace du livre, sans souci de ponctualité, de la moindre convenance, qui s'y attarde ou le traverse à toute allure, riant, bâillant d'ennui, râlant, applaudissant ou se moquant, selon son humeur, sa sensibilité, ses intérêts. Les grands romans grouillent ainsi d’hôtes anonymes qui fouillent dans les coins, dérobent par-ci, par-là une poignée de mots, une ou deux idées, quelques images qu’ils utilisent dans leur vie. »

Comment peut-on disparaître de la vie de nos proches? Combien de temps cela prendra-t-il avant que plus personne ne se souvienne de nous? Ce livre dense, qui n'a pourtant rien d'hermétique, nous confronte à notre propre humanité, presque jusqu'au vertige. Le hasard a voulu que je le termine après avoir vu Parade d'états, un cabaret post-post-existentiel sous titré « Être, paraître, disparaître ». Un curieux écho, quand même...

jeudi 6 décembre 2012

Stephen Hough: un pianiste qui ne laisse pas indifférent

Le pianiste britannique Stephen Hough offrait un imposant récital à la Maison symphonique lundi soir, articulé autour de deux pièces maîtresses du répertoire romantique: la Troisième Sonate de Brahms et le Carnaval de Schumann. Je porte un grand respect aux interprétations discographiques de Hough, dépouillées de toute mièvrerie et témoignant d'un souci architectural évident. Ici, le travail sur les strates sonores reste toujours audible, qualité rare dans notre monde de poudre aux yeux.

J'attendais avec grande impatience le Carnaval, œuvre que je connais intimement pour l'avoir moi-même jouée jadis, lors de mon concert de fin maîtrise. Un Schumann pas toujours aisé techniquement (l'« Intermezzo-Paganini » est redoutable), mais surtout difficile à transmettre, l'important ici étant de saisir les traits du personnage (réel ou imaginaire) en quelques phrases, voire quelques notes. Ici, Hough ne m'aura convaincue qu'à moitié, puisque, à chaque page ou presque, j'hésitais entre l'enthousiasme (pour le travail sur les voix intérieures, magistral, ou la façon dont les reprises n'étaient jamais simples répétitions de matériel) et l'agacement. Ainsi, la précipitation presque brutale avec laquelle il a pris le « Préambule », l'impression d'une gifle sonore à chaque forte (et non pas fff!) du « Pierrot », la respiration un peu obstruée de l'« Arlequin » (peut-on percevoir le seizième de soupir?), un « Eusebius » plus passionné que rêveur (et vice versa), une « Reconnaissance » au tempo franchement trop assis, chaque double croche étant détaillée de façon maniaque... Et puis, enfin, j'ai pu lâcher prise au « Pantalon et Colombine » et m'enthousiasmer pour la délicatesse de l'« Aveu » ou le dialogue entre les voix dans la « Promenade ».

Mais avant, Hough nous a offert des moments de réelle magie. S'il semblait un peu indécis dans le premier des deux Nocturnes de l'opus 27 (peut-être se demandait-il pourquoi diantre la salle était aussi clairsemée?), déjà dans le deuxième, il ciselait les notes répétées avec délicatesse et faisait ressortir les contrechants de fort convaincante façon, démontrant sa profonde compréhension du texte. Son interprétation de la Sonate de Brahms s'est révélée au-dessus de tout soupçon, transmettant toute l'effervescence du jeune Brahms, le dernier mouvement évoquant même par moments la douce folie de Schumann (les deux ne s'étaient pourtant pas encore rencontrés). Les phrases longues du premier mouvement respiraient pleinement et le deuxième a été traité avec une rare subtilité, nous révélant un Brahms lumineux, d'une grande tendresse. La vision de Hough du mouvement m'a paru si convaincue et convaincante que, pour la première fois peut-être, j'ai souhaité m'approprier cette sonate de l'intérieur, en la déchiffrant moi-même. Un signe qui ne trompe pas!

Comme Hamelin, Hough est aussi compositeur et habile arrangeur. Sa Deuxième Sonate, créée il y a moins de deux mois, un nocturne pour citoyens des métropoles, saisit l'oreille dès le début. Elle rappelle par moments la course du quotidien, le motif sur les touches blanches transmettant admirablement l’irrationalité et le coté parfois incohérent de la vie que nous menons. Le compositeur a su maximiser les contrastes, les jeux d'accents et les possibilités de son instrument, en plus d'établir un dialogue clair entre les trois idées maîtresses (l'une en dièses, l'autre en bémols, la dernière sur les blanches), dont on suivait les développements sans difficulté.  Le pianiste-compositeur a su mettre sa virtuosité en valeur, en refusant les effets gratuits. Voilà une sonate que j'entendrais de nouveau volontiers, mais qui me semble tellement faite sur mesure pour son interprète (et créateur) qu'il est peut-être difficile de réellement se l'approprier.

J'étais au concert avec mon ami Claudio, qui a eu une perception assez différente de l'événement... Comme quoi, la musique parle à chacun de façon différente. À lire ici...

Je vous invite ici à découvrir Hough dans un répertoire méconnu, à des lieues de ce qu'il a joué lundi, mais d'une troublante beauté, les Charmes de Mompou.

Adieu Dave

Déjà, la journée d'hier était légèrement assombrie. Comment oublier que le 5 décembre est la date du départ trop hâtif de mon cher Mozart. Et puis, en milieu de journée, j'ai appris par un ami la mort de Dave Brubeck, une journée avant son 92e anniversaire. (Une grande fête était d'ailleurs prévue pour célébrer l'événement dimanche.) J'ai eu le privilège de l'entendre deux fois en concert à Montréal et heureusement que je possède le CD du mythique Time Out plutôt que le LP, car j'aurais sans nul doute dû en acheter un autre!

Pour se souvenir de ce géant, parti rejoindre l'autre, Blue Rondo a la Turk, bien sûr, dans une version en concert au Carnegie Hall de New York, spectaculaire. Une leçon de musique, comme je les aime...


lundi 3 décembre 2012

Christine la reine garçon: gommer les frontières

Photo: Yves Renaud
Reine plus grande que nature, protectrice des philosophes et des artistes, qui a refusé de se plier aux diktats empesés d’une époque assez trouble, Christine de Suède possédait les atouts nécessaires pour s’inscrire tout naturellement dans la lignée des personnages de Michel Marc Bouchard. Prisonnière d’une religion dans laquelle elle ne se retrouve pas (le protestantisme, qui favorise l’abnégation), d’une société qui ne songe pas à regarder vers l’avant et à accepter que la paix puisse se révéler plus puissant moteur économique que la guerre, coincée dans le corset d’une identité sexuelle difficile à assumer, la reine-garçon fascine, surtout incarnée par Céline Bonnier, qui transmet avec autant de maîtrise la masculinité du monarque que la fragilité de la femme qui ne sait comment séduire celle qu’elle aime, la Comtesse Ebba Sparre, ensorcelante Magalie Lépine-Blondeau, qui manie aussi bien la séduction ravageuse que la réserve troublante.

Comme dans Les feluettes, Les muses orphelines ou encore Tom à la ferme, avant-dernière création de Bouchard, les frontières sont faites pour êtes flouées, les étiquettes arrachées, les pulsions profondes assouvies, le spectateur devenant captif d’une toile adroitement tissée, qui le renvoie non pas à une page historique oubliée, mais à une réalité qui le rejoint, de façon presque viscérale.

Vous pouvez lire ma critique dans son intégralité sur le site de la revue JEU ici...

samedi 1 décembre 2012

S'agripper aux fleurs


Trois femmes innues, natives de la Côte-Nord, trois voix distinctes, trois façons engagés d'aborder l'écriture de haïkus, qui deviennent autant de bâton à messages. Ici, les tshissinuatshitakana ne sont plus tant des repères laissés à l’intérieur des terres pour permettre aux nomades d’orienter leur marche que des témoins d'une réalité, des regards sur des lieux, des situations, des problématiques. La mission du recueil est double, ce qui justifie la nécessité de jumeler à chaque texte français sa traduction innue (ou vice versa). On y perçoit aussi bien le refus de banaliser violence, toxicomanie, alcoolisme qu'une volonté de décrire la réalité d'un peuple fait pour les grands espaces, maintenant confiné dans des réserves qui, bien souvent, au lieu de protéger une identité, favorise les abus, les blessures, l'impuissance. On parle ici de littérature engagée dans son sens le plus pur, les mots pouvant servir à faire éclater les préjugés comme à cristalliser les douleurs ou à présenter autrement la tendresse liée au respect des traditions.

 « Je deviens en quelque sorte un chaman contemporain qui utilise des mots épurés, mais imprégnés d’une forte émotion, selon mes états d’âme. Ma culture, de tradition orale, se transforme par l’écrit, ce qui, pour moi, traduit une évolution », explique Shan Dak (Jeanne-d'Arc Vollant) dans le texte introductif à ses haïkus. « Écrire est devenu une forme de survie, car j’utilise un médium contemporain afin de parler de ma situation de femme innue chevauchant la réalité de deux peuples. Je dois immanquablement évoluer dans le monde de l’écrit afin de concilier mon passé et mon présent, afin aussi de construite ma propre identité. »  
Les trois auteurs traitent le genre si particulier du haïku de façon unique, complémentaire. Louise Canapé propose la démythification d'une réalité.
maison du défunt
échange de souvenirs de chasse
près du cercueil

ou encore
 heure de visite
ce bruit des clés et des gonds
derrière le grillage

Shan Dak transmet la blessure, la sienne, celle de ses semblables.

après tant d'années
des pas hantent encore ses nuits
pensionnat indien
ou bien

premier jour du mois
sur un carré de miroir
deux lignes blanches

Louve Mathieu se sert des mots comme d'armes servant à briser le silence; le haïku devient un chant écrit.
réserve autochtone - 
sur le terrain vague:
No Trespassing
ou
bébé de six mois
en sevrage d'alcool
une autre crise

Un livre à se procurer impérativement, à relire, à méditer, à réciter à voix haute, que ce soit dans la langue maternelle ou l'autre, à offrir.

On peut écouter ici une entrevue donnée par Shan Dak Vollant à l'émission Boréal Hebdo au sujet du recueil (avec lecture de quelques haïkus).

jeudi 29 novembre 2012

Le dernier hiver

Berthe a 94 ans et elle se dit qu'elle aimerait bien célébrer son prochain anniversaire en grande pompe, avec un festin digne de celui de Babette, mais qu'elle ne passera peut-être pas l'hiver, saison qui dure la moitié de l'année, dérèglements climatiques obliques, en 2045. Ne disposant plus de l'énergie ni de la volonté pour regarder vers l'avant, elle contemple sa vie, par petites touches impressionnistes: ses premiers émois amoureux, ses tribulations d'universitaire, ses questionnements. Elle revient sur certains auteurs qu'elle a lus, qu'elle a aimés, sur la fracture de la guerre et les attaques sauvages dont Bagdad reste pour elle l’emblème.
Je détournais la tête et m’enfonçais dans le monde romanesque de Baricco qui me dévoilait ce que je m’évertuais à fuir en le lisant. « On lit, écrivait-il, pour ne pas lever les yeux vers la fenêtre, voilà la vérité. » Cette phrase, je l’ai toujours, à l’encre verte délavée, transcrite au dos d’une carte postale montrant un souk de Bagdad. 
Elle évoque surtout son grand amour, Vivian, qui a bouleversé sa vie avant de l'ancrer dans un quotidien partagé, incluant une définition élargie de la maternité, de l'accompagnement parfois impuissant de trajectoires qui semblent nous échapper.
Toucher un corps de femme me ramenait à celui de Vivian, au vide de ma vie sans son corps près du mien. Il n’y avait rien à faire contre mon chagrin et ma tristesse. Seulement attendre que cela fasse moins mal, que la douleur prenne moins de place.
Les souvenirs de Berthe auraient pu devenir accumulation de redondances, radotages de grand-mère gâteuse, amoncellements de clichés vaguement surannés. Il n'en est rien. Louise Auger signe plutôt ici un livre dense qui ne bascule pourtant jamais dans la lourdeur, qui aborde avec discrétion mais fougue certains thèmes sociaux (l'homosexualité, les familles non traditionnelles, les grossesses adolescentes...), mais surtout nous rappelle qu'une vie, peu importe sa durée, demeure au fond une succession de petits instants, précieux jalons non pas du temps qui passe, mais de l'amour (peu importe la forme qu'il adopte) qui reste.


lundi 26 novembre 2012

Danser a capella

Quelques semaines après la sortie de son deuxième roman Javotte, Simon Boulerice revient à ses premières amours, le théâtre, et propose Danser a capella, sept monologues, non conçus comme une entité, mais qui, assemblés, entrent en résonance étonnante, comme autant de notes d'une gamme un peu disjonctée. Une fois encore, on y retrouve des personnages d'enfants qui n'ont pas su (ou voulu) grandir: Ambroise qui, hier, rêvait d'attirer l'attention en saignant du nez et qui, aujourd'hui, est prêt à toutes les bassesses pour que quelqu'un l'aime, ne serait-ce qu'un instant, Julie qui, pour être invitée à l'émission Parcelles de soleil, va jusqu'à perdre la vue, cette coureuse en talons hauts qui pète les plombs au fil d'arrivée, déchirée par son amour à sens unique ou encore Gloria, qui a toujours rêvé de patiner sur sa chanson-thème (hit de Laura Branigan) et détourne la représentation annuelle de la crèche vivante de son quartier. Il y a aussi Simon, alter ego de l'auteur qui plonge ici dans l'autofiction, celui qui a toujours aimé danser, qui évoque sa mue catastrophique à l'église, à l'âge où Whitney Houston réalise malgré elle que sa voie est tracée, le même (14 ans) qu'avait Mozart quand il a recopié de mémoire le Miserere d'Allegri, entendu à la Chapelle Sixtine.

« Un jour, en avril 1770, un homme emmena son fils de quatorze ans à la chapelle Sixtine. On  y chantait le célèbre Miserere, de Gregorio Allegri. L’enfant était ému. Il retenait chaque note, et chaque silence. Toute la musique se gravait dans sa tête. Le soir, il note de mémoire la partition complète du Miserere d’Allegri. Quelques années plus tard, on perdit les partitions originales d’Allegri. On n’eut pas d’autres choix que d’avoir recourt au garçon qui avait tout noté de mémoire. On utilisa ses partitions pour que l’œuvre d’Allegri ne sombre pas dans l’oubli. Ce garçon s’appelait Wolfgang Amadeus Mozart. »
Tout au long du recueil, la musique sert de pulsation, de moteur, d'élément déclencheur, qui mène le protagoniste à poser des gestes extrêmes, à briller, ne serait-ce qu'une seconde, au firmament des stars. Qu'il danse tout son saoul lors d'une soirée d'Halloween en écoutant son iPod Shuffle pendant que les autres se meuvent au rythme d'une autre pièce, qu'il se laisse renverser par la beauté pure du geste en regardant Margie Gillis, qu'il pleure du sang en écoutant All I want for Christmas is you de Mariah Carey importe peu au fond. Le lecteur adopte spontanément les personnages car, n'avons-nous pas tous eu l'impression, un jour ou l'autre, d'être les seuls à danser (avancer, penser) sur un rythme autre?

On peut entendre Simon Boulerice dans un extrait du monologue « Danser a cappella » ici...

vendredi 23 novembre 2012

Vivre avec le cancer: deux points de vue

En serions-nous enfin arrivés au moment de briser l'ultime tabou: celui de parler de la maladie de façon autrement que clinique ou sinon à mots couverts? Peut-on transformer un combat contre le cancer en objet littéraire? Peut-on s'exprimer sur le sujet aussi douloureux sans tomber dans l’apitoiement ou que le lecteur se précipite sur la sortie de secours la plus proche (refermer le livre au plus vite)? Quelques livres récents semblent vouloir le prouver en tout cas.

Quelques semaines après avoir lu Les doigts croisés de Jocelyn Lanouette (recrue d'octobre) qui, après quelques cabrioles langagières et diversions sur des voies de traverse, nous force à contempler la maladie en face (et, ce faisant, nous insuffle un remarquable souffle de vie), je me suis plongée coup sur coup dans deux ouvrages dans lesquels les auteures évoquent leur combat contre le cancer du cerveau.

Le premier, Soleil en tête, reprend certains billets du blogue de Julie Gravel-Richard, écrits il y a bientôt cinq ans (retravaillés pour les besoins de l'ouvrage). Ceux-ci nous permettent de la suivre au quotidien, lors de rounds de chimiothérapie qui laissent souvent KO, de ses recherches en ligne pour mieux comprendre sa maladie, de quelques confrontations avec des médecins. On y apprend beaucoup sur la maladie (qui n'a toujours pas malheureusement rendu  les armes, Julie devant encore une fois se plier à une série de traitements); patients aussi bien qu'accompagnants y trouveront sans doute nombre de réponses à leurs questions. L'objet pourtant possède une portée universelle quand l'auteure fait le décompte de ses petits bonheurs, histoire de se (et nous) prouver que la vie n'est au fond qu'une succession de ces gestes infimes, en apparence anodins, jalons qui ponctuent nos vies de façon bien plus pertinente que ces prétendus accomplissements.


Avec Testament, son premier roman (La recrue du mois y reviendra bientôt), Vickie Gendreau propose un objet littéraire protéiforme, qui multiplie les ruptures de ton, les interlocuteurs, les genres littéraires (du journal extime/autofiction au poème en passant par certaines réflexions sur la littérature). On s'interroge parfois à savoir où se situe la (très) fine ligne entre littérature et exhibitionnisme.  
« Je suis cette littérature, la littérature honteuse et pleine de regrets. J’ai les paupières cochonnées d’avoir trop souvent fermé les yeux, d’avoir eu trop souvent à le faire. »  
Toutefois, on suit la jeune auteure jusqu'au bout, que ce soit dans des clubs de danseuses plus ou moins mal famés, dans les chambres crades, dans les arcanes de ses souvenirs d'enfance. On sourit en décryptant les références post-modernes cinématographiques des documents transmis à son entourage, on se dit qu'avec une telle amie, fille, sœur, il doit être impossible de dormir au gaz. 
« Tout est impératif maintenant dans ma vie. C’est probablement la dernière peine d’amour que je vis. Ça fait mal les dernières fois, c’est vulgaire la vie. » 

Pourra-t-elle aller ailleurs avec son prochain roman, nous convaincre qu'elle possède une vraie voix? On le souhaite.


mercredi 21 novembre 2012

Musiques de Cassandra Miller

Je m'en voudrais de ne pas revenir sur le concert présenté lundi dernier au Lion d'Or par Les salons de l'Ombre Jaune, mettant en lumière deux œuvres de la compositrice Cassandra Miller, L'été deux mille douze (une création) et Bel canto, pièce lauréate du Prix Jules-Léger du Conseil des Arts du Canada (musique de chambre).

photo : Amy Horvey, 2011
Cassandra Miller possède une voix distincte. Sa musique laisse une part non négligeable de liberté aux interprètes (pour s'en convaincre, on peut regarder une des partitions de Bel canto ici), mais à aucun moment, l'auditeur n'a l'impression d'être témoin d'une improvisation, les choix interprétatifs restant encadrés. Ce qui est le plus troublant peut-être est la façon dont les deux pièces entendues happent de façon presque viscérale. On résiste à peine au tout début, le temps d'apprivoiser un langage, et puis on se retrouve plongé en soi ou encore dans un état de quasi transe, comme si on se lovait au cœur même du son.

Ainsi, déjà, au milieu du premier des six mouvements de L'été deux mille douze, les harmonies modales rappelant par moments les chants gaéliques ou celtiques maximisaient un certain état de nostalgie qui ont fait surgir en moi certaines images plus ou moins refoulées des manifestations du Printemps érable, émotions canalisées dans le deuxième mouvement par le martèlement des pas de la chanteuse, le lyrisme du violoncelle s'opposant au côté militaire du piccolo (Geneviève Déraspe, excellente, commanditaire de l’œuvre avec Marie-Annick Béliveau). On passe ensuite du tumulte au calme éthéré, avec des pages troublantes pour violoncelle et piano. Le violoncelle devient voix humaine, avec des inflexions parfois presque douloureuses. Yegor Dyachkov n'a rien perdu ici de son impressionnante musicalité. Dans son solo, Brigitte Poulin a su démontrer une remarquable délicatesse de toucher (que l'on a pu apprécier également en ouverture de programme dans l'atmosphérique Vertigo Beach de Nicole Lizée). Le cinquième mouvement maximisait les oppositions entre calme (voix et piano) et fièvre (violoncelle). Saluons ici le travail des éclairages de Jonas Bouchard qui mettait en relief certains déplacements ou postures des interprètes. Le dernier mouvement, jouissif, reprend un texte de Gaston Miron. Avec des dons d'actrice consommée (qu'elle démontrera également en deuxième partie, alors que ses deux lectures de « Vissi d'arte » de Tosca, l'une pour diva, l'autre pour ténor caractériel, encadrent Bel canto, qui reprend en partie la ligne mélodique de l'aria, mais de façon déstructurée), Marie-Annick Béliveau devient Miron, inflexions et interruptions dans le débit incluses.

Après la cérémonie officielle de remise du prix Jules-Léger, on a pu entendre l’œuvre lauréate, Bel canto, hommage ému à Maria Callas, pour deux ensembles (un trio de cordes et un quatuor formé d'une flûte, d'une clarinette, d'une guitare et de la chanteuse). Marie-Annick Béliveau nous emprisonne rapidement dans les filets de sa voix, qui finit par posséder un caractère incantatoire. Comme chez Scelsi, la pulsation cardiaque de l'auditeur, bercé ou hypnotisé, finit par s'abaisser, les repères par se dissoudre. Le temps semble s'effilocher, le son enveloppe, devient châle dans lequel se blottir, se souvenir, oublier. Une étonnante expérience de lâcher-prise musical.

On peut découvrir plusieurs œuvres de la compositrice sur son site, dont Bel canto, que j'ai réécouté avec plaisir deux fois déjà.

lundi 19 novembre 2012

Là-bas dans la plaine

« À Swift Current, l’hôtel où se trouve le bar Big I s’appelle Impérial. C’est une grande bâtisse au bas de la ville, dans Central Avenue. Derrière l’hôtel du côté de Railway Street, on voit, sur la voie ferrée, passer lentement les trains de marchandises aux wagons rouillés, ou on les voit attendre leur cargaison de blé ou de bétail. »

À Swift Current, la vie se vit à un rythme autre, celui des récoltes plus ou moins abondantes, des chinooks qui forcent les habitants à se cloitrer chez eux, de la saison de la chasse à laquelle il semble impossible de ne pas se plier, des diktats du calendrier scolaire, des soirs de week-end passés au bar à échanger histoires et parfois coups, des dimanches qui exigent une présence à l’église, du regard des autres qui s’immisce, toujours.

À Swift Current, certains ont leur bock attitré derrière le comptoir, d’autres se servent d’une boîte de sirop d’érable comme prétexte aux rencontres, d’autres ne font que passer, mais tous semblent posséder au creux d’eux-mêmes une certaine nostalgie, du français mal-aimé, d’une terre ancestrale jamais entièrement oubliée, d’un ailleurs dans lequel on tente de s’évader, un verre de bière, une tasse de café, un trajet en autobus ou en camion à la fois.

À Swift Current, on ressent d’abord l’impression troublante d’avoir été parachuté dans un autre lieu, une autre époque; on peine à en décortiquer les codes. En milieu de parcours, on comprend que cette accumulation de petits riens finit par ponctuer une vie. Quand on referme le livre, après une montée émotionnelle réussie (la dernière nouvelle, « Le mari de l’infirmière », se veut un voyage aussi bien dans l’imaginaire que dans le passé, dans l’art théâtral que dans la langue), on se dit qu’au fond, on aurait peut-être envie de s’y installer, le temps de panser quelques plaies, d’apprivoiser de nouveaux repères, que Vartan Hézaran nous raconte encore une histoire.

samedi 17 novembre 2012

Jésus, Cassandre et les demoiselles

Emmanuelle Cornu possède une écriture unique, tantôt scalpel, tantôt pinceau, qui demande à être apprivoisée. La galerie de personnages étonne de prime abord, laisse perplexe, provoque parfois le malaise, jusqu’à que l’on réalise que, au fond, ces personnages évoluant sur le fil très mince de la névrose, pourraient être un voisin, une amie, un parent, soi-même, que ces textes sont portés par un insolite souffle universel, contes pour enfants pas toujours sages qui nous permettent d’accepter nos tares à défaut de les annihiler. N’avons-nous pas tous, à un moment ou l’autre, ressenti la peur de l’abandon (« Tu vas revenir dans quelques minutes », la narratrice tremblant à l’idée que sa copine l’a quittée), une solitude trop lourde (« Cale sèche », magnifiquement ciselé), une incompréhension envers une cellule familiale dysfonctionnelle (« Deux gigantesques pointes de tarte », trio pour père instable, grand-mère envahissante et trait d’union dépassé)?

Emmanuelle Cornu découpe, expose, polit, fractionne encore une fois la trame narrative, isole l’instant, s’attarde au geste, avant de laisser les fragments nous exploser au visage, autant de parcelles de douleur (« Madame »), de beauté (« Reconnaître madame D. à la courbe de ses  mollets », portrait en demi-teintes, presque nostalgique), de quotidien (« L’exercice d’incendie », l’inquiétude latente de chacun se révélant dans ses interstices), d’étrangeté (« Killer Rabbits »). La nouvelle au titre improbable «Broche “vitrail de papillon (rouge grenat) ”, catalogue no 14, printemps-été, p. 302 », aux éclats fractionnés (tout comme « Le miroir de Jean-Yves », intéressante relecture du double), m’est apparu d’une certaine façon condensé du recueil et aurait peut-être mérité d’en devenir clé de voûte. 

La ritournelle se veut partie intrinsèque de cette écriture si particulière, impose au lecteur un rythme de lecture, refrain que l’on retrouve avec plaisir assez souvent, mais qui à d’autres agace (« Super bouchée » et ses répétitions presque intempestives du mot SUPER).

« Il était une fois Lysandre et son trop beau projet. Trop beau pour entrer dans une seule vie. Pour se matérialiser, se légitimer. Il était une fois Lysandre l’artiste. Et son travail. Et son cœur découpé en autant de tableaux. » Des semaines après la lecture, plusieurs de ces instants volés continuent d’habiter. L’auteure saura-t-elle trouver un autre souffle pour accompagner des personnages de roman? On le souhaite.



jeudi 15 novembre 2012

Mi-novembre

Quand vous parcourrez ces lignes, vous rentrerez peut-être, épuisés, de quelques heures passées au Salon du livre de Montréal. Aurez-vous patiemment attendu en ligne, au milieu d’une centaine d’autres fervents, dans l’espoir d’obtenir « la » signature? Vous ne m’y aurez probablement pas croisée, car je préfère de loin m’entretenir avec les nouveaux auteurs, souvent presque surpris que quelqu’un, quelque part, dans cet immense hall, les ait vraiment lus. Après tout, n’écrit-on pas d’abord pour l’autre?

Je le soulignais le mois dernier, le premier roman se porte bien au Québec. La nouvelle formule du Grand prix littéraire Archambault (qui sera décerné en janvier) mise maintenant uniquement sur les premiers titres. On y retrouve notamment le recueil de nouvelles de notre Recrue du mois, Emmanuelle Cornu, Jésus, Cassandre et les demoiselles, qui n’a laissé aucun de nos chroniqueurs indifférents. Elle sera d’ailleurs l’invitée de l’émission Actualités littéraires sur CKCU le mardi 20 novembre à 9 h 05 (en baladodiffusion presque aussitôt après). Elle y évoque les défis liés à la réalisation de ce recueil et échange avec Normand de Bellefeuille, son directeur littéraire; un rare regard « en coulisse ». Vous pouvez également l’entendre lire un extrait de son portrait de la troublante Madame D. « En quatrième secondaire, j’ai eu un coup de foudre pour la nouvelle grâce à madame Lefrançois – Madame D dans mon recueil, explique-t-elle dans le questionnaire. Ce prof a su trouver les mots qu’il fallait pour m’encourager à écrire et à persévérer. » Qui a dit que l’enseignement de la littérature ne changeait pas les vies?

Le livre lauréat du Prix Robert-Cliche, Hunter s’est laissé couler de Judi Quinn, fait partie lui aussi des titres recensés ce mois-ci. On avance souvent que l’on ne lit jamais le même livre. Nos deux collaboratrices, Maud Lemieux et Hélène Ferland, vous le constaterez, ont réagi de façon presque diamétralement opposée à ce roman inclassable.

Nous vous proposons également dans ce numéro plein à craquer sept  autres titres, dont Premiers soins, le premier recueil solo du slameur David Goudreault, Hop, une première BD adulte de Karine Gottot et Maxim Cyr, regard décapant sur le monde des hôpitaux, ainsi qu’un recueil de nouvelles publié chez Les Éditions du Blé, dépaysant séjour en Saskatchewan, Là-bas dans la plaine de Vartan Hézaran. Bonne lecture!

Découvrez le numéro ici...

mardi 13 novembre 2012

Mathieu Laca: mort ou vif

Il a à peine 30 ans, mais possède une rare maîtrise du médium, une culture artistique remarquable et une imagination absolument débridée. Faites vite, vous n'avez que jusqu'à dimanche pour le découvrir à la Galerie Modulum et vous approprier son univers à nul autre pareil. Son amour de Francis Bacon transparaît dans la façon dont il assemble ses toiles, les déstructure, y intègre l'élément qui perturbe la composition, déstabilise le spectateur.
Mathieu Laca: Francis Bacon

Dans ses autoportraits, le personnage est parfois traqué par une idée fixe, se dévoile dans un troublant moment volé, entre jouissance et agression, ou cherche à se définir en multipliant les regards qu'il pose sur lui-même. 

Mathieu Laca: Alter ego


La puissance de ses compositions, dans lesquelles le corps joue un rôle essentiel, n'a rien à envoyer à celle de Goya. (Il propose d'ailleurs une relecture de Saturne dévorant un de ces enfants, le visage du monstre occulté semblant d'une certaine façon repousser les limites même de cette violence sublimée.) Allégories, monstres déstructurés, hermaphrodite sans tête, on sort troublé de l'expérience, sans que jamais, étonnamment, la frontière du dégoût ne soit franchie.

Mathie Laca: Renaissance
Mathieu Laca propose aussi une remarquable galerie de portraits d'artistes célèbres, de Picasso à Riopelle, en passant par Tchaïkovski et Genet, deux toiles devant lesquelles je me suis longuement posée, avec lesquelles je serais bien repartie (le Tchaïkovski a été adopté par un autre connaisseur).  
Mathieu Laca: Tchaïkovski
Mathieu Laca: Genet
« Peindre le portrait d’un peintre est une forme de cannibalisme artistique, explique lui-même l'artiste. Non seulement vous vous appropriez l’apparence physique dudit peintre, mais, en imitant son style, vous pouvez jouer avec ses manies. Vous entrez alors dans un dialogue entre votre propre vocabulaire pictural et le sien. C’est la lutte de Jacob avec l’Ange. D’une certaine façon, vous aspirez son âme. Ceci ajoute tout un nouveau pan d’interprétation. » 
Mathieu Laca: Courbet
Sa série consacrée aux maîtres anciens, peinte avec les pigments et les techniques de l'époque, démontre hors de tout doute que nous avons affaire ici à un artiste en pleine possession de ses moyens, dont on continuera assurément de parler. À voir impérativement!

Vous pouvez découvrir ici le site consacré à l'exposition...

lundi 12 novembre 2012

Une étrange histoire d'amour

« Nous devons jouer notre vie à la première lecture, m’as-tu dit, et suivre la partition que le destin, chaque jour, nous met sous les yeux. » Tu m’as étreint, et tu as continué. « Vivre, au fond, n’est qu’une habitude sordide. Obligations, affections, devoirs. N’oublie pas : la vie est suspendue à un fil, mon petite Hannes. » 
Si je ne fréquente pas beaucoup les biographies (à part celles que je dois consulter quand je rédige des notes de programme), j'admets un penchant immodéré pour les textes qui traitent de musiciens ou nous permettent de connaître la musique de l'intérieur. Une étrange histoire d'amour se veut une relecture poétique de l'étrange triangle Johannes Brahms, Robert et Clara Schumann. Longue lettre de Brahms à Clara alors qu'il sent ses derniers instants venus et qu'elle a elle-même rendu son dernier souffle, le roman suppute, suggère, oriente, mais refuse de prendre entièrement  position. Et si, au fond, la passion de Clara et Johannes avait été de courte durée? Si l'ombre de Robert, interné, lui avait porté le coup fatal? Si Robert, parfaitement lucide, avait feint la folie pour empêcher sa femme de tomber dans les bras de son successeur en musique?

Luigi Guarnieri possède une plume habile, qui rend bien les demi-teintes de ce lien qui ne sera sans doute jamais élucidé. (Au fond, tant mieux, une histoire d'amour doit-elle nécessairement devenir publique parce qu'elle a été vécue par des artistes célèbres?) Il y évoque bien sûr la musique, qu'elle soit en gestation sur un manuscrit ou qu'elle devienne sublimée une fois entendue.
« J’étais enfoncé dans le fauteuil de velours cramoisi, visage anonyme et perdu parmi ceux de centaines de spectateurs, et pourtant il me semblait que tu ne jouais que pour moi, moi seul, et tes notes ne parlaient qu’à moi, qui fixais ta robe couleur d’encre, remarquais le rouge sur tes joues, et espérais te voir rester là pour toujours, clouée au tabouret, les yeux rivés sur la partition, un sourire grave à peine esquissé aux lèvres. » 

Il nous propose également une certaine peinture d'époque, articulée principalement autour de moments du quotidien plutôt que d'événements historiques. Il s'attarde par exemple à la relation du jeune Brahms (on oublie trop souvent que le compositeur n'a pas toujours été un vieux barbu ventripotent et ronchon) avec les enfants Schumann qui, chacun à sa façon, crient l'absence, du père aimé puis de la mère, toujours en tournée. Si, au début, les puristes se rebifferont peut-être un peu en découvrant les hypothèses avancées par Guarnieri (et les plus littéraires sur quelques étranges dissociations entre le je et le il, comme si Brahms parlait de lui à la troisième personne du singulier, choix improbable dans une lettre), ils finiront sans doute comme moi par se plier au rythme particulier de l'auteur, à la tendresse exacerbée qui déborde de ces pages, au respect qu'il porte à ses personnages, peut-être plus réels, plus incarnés dans cette fiction qu'ils ne l'ont jamais été dans les biographies traditionnelles. Cette étrange histoire d'amour n'a-t-elle pas permis à nombre de chefs-d’œuvre de voir le jour? Après tout, comme l'affirme fort joliment l'auteur, « … l’amour est-il autre chose qu’une musique jamais entendue? »

samedi 10 novembre 2012

Envoutant instrument

Les Ondes Martenot déstabilisent et apaisent à la fois, comme si l'instrument faisait vibrer une parcelle mal assumée de notre âme, l'emplit d'une nostalgie inconnue, l'« évide », comme l'avance d'ailleurs l'ondiste Suzanne Binet-Audet dans le documentaire Le Chant des ondes de Caroline Martel, présenté en première mondiale jeudi soir dans le cadre des RIDM. Comment son inventeur a-t-il pu insuffler cette vibrante parcelle d'humanité dans un instrument pourtant électronique? Mystère...

La réalisatrice Caroline Martel propose un voyage presque immersif, dans lequel la musique joue évidemment un rôle essentiel, ponctuant les instants atmosphériques de documents d'archive (fascinant de voir l'instrument démontré à la télévision d'alors ou d'entendre le disque promotionnel, son inventeur croyant que l'instrument deviendrait celui que tous rêveraient de posséder), de conversations avec des ondistes (comme celle en apparence impromptue entre les membres de l'Ensemble d’ondes de Montréal qui évoquent ce qui les a attirés dans l'instrument) ou encore avec Jean-Louis Martenot (fils de Maurice) ou Jeanloup Dierstein, « grand sorcier de la lutherie électronique », qui tente de mener l'instrument ailleurs.

Certains des échanges captés par la réalisatrice sont profondément touchants, comme lorsque l'on perçoit la pointe de nostalgie de Jean-Louis Martenot (qui n'ose accuser un père sans doute trop souvent absent) ou que Suzanne Binet-Audet rencontre Jonny Greenwood (du groupe Radiohead), sur scène, salle Wilfrid-Pelletier. « Je me sens comme si Elton John rencontrait Glenn Gould », résume-t-il. On saisit immédiatement l'envie presque viscérale de Binet-Audet à toucher les instruments de Greenwood, chaque instrument disposant d'un circuit légèrement différent, autant que cette révérence de Greenwood.

On sort de la salle sombre avec une envie presque viscérale de s'approprier l'instrument ou tout au moins de découvrir le répertoire que les compositeurs lui ont consacré. Un film à voir (reprise le 13 novembre à 21 h 15 à la Cinémathèque québécoise et diffusion en salles en janvier), mais surtout à ressentir!

Un site très complet est consacré au film, qui traite aussi bien de l'instrument et ses particularités que du répertoire entendu. À découvrir ici...



jeudi 8 novembre 2012

Génération 2012: pour la multiplicité des langages

L'ECM+ est en pleine tournée pan-canadienne cette semaine, histoire de faire découvrir aux publics de Banff, Calgary, Vancouver, Winnipeg, Montréal, Toronto, London et Ottawa les œuvres d'Annesley Black (Jenny's Last Rock, pour magnétophones et orchestre sur le thème du curling), Gabriel Dharmoo (Ninalvanjali, un hommage à son maître N. Govindarajan, mort en mai 2012), Marielle Groven (Animaris Currens Ventosa, inspirée des sculptures de Theo Jansen) et Riho Esko Maimets (Beatitude, concerto pour violon).

Vous pouvez lire mon article sur l'événement sur le site de Cette ville étrange ici...

Les Montréalais pourront découvrir les œuvres et rencontrer les quatre compositeurs demain soir, au Conservatoire, 19 h 30. Plus de détails...

mercredi 7 novembre 2012

Le chant des ondes

L'instrument est mystérieux à souhait même pour un musicien professionnel, laisse encore le quidam perplexe (comme j'ai pu le constater quand l'OSM a donné la Turangalîla de Messiaen l'année dernière et que mon voisin ne cessait de tenter d'expliquer l'instrument à celle qui l'accompagnait, sans se rendre compte que l'acoustique de la salle maximisait la transmission de son message). Demain, aux Rencontres internationales documentaire de Montréal, Le chant des ondes, un film de Caroline Martel retraçant le parcours étonnant de cet esprit sera présenté en première mondiale à l'Excentris. Une soirée festive, avec performances sur Ondes Martenot, est ensuite proposée à la Cinémathèque.

lundi 5 novembre 2012

Le torrent

Je n'avais pas remis les pieds dans un cinéma depuis mon blitz FFM et j'admets que j'avais très hâte de me retrouver en salle obscure et de me laisser happer par une histoire, surtout une transmission méticuleuse d'un classique de la littérature québécoise. J'avais bien sûr lu quelques pré-papiers dans lesquels le réalisateur Simon Lavoie expliquait la nécessité - et les difficultés - de monter ce film: « C'est un récit qui me colle à la peau, je suis lié à cette œuvre-là, confiait-il à La Presse. Quand j'ai découvert ce texte à l'adolescence, je me suis beaucoup identifié à François. » Il voit d'ailleurs dans ce texte une métaphore de notre société: « Mais peu à peu, j'ai compris qu'il y a là-dedans les schémas de notre imaginaire collectif qu'Anne Hébert avait pressentis. Pour moi, c'est presque un glossaire de la condition québécoise, comme une psychanalyse de la figure du Québécois. »

Pendant deux heures et demie, le film se déploie de façon organique. Si, au tout début, on peine à trouver nos repères, comme François qui ne sait plus tout à fait où il est ni ce qu'il vient de vivre, on apprivoise le récit par petites touches, par respirations (parfois hachurées). Le travail de scénarisation est exceptionnel et l'adaptation d'une fidélité presque maniaque. Pour m'en convaincre, j'ai lu la nouvelle hier et ai été soufflée quand j'ai réalisé la précision avec laquelle le moindre sous-texte et les plus subtils détails avait été transmis, que ce soit les traits physiques des personnages (la description des cheveux d'Amica, le front ravagé de la mère, la chevelure hirsute du vieux, la stature du colporteur), le côté indomptable du cheval Percival ou même la disposition physique des lieux. À peine Simon Lavoie a-t-il pris quelques (très légères) libertés lorsque certains éléments demeuraient flous dans le texte porteur d'Anne Hébert.
 « J'étais un enfant dépossédé du monde. Par le décret d'une volonté antérieure à la mienne, je devais renoncer à toute possession en cette vie. Je touchais au monde par fragments, ceux-là seuls qui m'étaient immédiatement indispensables, et enlevés aussitôt leur utilité terminée; le cahier que je devais ouvrir, pas même la table sur laquelle il se trouvait; le coin d'étable à nettoyer, non la poule qui se perchait sur la fenêtre; et jamais, jamais la campagne offerte par la fenêtre. Je voyais la grande main de ma mère quand elle se levait sur moi, mais je n'apercevais pas ma mère en entier, de pied en cap. J'avais seulement le sentiment de sa terrible grandeur qui me glaçait. »

Le traitement des images reste magnifique, particulièrement le dosage des éclairages, rarement éclatants, le plus souvent en demi-teintes, zones d'ombres, favorisant les ambiguïtés. En filigrane, le travail effectué sur le son se révèle d'une rare maîtrise. Jamais au cinéma québécois (et rarement ailleurs) n'ai-je été témoin d'une telle minutie dans le traitement des strates. Il n'est pas ici uniquement questionnement de la musique (bien conçue, de Normand Corbeil), mais de tout l'aspect sonore, des grondements aux sifflements, des craquements au bouillonnement du torrent, autant d'éléments essentiels pour entrer entièrement dans la psyché du personnage, qui doit apprivoiser la surdité.

Soulignons également le jeu des acteurs. Victor Andrés Trelles Turgeon, que j'avais remarqué dans Pour l'amour de Dieu de Micheline Lanctôt, a tout naturellement privilégié un jeu intense, tourné vers l'intérieur, physique (à quoi sert de dire quand tout autour de soi nous pousse à se taire?). Dominique Quesnel en marâtre d'une rare violence, réussit néanmoins à transmettre la fissure profonde que Claudine porte en elle. Cet enfant, qui la continue, elle lui voue au fond un amour féroce, qu'elle tente de mater à coup de corrections physiques et d'abus verbaux. Laurence Leboeuf campe quant à elle une Amica  (ainsi que, teinte en blonde, Claudine jeune, adroit clin d’œil du scénario) enjôleuse, source de rédemption aussi bien que de perte, lumière autant qu'ombre.

Un très grand film, tiré d'un texte puissant.

samedi 3 novembre 2012

L'automne du coeur

Découvert grâce à une nouvelle amie, un son unique, un travail presque poétique, une très belle plage (la deuxième sur l'album), qui exprime parfaitement en musique l'impression de suspension ressentie quand l'automne commence à perdre ses couleurs et devient nostalgie. (Les deux autres plages proposées sont tout autres, mais très intéressantes également.)

jeudi 1 novembre 2012

Traduire...

« Traduire un poème, c'est l'habiter avec une intensité qu'aucune lecture, pas même cent fois recommencée, ne saurait jamais offrir. Traduire, c'est pénétrer le système sanguin d'une œuvre, investir ses tissus, sonder sa moelle, explorer sa vitalité cellule par cellule. Il faut briser le texte et le détruire, puis à nouveau le reconstruire entièrement. Au cours d'un tel travail, on apprend autant sur soi que sur la poésie. » 

(Paul Auster, après avoir essayé de traduire Jacques Dupin dans sa jeunesse)

À la découverte du Québec: un nouveau challenge

Je suis toujours pro-littérature et culture québécoises, alors quand j'ai découvert ce challenge, qui s'étale jusqu'au 24 juin 2014 chez Sunflo, je n'ai pas songé une seconde à y résister.

On peut s'y inscrire en littérature (5 niveaux), culture québécoise (5 niveaux également) ou dans le combiné. Vous aurez sans doute déjà compris que j'ai choisi le combiné, visant le Patrick Senécal (plus haut niveau côté littérature (16 livres et plus) et le Xavier Dolan (13 à 16 articles) côté culture, simplement parce que le jeune cinéaste m'interpelle plus que le fondateur du Cirque du Soleil (niveau supérieur).

On peut encore s'inscrire ici...

mardi 30 octobre 2012

Printemps spécial

Était-il trop tôt pour écrire de la fiction ayant pour trame de fond le tumultueux « printemps érable »? Était-il utopique de penser pouvoir s'extraire des secousses pour les intégrer à une trame autre, comme l'a par exemple réalisé Moebius en publiant une série de textes sur le 11 septembre (rappelons-le, dix ans après les événements)? Douze auteurs de la maison d'édition Héliotrope ont pourtant répondu présent à l'appel même si - ou peut-être parce que -, lorsque les plumes ont été trempées dans l'encre rouge, le réglement relevait plus de la pensée magique (celle des dirigeants entendons-nous) que de la réalité. Il faut saluer l'audace d'avoir voulu garder un souvenir indigné de l'événement, de le transformer en objet cohérent, attrayant (les textes sont accompagnés d'images signées Toma Iczkovits alias M'sieur Zen), que l'on souhaite garder. S'il rentre difficilement dans un sac à main, il peut néanmoins trôner sur une table à café, histoire de se rappeler que, au fond, nous n'avons pas réglé grand chose en tant que société.

Les nouvelles multiplient les tons et les points de vue: du journal extime/autofiction (« À la casserole » de Catherine Mavrikakis) au sain sarcasme (« La jeune fille et les porcs » de Nicolas Chalifour), en passant par l'impuissance de ceux qui ont dû se contenter d'observer le combat de loin (« Je n'étais pas là » d'André Marois, « Chelsea rouge » de Gail Scott ou « Colère et tremblement » de Michèle Lesbre). Certains ont réussi à se détacher suffisamment de l'événement pour raconter une histoire autre, Olga Duhamel-Noyer ( « La corde ») par exemple, les manifestations devenant simple contrepoint à une trame trouble. Si le livre n'en est pas vraiment un de dénonciation, cette dernière se lit néanmoins en filigrane. Ceux qui ont porté le carré rouge, tapé sur une casserole, pris part à une discussion musclée lors d'un souper familial pourront sans peine superposer leur propre trame narrative à l'une ou l'autre de ces histoires, celles de Simon Paquet (« L'inactiviste », course folle pour participer enfin à une manifestation, juste assez décalé) ou Carole David (« L'atelier rouge ») par exemple.

On retrouve surtout la voix, puissante, unique, des auteurs de la maison que l'on a appris à connaître, à aimer (« Autoportrait en militante » de Martine Delvaux, à la petite musique intérieure si particulière ou « Comme les Hell's » de Patrice Lessard, qui nous permet de retrouver certains personnages de ses deux romans, par exemple), en découvre avec plaisir d'autres (« On n'était pas invités » de Gregory Lemay), en une étonnante courtepointe (rouge) dont les pièces se complètent plutôt qu'elles ne se répètent.

«... tu comprends que le 13 février 2012, tu as cédé le pas à la foule. Tu t'es faite multitude, cortège, assemblée, régiment. Ton imaginaire pris en souricière par ce printemps, ta vie est devenue le stroboscope d'événements dont tu fais l'inventaire comme une ritournelle.
Tu n'es plus la même. Ton visage a changé. Voilà ce que tu vois.
Le printemps t'a réinventée. » (Martine Delvaux, « Autoportrait en militante »)

dimanche 28 octobre 2012

Javotte

Il existe une multitude de déclinaisons de l’histoire de Cendrillon : livres, opéras, ballets, dessins animés, suites… Mais une histoire ne possède-t-elle pas toujours une multitude de points de vue? Pourquoi le père de Cendrillon a-t-il épousé cette femme acariâtre? Pourquoi ses belles-sœurs sont-elles aussi cruelles? Et si, ces personnages aussi avaient droit de parole, n’étaient pas entièrement noirs? Voilà le pari que Simon Boulerice a pris avec Javotte, relecture du conte au 21e siècle. Javotte et Anastasie ont perdu leur père, leurs repères. L’aînée use (et abuse) de méchanceté pour faire taire l’absence, la cadette subit ses attaques, sans entièrement les comprendre, trop heureuse quand sa sœur lui accorde un peu d’attention.

Comme toutes les filles de son âge, Javotte est obsédée par le plus beau garçon de la classe, Luc, qui l’ignore bien sûr. Mais contrairement à ses consœurs, elle décide de répondre à l’indifférence par l’attaque, en se liant à la sœur de son prince charmant en un temps, et en détruisant la compétition (Carolanne, la petite parfaite au teint radieux) par tous les moyens, vivant ses premières expériences sexuelles avec le père de celle-ci. Mais même quand on se range « du côté sombre de la force », rien n’est jamais aussi tranché. Un coup du destin la forcera à revoir certaines priorités, à accepter qu’elle ne possède pas une emprise valable sur le monde qui l'entoure.

À travers des chapitres courts, qui rappellent le journal intime (dans lequel la narratrice prétend écrire quand une amie l’interroge, mais qui restera vierge), Boulerice réussit à nous faire passer du vague énervement à un certain attachement pour cette jeune fille en quête de sens, en quête d’elle-même. Au lieu de nous complaire dans la reconstitution de l’histoire de Cendrillon (qui porterait assurément aujourd’hui des Manolo ou des Jimmy Shoes plutôt que de vulgaires pantoufles de vair ou même de verre), peut-être aurions-nous eu au fond avantage à jeter un autre regard dans le miroir? Miroir, miroir, dis-moi qui a les plus grands pieds…

jeudi 25 octobre 2012

Leçon de poésie

Murray Perahia a démontré avec éloquence hier soir qu'il faisait partie de cette race, malheureusement en voie d'extinction, des grands artistes, toutes catégories confondues. Quelques mesures de Haydn, transmises avec une élocution irréprochable, ont permis de prendre la mesure de la profonde compréhension des œuvres privilégiée par Perahia. Chaque phrase est découpée, l'articulation réfléchie, les points de tension harmoniques méticuleusement préparés, le développement du matériel motivique devenant d'une limpidité presque confondante.

S'il a semblé prendre quelques instants pour s'installer dans le premier des Six Moments musicaux de Schubert et qu'on pourrait chipoter une seconde sur l'explosion sonore presque intempestive du cinquième, il a su transmettre toute la poésie du deuxième, dépouiller de toute scorie l'architecture contrapuntale du quatrième, et nous faire passer par toute la gamme d'émotions dans le dernier.

Plutôt que de chercher à renouveler la donne de la trop célèbre Sonate « à la lune », il a plutôt choisi d'en extraire l'essence, de la débarrasser de tout tic interprétatif, révélant les assises harmoniques du premier mouvement, faisant (enfin) sens du Menuet, toujours parent pauvre de ce triptyque aux mouvements extérieures devenus presque galvaudés.

En ouverture de la deuxième partie, Perahia avait programmé le Carnaval de Vienne de Schumann, trop peu joué, qui lui a permis de démontrer l'étendue de sa palette expressive, de la tendresse délicate, tremblante d'intériorité, du deuxième mouvement aux tourments passionnés du quatrième. Le scherzo pris à une vitesse plus assise permettait au dernier mouvement de s'émanciper en une course effrénée, jamais incohérente cependant, menant ces scènes croquées sur le vif vers une conclusion d'une inexorable évidence.

Si son Deuxième Impromptu de Chopin n'était peut-être pas aussi mémorable que sa lecture sur disque, son Premier Scherzo a renversé, entre folie à la violence à peine contenue et une section centrale suspendue, qu'on aurait voulu voir s'étirer pendant quelques pages encore.

Deux rappels ont été offerts en remerciement des applaudissements chaleureux: un Impromptu opus 90 no 2 de Schubert tout simplement parfait, grande leçon de pianisme concentrée en quelques minutes à peine et l'Intermezzo opus 119 no 3 de Brahms, pétillant comme les pages de Moskowski que son mentor Horowitz proposait jadis à son public.

Après le concert, j'ai attendu, patiemment, mon LP Mendelssohn sous le bras, dans l'espoir que, peut-être, ma route croiserait celle du maître.J'ai eu le privilège de lui serrer la main. (Il ne signe pas d'autographes.) Quand je lui ai expliqué pourquoi cet objet était si important pour moi, partageant même dans un moment de folie cette photo de moi prise devant la reproduction de la pochette, il a chaussé ses lunettes, un peu désarçonné par cette histoire. « Vous savez que cet album était le premier que j'ai enregistré avec orchestre? » Il a relevé l'année d'enregistrement (1975), l'air de dire que cela faisait si longtemps déjà, lui qui, pourtant, à 65 ans, possède encore la fougue et l'éclat dans le regard d'un jeune pianiste. Je suis rentrée chez moi, les oreilles pleines de poésie, avec la certitude que cette soirée resterait parmi celles dont je me souviendrai longtemps.